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29/12/2006

LE RAPPORT DE LA COMMISSION PARLEMENTAIRE, SUITE

Hou la la, que de passion : ma dernière Note sur la Commission parlementaire a déchaîné des passions, je crois que jamais il n’y avait eu autant de commentaires. Manifestement, les dites « sectes » est un sujet qui vous accroche plus que Miss France ! Figurez vous que moi, à priori, je n’ai pas d’intérêt particulier pour la question, et si la France (officielle) avait une attitude plus raisonnable à ce sujet, je ne m’y attarderai pas. Mais, voilà, il y a des choses qu’on ne peut laisser passer sans réagir.

Et notamment cette distinction qui, par ce biais, est en train de faire comme si elle était laïque, entre « religions reconnues » et « sectes ». Un des principaux membres de la Commission l’a utilisée à la télévision. Il faut alors redire que depuis 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat, il n’y a plus de religions reconnues en France. Il est scandaleux, après avoir célébré un an durant cette loi, de la piétiner ainsi ; surtout lorsqu’on se prétend parlementaire, c'est-à-dire législateur.

Et le plus scandaleux, c’est que, régulièrement, depuis le Rapport parlementaire de 1996,  qui utilisait l’expression, on nous bassine avec de pseudos « religions reconnues » (que l’on oppose aux dites « sectes ») sans que les défenseurs sourcilleux d’une laïcité intransigeante y trouvent à redire. S’ils étaient francs du collier, ils devraient être les premiers à s’indigner et à protester. Mais non, ils se taisent et font semblant de ne pas entendre. Double jeu, double discours.

Un des commentateurs (Olivier) reproche à la « communauté savante », historiens et sociologues son « silence ». Mais Olivier, elle n’est pas silencieuse. Elle s’exprime, dans la difficulté, certes, mais elle le fait. Je vous recommande d’excellents ouvrages sur le sujet, notamment deux d’entre eux :

-         Sectes et démocratie, collectif dirigé par Françoise Champion et Martine Cohen (2 chercheuses au CNRS), paru au Seuil en 1999

-         La religion en miette ou la question des sectes par Danièle Hervieu-Leger, l’actuelle présidente de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, chez Calmann-Lévy en 2001.

Par ailleurs, quand la MIVILUDES était plus raisonnable, avait eu lieu la série de conférences à laquelle j’ai fait allusion dans ma dernière Note. Elle est parue à La documentation française sous le titre Sectes et Laïcité, en 2005, avec des contributions de plusieurs historiens, sociologues, anthropologues. Au-delà de la diversité de leurs points de vue, ces contributions témoignent toutes d’une volonté de distance critique avec préjugés et stéréotypes.

Pour ma part, j'ai publié dans mon dernier livre (L'intégrisme républicain contre la laïcité, L'Aube) l'exposé que j'ai donné à cette occasion.

Mais quand la MIVILUDES est devenue…déraisonnable, à l’automne 2005, la sociologue Nathalie Lucas (CNRS-EHESS) a démissionné de son Comité directeur, et Sébastien Fath (CNRS) a refusé d’y entrer car les conditions d’un travail sérieux n’étaient pas réunies.

Enfin, il faut aussi signaler que les universitaires laïques belges de l’Université libre de Bruxelles (Université fondée sur le « libre examen » et qui, depuis le XIXe siècle, est un bastion de la pensée laïque) se sont courageusement opposés au sectarisme anti-secte qui existe aussi dans leur pays en organisant un colloque (et en publiant ses Actes dans les éditions de leur université, sous la direction d’Alain Dierkens et Anne Morelli) : « Sectes » et « hérésies », de l’Antiquité à nos jours (2002).

