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25/04/2006

COMMENTAIRE SUR LE RAPPORT: LA FRANCE FACE A SES MUSULMANS

1er mai: Record battu, archibattu pour votre Blog favori: 8001 vistes pour le mois d'avril. Grosses bises sur les deux joues aux 2 internotes qui ont fait passer au blog le cap des 8000 visiteurs. Et d'ici quelques jours ( jeudi)une Note provoquante: La Déclaration des droits de 1789 n'est pas un texte universaliste.

Comme promis, voici quelques commentaires sur le rapport « La France face à ses musulmans » de l’International Crisis Group.

D’abord, je voudrais répondre à quelques questions qui m’ont été posées par des amis qui ont consulté les deux Notes où j’ai résumé ce rapport. On m’a demandé des précisons sur l’ICG, dont j’ai déjà indiqué qu’il est une ONG multinationale à but non lucratif dont l’objectif consiste à (autant que faire se peut !) prévenir et à résoudre les conflits meurtriers, grâce à des analyses de situation de haut niveau et des recommandations indépendantes destinées aux « décideurs internationaux ».

L’ICG a été fondé en 1994 et son président fondateur est George Mitchell, ancien leader des sénateurs démocrates américain. Dans son Conseil d’Administration de 40 membres, il y a notamment les anciens premiers ministres australien et français M. Fraser et M. Rocard, ainsi que Ted Turner, président de CNN. Son budget bénéficie de subventions publiques (16 pays dont les pays scandinaves, le Japon, Taiwan, la Suisse, le Canada, les USA et la France) et de subventions privées (Charities Aid Foundation, Federal Express, Nippon Foundation, Rockfellers Brothers, Soros Fund, Winston Foundation,…). Cette ONG a construit sa légitimité notamment en étant une des principales sources de renseignements et d’analyses sur le conflit dans l’ex Yougoslavie.

On peut dire que l’ICG partage les idéaux des démocraties occidentales et livre des informations fiables, dans cette perspective, en étant attentive à ce qui pourrait être « contre productif ». Les réformes sont considérées comme plus réalistes que la répression. Ainsi, pour prendre un rapport sur l’Islamisme, rédigé il y a un an,  la politique américaine était qualifiée d’ « approche bulldozer », risquant de produire 2 « effets indésirables » :

-         « le rapprochement des différents courants de l’activisme islamique, atténuant ainsi les divergences qui auraient pu être exploitées de façon fructueuse »

-         « la mise hors-jeu des tendances modernistes et non violentes par les djihadistes ».

On retrouve ces préoccupations dans le rapport concernant « la France face à ses musulmans ». L’élaboration de ce rapport a été co-dirigé par Robert Malley, ancien conseiller de Bill Clinton pour le Moyen-Orient et par Patrick Haenni, chercheur en sciences politiques suisse, dont la thèse sur les banlieues périurbaines du Caire (soutenue à Sciences-Po, Paris sous la direction de Jean Leca) a reçu le prix de la meilleure thèse française sur le monde musulman (EHESS). P. Henni a, notamment, publié au Seuil : L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice en 2005. On a là quelqu’un qui se trouve dans un rapport de proximité et de distance par rapport à la France, ce qui est une bonne situation pour effectuer une analyse ayant une bonne objectivité.

Le rapport cite les travaux des spécialistes français très connus de l’islam et de l’immigration, d’orientations différentes comme B. Etienne et M. Tribalat ou O. Roy et G. Kepel, mais aussi de spécialistes plus jeunes et moins connus, comme A. Boubekeur (auteure de la très intéressante étude sur Le voile de la mariée, L’Harmattan, 2004) , S. Amghar ou M. Khedimellah  (dont j’ai apprécié l’étude sur les jeunes prédicateurs du mouvement Tablîgh, paru dans Socio Anthropologie, n° 10). D’après les indications précises données sur les entretiens et les observations faites, l’enquête de terrain a été menée, pour l’essentiel, du début de septembre à la mi décembre 2005 dans plusieurs villes de France (Dreux, Le Bourget, Le Man, Lyon, Marseille, Paris,…); les « jacqueries des banlieues », selon l’expression du rapport ayant éclaté pendant l’enquête et des entretiens téléphoniques complémentaires ont eu lieu au début de 2006, sans doute. Visiblement les moyens n’ont pas manqué.

