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14/03/2006

Mag, Clara dans Combes et la princesse carmélite

(la scène se passe page 89 du roman : Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour)

 

Bordeaux, 25-­26 mars 2005

 

De retour à Bordeaux, Mag passe voir Carla juste avant son cours. Attendre jusqu’au soir, il ne le pouvait. C’est idiot : depuis lundi dernier, il compte les jours, comme un gamin que ses parents ont promis d’amener  à Disneyland. Ils se sont envoyés des mels. Agréable surprise, Carla  a mailé la première. Un long mel accompagnant en fichier attaché, une pièce administrative qui aurait pu attendre. Clara prolongeait la discussion du repas, posait quelques questions. Malgré son travail, Mag a immédiatement répondu.

 

Manifestement, il l’avait intriguée ; elle lui écrivait : « Vous avez parlé comme si vous étiez un administratif, en butte à des enseignants-chercheurs. Or vous êtes leur directeur, ils vous respectent,… »  Si peu pensa Mag. Il lui expliqua que son rôle directorial et sa formation académique l’amenait à entreprendre une « observation sociologique participante ». Il ne voulut pas insister sur les difficultés de sa fonction. Malgré tout, il en dit un mot. En effet, Clara s’expliquait mal pourquoi,  « avec sa notoriété et son statut » (fort gentil à elle d’avoir d’abord parlé de la notoriété) il venait donner des cours à Bordeaux. Certes, un Laboratoire de l’IFSM se trouve implanté dans la Faculté, mais quand même…

 

En veillant à ne pas en dévoiler trop, Mag raconta qu’il opère, en ce moment même, des réformes au sein d’un établissement intellectuellement brillant, mais un peu endormi par la routine. L’IFSM est, en fait, constitué par un ensemble de Laboratoires. Le poids des forces centrifuges, la « mauvaise » habitude de n’être contrôlé, évalué par personne, le narcissisme professoral, tout cela crée certains problèmes. Dans une crise récente, les Laboratoires de province ont davantage soutenu leur directeur que leurs homologues parisiens. Mag a donc décidé de témoigner publiquement de son estime pour les Centres provinciaux de l’IFSM en donnant, chaque semestre ses séminaires dans une ville différente.

 

Mag en est à son cinquième cours : à chaque venue il en donne deux, un le vendredi après midi et un le samedi matin. Le début ne s’est pas avéré facile car plusieurs étudiants paraissaient déroutés par sa problématique qui mélangeait les genres, multipliait les angles d’approche. Aujourd’hui, la plupart  comprennent pourquoi leur professeur procède ainsi. Et, miracle, cela les intéresse. Le séminaire « décolle » donc. Les étudiants y participent activement. Mag en oublie presque Clara tellement les questions, les remarques le font s’aventurer hors de ses notes. Les meilleurs cours sont ainsi, quand on est entraîné par l’auditoire à dire autre chose que ce que l’on avait prévu.

 

Au restaurant, Mag a donc beaucoup à raconter. Il veille à ne pas monopoliser la parole, mais de toute façon Clara estime qu’elle a trop parlé le repas précédent. Ne doit-elle pas profiter du savoir du célèbre professeur ? A son tour, elle pose plein de questions, certaines ont peu à voir avec la sociologie de la médecine. En parlant, elle joue avec ses cheveux d’un noir étincelant à la lumière des lampes. Mag la regarde, admiratif ; il répond, content de constater qu’il n’est pas aussi englué dans les questions administratives et les problèmes institutionnels qu’il ne le craignait : il reste capable de dire des « choses intéressantes » (elles semblent passionner Clara) sur des tas de sujets.

Ils se montrent à l’aise l’un avec l’autre, leur relation est devenue décontractée. Clara possède un délicieux petit rire de gorge absolument enchanteur. Arriver à le provoquer est un plaisir extrême. Mag en oublie même de faire de la stratégie…Cette femme l’attire davantage que le pollen les abeilles.

 

Vers la fin du repas, Carla devient un peu mutine. Elle questionne Mag, le regard en dessous : Etes-vous fatigué ? Il se veut en pleine forme. Carla explique alors qu’un groupe d’amis, rockers dynamiques et talentueux, joue ce soir vers onze heures, à la boite « Sens Interdits ». Elle leur a plus ou moins promis de venir les écouter. Mag voudrait-il se joindre à elle ? Assurément, trois fois oui.

 

Mag se demande les raisons, les effets, de cette invite. S’agit-il de l’introduire dans son univers à elle, de lui faire gentiment comprendre que ce n’est pas le sien ? Elle va peut-être lui présenter un charmant (un affreux) jeune homme, son « ami », mettant ainsi les points sur les i. Ce scénario probable arrêtera tout net le cinéma qu’il commence à faire dans sa tête. Il espère toutefois un scénario différent : des amis  certes, mais pas d’ami à l’horizon. De toute façon, l’invite est positive. Même si, il vaut mieux savoir, avant… Avant quoi ? Avant de se retrouver dans les filets de la belle, car tel est pris qui croyait prendre ? Bon, ils n’allaient pas tous les deux s’enfermer dans un rendez-vous gastronomique routinier. Excellente initiative de faire bouger les choses. Vive l’imprévu.

Des ruelles piétonnes où il lui semble être le seul…non jeune. Des néons un rien criards.Ils arrivent au «Sens Interdits » Un tressaillement de surprise de la jeune fille aux multiples piercings qui vend les billets, devant l’âge et le look incongrus… Mag fait semblant de ne pas s’en apercevoir, d’être enchanté d’entrer dans cette cave enfumée où il remarque tout de suite l’absence presque complète de chaises et se dit qu’il va devoir rester debout à écouter cette… musique, un bien grand mot pour ce bruit tonitruant. Le terme de bouillie serait plus approprié… Trente ans de plus en dix secondes.