Je donne le petit résumé de la 4ème de couverture de ce dernier livre : « « Secte » ou « religion », « hérésie » ou « vraie foi » ? Comment obtient-on ou non un label religieux honorable ? Comment devient-on « religieusement correct » ? Qui en décide ? Quel est le poids des pouvoirs politiques dans ce choix ? Les exemples réunis ici traversent les siècles pour témoigner de la permanence de ces questions sur les rapports entre le pouvoir et les formes institutionnelles du sentiment religieux. »

De ‘bonnes’ questions sont donc posées. Pourquoi ‘bonnes’ ? Cela m’amène à répondre à Michel Naud qui, sur son blog, explique que, pour une fois, il est d’accord avec moi (il ne l’était pas sur Redeker) mais qu’il reste en désaccord avec « l’angle d’attaque » : défendre « l’intelligence » et la « raison » contre la « bêtise ». Pour lui, il s’agit d’une « divergence de nature politique » entre (si j’ai bien compris) les parlementaires et les défenseurs de la laïcité et de la liberté de conscience. Et il poursuit en indiquant que se « parer de ses titres universitaires »  court le risque de faire preuve « d’arrogance », de manier « l’argument d’autorité ».

La question soulevée est importante mais relisez la Note, c’était quand même argumenté de façon un peu plus subtile. Que dire alors sans me répéter ? OK, je suis d’accord sur les risques indiqués. Ils existent, et les diplômes ne sont nullement une garantie infaillible. Il n’empêche, on ne peut mettre si facilement de côté la question de la compétence : Michel Naud passerait-il sur un pont fabriqué par des gens qui n’auraient aucun métier, à partir de plans établis par des amateurs ? Habiterait-il au 7ème étage d’un immeuble construit par des gens sans compétence ?

Mon métier consiste précisément à avoir une compétence en matière de laïcité, et pour cela je travaille chaque jour. Je m’exerce à la gymnastique intellectuelle, car on ne l’acquiert pas sans s’entraîner régulièrement. Mon métier consiste aussi à pratiquer et à enseigner ce que l’on appelle la démarche de connaissance, et à juger si elle est respectée ou non. Or, ce que je constate c’est que, de plus en plus, il y a des personnes qui, profitant de leur position politique, sociale et/ou médiatique, ne se privent pas de traiter doctement, avec une complète bonne conscience, de tous les sujets possibles et imaginables dés lors qu’il s’agit de sujets dits « de société »,  comme s’il n’existait que l’opinion et pas la connaissance.

OK, il y a la liberté d’opinion, mais en faire un absolu et ne pas la mettre en tension avec la compétence, c’est permettre aux puissants de dominer sans partage. Et si on n’a plus le droit de dire qu’une ânerie est une ânerie, alors non seulement la liberté d’opinion est à sens unique (du côté des puissants), mais le mensonge le plus complet règne. Car, en général ces gens là prétendent qu’ils sont du côté «  (des) Lumière, (de) l’éducation, (du) progrès, (de) l’émancipation » (dixit Catherine Picard). Ils ne se gène pas, eux, pour prétendre combattre « l’obscurantisme », alors que ce sont les pires obscurantistes qui soient.

Les lois mémorielles, par exemple, montrent le remplacement de la connaissance historique par la vérité d’Etat. Je croyais que fascisme et stalinisme nous avait vacciné contre cela. Eh bien non, et les multiples protestations des historiens n’y font rien, précisément parce que prétendre chercher à être intelligent est devenu politiquement incorrect. Pourtant, étant donné la surinformation due à la communication de masse, due aussi à ce que la culture est devenue une marchandise, il est essentiel d’apprendre (et cela s’apprend de façon continue) à trier entre des marchandises de très piètre qualité (et qui s’affichent, sont lancées avec moult publicité et font ainsi les meilleures vente : renoncer à distinguer intelligence et bêtise risque fort de rendre esclave de critères quantitatifs) et ce qui est de meilleure qualité.

Sinon, il ne faut pas s’étonner si la France s’avère de moins en moins capable de résoudre ses problèmes.

Vous connaissez, le petit enfant qui dit que le roi est nu, parole que chacun trouve scandaleuse. Et pourtant… Si on n’a plus le droit de dénoncer (à ses risques et périls, nous sommes bien d’accord) la bêtise,  alors elle va régner sans partage.

Il ne s’agit naturellement pas de décréter « bête », tout ce qui n’est pas votre opinion. Là, ce serait de la bêtise. Au contraire, il faut lire et fréquenter des gens dont vous ne partagez pas forcément l’avis, mais qui, eux aussi, réfléchissent et travaillent. Et là, je réponds à Isabella Orsini qui me reproche d’avoir écrit la postface d’un ouvrage d’histoire maçonnique Deux siècles de Rite écossais Ancien Accepté en France  et d’être allé dialoguer, rue Cadet,  avec  le Grand Orient.