Et maintenant quelques commentaires :

Ce rapport contient beaucoup d’informations importantes et sa thèse indiquant que l’on est plus dans la conjoncture des années 1990, mais dans une conjoncture nouvelle où « les territoires de la radicalisation sont de moins en moins les lieux de culte » me semble tout à fait intéressante. On apprend plein de choses : ou on a des confirmations ainsi sur un point qui concerne la laïcité, le fait que le résultat de la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de « signes religieux ostensibles » à l’école publique, entraîne des collectes pour la création d’écoles privées musulmanes confirme ce que j’avais dit dés l’époque de la Commission Stasi. C’est un aboutissement logique. On peut se demander s’il ne rend pas la loi contre productive, même du point de vue laïque le plus militant.

J’ai, cependant, une petite insatisfaction : le rapport veut traiter de l’interface entre la France et les musulmans ; en fait il s’intéresse essentiellement aux musulmans qui habitent dans les « banlieues » (terme géoéconomique : il est clair que Neuilly n’est pas une « banlieue » en ce sens là !), au risque parfois d’établir une équivalence implicite entre habitants des banlieues et musulmans. A plusieurs reprises, il est questions de « classes moyennes », de « public éduqué », etc. Mais on a l’impression alors que ces musulmans là quittent le champ de vision du rapport qui reste focalisé sur les « quartiers ». Cela est du au fait que l’analyse vise à élucider le degrés de dangerosité politique et sociale et le titre du rapport est limité par le sous titre : « Emeutes, jihadisme et dépolitisation ». Mais c’est un peu dommage.

Car, seconde observation, ce qui transparaît du rapport c’est qu’aussi bien l’UOIF que les Jeunes musulmans proches de Tariq Ramadan, et même le salafisme shaykhiste dans une certaine mesure, ont une évolution analogue : leurs adeptes sont d’abord surtout des membres des classes populaires (ces fameuses « classes dangereuses », bien connues des historiens),  ensuite il s’agit plutôt de classes moyennes (je schématise, naturellement, pour faire vite). Cette évolution semble à la fois due

1/au fait que ces mouvements constituent une voie d’ascension sociale pour certains de leurs membres et

2/qu’ils ne recrutent pas exactement dans les mêmes milieux à 10 ou 20 ans de distance.

On aimerait en savoir plus.

En effet, le 1er aspect, s’il est réel, relativise l’idée d’échecs à répétition présent dans le rapport (l’échec de l’islamisme politique rend la voie libre au  salafisme shaykhiste, puis au jihadisme ou à la révolte des banlieues).  Si les mouvements musulmans jouent un rôle d’ascension sociale  pour une partie de leurs militants, alors on peut les rapprocher, à ce niveau, du Pentecôtisme protestant (un ami sociologue mexicain me disait que c’était pratiquement la seule réelle possibilité d’ascension sociale dans son pays) et d’autre mouvements protestants évangéliques (à ce propos, je vous signale la récente création d’un blog par un historien-sociologue spécialiste de ces mouvements : Sébastien Fath, auteur notamment de : Dieu bénisse l’Amérique, la religion de la Maison-Blanche, au Seuil). Son blog contient beaucoup d'informations et d'analyses intéressantes sur l'actualité en général et sur des sujets spévcialisés: le pluralisme religieux, l'ultramodernité et le protestantisme évangélique. L'adresse: http://blogdesebastienfath.hautefort.com/

Quant au 2ème aspect, il semblerait indiquer le (au moins relatif) développement d’une classe moyenne ‘musulmane’ en France (plus nombreuse qu’il y a 20 ou même 10 ans ?) puisqu’on peut recruter des adeptes en son sein. Je ne suis pas assez spécialiste de ces questions pour dire les choses de façon trop affirmative, mais ce que j’ai lu ici ou là me fait penser qu’il y a des indices dans ce sens.

