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30/03/2006

Mieux cerner ce qu'est la laicite

3 avril

En attendant une Nouvelle Note ( a La fin de la semaine):

- 7255 internautes ont consulte le Blog en mars, c'est aussi bien que decembre 2005, le meilleur mois jusqu'alors

-Reponse a des commentaire: qu'Andre Pratt (La Presse) me donne son numero de telephone, je le contacterai. Merci a la Bourrique de sa remarque un peu ironque: qu'il ou qu'elle se rassure: il y avait 180 personnes et nous etions 3 medailles, cela fait 60 chacun et n'a creve aucun budget!

D'abord 2  petites nouvelles:

- Un quotidien americain consacre un article de fond a la France, a propos des manifestations et de la greve concernant le CPE. Pour montrer que l'auteur connait bien son sujet, on indique qu'il a ecrit 2 ouvrages sur la France, le premier s'intitule (traduit en francais): La France en crise et le second: la France injuste. Exemple significatif de ce que j'ai deja indique sur l'image que donne la  France (et non sans raison!)

- Un rapport international vient d' être publie, destine aux "decideurs" sur la France et les musulmans. Les analyses et les conclusions sont decapantes. On y apprend notamment que "les musulmans de France s'averent finalement bien plus individualistes que prevu. A l'inverse il y a bien un communautarisme republicain, qui s'inscrit dans la tradition francaise de ghettoisartion du social et d'instrumentalisation clienteliste des elites religieuses." Votre Blog favori, estimant que tous ceux et celles qui le frequentent sont des VID (Very Important Decideurs!), va vous faire, prochainement, un resume synthetique de ce rapport, avec des commentaires ad hoc.

PS: Un "etudiant de Nice" me fait remarquer que j'ai ecrit dans ma Note sur "Les evenements de Mars 2006", "embrassement" et non "embrasement". Le lapsus est, bien sûr, significatif: je pense trop aux nombreuses internautes qui me font le plaiisir de consulter ce Blog!!!

La laïcité, quelle liberté ?

Une récente conférence, prés de Mantes-la-Jolie, m’a permis de rencontrer des personnes qui ont des avis différents sur la laïcité. Du coup, à partir des propos entendus, je peux expliciter mon propre point de vue qui est lie aux analyses que j’effectue sur ce sujet.

Certains auditeurs estimaient que : la laïcité, c’est bien mais cela réduit trop souvent au « plus petit dénominateur commun » et conduit à une perte de sens. Quelqu’un disait : en fait l’enseignement religieux en Alsace-Moselle, avec possibilité de dispense, cela ne met pas ces 3 départements à feu et à sang, alors pourquoi pas ? Des professeures voulaient continuer à réfléchir sur le foulard et, après la conférence elle-même nous avons continué à discuter à ce sujet.  

Quelqu’un était scandalisé parce qu’une association loi de 1901 « Bible dans le Mantois » a organisé une exposition sur la Bible, perçue comme un livre qui « fait partie du  patrimoine de l’humanité »  et a reçu quelques subventions de collectivités locales. Il y avait eu un tract et une manifestation contre ce fait.

Voila donc un exemple concret où la représentation de la laïcité constitue un enjeu et où, d’un côté on pense agir dans le cadre de a laïcité, de l’autre on estime que la loi de 1905 est violée car il s’agirait d’une entreprise de « prosélytisme ».

Premier point : la laïcité induit-elle une réduction au plus petit dénominateur commun ? Elle organise et règle la vie commune. Et on dit alors : la religion, pour ne pas être imposée et  ne pas dérogée à la laïcité doit rester dans « la sphère privée », elle « est de l’ordre du privé ». Et certain disent que la loi de séparation met la religion dans le privé.

C’est un peu plus compliqué : dans la sphère publique, ou plutôt l’espace public, il faut distinguer ce qui est de l’ordre de l’institutionnel, au sens sociologique du terme, c'est-à-dire des institutions publiques qui sont liées à des activités plus ou moins obligatoires (l’instruction est obligatoire jusqu’à 16 ans, des vaccinations sont obligatoires ainsi que des examens et l’obtention de certificats médicaux dans certaines circonstances) et ce qui est de l’ordre de l’associatif (également au sens sociologique), c'est-à-dire ce qui est volontaire et libre. Ce qui est socialement facultatif, et donc relève de « choix privé », c'est-à-dire de choix personnel, mais peut très bien se déployer librement dans l’espace public, à côté de d’autres activités de type associatif qui peuvent avoir des orientations différentes.

Qu’a fait la loi de 1905 : 3 choses:

-         avec l’article 1, elle indique que la puissance publique et les institutions publiques respecte la liberté de religion et de conviction : « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte ». Cet exercice du culte est public et il est garantit comme tel

-         avec l’article 2, elle privatise les institutions religieuses : les « cultes reconnus » (catholique, protestants, israélite)  étaient des institutions publiques dont le ‘clergé’ était salarié par l’Etat. « La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. » Le « budget du culte » est progressivement supprimé. Mais il s’agit bien du budget du « culte » concernant les associations loi de 1905.

-         avec l’article 4, elle respecte le fait que les associations formées pour l’exercice du culte fonctionnent, à usage interne, comme des institutions : c’est le fameux « en se conformant aux règles générales d’organisation du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice. » nécessaires pour recevoir l’affectation des biens. Autrement dit s’il n’y a aucune contrainte à croire et à être de telle ou de telle religion, à partir du moment où l’on fait librement ce choix, on accepte les contraintes institutionnelles de la religion que l’on a choisi. Ainsi, si le droit canon n’a aucune validité pour les lois de la République, la République lui reconnaît une autorité pour régler les différents religieux qui peuvent se produire entre catholiques.

Dernier point : que se passe-t-il quand il se produit une contradiction entre l’article 1 : la garantie du libre exercice du culte et l’article 2 : le fait de ne pas reconnaître, salarier, subventionner ? Qu’est-ce qui doit l’emporter ? Ce fut l’enjeu de l’amendement proposé et adopté par les députés permettant de salarier des services d’aumônerie (fin de l’article 2, jamais cité par les partisans d’une laïcité antireligieuse qui se réclament abusivement de la loi de 1905 : « Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives,à des services aumôneries… »). C’est très clair : en cas de conflit, l’article 1 l’emporte sur l’article 2, la « garantie » du libre exercice du culte est plus importante que le principe de la non affectation de dépenses publiques pour le culte.

Cela ne signifie pas que cette absence de financement public ne soit pas importante ; cela veut dire que sa signification est avant tout le fait qu’aucune religion n’est, ne doit être si peu que ce soit, officielle.

La laïcité fonctionne donc à deux niveaux :

-         celui du dénominateur commun, qui est celui des institutions publique et de tout ce qui, dans la sphère publique relève peu ou prou d’un fonctionnement social commun et obligatoire (tout ce qui est administratif, par exemple. Là il y a, à la fois neutralité religieuse et respect de la liberté de religion et de conviction. Pas de cours confessionnel de religion à l’école, par contre (cela a été rappelle par un auditeur de la conférence), l’école s’arrète un jour par semaine outre le dimanche pour faciliter la tenue du catéchisme (c’était le jeudi sous Jules Ferry, c’est devenu le mercredi). C’est pourquoi, je suis pour la transformation du cours confessionnel de religion qui existe en Alsace-Moselle en cours de culture religieuse, de  sciences religieuses : l’école initie à des connaissances, elle n’a rien à voir avec la catéchèse. Ceci dit les exigences de la laïcité sont diversifiées. Je vais y revenir.

-         Celui de l’espace publique pluralistechacun s’exprime et s’associe de façon volontaire et libre. Et ce second niveau est indispensable à la qualité d’une société laïque. Le commun ne tombe pas du ciel, fut-ce du ciel des idées cher au philosophe (c’est implicitement le cas dans la perspective des philosophes dits « républicains » et, par exemple, d’Henri Pena-Ruiz : il perçoit bien le domaine de ce qui est commun, mais minimise ce second niveau, ce qui tend à réduire effectivement au plus petit dénominateur commun et a croire que le commun tombe tout droit du ciel des idees). Ce qui est commun se construit de différentes manières : le travail effectué pour que les connaissances « progressent » en est une, le débat public pluraliste ne est une autre tout autant indispensable.