Et pourquoi pas ? Dialoguer avec les maçons ne signifie pas forcément un complet accord avec eux. Une règle du débat maçonnique est que l’on écoute l’orateur en silence, qu’on le laisse développer son point de vue, sans l’interrompre et manifester approbation ou désapprobation. Voila une éthique intelligente de débat. Elle est très nécessaire dans une société où bruit, fureur, « coups de gueule »’, petite phrase, inflation idéologique, maximalisation et mise en scène de l’émotion tend à nous abêtir, à privilégier les affects primaires sur l’analyse et la réflexion.

Alors oui, ce livre d’histoire maçonne semble écrit (sauf ma postface, of course) par des maçons. Et alors ? Quand j’ai lu les textes que l’on m’a remis je ne me suis intéressé à leur qualité, je n’ai pas cherché à savoir si leurs auteurs étaient ceci ou cela. Et voila ma réponse à Charles Chasson qui prétend qu’à l’EPHE, on accepterait qu’un Témoin de Jéhovah fasse une thèse sur les Témoins. Je n’ai pas dirigé, pour ma part, de thèse sur les Témoins et je ne sais si l’assertion est exacte. Mais peu importe : j’ai dirigé des thèses sur le catholicisme et je n’ai jamais demandé au doctorant(e) s’il était catholique, je n’ai d’ailleurs jamais demandé à mes étudiants et étudiantes ni leur confession ni leur options politiques ni quoique ce soit de ce genre.

Non seulement, ce serait contraire à la laïcité, mais cela n’offre aucun intérêt. Tout choix de thèse comporte des motivations extra-scientifiques et le travail du directeur de thèse consiste à faire progresser le ou la doctorant(e) dans l’objectivation, la connaissance objective. Connaissance objective qui sera jugée au final. Je sais bien que les idéologues de tous poils vont prétendre que l’objectivité n’étant pas absolue, il n’existe pas. Stupidité affligeante : la richesse absolue n’existant pas non plus, autant dire qu’il n’existe aucune différence entre un PDG gagnant 300 fois le smic et un SDF !

J’ai répondu à quatre commentaires sur 34, mais j’arrête là. Juste dire à Anne-Marie Lepagnol qu’elle ne s’inquiète pas, la suite des Notes sur les Lumières arriveront prochainement. Mais ce ne sera pas la prochaine Note, car celle-ci (mise sur le Blog le 2 janvier) va être un scoop mondial et surprenant. Je ne vous en dis pas plus. JUSTE QUE JE VAIS VOUS RAJEUNIR....et gratuitement!

Et très joyeuse année 2007 (et tant que nous y sommes : joyeuse année 2008 itou) à toutes et tous les Internautes et navigatrices/navigateurs sur ce Blog.

PS: il m'est impossible de modérer mon blog quand quelques personnes, qui ont pourtant leur propre blog s'en servent pour écrire moult commentaires répétitifs avec des attaques perso. Il y a là une intention de rendre impossible le bon fonctionnement du Blog qui peut permettre des échanges mais n'est pas une tribune permanente, sauf pour l'auteur du blog (c'est la règle du jeu de tous les blogs). Encore une fois, je suis responsable du contenu et je recois actuellement chaque jour beaucoup de mel de bolgospirit à ce sujet. Je suis donc obligé de prendre des mesures drastiques et, faute de pouvoir passer tout mon temps à trier de supprimer des commentaires pour éviter la mise en cause des personnes. J'en suis désolé et demande à ceux qui ont écrit par ailleurs des choses intéressantes de m'en excuser.

 



10/12/2006

MISS REPUBLIQUE 2007 ET LE COURAGE D'ETRE SEUL(E)

Internautes adorés, comme le titre de cette Note l’indique, j’ai envie de vous raconter quelque chose d’un peu imprévu, to-day. J’ai, en effet, plein d’effervescence dans ma tête. Calmos, je mets un peu d’ordre dans mes idées et je vous narre un événement d’une importance extrême : hier, samedi 9 décembre, 101ème anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, la République française, glorieuse et immaculée, a été une nouvelle fois sauvée des périls atroces qui la menacent.