Ma troisième remarque sera de souligner la complexité du problème : j’étais au Canada il y a peu de temps pour une série de conférences (je vous en reparlerai) et j’ai été frappé par une différence forte : la proximité (historique et géographique) de la France avec les lieux centraux du conflit : non seulement le Moyen-Orient, problème permanent, mais, outre l’histoire coloniale, la guerre civile algérienne dont on a peut-être pas assez souligné à quel point elle a contribué à engluer les affaires de foulards et dont le rapport de l’ICG montre qu’elle a empoisonné les relations entre les jeunes musulmans et les autorités administratives. Je comprends tout à fait les sentiments d’injustice et de rancœur que peuvent éprouver beaucoup de musulmans, et notamment les responsables associatifs qui ont lutté et luttent pour l’insertion et la reconnaissance mutuelle, mais mon travail consiste à tenter d’expliquer les choses et donc à souligner ces difficultés objectives.

Elles sont fortes car, autre remarque qui relativise également l’impression d’échec généralisé donné par le rapport : si (comme il l’indique) la menace terroriste n’a pas disparu et ne disparaîtra pas, en  France (comme ailleurs) tant que les « drames politiques internationaux » actuels alimenteront le jihadisme, le rapport mentionne aussi qu’il n’y a pas eu d’attentat terroriste (dans notre pays) depuis 1996. Des arrestations préventives ont eu lieu : cela signifie une action efficace des services la police, dont on doit, certes, dénoncer les dérapages (et qui peut apparaître détestable à celles et ceux qui sont soupçonnés à tort), mais dont on ne peut nier ni la difficulté ni la nécessité.

Ceci écrit, l’aspect contre-productif qui est résulté, le rapport le montre bien, est la méfiance (voire plus) qui règne à l’égard des personnes qui peuvent jouer un rôle de médiateur et qui sont dans une position médiane entre une assimilation ‘béni oui-oui’ et le rejet systématique du mode de vie et de pensée occidental (là aussi en schématisant pour faire vite). Je suis profondément d’accord avec le rapport quand il indique que rechercher « à promouvoir un Islam modéré et contrôlable » est « inopérant » et qu’il est souhaitable d’ « adopter une attitude constructive par rapport aux formes d’affirmation politiques susceptibles de naître dans le prolongement du soulèvement des banlieues de 2005 ». Cela fait des années, que je répète que l’intégration des Polonais, Italiens, Espagnols, etc si souvent donnée en exemple, s’est effectuée souvent, au cours du XXe siècle, grâce aux deux forces qui contestaient les valeurs dominantes françaises : les mouvements catholiques intransigeants qui avaient des projets de « nouvelle chrétienté » et le Parti communiste et les mouvements qui lui étaient liés, à l’époque où ce Parti était stalinien.
Le rapport est également très intéressant par l’inversion qu’il effectue : les musulmans sont beaucoup plus individualistes qu’on ne le croit généralement, la radicalisation, elle-même, « n’est pas dans l’exacerbation d’un repli communautaire » mais « dans la rupture avec la communauté » ;  par contre, l’action des pouvoirs publics se situe, souvent, dans un « communautarisme républicain » qui, non seulement est contraire aux principes affichés, mais en plus « s’avère inadapté à la gestion de populations où l’individualisme domine et où les demandes à l’égard de l’Etat restent élevées ». Mais, parfois, le rapport me semble mélanger deux niveaux : celui (effectivement) d’un communautarisme où l’individu se trouve englobé par sa communauté (réelle ou supposée), et un autre niveau où l’appartenance communautaire constitue une dimension de l’individu. Autant je pense que les politiques publiques, comme le regard que tout un chacun porte sur celui qui, d’une manière ou d’une autre, lui semble ‘autre que lui, ne doit pas céder au communautarisme, à cet englobement ; autant il me semble nécessaire, pour pouvoir résister à l’englobement par la massification marchande, que l’appartenance communautaire (les appartenances, car elles peuvent multiples puisque l’individualité de chacun n’est, dans ce cas de figure, réductible à aucune d’entre elles) puisse être une dimension de l’individu.
Enfin, à lire le rapport et ces recommandations, je trouve la confirmation de ce que j’appelle une laïcité inclusive. La stratégie de l’ICG me semble clair : isoler le jihadisme. Au contraire, on doit malheureusement dire que l’obscurantisme républicain actuel va dans le sens inverse d’une laïcité exclusive qui confond le combat et le débat et a tendance à anathématiser celles et ceux qui voient les choses autrement qu’eux-mêmes. 