C’est là que ce qui est d’inspiration religieuse, comme ce qui est d’inspiration irréligieuse, peuvent constituer des composantes culturelles de ce libre débat et que la société a tout intérêt à ce qu’un tel débat soit très pluraliste, créatif et que les subventions publiques équilibrent, dans une certaine mesure, la sphère marchande qui fonctionne selon des principes de rentabilité et de profit qui, s’ils sont dominants, aboutissent à une pensée standard, à une pensée massifiée, qui n’est plus une véritable pensée mais en ensemble de stéréotypes pets à penser et prêt à jeter.

Au niveau de la société civile, de son expression, de ses débats, on a intérêt à ne pas aseptiser les choses. C’est le domaine de la « liberté de conscience ». Ainsi Alain Souchon peut chanter une chanson où il se demande : « Et si le ciel était vide ? », mettant ainsi en question les religions ; les supermarchés, les radios et les télés diffusent à haute dose cette chanson sans que l’on parle d’atteinte à la laïcité. Ce qui est possible pour des mises en cause de la religion doit pouvoir l’être pour des propositions d’inspiration religieuse, sans être directement de l’ordre du prosélytisme (qui lui appartient au domaine, différent, du « libre exercice du culte »).

De même aussi bien le Canard enchaîné que l’Humanité ou La Croix, dont les convictions sont différentes, bénéficient d’aides publiques sans que personne n’y trouve à redire. Il en est de même, dans le domaine de l’aide sociale, du Secours populaire et du Secours catholique par exemple.

Si une association d’humanistes athées, ou de libres-penseurs organise une exposition sur l’histoire de la libre-pensée et sa contribution à l’avènement de la modernité, les œuvres des grands libres-penseurs, etc… elle doit pouvoir le faire et bénéficier, si elle le souhaite, de subventions de collectivités territoriales. Mieux, pendant l’année 2005, des Archives départementales ou d’autres organismes du même types ont réalisés des expositions comportant beaucoup de caricatures anticléricales sans que personne ne crie à l’atteinte à la laïcité.

Une association loi de 1901 (et non loi de 1905) veut promouvoir la connaissance de la Bible en tant que (je cite) « un des textes fondateurs » et organise une exposition qui comporte une série de panneaux (archéologie, transmission de l’écriture, traductions de la Bible, la Bible dans le monde, la Bible dans le judaïsme, Bible et Coran, Eglises d’Orient, historique de la Bible, livres de la Bible, thèmes traités). Cela fait partie de la vitalité culturelle de type associatif. Prétendre qu’il s’agit de « prosélytisme », d’exercice du culte, d’activités relevant de la loi de 1905 et que cette dernière serait violée ne tient pas juridiquement.

Bien sûr, faire un tract, une manifestation relève de la liberté. Mais d’une part,  les promoteurs de cette contestation feraient mieux, à mon avis, d’avoir eux aussi des activités culturelles et de faire leur propre exposition (la critique est aisée, mais l’art est difficile) ou d’argumenter sur le contenu de l’exposition s’ils estiment que ce contenu est contestable. D’autre part, il est abusif de prétendre que la laïcité est mise en danger par ce genre d’exposition.

Un peu de rigueur donc. Il ne faut pas confondre la sphère publique institutionnelle et  l’espace public où la société civile s’exprime.

Dernier point : pour ce qui est de cette sphère publique institutionnelle, et notamment de l’école je ne pense pas que les exigences de laïcité soient les mêmes pour les enseignants et les enseignés, les professeurs et les élèves. Les professeurs sont en situation d’autorité, ils sont (sociologiquement) des agents institutionnels. Ils ont (dans le primaire et le secondaire en tout cas) un « devoir de réserve ». Au delà, ils doivent initier à une démarche de connaissance et donc apprendre notamment aux élèves la différence entre croire et connaître. Cela signifie qu’ils n’enseignent pas ce qu’ils croient (et cela est valable dans tous les domaines, pas seulement au niveau des convictions religieuses ou irréligieuses) mais ce qu’ils peuvent connaître.

Les élèves n’ont pas cette responsabilité. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas des exigences de laïcité qui s’imposent à eux. Au contraire : le respect des programmes, de la discipline, le fait de ne pas faire de prosélytisme à l’école, etc. Mais les exigences de laïcité sont différentes quand les rôles sont différents. Il faut sortir de la logique du « tout ou rien ». La gymnastique intellectuelle est nécessaire.

22/03/2006

Les événements de "Mars 2006"

Parlera-t-on des « événements de Mars 2006 » comme on parle des « événements de Mai 68 » ? Il est trop tôt pour le savoir  et, bien sûr, ce n’est pas vraiment la même chose, hormis la très forte mobilisation étudiante , une certaine unité entre étudiants, lycéens et ceux que l'on appelait alors les "travailleurs" et, à Paris, la présence d’importantes forces de police tout autour de la Sorbonne.

Cependant, en 1968, les étudiants (et d'autres) étaient à l’intérieur de la Sorbonne et refaisaient le monde, dans une joie de vivre effervescente. Aujourd’hui d’impressionnantes grilles barrent la voie vers la place de la Sorbonne elle-même : la librairie Vrin, et ses ouvrages de philosophes, les cafés lieux habituels de rendez-vous conviviaux ne sont plus accessibles. Et s’il y a un imposant « Non » au CEP qui s’exprime, personne n’ose plus refaire le monde tant l’avenir est incertain.

Mais pas de nostalgie, c’est la situation d’aujourd’hui qu’il faut vivre et pas celle d’hier qu’il faut idéaliser. Si « Mai 68 » fut un moment joyeux, l’atmosphère internationale était lourde : guerre du Vietnam (décidément les Américains s’embourbent dans des guerres qu’ils ne savent pas gagner, malgré leur formidable puissance de feu), post-stalinisme (guère mieux que le stalinisme lui-même) en URSS, etc. D'ailleurs, « Mai 68 » en France même n’a été qu’une brève parenthèse entre des moments plus difficiles : peu avant, au début des années soixante c’était la guerre d’Algérie qui n’en finissait pas, l’OAS qui prenait de l’importance et menaçait gravement la démocratie, y compris en France métropolitaine ; peu après, au milieu des années soixante-dix la fin des « Trente Glorieuses » et l’arrivée d’un chômage massif, puis -avec les années quatre-vingt- l’apparition du VIH/Sida, mettant fin aux espoirs un peu angéliques d’une sexualité libérée et heureuse.

Revenons à aujourd’hui et à « Mars 2006 ». Que dire qui ne soit pas répétition de ce que l’on entend partout ?  Faut-il même en parler dans ce Blog, avant tout consacré aux sujets liés à la laïcité. Bien sûr, je ne revandique, sur les "événements" aucune compétence particulière; mais dans la mesure où je pense que la laïcité se trouve toujours en interaction avec son contexte, je prends le risquer de livrer, sans prétention aucune, quelques impressions partielles jetées en vrac, un peu à distance de ce qui se dit :

D’abord, première remarque, les internautes fidèles de ce Blog le savent, j’étais à Baku quand les « événements » ont commencé. On n’en parlait pas encore beaucoup, mais j’avais pu constater que la France donnait, aux Azéris qui s’intéressaient à l’international, l’image d’un pays ne sachant plus du tout où il va : la Constitution européenne illisible et son rejet, la révolte dites des banlieues, étaient les images que la télévision leur avait donné de « notre » pays (ceci pour les Internautes français, je n’oublie pas que des internautes d’autres pays consultent ce Blog, et je les salue bien), avec en prime, au moment où j’y étais Fofana et le « « gang des barbares » ». Et ce qui est vrai de Baku, l’est aussi de beaucoup d’autres endroits de par le monde.