 

Mais nous l’avons échappé belle. Et « belle » est vraiment le terme adéquat car c’est bien la beauté (dont des siècles de tradition nous a appris qu’elle était l’œuvre du diable !) qui a failli faire chuter les valeurs républicaines les plus hautes.

En effet, au terme d’un insoutenable suspens (heureusement coupé de moult publicités qui permettaient d’aller faire pipi et de ranger la vaisselle), des ceus comme moi qui étions scotchés devant TF1, vivions dans l’angoisse. Pour les Groenlandais (très nombreux) qui visitent ce site, je résume : le concours de Miss France 2007 mettait (à 23h35, soit deux heure et demie après le début de l’émission) aux prises deux finalistes : Miss Picardie, « étudiante en hypokhâgne » et Miss Limousin, sourd et presque muette. Autrement dit nous avions face à face, dans un duel à mort, la méritocratie républicaine et la discrimination positive.

 

Petite parenthèse : personne n’avait prévu semblable finale, et les bonnes Françaises et les bons Français devaient, civiquement, non pas regarder TF1 mais France2 et vendre tous leurs meubles (pas leur télé quand même !) pour que le Téléthon explose son record de dons. Soutenir le Téléthon apparaissait d’autant plus un devoir républicain et laïque que des évêques avaient tonné contre la pernicieuse recherche sur les cellules souches susceptible d’en recevoir quelques miettes (des dons effectués).

Mal embouché comme pas deux, j’avais déclaré à mes étudiants, à mon cours sur la laïcité, qu’il n’y aurait là nul suspens : les cléricaux du premier seuil de laïcisation (l’épiscopat) allaient se faire battre à plat de couture par l’union des cléricaux du second seuil (les médecins) et des cléricaux du troisième seuil (les animateurs de télé et autres individus showbiz). Le match du Téléthon était joué d’avance.

 

Tel une jeune fille qui enlève son foulard en arrivant à l’école, je devient sérieux en arrivant en Sorbonne et donc je n’avais pas osé ajouter : « il mieux vaut, dans ces conditions, regarder l’élection de Miss France, au moins il y aura un peu de suspens ». Pourtant j’aurais du puisque la finale se révélait emblématique du combat titanesque que livre la glorieuse République franco-picarde contre la piteuse démocratie anglo-saxonne et limousine (si, si, la preuve : Richard Cœur de Lion est mort en Limousin)[1].

Comme quoi, on a toujours tort d’être sérieux !

 

Donc, je reprends le cours du récit pour que le suspens ne soit pas trop interminable et que certains ne meurent pas d’arrêt cardiaque : des 35 belles de départ, restaient seules en compétition Miss Picardie, symbole de la République et Miss Limousin symbole de la démocratie.

 

Moi, vous commencez à me connaître, il y aurait un concours de Miss mauvais-républicain, j’aurais toutes mes chances (et, une fois n’est pas coutume, je pourrais passer à la télé sans me faire agresser par un trostko-bushien comme Romain Goupil), j’étais donc à fond pour Miss Limousin.

A mon anti républicanisme primaire, s’ajoutaient d’autres motifs tout aussi pernicieux. D’abord, au lieu de me considérer comme un individu abstrait universalo-français, étant né en Limousin, je me sens Limousin et j’en suis fier. Existerait une ‘Limousin pride’, je serais sur un char.  Miss Limousin est donc une payse et cela plaisait beaucoup à mon « sot localisme » impénitent[2].

Ensuite, sans aucunement dénigrer Miss Picardie, Miss Limousin était la plus belle et, supersexiste (à défaut d’être supersexy) comme je suis, l’adorable Miss de mon terroir me plongeait dans un doux rêve-petite-madeleine, quand mes parents (des enseignants républicains, eux) m’emmenaient, à 10, 11 ans, au théâtre municipal de Limoges voir jouer du Marivaux et qu’au lieu d’apprécier la haute tenue du texte, je restait bouche bée devant les belles dames aux robes magnifiques, et j’intimais mentalement l’ordre au jeune premier de tomber à genoux pour déclarer sa flamme. Ver de terre amoureux d’une étoile…

 