L’air candide, Carla lui demande ce qu’il en pense : « Cela décoiffe, change de Star’Ac » affirme-t-il. Il espère avoir trouvé une réponse pas trop nulle. Son air un brin inquiet n’échappe pas à sa compagne. Elle éclate de rire. « Vous estimez cela mauvais ? Rassurez –vous, je suis d’accord. Il ne s’agit pas encore de mes amis. Vous verrez, ils sont bien meilleurs. » Mag pense : Espérons, comme l’écrirait Kant.

Ce vieux Kant avait raison, parfois l’espoir se réalise. Le groupe She swamm in the nude -tel est son nom- peut sincèrement plaire à Mag. Sa musique (là, il convient utiliser ce mot) est nettement plus mélodique. On différencie bien le son de chacun des instruments. Les guitares s’entremêlent avec complémentarité et un certain sens du raffinement. Le chanteur, à la voix grave, est excellent. Bientôt le rythme s’impose et le corps de Mag bouge, sans se forcer. C’est un rock qui rappelle Sonic Youth, lui apprend Carla, en criant presque pour se faire entendre. Il doit s’agir d’un groupe connu pense Mag, qui se sent soudain un peu inculte.

Mag est ravi. Carla l’a présenté à Caroline, Cécile, Nicolas, Laure, Mathieu, Marion, Maud, qui lui dit, en l’embrassant : Vous ne me connaissez pas, mais je suis la femme de Patrick. Personne ne semble s’étonner de le voir là. Les filles lui ont fait la bise, comme à tout un chacun. L’ambiance, délicieuse, semble très bisoux-bisoux, parfois plus. Cela ne gène aucunement Mag, tant que Carla ne se trouve pas impliquée. Sa jalousie virtuelle lui apprend qu’il est plus amoureux qu’il ne le pensait. A moins qu’il s’agisse de cet éternel instinct de propriétaire, sans raison objective pourtant. En tout cas, l’ami de Carla -si ami il y a- ne se trouve pas parmi les spectateurs : il se serait manifesté. Un des artistes-rockers  du quintet? Ils ont tous à peu près l’âge de Carla et sont fort beaux.

Après un bon quart d’heure de rappels enthousiastes et un Excitation qui vaut bien l’I get no satisfaction des Rolling Stones, le moment décisif approche. Ou elle lui présentera son grand coquin…et filera avec lui, ou elle n’a pas, actuellement, de petit copain. Ce qui tous les espoirs permettra.

Ni coquin ni copain à l’horizon. La démonstration faite, Mag, ravi, rentrerait bien dormir à son hôtel ; on a beau prétendre ne pas ressentir la moindre fatigue…. L’heure du crime est d’ailleurs dépassée depuis une bonne heure… Le groupe suivant joue du « rock dansant ». Mag est donc on ne peut plus en pleine forme et, naturellement, il reste.

Dès le début de la soirée, Carla a ôté sa veste, est apparue moulée dans un charmant débardeur qui découvre totalement ses bras, donne plus de présence à son corps. Le relief de ses mamelons transparaît sous le vêtement. Ils sont hauts et fort émouvants. Mag ne va pas l’abandonner à tous ces beaux mecs. A moins que, le doute, toujours le doute, elle ne danse très sagement avec lui, beaucoup moins sagement avec un autre. Ainsi, il sera fixé. En fait, comment lui a-t-elle demandé s’il restait ou non ? Ne souhaitait-elle pas le voir partir ?

Ce rock dansant consiste en un pot-pourri de morceaux classiques. Leurs  deux corps en mouvement communiquent aussi bien que, trois heures auparavant, leurs intellects. Mag se déchaîne dans les rocks endiablés, reste moralement correct dans les morceaux lents. C’est le cas de la majorité des danseurs et il ne perçoit pas chez sa compagne, une volonté de rapprochement un peu intime. Déjà étonnant, ce qui arrive. Il se paye le luxe de proposer qu’elle danse aussi avec ses amis. Clara répond d’un énigmatique : Ce soir, je suis avec vous.

Après le rock dansant, place à un autre groupe. Mag annonce qu’il va rentrer à son hôtel ; même la folie a des limites. « Vous, restez », propose-t-il avec galanterie. « Non, je vous raccompagne et rentre chez moi ». Précision sans signification particulière ou message indiquant que les ‘choses’ n’iront pas plus loin ? Clara et Mag partent tandis qu’un chanteur hurle « wap-doo-wah » dans son micro.

 

De retour à son hôtel, Mag se précipite dans la salle de bain de sa chambre ; il urine des litres et des litres. Il s’était rendu aux toilettes en arrivant au « Sens interdits ». Il n’avait pas voulu y retourner de peur que Clara ne s’imagine qu’il était un ‘vieux’ avec des problèmes de prostate. Il est possible d’avoir quelques ennuis de ce côté-là sans être vieux pour autant ! Malgré tout, Mag doit admettre la réalité : chaque année, il vieillit d’un mois.

 

***

 

Le lendemain, après son sixième cours, Mag se fraye un chemin à travers le public venant aux Archives en vue de reconstituer des arbres généalogiques familiaux. C’est le cas de 80 % de nos visiteurs et c’est  la plaie lui a affirmé le directeur. Mag, n’ayant pas à les satisfaire, trouve, lui, la démarche de ces gens extrêmement sympathique. Il vaut mieux qu’ils soient là qu’en train de regarder la télé, pense-t-il.

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