Alors, oublions un instant la justesse de la cause, décentrons nous et mettons nous dans la peau de gens non concernés de près ou de loin par le CPE, de personnes qui se trouvent à 1000, 3000 ; 6000, 9000 kilomètres. Une nouvelle fois, ils voient des images d’embrassement, d’affrontement, de violence. Que peuvent-ils en déduire d’autre que  de penser : « ce pays s’enfonce de plus en plus dans une spirale dont on ne sait vraiment pas ce qu’elle va pouvoir donner ». J’aimerais que les internautes français de ce blog, imaginent 5 minutes, rien que pour avoir une petite idée (maigrelette au demeurant) de la France vue d’en face, ce que peut penser une personne qui n’a pas l’immense chance, le bonheur inouï, le privilège fabuleux d’être française donc universelle, donc la meilleur du monde ( !!!), ce qu’elle  peut penser, disons depuis un an, de la France. Et n’oubliez pas que 6 milliards moins 60 millions, cela fait quand même pas mal de monde !

Je sais bien, pour la révolte du CPE comme pour la révolte des banlieues, les médias français mettent en cause la vision spectaculaire des médias étrangers et décryptent les effets de loupe qui donnent, à tort, l’idée d’un pays à feu et à sang. Mais franchement, n’est-ce pas, seconde remarque, l’hospice critiquant l’hôpital ?  Car, boomerang, si vous pensez que cette image ne correspond pas à la réalité française, à ces multiples facettes, à sa complexité, à ses riches potentialités, etc, alors que signifient les gros titres sur « l’Amérique de Bush », comme si on pouvait saisir ce pays-continent à travers un homme ? Alors méfiez-vous de tous les reportages et les ‘news’ sur les autres pays que vous pouvez voir à la télévision ou écouter, lire dans d’autres médias. Méfiez-vous au plus haut point de l’image caricaturale et déformée que l’on vous donne de l’ensemble de la planète. Sachez que, en dépit de tout, vous êtes sous influence…

Troisième remarque : vraiment l’arrogance du national-universalisme républicain n’est plus tenable. Quand je pense que je reçois encore des questions de journalistes style : « M’enfin, comment pouvons nous exporter notre modèle de laïcité ? » ou « Quels sont les pays qui sont prêts à adopter le modèle français ?»  Ce n’est plus de l’orgueil, c’est de la vanité ! Une vanité dont on ne sait pas si elle est plus outrancière que naïve ou naïve qu’outrancière.

L’heure est à la mise en question, à la réflexion critique, et si possible à un débat sans tabou ni politiquement correct de tous ordre, et non à la publicité pour un sois disant modèle d’une pseudo exception française. Qui osera, désormais, être dans l’invocation incantatoire des « valeurs de la République », de la « laïcité républicaine » ? On a envie de dire à certains : « redescendez donc un peu sur terre », « cessez de planer dans un pur ciel des idées ». Le Blog n’a pas vocation à débattre de problèmes économiques et sociaux, mais il tentera de contribuer, ces prochains mois, au niveau qui le concerne -la laïcité- au nécessaire remue méninge, au risque de déplaire. Mais c’est indispensable.

Quatrième remarque : la nuance fait partie de la « vérité » et donc, quelles que soient  justifications de la révolte, ne fuyons pas la complexité des choses : le CPE constitue une mauvaise réponse à une bonne question. La bonne question c’est non seulement le fait que la France est spécialement mauvaise quant au chômage des jeunes et des seniors, mais aussi qu’il faut savoir allier une certaine flexibilité (pas celle qui conduit à vous faire renvoyer sans savoir pourquoi) à une indispensable sécurité. Il semble (mais je m'aventure sur un terrain que je n'ai pas personnellement étudié), que quelques pays scandinaves y soient à peu près parvenu. On ne pourra pas copier leurs solutions, on peut peut-être en emprunter des éléments et tenter de trouver une voie ayant également quelque originalité. Il ne suffit donc pas de dire « non », il faut se montrer capable de faire des propositions qui sortent du « y a qu’a » , de l'idée séduisante mais contre-productive, bref des propositions issues d'un débat et qui représentent une véritable « alternative ».

Il faut aussi savoir affronter les faits désagréables et, notamment, le fait que des livres rares ont été soit brûlés soit volés lors de l’occupation de la Sorbonne à l’Ecole des Chartes qui en fait partie. Il ne s’agit malheureusement pas d’une rumeur. Ont été ainsi vandalisés des chartes d’abbayes d’Ile de France, dans lesquelles sont consignés tous les documents officiels ou de droit privé depuis le Moyen Age. Il y a matière à réflexion sur l’évolution du rapport social au livre. A ce sujet, il est emblématique que la librairie de la Sorbonne, elle aussi vandalisée, était en train de devenir un magasin de fringues. Il y a là tout un symbole sur lequel nous devons "ruminer".

Cinquième remarque: J'entends ici ou là des personnes affirmer: "on ne peut rien réformer dans ce pays", "la France est irréformable", etc. Il est assez exact que quand on étudie un peu l'histoire de ce pays, on trouve facilement des périodes de conservatisme et de révolution (ou de fuite en avant). Mais il y a eu également des périodes de "réformes", c'est à dire de changements opérés, certes, dans un débat vif voire dans un conflit, mais restant tout à fait dans l'épure démocratique. La laïcisation de l'école publique et la loi de 1905 appartiennent à cette catégorie, même si on a parfois frolé l'affrontement. En 1905 notamment, on a su réellement changer les choses sans que cela tourne au conflit frontal, même si on n'y était presque. Mais vu l'ampleur du changement opéré, il s'agit d'une belle réussite et c'est pourquoi il vaut la peine de la raconter (promis, vous aurez la suite de la Note sur les inventaires en avril).

Or, ce qui me frappe, c'est le changement de sens du terme même de "réforme". Au XIXe et pendant la plus grande partie du XXe, la "réforme" indiquait  clairement une "marche en avant" vers tel ou tel "progrès". Certes, les partisans de la "révolution" (du "Grand soir" à certaines époques) pouvaient estimer que cela n'allait pas assez vite et pas assez loin, mais "réforme" s'opposait à "conservatisme" et connotait des améliorations sociales, un meilleur bien-êttre, plus d'instruction, plus de santé, etc. Bref un pas en avant vers des idéaux "progressistes". Or, peu à peu, depuis la fin des Trentes Glorieuses, le terme de "réforme" a pris le sens d'adaptation à une nouvelle situation, où on espère sauvegarder quelque chose dans une situation devenue plus difficile. Pour ses promoteurs eux même, réformer n'est plus vraiment améliorer, c'est demander des sacrifices pour éviter une situation pire. Les réformes en matière de santé, de retraite, etc sont présentées ainsi: "sauvegarder" quelque chose (dans la débacle?) en lachant du lest. Les adversaires de la "réforme", du coup, sont sensibles à la perte qu'il leur est demandé d'accepter et n'estiment pas qu'elle soit nécessaire ou juste. C'est une situation historiquement assez inédite et le processus qui a abouti au CPE s'inscrit dans cette perspective. La gauche ferait bien de réfléchir à cela, car quand elle a été au pouvoir elle ne s'est nullement trouvé indemne de ce nouveau contexte. C'est même, à mon sens, un facteur important et de la défaite de Jospin au 1er tour en 2002 et du fait que la majorité des électeurs socialistes n'ont pas suivi la consigne de leur parti en mai 2005. C'est aussi ce qui explique que les "événements" actuels n'effectuent pas la projection dans un avenir utopique qui a caractérisé "Mai 68". Et pour moi, c'est sans doute le problème principal d'aujourd'hui. 