Heureusement pour la République, aussi bien le président du tribunal, euh non du jury, le grand Michel Sardou que le vote populaire (métaphore républicaine extraordinaire : le vote des quelques vedettes du showbiz formant le jury comptait pour 2/3, et le vote des téléspectateurs pour 1/3 !) a élu Miss Picardie. On n’a pas dit par quel score la République fut ainsi sauvée. Mais ouf ! On veut bien un peu d’affirmative action dans notre France chérie, mais point trop n’en faut : deuxième après l’hypokhâgneuse, c’est déjà pas si mal…

Me reprenant enfin, j’ai, bien sûr, entonné une vigoureuse Marseillaise, et j’ai crié (comme à Valmy) « Vive la nation » (en ajoutant « universelle abstraite »).

 

Mais ensuite, hélas, mes mauvaises pensées me sont revenues et l’élection de Miss France m’a rappelé mes discussions avec des étudiantes féministes américaines. L’une d’elle m’avait dit un jour : « Nous, on accepte sans problème les filles à foulard mais on a obtenu dans notre ville la suppression du concours de Miss, les Françaises, elles, font l’inverse. Ce n’est pas très féministe » Intéressant, non ?

 

Regarder TF1 et le concours de Miss France s’est avéré plein d’autres enseignements. A un moment, par exemple, a été passé un reportage sur Miss France 2006 (également Miss Europe : qui a dit que la construction européenne se trouve en panne ?) et, dans ce reportage, il y a eu une séquence où Miss France 2006 se trouvait invitée dans diverses émissions de télé, et notamment celle d’Ardisson sur France 2, service public alimenté sur nos impôts. Comme d’hab, Ardisson (ou un autre animateur de son talk show) lui a lancé une vanne très bête et méchante, et elle en a été toute déstabilisée. Alors un autre animateur, qui avait sans doute des restes rentrés de preux chevalier, lui dit : « Ne vous inquiétez pas : votre métier est d’être belle, notre métier est d’être con ». Tel quel (comme dirait Philippe[3]).

 

Admirable éclair de lucidité, et si (rêvons) j’étais nommé président de France-Télévision je  ferai passer cette répartie en boucle sur toutes les chaînes publiques au moins un jour par semaine. Avec une nuance toute fois : maintenant, on ne réclame plus seulement des femmes d’être belles, on les veut belles et intelligentes (et le concours de Miss France se met au goût du jour : belle et hypokhâgneuse…), tandis que les animateurs de télévision, eux, peuvent être et sont de plus en plus sinistrement « cons ».

L’aveu en a été fait spontanément parce qu’il s’agissait de Miss France et que ce petit macho d’animateur a eu le cœur serré devant une belle jeune femme fragilisée (je le comprends très bien : j’aurais eu exactement la même réaction). Mais habituellement beaucoup d’animateurs de télé se montrent des cons arrogants, satisfaits, puant de bêtise et traitant de haut  toutes celles et ceux qui s’efforcent de ne pas leur ressembler.

 

Aller, même si ce n’est pas Miss Limousin qui a gagné, je vais me montrer beau joueur et souhaiter beaucoup de courage, d’intelligence et de finesse à Miss France 2007 ; il lui en faudra pour affronter, un an durant, la bêtise des multiples « cons » qui se mettront sur sa route. Elle qui rêvait à la fois de devenir Miss France et de faire l’école du Louvre pour être archéologue, a réalisé son premier rêve, je lui souhaite de réaliser le second et surtout que le premier ne tourne pas au cauchemar. « On est bien seule quand on devient Miss France » a déclaré la Miss de l’an dernier, dans le petit reportage déjà cité. Oui, il faudra à Miss Picardie avoir le courage d’être seule, seule face à la meute.

 

Mais ce courage d’être seul, d’affronter la connerie ambiante, la connerie ordinaire qui se réclame parfois des beaux noms de laïcité et de République n’est-ce pas le lot quotidien de celles et de ceux qui tentent de refuser le formatage, la standardisation, d’une société de communication de masse, d’une communication marchande qui veut transformer tout un chacun, Miss ou pas Miss, en marchandise.

Telle est la morale de mon histoire.

 

Allez on en reparlera dans une semaine, en reprenant la suite des Notes précédentes et en s’intéressant aux Voltair-rien(s), ces nouveaux religieux de la religion civile républicaine.