17/04/2006

ISLAM EN FRANCE II La suite d'un rapport explosif

LA FRANCE FACE A SES MUSULMANS (suite et fin)

La semaine dernière, j’ai commencé à vous résumer un rapport très important effectué par l’International Crisis Group, organisation non gouvernementale de haut niveau effectuant des « analyse de terrain » dans un "but de prévention et de résolution des conflits". Ces rapports analytiques, qui se veulent rigoureux, sont « destinés aux décideurs internationaux ». Vous trouverez cette première partie à la suite de la présente Note.

Nous avons vu, dans cette Ière partie, l’historique que fait l’ICG du passé récent de la présence des musulmans en France, de l’échec de « l’islam politique » et de nouvelles formes de revendications sécularisées. Mais montent aussi, dans les banlieues, deux formes différentes de salafisme.

La première, est le salafisme shaykhiste, fondamentaliste et apolitique qui prône la « hijra » et rivalise avec le Tablîgh,  courant piétiste (également implanté dans les banlieues, mais lui depuis plus longtemps) dont « l’austérité est trop contradictoire par rapports aux valeurs consuméristes qui dominent dans les quartiers »

D’anciens membres du Tablîgh passent au salafisme dans une logique de bande (le groupe, les amis du quartier). La bande est repensée comme un réseau de « purs » et le salafisme shaykhiste se situe à la fois dans la globalisation, par son usage d’Internet et ses contacts avec des prédicateurs saoudiens et dans le réseau local (la bande) en s’intéressant peu au national. Par ailleurs, alors que le Tablîgh s’intégrait à l’ordre familial, le salafisme le perturbe car, prônant la rupture avec ce qui n’est pas musulman, il peut inverser les lignes traditionnelles de l’autorité et faire que des femmes s’affirment contre des hommes,des cadets contre les aînés, etc. C’est l’islam des jeunes contre l’islam des familles. C’est également un islam adapté à une population individualisée.

Ces derniers temps, il se produit une certaine banalisation de cette forme d’islam : la petite bourgeoisie salafiste ayant réussie dans le petit commerce, le salafisme d’autodidactes convertis à la lecture individuelle par les écrits salafistes, tout cela implique un minimum d’ascension sociale ou socio-culturelle qui aboutit à « quelque peu altérer la sévérité du dogme ». Bref il se produit une renonciation de fait à la hijra et, visant un avenir en France, le mouvement shaykhiste, devient « plus pragmatique et prêt au compromis avec la société d’accueil ».

Ainsi dans une « Lettre aux musulmans de France » (2004), Mahdy Ihn Salah  plaide pour une réforme où le groupe des sauvés s’élargit. La figure du jeune musulman orthodoxe urbain s’inscrit dans une trajectoire professionnelle ascendante, s’investissant dans une « religiosité de repli » sur l’individu ou la bande.

Au total, bien intégré à la culture des banlieues qu’il ne conteste pas mais encadre par des normes islamiques (cf. le « McHalal »), le salafisme ne s’oppose pas à la l’américanisation et le port conjoint de la gandoura et des Nike n’a rien de contradictoire dans sa logique. La micro-économie salafiste fonctionne également dans la culture de masse. Ainsi en ne s’opposant pas au consumérisme, en s’inscrivant dans une sorte de fatalisme, en prônant la rupture avec les institutions, en valorisant la richesse, ce mouvement offre « une sorte d’éthique islamique parfaitement en phase avec la réalité sociale des banlieues : précarité, flexibilité, dévalorisation des diplômes, vision à court terme de l’existence, forte consommation, le tout sur un fond de défiance envers tout ce qui relève de l’administration et de l’Etat ».

Et quand il réalise la hijra, le salafiste le fait si possible vers des pays musulmans à forte croissance comme la Malaisie ou les Emirats et Dubaï. Là « le rêve américain rejoint le rêve arabe ».