Enfin, dernière remarque, Pourquoi Villepin et ses conseillers se sont ils ‘plantés’ ? On a dit, là encore beaucoup de choses, on peut disserter à l’infini, mais je voudrais souligner à quel point le type de rationalité d’un énarque se situe à des années lumières de celui d’un jeune qui rentre dans le marché du travail. Dans cette rationalité là, l’enjeu de la dignité d’un renvoi sans explication ne peut entrer en ligne de compte. De même, on n’a pas idée du chantage que subissent plein de jeunes au cours de leur stage, style : «  si vous ne travaillez pas jusqu’à 20 heures, prenez la porte, il y a 10 stagiaires qui attendent », chantage qu’ils n’ont nulle envie de se voir prolonger pendant 2 ans bien sûr.

Dans une Note précédente (« De la laïcité au Caucase aux discriminations en France ») j’insistais sur l’origine sociale extrêmement étroite des Grandes Ecoles. La coupure entre Grandes Ecoles et Universités n’est pas seulement dramatique à ce niveau. C’est bien de vouloir diversifier leur mode d’accés comme le tentent aujourd’hui quelques unes d’entre elles, mais il faut aussi réfléchir au type d’être humain ainsi construit de toute façon.

Il m’est arrivé, au cours de ma carrière, d’avoir des personnes provenant de telle ou telle d’entre elles et voulant faire une thèse sous ma direction. Sauf exception, cela ne s’est pas bien passé. La capacité de synthèse était très forte, mais pour faire un travail de recherche, il faut savoir trouer le savoir établi. Il faut savoir que l’on ne sait pas. Il faut avoir l’idée que la connaissance est un horizon qui recule quand on avance,… et que cela est passionnant puisque si on n’atteint jamais l’horizon, du moins découvre-t-on de nouveaux paysages.

Bref, une fois, notamment, l’un d’eux, très brillant Monsieur Je Sais tout, à chaque fois que je lui  proposais un sujet de recherche, me rétorquait : « Mais il n’y a rien à chercher » et il me régurgitait ce qu’on lui avait appris, un savoir clos, sans faille d’aucune sorte. A la fin, j’ai un peu perdu patience et je lui ai dit : « Monsieur, vous savez beaucoup de choses, beaucoup plus que moi, certainement. Mais il y a une chose que vous n’arrivez pas à savoir et que, moi, je sais un peu : vous ne savez pas douter. Alors, apprenez d’abord à douter, et revenez me voir ensuite. » Le quidam n’est jamais revenu…

23:15 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (6)

14/03/2006

DE LA LOI DE 1905 A LA CRISE DES INVENTAIRES

Cette semaine dans le Blog :

2 Notes

La première sur les "Nouveaux impensés » : on fait comme si l’année du centenaire étant fini, on n’avait pas à s’intéresser à la manière dont la séparation a été appliquée. Or cette manière est pleine d’enseignement. Ne reculant devant aucun sacrifice, votre Blog favori va vous raconter, tout au long de l’année, comment et pourquoi la séparation a réussi à être appliqué, malgré mille difficultés.

La seconde continue les aventure de Mag et de Clara : ce que le roman Emile Combes et la princesses carmélite, improbable amour (éditions de l’Aube) ne vous a pas dit.

Et n’oubliez pas, pour les Internautes parisiens et parisiennes

La grande soirée autour du roman

(dialogue entre Jean Baubérot et Catherine Portevin, journaliste à Télérama)

le MERCREDI 22 MARS A 19 HEURES

A L’IESR, 14 rue Ernest Cresson (en fait la Porte cochère tout de suite après le 14, et c’est au fond de la cour), Paris XIV, tout près du métro Denfert-Rochereau

Ne ratez pas cette occasion de dialogue et de prendre un pot convivial ensemble.

 

                                             Du vote de la loi

A la crise des inventaires

Au moment où la loi de séparation va être promulguée (8 décembre 1905) Albert de Mun, député catholique rallié, membre de l’Académie française, écrit dans le quotidien La Croix, un article très virulent où il compare cette loi à la mise à mort du Christ. Cela lui permet d’ailleurs d’utiliser une expression qui relie l’antisémitisme chrétien (l’accusation de « déicide », d’avoir tué Dieu) et l’antimaçonnisme catholique, en parlant de la sentence portée par « le Sanhédrin maçonnique ».

Quel est le « crime » commis ? Comme je l’ai déjà expliqué c’est la perte de la dimension catholique de l’identité nationale (que les catholiques considéraient être conservée grâce au Concordat) qui est très douloureusement ressentie : « l’apostasie officielle de la France est proclamée » affirme Mun. Selon lui, le but de la loi est d’ « anéantir l’Eglise de France »

Mais, en fait, implicitement Mun est obligé de reconnaître que la loi est libérale : au milieu de ses invectives, il écrit en effet : « Nous avons le cou dans le nœud coulant. Doucement, progressivement, (…) dans quelques mois (…on) serrera la corde pour l’étranglement décisif. »

Mun et d’autres catholiques annoncent donc des catastrophes à venir, puisqu’ils ne peuvent démontrer qu’elles existent déjà. En effet, ce qui frappe l’observateur c’est le calme avec lequel le pays a suivi les débats parlementaires et le vote de la loi par les députés puis les sénateurs. Après les années chaudes du gouvernement d’Emile Combes (plusieurs Notes du Blog vous en parlent), la situation semble dépassionnée. Il n’y a pas d’enthousiasme laïque (les militants ont compris que l’on s’était éloigné de la poursuite de la « laïcité intégrale »), il n’y a pas de crainte quant à la disparition de la liberté religieuse chez ceux que l’on pourraient appeler les ‘consommateurs de catholicisme’ ou les ‘catholiques intermittents’. Par contre, les catholiques pratiquants sont partagés. Pour une partie de l’élite, la loi est acceptable si le processus de son application ne l’aggrave pas. L’abbé Gayraud, autre député catholique, recommande « la souplesse du roseau ». Mais, l’éditorial de Mun nous l’a montré, d’autres  pensent qu’il faut faire preuve d’une « féconde intransigeance » et que l’Eglise catholique va se régénérer par la souffrance et le martyre.

La crise des inventaires va être provoquée par cette catégorie de personnes qui veulent mettre à jour l’aspect (selon eux) implicitement spoliateur de la loi.

Les inventaires étaient prévus par l’article 3 de la loi et, au moment de leur vote, n’avaient pas soulevés de difficulté. Au contraire, c’était un député du centre-droit, Alexandre Ribot qui, semble-t-il, avait demandé à Briand de prévoir cela pour éviter la disparition d’objets et les contestations lors du processus d’affectation des églises aux associations qui devaient se former pour pourvoir à l’exercice du culte.

Mais le climat était à la suspicion réciproque : certains élus et maires craignaient que des curés fassent disparaître des objets précieux, susceptibles ensuite de leur procurer des ressources. En revanche, pour des catholiques militants, les inventaires pouvaient être le prélude à des mesures de confiscation (on est toujours dans l’optique d’une préparation d’une future persécution).

Le  décret du 29 décembre 1905 intervient dans un faux climat de sérénité. Il prescrit à l’administration des Domaines de procéder à un inventaire « descriptif » et « estimatif » des biens. C’est là que l’affaire se corse. Guillaume Tronchet[1] indique que le préfet devait, pour faire procéder aux inventaires, coordonner des personnels et des directives issus de 5 ministères (ce qui montre bien la complexité administrative française !) ; les ministères :

-des cultes (d’où émanait la directive)

-de l’Intérieur (ministère de tutelle du préfet)

-de la guerre (des troupes étaient mises à disposition)

-de la Justice (présence d’officiers de police judiciaire)

- des Finances (qui prenaient en charge les dépenses occasionnées par les inventaires et auxquels se rattachaient les agents d’Enregistrement).

C’est justement de ce dernier service  (la Direction générale de l’Enregistrement) que va émaner une circulaire qui va alourdir le contexte : le 2 janvier cette circulaire dit qu’il faudra demander aux prêtre l’ouverture des tabernacles. Les tabernacles sont de petites armoires placées au milieu de l’autel d’une église catholique et qui contiennent les vases sacrés (« ciboire ») où l’on conserve les  hosties consacrées. On sait que dans la religion catholique, il y a une « présence réelle » du Christ dans ces hosties consacrées. Donc certains crient à la « profanation ».