Bonne semaine et à plus {rappellez vous : le courage d’être seul(e)}.



[1] Mais comme, pour un universitaire, tout est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît, je rappelle que Calvin était picard (et donc, pour les néo-républicains, cela fleure le protestantisme "anglo-saxon"!).

[2] C’est une citation tirée de l’ouvrage emblématique (pour les néo-républicains) de J. Milner : De l’école qui oppose l’universalisme républicain français au « sot localisme » démocratique anglo-saxon.

[3] Sollers, bien sûr. C’est une vanne intello-nulle, mais au point où j’en suis.

15/10/2006

DEMAIN LUNDI

Nombreux commentaires sur les deux dernières Notes du Blog. Merci

De même j'ai eu beaucoup d'échos (à la fois des soutiens et des questions) par d'autres biais

J'ai rencontré aussi des lectrices/lecteurs aux Journées d'histoire de Blois.

Je rumine tout cela et

Demain lundi, vous aurez un nouvelle Note.

08/10/2006

LA LIBERTE D'EXPRESSION ET LES CHIENS DE PAVLOV

Article publié par Le Monde, le 6 octobre 2006 (PUBLIE CI APRES AVEC, ENSUITE UN COMMENTAIRE)

NON AUX PROPOS STREREOTYPES

Défendre la libre expression de Robert Redeker n'implique pas de
soutenir la bêtise haineuse

Jean Baubérot
Historien,
spécialiste de l'histoire de la laïcité à l'Ecole pratique des hautes études

Nous cheminons sur une route bordée de deux gouffres profonds. Je
crains que les intellectuels signataires de l'" appel en faveur de
Robert Redeker " (Le Monde du 3 octobre) n'aient vu qu'un seul
précipice et qu'ils reculent horrifiés devant lui au risque de tomber
au fond du ravin qu'ils n'ont pas voulu voir.

Mon accord avec eux est complet en ce qui concerne la défense vigilante
de la liberté d'expression. Je me joins tout à fait à leur appel
solennel " aux pouvoirs publics afin, non seulement, qu'ils continuent
de protéger comme ils le font déjà Robert Redeker et les siens, mais
aussi que, par un geste politique fort, ils s'engagent à maintenir son
statut matériel tant qu'il est en danger ". Je signe des deux mains et
je veux, moi aussi, résister à " une poignée de fanatiques - qui -
agitent de prétendues lois religieuses " pour remettre en question "
nos libertés les plus fondamentales ".

Mais déjà là, je me demande si ces intellectuels mesurent bien
l'ampleur du gouffre. Cette " poignée de fanatiques " n'existe
malheureusement pas dans un vide social. Alors que la fin de la guerre
froide, l'effondrement du mur de Berlin aurait pu augmenter la qualité
du débat démocratique en le rendant moins manichéen, c'est le contraire
qui s'est produit. De divers côtés, on assiste à la multiplication
d'indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre
valeur d'évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la
communication de masse. L'évolution globale est inquiétante, et cela
est dû à la fois à la montée d'extrémismes se réclamant de traditions
religieuses (au pluriel) et d'un extrême centre qui veut s'imposer
socialement comme la (non-)pensée unique et rejette tout ce qui ne lui
ressemble pas.

Il faut donc regarder de plusieurs côtés à la fois. On peut, on doit
défendre les droits élémentaires d'une personne sans abandonner tout
esprit critique à son égard. " Quel que soit le contenu de l'article de
Robert Redeker " écrivent les signataires sans autre précision. Je
regrette, là je ne peux plus du tout les suivre. Combattre le gouffre
de l'intolérance n'implique pas de se coucher devant la bêtise
haineuse. Au contraire, les deux combats n'en font qu'un. La Ligue des
droits de l'homme l'a compris, qui défend Robert Redeker tout en
refusant ses " idées nauséabondes ". Son article prône, en effet, une
reprise, contre l'islam dans son ensemble, du discours maccarthyste
contre le communisme. L'Occident est le " monde libre ", paré de toutes
les vertus face à un islam monolithique et diabolisé. Et naturellement,
l'auteur dénonce les " intellectuels qui incarnent l'oeil du Coran,
comme ils incarnaient l'oeil de Moscou, hier " et " ne s'opposent pas à
la construction de mosquées ".