Mais ce salafisme là ne prenant plus en charge certaines demandes, que l’islamisme politique d'autre part ne s’avère plus capable de canaliser, ces demandes ont tendances, alors, à s’affirmer « par le radicalisme jihadiste ou la révolte de banlieue »

 

Selon l’ICG, s’il n’y a plus d’action spectaculaire depuis les attentats de 1995 et 1996, « l’activisme violent à référence islamique est bien présent dans le sol français ». Ce qui a changé, depuis les années 1980 et 1990, c’est ,d’une part, que l’action n’est plus liée à une cause territorialisée (Liban, Algérie) mais « à un djihad global » et que le combat ne vise plus l’établissement d’un Etat islamique dans un pays donné mais « une confrontation plus large avec les ennemis d’une communauté musulmane résolument transnationale »

Par ailleurs, « la radicalisation est une expérience avant tout politique ». Elle « peut trouver une formalisation théologique », mais le plus souvent a posteriori. Le basculement vers l’action violente, selon le rapport, provient de la conjonction de deux facteurs :

-         d’une part le contact d’expérience d’injustice ou de violence

-         d’autre part les cassettes de propagande mettant en scène l’oppression en Palestine, Bosnie, Tchétchénie ou les exactions américaines en Irak.
Et l’ICG note une différence : alors que dans le monde musulman le radicalisme religieux recherche souvent la « purification religieuse des espaces locaux » ; en Occident, on trouve « une dimension anti-impérialiste dans le choix des cibles ». Les arrestations opérées en France ces dernières années montre que « ce n’est pas l’Occident licencieux qui pose problème, mais l’Occident impérialiste ».

Par ailleurs, la radicalisation n’est pas dans l’exacerbation du repli communautaire, elle se fait au contraire dans la rupture avec la communauté. Elle n’est pas liée non plus à un durcissement de la religiosité.

On l’a vu, en plus de l’identification du militant aux victimes musulmanes d’autres régions du monde, c’est « la relégation sociale (qui) est un élément clef des processus de radicalisation »
En fait, les différentes arrestations opérées depuis plusieurs années montre une conjonction de personnes vivant dans la pauvreté et de membres de classes moyennes en proie au déclassement social et professionnel. Et cela s’articule avec l’économie informelle de banlieues : délinquance, braquages, reproduction de cartes de crédits, contrefaçon de vêtements de marques. La prison est un espace stratégique de radicalisation.

Au total, selon le rapport, c’est « la cité comme espace d’expérimentation  de l’injustice sociale, de l’accentuation des processus de ségrégation, et du blocage de la revendication de reconnaissance sociale et politique des populations issues de l’immigration musulmane et des cités » qui fait problème.

Les mêmes causes sont, dit l’ICG à l’origine de « l’embrasement des banlieues » de l’automne 2005, effectué « sans acteurs religieux » et lié « à l’essoufflement de toute forme de militance ». Le retour au calme a davantage été le résultat de l’action des comités de quartier, des mobilisations du voisinage et des rondes d’assistants sociaux de la mairie et, surtout, de l’épuisement d’une révolte non encadrée que des appels au calme d’autorités musulmanes.

Le rapport parle ensuite de la révolte, de ses causes immédiates (politique d’inflation sécuritaire, affaiblissement de la police de proximité, réduction des budgets pour la médiation sociale et les associations en général)  et de ses manifestations (demande de reconnaissance sociale, choix des cibles où l’Etat est accusé dans ses manquements et les institutions de reproduction des inégalités sociales sont visées, voiture brûlée comme langage protestataire).

En définitive, le rapport estime qu’alors que « l’on craignait des tensions entre l’ordre communautaire supposé réguler les populations de culture musulmane » d’un côté et « l’individualisme républicain » de l’autre, le problème est « exactement inverse » : « les musulmans de France s’avèrent finalement bien plus individualistes que prévu. A l’inverse, il y a bien un communautarisme républicain qui s’inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d’instrumentalisation clientéliste des élites religieuses ».

Cette thèse est soutenue de la manière suivante.