Briand est furieux ; il estime que cette demande témoigne d’une « brutalité aussi inutile que malveillante » et trouve cette « prescription superflue (…) des plus suspecte ». Il se demande s’il ne s’agit pas d’une provocation.

Ce n’est pas impossible. Mais il est plausible aussi que cela soit un exemple (parmi beaucoup d’autres !!) d’œillères administrativesLe bureaucrate suit imperturbablement sa logique sans se préoccuper du reste : comme ces armoires sont fermées à clef, on peut y enfermer des choses, et donc…

Bref, la presse catholique s’indigne, crie au « sacrilège » ; des interpellations ont lieu à la Chambre (19 janvier). Le sous-secrétaire d’Etat aux cultes -Merlou- cherche à rassurer : ce sera aux curés d’ouvrir les tabernacles avec toutes les précautions nécessaires ; en aucun cas ils seront crochetés (autrement dit : si les curés ne les ouvrent pas, tant pis ; d’ailleurs l’archevêque de Paris va donner comme instruction aux curés de donner à l’agent d’Enregistrement le nombre de vases sacrés contenus dans les tabernacles, mais en aucun cas de les ouvrir).

Les premiers inventaires s’effectuent sans incident en province. Il va en être autrement à Parisdes heurts ont lieu lors des inventaires des églises de sainte Clotilde et Saint Pierre du Gros Caillou. Dans la première, la police mettra plus de 4 heures pour enfoncer les grilles et pénétrer à l’intérieur en brisant des verrières et en se passant les chaises que les manifestants (qui lancent des projectiles sur les forces de l’ordre) ont amoncelés derrière la porte. Ces manifestants sont de jeunes royalistes de l’Action Française et des jeunes du mouvement Le Sillon. Ils sont étrangers à la paroisse et le curé démissionne considérant que son « autorité » a été « bafouée ». Il est particulièrement heurté par l’attitude combative de certaines femmes : aussi bien lors du combisme que dans la crise des inventaires, c’est l’entrée de femmes dans l’action politique.

Le gouvernement est présidé par Rouvier (centre gauche) qui ne s’est guère investi dans le processus de séparation et qui ne se montre pas à la hauteur des événements. Des ordres contradictoires vont êtres donnés. D’abord, on ordonne d’être ferme (« on ne négocie pas avec des rebelles quand on a la loi pour soi ») ; ensuite est demander de différer les inventaires quand on se rend compte qu’ils vont créer des difficultés ; enfin on demande d’hâter les opération, pour qu’elles soient finies à la mi-mars (les élections législatives étant en mai 2006). On demande à la fois d’intimider et d’éviter tout incident !

Pour ouvrir les portes sans les défoncer à la hache, il faut avoir recours à des ouvriers serruriers. On cherche parmi les serruriers « républicains », mais ceux-ci reçoivent des lettres de menaces et, dénoncés par certains journaux, voient fondre leur clientèle aisée. Le ministère de l’Intérieur propose alors d’utiliser des militaires. Comme certains désobéissent, le Ministère de la guerre ne veut plus de cette solution et propose de faire venir des serruriers éloignés du lieu où s’effectue l’inventaire. Mais c’est alors le Ministère des finances qui ne veut pas payer les déplacements. Bref, comme l’indique justement Tronchet, « les instances gouvernementales cherchent à se débarrasser du problème en le faisant circuler d’un ministère à l’autre. »

Et là, quelques préfet se disent : « mais en fait, nous avons des spécialistes sous la main ! »

Devinez de qui il s’agit ? Vous donnez votre langue au chat ? C’est pourtant simple : des crocheteurs de serrure, on en trouve à la pelle….. en prison !

Et contre une promesse de réduction de peine, voila en quelques endroits que l’on commence à utiliser ces talents jusqu’alors inemployés. La presse catholique, qui qualifiait déjà de « cambrioleurs » les agents requis pour faire les inventaires, jubile : Le gouvernement s’adjoint le « concours de l’immoralité ». « Nos régiments doivent servir de garde (…) aux vagabonds louches, (…) à ceux que la société à rejeter »[2].

Après que, par l’Encyclique Vehementer Nos, le pape ait condamné la loi de séparation (sans indiqué encore quel comportement les catholiques devaient adopter (on reviendra sur ce sujet), la carte des violences liées aux inventaires ressemble à la carte des curés réfractaires (les prêtres qui n’avaient pas accepté, en 1791, de prêter serment à la Constitution civile du clergé). Les principales régions sont l’Ouest breton et vendéen, le Sud-est du Massif Central, avec en plus le département du Nord, le pays Basque et quelques poches dans les Alpes.

C’est, écrit Patrick Cabanel, « la France  (…) des chrétientés rurales, parfois montagnardes, toujours périphériques, parlant des dialectes ou langues régionales »[3]. Et Cabanel montre que la poursuite de la « laïcité intégrale » jusqu’en 1904 a mis de véritables bombes à retardement en faisant entrer cette France là « dans une forme de dissidence dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur ».

En plusieurs endroits donc, des incidents violents se produisent.

Le 3 mars 1906, à Montregard, dans la Haute-Loire, une foule surexcitée, armée de gourdins et de fourches, poursuit le percepteur et les 3 gendarmes qui l’accompagnent. Ceux-ci se réfugient à la mairie, mais des bagarres éclatent, un manifestant menace le brigadier, un gendarme tire. Un manifestant est grièvement blessé : il décèdera le 24 mars.

A Boeschepe, dans les Flandres, l’opération se déroule d’abord dans le calme. Le percepteur est son fils sont accompagnés de gendarmes et de Dragons. Arrivée de 150 à 300 manifestants (selon les sources !) qui forcent les barrages, brisent la porte de la sacristie, font irruption dans l’église. Le percepteur est renversé, piétiné, blessé. Paniqué, son fils tire…et tue un boucher de 35 ans.Nous sommes le 6 mars.

Le lendemain, séance houleuse à la Chambre ; le gouvernement est renversé (267 voix contre 234). Cela a quelques semaines des élections.

Le pari d’une séparation pacifique semble perdu. Le pays va-t-il penser que « la religion » est menacée ? Des catholiques espèrent qu’après la Chambre de la séparation, va arriver « la Chambre de la réparation ».

(à suivre !!!)

  



[1] « Le cabinet Rouvier et l’administration préfectorale dans la crise des inventaires », Communication au colloque : « Nouvelles approches de l’histoire de la laïcité », Paris, novembre 2005.

[2] Le Pèlerin, 1/4/1906, cité par J.-M. Duhart, La France dans la tourmente des inventaires,Alan Sutton, 2001, 54.
[3] P. Cabanel, « La révolte des inventaires », J.-P. Chantin – D. Moulinet, La séparation de 1905, Ed. de l’Atelier, 2005, 94.

Mag, Clara dans Combes et la princesse carmélite

(la scène se passe page 89 du roman : Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour)

 

Bordeaux, 25-­26 mars 2005

 

De retour à Bordeaux, Mag passe voir Carla juste avant son cours. Attendre jusqu’au soir, il ne le pouvait. C’est idiot : depuis lundi dernier, il compte les jours, comme un gamin que ses parents ont promis d’amener  à Disneyland. Ils se sont envoyés des mels. Agréable surprise, Carla  a mailé la première. Un long mel accompagnant en fichier attaché, une pièce administrative qui aurait pu attendre. Clara prolongeait la discussion du repas, posait quelques questions. Malgré son travail, Mag a immédiatement répondu.