Pour masquer sa propre ignorance, M.Redeker cite des extraits de
l'article " Muhammad " écrit par Maxime Rodinson dans l'Encyclopaedia
Universalis et en conclut : " Exaltation de la violence : chef de
guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs, polygame, tel se
révèle Mahomet à travers le Coran. " Il suffit de se reporter à
l'article du grand savant pour constater à quel point et le ton et le
contenu lui-même sont d'une autre planète. On pourrait, avec plus de
citations encore, tirer de cet article une apologie de Muhammad.
Rodinson écrit par exemple : Muhammad " montra, en bien des cas, de la
clémence et de la longanimité, de la largeur de vues et fut souvent
exigeant envers lui-même. Ses lois furent sages, libérales (notamment
vis-à-vis des femmes), progressives par rapport à son milieu ".

Naturellement je donne cette citation comme un contre-exemple et
seulement pour montrer à quel point M. Redeker effectue un usage
inadmissible, par son caractère tronqué et unilatéral, des dires de M.
Rodinson. Ce dernier n'a écrit ni une dénonciation haineuse ni une
apologie. La lecture de texte qu'opère Redeker est inadmissible
s'agissant d'un professeur de philosophie dont le devoir professionnel
serait d'enseigner l'objectivation, la prise de distance à l'égard de
ses affects, l'analyse critique. Le soutenir doit donc s'accompagner de
la mise en cause du contenu et de la forme de ses propos.

Non, je ne comprends vraiment pas le " quel que soit le contenu de
l'article " et je ressens cela comme une grave menace pour la liberté
de penser elle-même. J'imagine la situation en 1894 ; supposons une
minute qu'ait existé alors un groupe d'extrémistes menaçant Edouard
Drumont ou un autre publiciste antisémite (qui lisaient les textes
exactement de la même manière), pouvons-nous concevoir ceux que
l'affaire Dreyfus allait faire qualifier d'intellectuels écrivant pour
défendre le publiciste attaqué : " quel que soit le contenu des
articles de La Libre Parole - l'organe de Drumont - ... " ? La
recherche historique montre que tous les thèmes antidreyfusards
circulaient avant l'affaire Dreyfus. De tels stéréotypes sont
permanents ; seules changent les minorités qu'ils transforment en boucs
émissaires. La lutte contre l'intolérance ne dispense pas de la lutte
contre la bêtise haineuse.

Quelques commentaires sur l’article du Monde :
 
Donc il y a eu un article de Robert Redeker qui lui a valu des menaces et je soutiens qu’on doit le défendre comme individu, sans cautionner son propos en faisant silence sur son contenu.

Redeker s’était déjà fait remarquer par des articles dénonçant les personnes critiques à l’égard de l’envahissement publicitaire comme étant des ennemis de la « gaîté » et par un autre texte fustigeant toute critique de l’Amérique. OK, ce sont ses idées et il les partage. Mais la moindre des choses est également que l’on garde le droit de critiquer aussi de tels propos à l’emporte pièce. Surtout que, le piège est que des personnes faisant ainsi de l’inflation idéologique ravissent certains médias qui les publient, alors que celles et ceux qui font des analyses plus fines n’arrivent pas à être publiés (où dans des médias confidentiels). Il y a là aussi une sorte d’atteinte à la liberté d’expression.

Quant il s’agit de l’islam, Redeker franchi allègrement un pas supplémentaire. Je ne pouvais pas relever toutes les accusations haineuses contenues dans son article, je n’aurais plus eu le temps d’indiquer mon propre commentaire. Mais, puisque dans mon blog, j’ai un peu plus de place, sachez que l’article commence par affirmer que « l’interdiction du string à Paris-Plage » traduit une « islamisation des esprits », ainsi que la « non-interdiction du port du voile dans la rue » (M. Redeker veut-il mettre un policier derrière chaque femme musulmane pour les obliger à être tête nue ?), que le Coran est un « livre d’inouïe violence », etc, etc.

Bref, comme me l’écrit, une des dizaines de personnes qui m’ont envoyées des messages de soutien : « On se demande pourquoi R. Redeker écrit dans le Figaro alors qu’il pourrait être éditorialiste à Minute ».