1)      Il n’y a pas de communautarisme musulman :

-  le taux de mariages mixtes, y compris chez les femmes dans la population musulmane    d’origine maghrébine, de divorces et donc de familles monoparentales est élevé

-  alors qu’il y a beaucoup de lycées catholiques et juifs, il n’existe que 2 écoles musulmanes

-  les projets individuels ou de petits groupes (mosquée de quartier, boucherie hallal, organisation de pèlerinage,…) marchent mieux que de grands projets collectifs

-   la cité fait souvent office de repoussoir et le rêve secret de beaucoup est de partir

- dans les élections politiques, les listes communautaires, sauf exception, tournent au fiasco

2)      Il y a un « communautarisme français » organisant des pratiques sociales et politiques « en dépit du dogme républicain » :

-         l’ordre social en France est, au moins en partie, « un ordre ethnique » (délit de faciès, discriminations raciales à l’embauche ou dans l’accès au logement)

-         au niveau administratif, il existe une « ethnicisation de l’espace urbain par les commissions d’attribution du logement social »

-         au niveau politique, existent des « opérations de séduction des élus et des candidats en direction des leaders communautaires dans une logique de clientélisme assez classique » ; parfois après avoir été contre l’érection de mosquées par peur d’une poussée de l’extrême droite, certains maires se lancent dans une politique volontariste en faveur de l’exercice du culte musulman « dans la perspective d’un hypothétique vote musulman

-         les consulats sont sollicités par les mairies pour résoudre des tensions inter-musulmanes. Pour certaines questions, on a fait appel à l’université d’al-Azar au détriment de structures françaises ou européennes  comme le Conseil européen de la fatwa.

L’International Crisis Group, à partir de ses analyses, propose diverses recommandations. Je les reproduis intégralement.

Au gouvernement français :

1)      Diminuer la présence coercitive de l’Etat dans les banlieues en :

a)       insistant sur la formation de la police, y compris par l’application de sanctions fortes à l’égard des abus de pouvoir, en particulier de nature raciale ; et

b)      reconstruisant des formes des médiation non autoritaire entre les autorités et la population, par exemple en redynamisant l’animation sociale et repensant la police de proximité

2)      Réduire la discrimination sociale et en particulier :

a)      revoir l’allocation de logement social en veillant au brassage ethnique ;

b)      appliquer de façon rigoureuse la loi Solidarité et renouveau urbain destinée à assurer une plus égale répartition de logements sociaux entre les différentes communes ; et

c)      mener des campagnes vigoureuses et constantes contre les discriminations raciales et ethniques

3)      Réformer les formes de représentation politique de la population musulmane, et en particulier :

a)        renoncer à l’idée que l’institutionnalisation du culte musulman puisse faire barrage à la tentation jihadiste

b)       définir clairement les attributions du Conseil français du culte musulman comme organe de gestion du culte et non comme organe représentatif des musulmans de France

c)        freiner les politiques de nature clientéliste et communautaires à tous les niveau de l’Etat ; et

d)       privilégier au niveau local et régional le dialogue avec les acteurs ls plus « autochtones » de l’islam de France, c'est-à-dire les mobilisations des jeunes nés sur le sol français ; et

e)        adopter une attitude constructive par rapport aux formes d’affirmation politique susceptibles de naître dans le prolongement du soulèvement des banlieues de 2005

4)      Dynamiser le tissu associatif, et en particulier :

a)        revenir sur les coupes sévères qui ont frappé le financement des associations depuis 2002 et ne pas délaisser les associations affichant des objectifs directement politique au profit d’associations plus socio-culturelles ;

b)        inscrire les financements dans la durée ; et

c)        mieux contrôler l’usage qui est fait de cet argent

Aux forces politiques nationales :

    

5)      Revitaliser l’implantation politique dans les banlieues précarisées en :

a)        répondant aux demandes de participation des jeunes musulmans, y voyant une forme possible de sécularisation de leur engagement militant. L’exemple des Verts[1] pourrait être suivi sur ce terrain ; et

b)       mobilisant les syndicats sur le front de la lutte contre les discriminations, particulièrement celles touchant à l’emploi et au logement.

Aux militants de l’immigration et des cités :

6)      Accroître les possibilités de mobilisation des jeunes musulmans dans les partis politiques et les associations afin de faire concurrence au salafisme et au jihadisme, ce qui suppose :

a)           de la part de l’Union des organisations islamistes de France, ouvrir ses structures militantes aux musulmans nés en France, y compris au niveau des postes dirigeants, et développer un discours en phase avec la réalité de la banlieue ; et

b)          de la part des associations héritières de la mobilisation des jeunes musulmans, se réengager dans l’action sociale, intervenir dans les quartiers, continuer de renforcer les partenariats en dehors des acteurs se référant à l’islam.