 

Manifestement, il l’avait intriguée ; elle lui écrivait : « Vous avez parlé comme si vous étiez un administratif, en butte à des enseignants-chercheurs. Or vous êtes leur directeur, ils vous respectent,… »  Si peu pensa Mag. Il lui expliqua que son rôle directorial et sa formation académique l’amenait à entreprendre une « observation sociologique participante ». Il ne voulut pas insister sur les difficultés de sa fonction. Malgré tout, il en dit un mot. En effet, Clara s’expliquait mal pourquoi,  « avec sa notoriété et son statut » (fort gentil à elle d’avoir d’abord parlé de la notoriété) il venait donner des cours à Bordeaux. Certes, un Laboratoire de l’IFSM se trouve implanté dans la Faculté, mais quand même…

 

En veillant à ne pas en dévoiler trop, Mag raconta qu’il opère, en ce moment même, des réformes au sein d’un établissement intellectuellement brillant, mais un peu endormi par la routine. L’IFSM est, en fait, constitué par un ensemble de Laboratoires. Le poids des forces centrifuges, la « mauvaise » habitude de n’être contrôlé, évalué par personne, le narcissisme professoral, tout cela crée certains problèmes. Dans une crise récente, les Laboratoires de province ont davantage soutenu leur directeur que leurs homologues parisiens. Mag a donc décidé de témoigner publiquement de son estime pour les Centres provinciaux de l’IFSM en donnant, chaque semestre ses séminaires dans une ville différente.

 

Mag en est à son cinquième cours : à chaque venue il en donne deux, un le vendredi après midi et un le samedi matin. Le début ne s’est pas avéré facile car plusieurs étudiants paraissaient déroutés par sa problématique qui mélangeait les genres, multipliait les angles d’approche. Aujourd’hui, la plupart  comprennent pourquoi leur professeur procède ainsi. Et, miracle, cela les intéresse. Le séminaire « décolle » donc. Les étudiants y participent activement. Mag en oublie presque Clara tellement les questions, les remarques le font s’aventurer hors de ses notes. Les meilleurs cours sont ainsi, quand on est entraîné par l’auditoire à dire autre chose que ce que l’on avait prévu.

 

Au restaurant, Mag a donc beaucoup à raconter. Il veille à ne pas monopoliser la parole, mais de toute façon Clara estime qu’elle a trop parlé le repas précédent. Ne doit-elle pas profiter du savoir du célèbre professeur ? A son tour, elle pose plein de questions, certaines ont peu à voir avec la sociologie de la médecine. En parlant, elle joue avec ses cheveux d’un noir étincelant à la lumière des lampes. Mag la regarde, admiratif ; il répond, content de constater qu’il n’est pas aussi englué dans les questions administratives et les problèmes institutionnels qu’il ne le craignait : il reste capable de dire des « choses intéressantes » (elles semblent passionner Clara) sur des tas de sujets.

Ils se montrent à l’aise l’un avec l’autre, leur relation est devenue décontractée. Clara possède un délicieux petit rire de gorge absolument enchanteur. Arriver à le provoquer est un plaisir extrême. Mag en oublie même de faire de la stratégie…Cette femme l’attire davantage que le pollen les abeilles.

 

Vers la fin du repas, Carla devient un peu mutine. Elle questionne Mag, le regard en dessous : Etes-vous fatigué ? Il se veut en pleine forme. Carla explique alors qu’un groupe d’amis, rockers dynamiques et talentueux, joue ce soir vers onze heures, à la boite « Sens Interdits ». Elle leur a plus ou moins promis de venir les écouter. Mag voudrait-il se joindre à elle ? Assurément, trois fois oui.

 

Mag se demande les raisons, les effets, de cette invite. S’agit-il de l’introduire dans son univers à elle, de lui faire gentiment comprendre que ce n’est pas le sien ? Elle va peut-être lui présenter un charmant (un affreux) jeune homme, son « ami », mettant ainsi les points sur les i. Ce scénario probable arrêtera tout net le cinéma qu’il commence à faire dans sa tête. Il espère toutefois un scénario différent : des amis  certes, mais pas d’ami à l’horizon. De toute façon, l’invite est positive. Même si, il vaut mieux savoir, avant… Avant quoi ? Avant de se retrouver dans les filets de la belle, car tel est pris qui croyait prendre ? Bon, ils n’allaient pas tous les deux s’enfermer dans un rendez-vous gastronomique routinier. Excellente initiative de faire bouger les choses. Vive l’imprévu.

Des ruelles piétonnes où il lui semble être le seul…non jeune. Des néons un rien criards.Ils arrivent au «Sens Interdits » Un tressaillement de surprise de la jeune fille aux multiples piercings qui vend les billets, devant l’âge et le look incongrus… Mag fait semblant de ne pas s’en apercevoir, d’être enchanté d’entrer dans cette cave enfumée où il remarque tout de suite l’absence presque complète de chaises et se dit qu’il va devoir rester debout à écouter cette… musique, un bien grand mot pour ce bruit tonitruant. Le terme de bouillie serait plus approprié… Trente ans de plus en dix secondes.

L’air candide, Carla lui demande ce qu’il en pense : « Cela décoiffe, change de Star’Ac » affirme-t-il. Il espère avoir trouvé une réponse pas trop nulle. Son air un brin inquiet n’échappe pas à sa compagne. Elle éclate de rire. « Vous estimez cela mauvais ? Rassurez –vous, je suis d’accord. Il ne s’agit pas encore de mes amis. Vous verrez, ils sont bien meilleurs. » Mag pense : Espérons, comme l’écrirait Kant.

Ce vieux Kant avait raison, parfois l’espoir se réalise. Le groupe She swamm in the nude -tel est son nom- peut sincèrement plaire à Mag. Sa musique (là, il convient utiliser ce mot) est nettement plus mélodique. On différencie bien le son de chacun des instruments. Les guitares s’entremêlent avec complémentarité et un certain sens du raffinement. Le chanteur, à la voix grave, est excellent. Bientôt le rythme s’impose et le corps de Mag bouge, sans se forcer. C’est un rock qui rappelle Sonic Youth, lui apprend Carla, en criant presque pour se faire entendre. Il doit s’agir d’un groupe connu pense Mag, qui se sent soudain un peu inculte.

Mag est ravi. Carla l’a présenté à Caroline, Cécile, Nicolas, Laure, Mathieu, Marion, Maud, qui lui dit, en l’embrassant : Vous ne me connaissez pas, mais je suis la femme de Patrick. Personne ne semble s’étonner de le voir là. Les filles lui ont fait la bise, comme à tout un chacun. L’ambiance, délicieuse, semble très bisoux-bisoux, parfois plus. Cela ne gène aucunement Mag, tant que Carla ne se trouve pas impliquée. Sa jalousie virtuelle lui apprend qu’il est plus amoureux qu’il ne le pensait. A moins qu’il s’agisse de cet éternel instinct de propriétaire, sans raison objective pourtant. En tout cas, l’ami de Carla -si ami il y a- ne se trouve pas parmi les spectateurs : il se serait manifesté. Un des artistes-rockers  du quintet? Ils ont tous à peu près l’âge de Carla et sont fort beaux.

Après un bon quart d’heure de rappels enthousiastes et un Excitation qui vaut bien l’I get no satisfaction des Rolling Stones, le moment décisif approche. Ou elle lui présentera son grand coquin…et filera avec lui, ou elle n’a pas, actuellement, de petit copain. Ce qui tous les espoirs permettra.

Ni coquin ni copain à l’horizon. La démonstration faite, Mag, ravi, rentrerait bien dormir à son hôtel ; on a beau prétendre ne pas ressentir la moindre fatigue…. L’heure du crime est d’ailleurs dépassée depuis une bonne heure… Le groupe suivant joue du « rock dansant ». Mag est donc on ne peut plus en pleine forme et, naturellement, il reste.

Dès le début de la soirée, Carla a ôté sa veste, est apparue moulée dans un charmant débardeur qui découvre totalement ses bras, donne plus de présence à son corps. Le relief de ses mamelons transparaît sous le vêtement. Ils sont hauts et fort émouvants. Mag ne va pas l’abandonner à tous ces beaux mecs. A moins que, le doute, toujours le doute, elle ne danse très sagement avec lui, beaucoup moins sagement avec un autre. Ainsi, il sera fixé. En fait, comment lui a-t-elle demandé s’il restait ou non ? Ne souhaitait-elle pas le voir partir ?

Ce rock dansant consiste en un pot-pourri de morceaux classiques. Leurs  deux corps en mouvement communiquent aussi bien que, trois heures auparavant, leurs intellects. Mag se déchaîne dans les rocks endiablés, reste moralement correct dans les morceaux lents. C’est le cas de la majorité des danseurs et il ne perçoit pas chez sa compagne, une volonté de rapprochement un peu intime. Déjà étonnant, ce qui arrive. Il se paye le luxe de proposer qu’elle danse aussi avec ses amis. Clara répond d’un énigmatique : Ce soir, je suis avec vous.

Après le rock dansant, place à un autre groupe. Mag annonce qu’il va rentrer à son hôtel ; même la folie a des limites. « Vous, restez », propose-t-il avec galanterie. « Non, je vous raccompagne et rentre chez moi ». Précision sans signification particulière ou message indiquant que les ‘choses’ n’iront pas plus loin ? Clara et Mag partent tandis qu’un chanteur hurle « wap-doo-wah » dans son micro.

 

De retour à son hôtel, Mag se précipite dans la salle de bain de sa chambre ; il urine des litres et des litres. Il s’était rendu aux toilettes en arrivant au « Sens interdits ». Il n’avait pas voulu y retourner de peur que Clara ne s’imagine qu’il était un ‘vieux’ avec des problèmes de prostate. Il est possible d’avoir quelques ennuis de ce côté-là sans être vieux pour autant ! Malgré tout, Mag doit admettre la réalité : chaque année, il vieillit d’un mois.

 

***

 

Le lendemain, après son sixième cours, Mag se fraye un chemin à travers le public venant aux Archives en vue de reconstituer des arbres généalogiques familiaux. C’est le cas de 80 % de nos visiteurs et c’est  la plaie lui a affirmé le directeur. Mag, n’ayant pas à les satisfaire, trouve, lui, la démarche de ces gens extrêmement sympathique. Il vaut mieux qu’ils soient là qu’en train de regarder la télé, pense-t-il.

08/03/2006

De la laïcité au Caucase à la "discrimination positive" en France

De l’Azerbaïdjan à la France, la laïcité et ses défis.

Je rentre de Baku, ville de plus de 2 millions d’habitants et capitale de l’Azerbaïdjan, pays de 8 million d’habitants dont  un peu plus de 90% sont musulmans, la majorité étant des musulmans chiites. Certains ne font d’ailleurs pas une très grande différence entre chiisme et sunnisme et estiment que, globalement, leur religion est l’islam.

 Regardez sur une carte si vous ne savez pas où se situe ce très sympathique pays. Il borde la Caspienne. Au Nord, il y a la Russie, à l’Ouest la Géorgie et l’Arménie (qui occupe 20% de son territoire depuis une dizaine d’années), quelques km de frontière avec la Turquie, et au sud, c’est l’Iran. On peut donc dire qu’il constitue une partie du Caucase ex-soviétique, où se produit, depuis quinze ans, de fortes recompositions religieuses, politiques et sociales. De l’autre côté de la Caspienne, il y a les autres anciennes républiques soviétiques dites « musulmanes » (Kazakhstan, Uzbekistan, etc)

Bien sûr, l’objet de ma venue, à l’invitation de l’antenne de Bakou de l’Institut d’Etudes Anatoliennes, était de dialoguer sur la laïcité avec des chercheurs et des personnalités de la société azerbaïdjanaise. La laïcité est inscrite dans la Constitution de l’Azerbaïdjan. Et cela fonctionne : ainsi vous pouvez trouver du porc en vente au marché de Baku sans aucun problème. La pratique de l’islam est très diversifiée selon les gens. Les filles portent ou ne portent pas (en grande majorité) le foulard selon leur conviction propre et les minorités religieuses voient leur liberté garantie par l’Etat.

Le problème majeur est l’occupation d’une partie du territoire (et pas seulement le Karabakh, mais aussi les régions environnantes) et les difficultés qui en résultent (personnes déplacées, camps de réfugiés).Sinon, le pays est en expansion économique, grâce aux ressources pétrolières, avec malheureusement le développement d’inégalités sociales. La sortie du système soviétique a permis une certaine démocratisation. Elle s’accompagne de la fin d’une société pauvre mais assez égalitaire dans la pauvreté et où ces idéaux égalitaires étaient forts. Les prix grimpent sans que les salaires suivent toujours, la population de Baku progresse vite, l’exode rural se développe surtout que la conjoncture actuelle de la grippe aviaire prive les campagnes d’une ressource importante, l’élevage de poulets.

D’où la question de la possibilité d’un discours citoyen, laïque et démocratique qui puisse être mobilisateur, porteur d’avenir. Cela d’abord face à une jeunesse de plus en plus attirée par la société de consommation et qui risque d’être, en partie, laissée pour compte dans les mutations en cours. Ensuite, il semble exister une certaine crise identitaire de la part d’une population qui, au niveau de ses élites, était fière d’appartenir à la « seconde puissance » du monde. Aujourd’hui le paysage social, dans toute la région, se métamorphose avec le développement de la présence de firmes internationales (en Azerbaïdjan, c’est surtout British Petroleum, Total n’a qu’une petite concession), des ONG dont plusieurs veulent propager les droits de l’homme, l’éducation à la démocratie, au pluralisme, à la liberté de la presse (surtout anglo-saxonnes, parfois allemande aussi. La France est peu présente à ce niveau) et des mouvements religieux qui traversent les frontières.

 La laïcité azerbaïdjanaise, quant aux rapports entre les religions et l’Etat, m’est apparue relativement proche du « modèle turc » où l’interventionnisme de l’Etat n’est pas absent.On peut dire qu’existe une certaine nationalisation de la gestion de l’islam. Entre l’héritage de l’ex athéisme d’Etat soviétique et la possibilité d’une relative instrumentalisation de l’islam à des fins de redéfinition identitaire, cette laïcité se cherche. De fait, s’il existe des contacts religieux avec l’Iran du à l’importance du chiisme, depuis que ce pays ne fait plus partie de l’Union soviétique, si, comme dans toutes les ex républiques « musulmanes » soviétiques, une circulation des idées religieuses et une influence relative de réseaux islamiques transnationaux (dont certains peuvent reprendre des méthodes héritées de missions chrétiennes, notamment jésuites) s’est développée, c’est vers la Turquie qu’actuellement l’Azerbaïdjan tourne ses regards sur le plan politique et surtout  sur le plan culturel.

A ce propos, j’ai été questionné sur l’attitude qui apparaît, vu de là-bas, dominante de la France concernant l’opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Mes interlocuteurs ont pointé la contradiction qui existe entre le fait que la France se réclame de la laïcité et la prise de position d’un homme politique comme Valérie Giscard d’Estaing. Ses propos sur la Turquie qui  a « une autre culture, une autre approche, un autre mode de vie » ne sont pas restés inaperçus.

Cela m’a semblé très révélateur de nos incohérences françaises. Nous invoquons très facilement et parfois de façon incantatoire, la laïcité et sa « défense » face à un certain islam. Mais, quand cela nous arrange, nous mettons implicitement en avant une ‘identité chrétienne’, alors que la loi de 1905 (je vais y revenir la semaine prochaine en parlant de la crise des « inventaires » en 1906), c’est le fait que l’identité nationale ne comporte pas de dimension religieuse. Et nous nous abritons derrière de faux prétextes, mais les personnes des autres pays qui s’intéressent  à ses questions ne sont pas dupes.

L’enjeu turc constitue, pour l’Europe, un enjeu très important. L’argument ‘géographique’ (très tardivement invoqué !) me semble faible car géographie et histoire sont mêlées et l’histoire de la Turquie est très liée à celle de beaucoup de « puissances européennes ». La Turquie peut représenter un formidable atout pour l’Europe, une Europe qui ne se referme pas sur elle-même mais  n’a de sens que dans ce qu’Edgar Morin appelle une « dialogique » culturelle.