La semaine prochaine : Mes commentaires



[1] Selon le rapport, les Verts ont été le seul parti ouvert aux « jeunes issus de l’immigration musulmane ».

 

 

 

09/04/2006

ISLAM EN FRANCE: Un rapport explosif

D'abord quelques (bonnes) nouvelles du Blog:

Quand il a ete créé en decembre 2004, c'était en vue de contribuer de cette maniere au centenaire de la loi de separation des Eglises et de l'Etat de 1905, centenaire qui était l'occasion d'une débat sur la laicite. Effectivement le Blog a monté en puissance en 2005 passant de 3675 visites au premier trimestre a 17372 au quatrieme. Il etait logique de penser que, le centenaire fini, il y allait avoir une retombée. Or ce n'est nullement ce qui est arrivé puisque avec 18036 visites le Blog a fait mieux au premier trimestre 2006 qu'au dernier de 2005. Avec 7255 visites, le mois de mars a égalé le record de decembre, mois anniversaire ou plusieurs medias avaient signalé l'adresse du Blog. Et avril est tres bien parti avec 2235 visites pour les 8 premiers jours.

Cela me fait penser qu'il faut continuer. Vous allez trouver ci apres la première partie du résumé d'un tres important rapport concernant " La france face a ses musulmans". La fin de ce résumé et mes commentaires personnels seront donnés dans une semaine. D'autres Notes sont egalement prévues pour avril: une réflexion sur la France est-elle une démocratie malade?, la suite des événements de l'annee 1906 (l'apres separation), etc

Bonne visite

"La France a un probleme avec ses musulmans, mais ce n'est pas celui qu'elle croit" ainsi commence un rapport explosif de International Crisis Group, groupe d'experts internationaux ( occidentaux, en fait) de haut vol suite a une enquête dont la conclusion étonnera plus d'un (mais sans doute pas celles et ceux qui ont lu des études sociologiques sur le sujet) : en effet, selon le ICG, les musulmans en France sont beaucoup plus individualistes qu'on ne le croit, par contre il existe un "communautarisme autoritaire de la Republique".

Ce rapport n'est pas écrit par des militants pro-islamiques ni par de "naifs" (pretend on) intellectuels mais par des personnes expertes qui examinent, pour les "élites" occidentales et leurs gouvernements, les diverses tensions qui existent dans la planete et les divers moyens de les prévenir et de les limiter. Autrement dit ses auteurs n'ont aucune complaisance (c'est le moins que l'on puisse écrire) pour l'islamisme radical. Simplement  leur rapport n'est pas un produit mediatique ou l'on repete des stéréotypes qui font vendre parce qu'ils font peur, il est destiné aux décideurs. Mais votre Blog favori a décidé que vous etes tous des décideurs, et donc il va vous en donner la 'substantifique moelle'.

Le rapport commence par indiquer que la révolte des banlieues de l'automne dernier n'est nullement due a un "choc des civilisations", mais provient des discriminations socio-economiques, de la présence de l'Etat toujours plus coercitive, des campagnes politiques et médiatiques contre certains representants musulmans (le rapport note l'existence de 6 ouvrages contre Tarik Ramadan) et l'échec des diverses formes de représentation politique.

Apres avoir retracé brievement l'histoire (différente insistent les auteurs) de l'islam et des musulmans en France et note que, pour ces derniers, l'expérience de l'insertion va être bien souvent une expérience de la discrimination, le rapport en vient au présent marqué, dit-il, par "l'épuisement de l'islamisme politique". Attention, il importe de bien noter ce que, en accord avec les sciences politiques, les auteurs qualifient d'islamisme politique: il s'agit d'un activisme de groupes qui ont une vision précise du politique, une action politique pratique et sont organisés en mouvement social ou parti politique.

Le rapport remarque que les autorites francaises ont craint que cet islam politique soit un vecteur de radicalisation, or c'est exactement l'inverse qui s'est produit: les déclin de l'islam politique a favorisé d'une part la révolte des banlieues, d'autre part le jihadisme radical. Ainsi un mouvement comme l'UOIF a renoncé progressivement a une stratégie conflictuelle pour s'engager dans une stratégie de reconnaissance et émettre un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées.  Cette Union des Organisations Islamique des France, qui revendique de regrouper environ 250 associations a mécontenté sa base par sa modération. Les principaux reproches qui lui sont faits sont l'approche humanitaire de la question palestinienne, son profil bas face a la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostensibles,  sa discrétion relative dans l'affaire des caricatures.