La France, la laïcité française n’a pas toujours une très bonne image en Azerbaïdjan. La France apparaît fermée à la diversité culturelle, et discriminant les minorités. Il y a, bien sûr, une sensibilité forte pour tout ce qui concerne l’islam. Dans ces rencontres, je ne suis pas là pour faire l’apologie des la laïcité française mais pour poursuivre une dialogue avant tout académique, universitaire où il s’agit de présenter et de confronter des analyses. Ceci dit, il y a toujours chez certains auditeurs des visions assez monolithiques ; le fait d’expliquer que la réalité est plus complexe, de remettre les choses dans une perspective socio-historique permet de lever des incompréhensions.

Je ne vais pas poursuivre sur l’Azerbaïdjan. Mon propos est vraiment sans prétention car on ne connaît pas un pays parce qu’on y a passé quelques jours, même si on a discuté avec des gens intéressants. Il vise juste à ce que l’on n’oublie pas l’existence de tels pays où l’on peut dire qu’existe un islam tranquille. Là encore problèmes sociaux, économiques, culturels et religieux sont liés et le risque serait le développement d’une crise sociale doublée d’une crise identitaire.

De retour en France, j’apprends par la radio que TF1 va engager un « présentateur noir », un « présentateur martiniquais »  à partir de cet été, en tandem avec PPDA (pour les internautes non Français qui surfent sur le blog, c’est depuis de nombreuses années le présentateur vedette en France du Journal télévisé le plus suivi). Question du journaliste au responsable de la chaîne de télévision : « mais, ne serait-ce pas de la discrimination positive ? »

« Discrimination positive », le gros mot est lâché : avec tout son ambiguïté. Faut-il rappeler que cette expression est une traduction déformée de l’expression américaine d‘ « affirmative action ». Dans « affirmative action », il n’y a pas le terme de « discrimination ». Si quelqu’un peut me dire quel est l’auteur de cette traduction tendancieuse, quand (et dans quel contexte) l’expression « discrimination positive » a commencé à être utilisée régulièrement en France, je suis preneur. Qu’il me mette un commentaire (merci d’avance).

On reviendra sur cette question car elle devient, de plus en plus, le problème majeur de la laïcité française. Celui qui la rendra dynamique pour le XXIe siècle ou qui, si elle échoue, en fera une nostalgie, avec tous les défauts de la nostalgie. Mais, aujourd’hui, quelques mots sur l’affirmative action.

Ce mot d’ordre date, aux Etats-Unis, d’il y a 40 ans. Juste après le mouvement des droits civiques et le vote, en 1964, d’une loi sur les droits civiques, le président d’alors (Johnson) a dit : « I want a policy of affirmative action », ce que mon ami Alex Hargreaves (prof. à l’Université de Floride) propose de traduire par « Je veux de l’action concrète ». On pourrait dire avec humour que, face à nos (pseudos) philosophes (dits) républicains qui se focalisent sur l’égalité formelle, Johnson s’est montré un tantinet marxiste et a voulu des progrès concrets vers plus d’égalité au niveau du marché de l’emploi et des recrutements dans les universités notamment.

On pourrait aussi parler d’ « action volontaire » pour progresser vers une égalité qui, normalement, devrait s’effectuer toute seule mais qui, étant donné le mode de reproduction des élites et les discriminations rampantes, ne se fait pas, loin s’en faut.

La situation s’aggrave, au contraire : une étude de l’Institut Montaigne (janvier 2006) indique que « la proportion des élèves d’origine ‘modeste’ dans les quatre plus grandes écoles -Polytechnique, ENA, HEC et Normale Sup.- a fortement chuté, passant de 29% au début des années 1950 à seulement 9% au milieu des années 1990. » (A. Finkielkraut, qui enseigne à Polytechnique, aurait été bien mieux inspiré de dénoncer le fait que seulement 1% des étudiants de cette école viennent des couches sociales qui forment 60% de la population française, que de dire ce qu’il a dit de la crise des banlieues, crise qu’il n’a pas les moyens intellectuels d’analyser, car sa « philosophie » ignore délibérément les sciences humaines!).

Après avoir donné d’autres statistiques qui vont dans le même sens (ainsi un jeune issu d’un « milieu supérieur » a quasiment 20 fois plus de chances de fréquenter les grandes écoles qu’un jeune issu de « milieu populaire »), l’Institut Montaigne conclut : « la France sélectionne ses élites comme si elle ne comptait que 6 millions d’habitants et non 60 ».

Les statistiques portent sur les couches sociales : on sait qu’officiellement il est interdit en France d’établir des statistiques qui prendraient en compte la composante « ethnique ». C’est croire supprimer un problème en refusant de le voir et il y a fort à parier que cette France de 6 millions d’habitants et presque exclusivement blanche et d’origine judéo-chrétienne.

Mais, la perversion du langage est devenue telle que dès qu’un individu standard accède à un poste de haute responsabilité ou est gagnant, on se met à parler de « discrimination positive », sous entendu : cette personne n’a pas vraiment mérité son succès. Ainsi, à un autre niveau, quand Magali a gagné la Star Académie, sous prétexte qu’elle n’avait pas la taille mannequin, on a fait comme s’il s’agissait de « discrimination positive », alors que sa voix valait bien celle d’Elodie, la bimbo qui avait gagné 2 ans auparavant ! De même trouvé extraordinaire qu’il ait un préfet dit « musulman » sur les presque 100 préfet que compte la France alors qu’environ 8% des habitants de ce pays sont de culture ou de conviction musulmane est quand même assez grotesque.

L’expression « discrimination positive » est fausse car elle suggère un renversement des discriminations. C’est bien ainsi que l’interprètent d’ailleurs ses adversaires. Par ailleurs, le volontarisme social qu’elle implique serait nécessaire aux Etats-Unis et pas en France.Dans une conférence en Sorbonne sur ce sujet, j’ai entendu les propos suivants : « On peut comprendre que les Etats-Unis fassent cela, par réaction contre la ségrégation raciale qui y a sévi, mais la France n’a pas à le faire car elle a toujours été dans l’universalisme républicain. » Double erreur, d’abord les discriminations de fait ne sont en rien renversées par une politique d’ « ouverture à la diversité », elles sont simplement atténuées. Ensuite, si la métropole n’a jamais connu de discriminations institutionnelles (à partir du moment où les femmes ont voté et ont eu les mêmes droits que les hommes toutefois, car longtemps on les a confiné dans une sorte de ‘statut personnel’) ; aux colonies a régné le Code de l’indigénat   et ce n’est pas pour rien que certains s’intitulent « Les indigènes de la République ».

Il est donc beaucoup plus exact de parler d’ « action volontaire » et non de « discrimination positive » et l’action volontaire c’est finalement assez banal. C’est simplement la connaissance que les choses ne se font pas toutes seules et que ce qui fonctionne quand il n’y a pas cette volonté d’agir, c’est une société ségrégée de fait et qui est pur mensonge par rapport aux idéaux républicains affichés. Il y a bien des politiques d’urbanisme ou d’aménagement du territoire pour que les puissants ne puissent pas faire n’importe quoi et (trop) nuire à l’intérêt général. L’intérêt général est qu’un pays puisse produire ses élites et pas seulement les voir se reproduire.

Pour les internautes parisiens:

Le mercredi 22 mars à 19 heures

je dialoguerai, à propos de mon roman historique:

Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (éditions de l'Aube, 2005)

avec Catherine Portevin, journaliste à Télérama.

a L'Institut Européen en Science des Religions (IESR), 14 rue Ernest Cresson, 75014 Paris

(en fait c'est à côté du 14, il faut entrer par un grand porche et c'est au fond de la cour.

La rue Ernest Cresson et à 2 minutes du métro Denfert-Rochereau)

Le débat sera suivi d'un pôt convivial. Ne ratez pas cette occasion de rencontre.