Par ailleurs, sur le plan religieux, l'UOIF évolue vers une vision plus souple du dogme, la promotion de valeurs individualistes et l'attestation religieuse de la reussite sociale. La capacité de mobilisation de l'UOIF -manifestée chaque année notamment par le grand rassemblement qu'elle organise au Bourget, est plus socio-culturelle  que politique. On va vers une prise d'autonomie de l'islam de France. La notion de "sharia des minorites" de l'imam de la mosquée de Bordeaux et celle de "foi engagée" (qui couple la foi et l'engagement citoyen, pas forcement religieux et politiquement de gauche) de Tariq Ramadan, vont dans le meme sens.

Divers mouvements, et notamment l'UJM (l'Union des Jeunes Musulmans, proche de T. Ramadan) occupent une position médiane entre l'intégration forcée et exclusion; ils cherchent a defendre le cadre islamique tout en respectant le cadre republicain.  Des sources européennes de l'islam sont egalement recherchées. Mais, note le rappport, au même moment commence la guerre civile en Algerie, le FIS (Front Islamique du Salut) cherche a s'implanter en France et cela sème la confusion. Par ailleurs, un acces de fixation s'effectue sur le port du foulard et, en France (contrairement a tous les autres pays démocratiques ajouterai-je) le port du foulard va se trouver automatiquement lié par l'ideologie dominante à un radicalisme islamique.

Bref, la revendication d'islam étant de plus en plus lourde a porter socialement, inversement des mosquées et salles de prières finissant peu à peu par se créer, cet islam politique s'essoufle (je dirai aussi qu'il apparait entre 2 chaises, puisque les medias font comme s'il s'agissait d'un mouvement extremiste alors que ce n'est pas du tout le cas, et au contraire des jeunes ont l'impression d'etre "trahis" par des militants trop 'moderes', alors que la culture mediatique ne pousse ni a l'accommodement ni a la patience).

Il se produit donc une nouvelle sécularisation de la militance (la premiere etait celle de la "Marche des beurs pour l'egalite", en 1983 et le mouvement Beur important pendant les annees 1980) ou des mouvements proposent une claire division du travail dans la lignée d'une separation entre religion et politique. Le rapport cite notamment l'Aube, proche de l'UJM qui, depuis 2001 se concentre sur des programmes sociaux et les Indigènes de la république qui dénoncent les formes resurgentes de gestion coloniale des populations des citées.

Ce rapport indique aussi que l'épuisement de l'islamisme politique coincide avec la montée du salafisme ou il existe une "attente messianique" (on qualifie ainsi l'attente d'une régénération a la fin des temps). Ce salafisme existe sous deux formes  différentes, d'abord le salafisme shaykhiste et ensuite le jihadisme.

Le salafisme shaykhiste prone une vision apolitique et non violente de l'islam, fondée sur la volonte d'aligner sa vie sur les fatwas de savants saoudiens. Il n'a pas, dans ce mouvement fondamentaliste, de contestation de l'autorité politique car on craind l'anarchie. la solution proposée est la "hijra" (en reference a la démarche adoptée par le prophete Muhammad lui même), porte de sortie theologique, voire politique dans certains cas, a multiples usages. On peut, pense-t-on, régler la question palestienne par une hijra vers les pays du Golf; régler le probleme des discriminations en France par une hijra vers les pays musulmans,  régler l'autoritarisme de pays musulmans par une hijra vers des sociétés occidentales non répressives.

Le rêve de la hijra se realise rarement, faute de moyens notamment, mais il place le musulman, et notamment le jeune, dans une position attentiste, avec le mythe d'appartenir a la "communautee sauvée". Il s'en suit, non une contestation radicale mais une dépolitisation, l'etouffement des engagements civiques et citoyens, voire professionnels et scolaires et une érosion du rapport aux institutions.

C'est avec le Tabligh, seul courant islamiste d'apres nos auteurs a avoir encore une action significative en France dans les banlieues, que la rivalité est la plus forte.

La suite la semaine prochaine...