A propos de ce qu'il écrit du Coran, je voudrais donner une précision supplémentaire par rapport à mon article du Monde : les pamphlets antisémites de la fin du XIXe siècle et qui ont crée le climat qui a donné l’affaire Dreyfus, attaquaient Le Talmud (qui, pour le judaïsme, complète la Tora dans l’accès à la vérité religieuse), Talmud qu’ils opposaient aussi sommairement à la Bible, que le fait Redeker qui oppose un Jésus douçâtre (n’a-t-il jamais entendu parler de Jésus chassant les vendeurs du temple ?) à un Mahomet « maître de haine ».

Ce précédent historique très important incite à la réflexion : on ne peut pas, aussi sommairement que le font les gens de Charlie Hebdo et d’autres, dire que les attaques contre les religions n’ont jamais rien à voir avec le racisme et qu’en conséquence parler d’islamophobie est une atteinte à la liberté. En fait à chaque cas, il faut savoir distinguer droit à la critique et invective haineuse.

 On a le droit de critiquer les religions, comme le reste. Mais supporterait-on que l'on parle de Condorcet, Jaurès ou de gaulle comme Redeker parle de Muhammad? La critique n'est pas la bêtise haineuse. Dans le cas de Redeker, nous sommes clairement dans le second cas de figure. Et le fait qu'il soit victime d'une intolérance fanatique qu'il faut aussi combattre (et que de nombreux musulmans ont déjà désavouée) ne blanchit pas son article sale.

Redeker s’insurge contre ceux qui « s’élevaient contre  l’inauguration du Parvis  Jean-Paul II et ne s’oppose pas à la construction de mosquées. N’allez pas croire pour autant que Redeker soit catholique. Pas le moins du monde. Il se croit républicain laïque !!! (belle illustration de ce que j’écris dans mon livre sur l’intégrisme républicain°)[1] Il s’inscrit en fait, dans la tradition maurassienne (de Charles Maurras) où, bien qu’agnostique, on prône un catholicisme identitaire. Chez Maurras, c’était le catholicisme, champion des peuples latins contre les trois R : Réforme (protestante), Révolution (française), Romantisme (allemand) et aussi contre les juifs et les francs-maçons. Chez Redeker, c’est le catholicisme (ou le christianisme, peu importe) champion de l’Occident contre l’islam. L’instrumentalisation réactionnaire est la même.

Alors il faut résister à la tentation d’être transformé en chien de Pavlov sous prétexte de défense de la liberté d’expression.

Vous savez, ce chien tellement conditionné qu’il salivait     
 avant même qu’on le nourrisse. Le chien salivait à voir le plat où on mettait la nourriture ou la personne qui la lui donnait. Et donc, la nourriture pouvait être, en fait, de la merde, il salivait quand même.  Et bien, pour certains l’expression « liberté d’expression » fonctionne comme un réflexe conditionné et ils refusent de regarder s’il s’agit de merde intellectuelle.

Non de même que l’on critique des idées sans attaquer les personnes, on doit défendre les personnes sans renoncer à attaquer les idées nauséabondes.

Les inconditionnels de Redeker écriraient-ils, si Faurisson (l’auteur révisionniste) était  menacé par fou : « Quelles que soient ses idées.. .» ? Moi pas.

 

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[1] ° Dans L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube, octobre 2006), je note que les intégristes  républicains français  ont une évolution qui ressemble de plus en plus à celle des néo-conservateurs américains.

23/08/2006

CULTE DE LA PERSONNALITE ET LAÏCITE

ZIDANE, GÜNTER GRASS ET SARTRE 

Cet été, deux personnes ont chuté de leur piédestal : Zinédine Zidane qui, devant 2 à 3 milliards de téléspectateurs a donné un coup de tête, lors de la finale de la coupe du monde de football, au défenseur italien Marco Matterazzi qui l’avait insulté et Günter Grass qui a reconnu, soixante ans après les faits, et… peu avant la parution de son autobiographie, qu’il avait été un Waffen SS à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Rapprocher ces deux faits semble incongru, et à ma connaissance (mais je suis loin d’avoir tout lu), personne n’a osé le faire. Pourtant par delà l’énorme différence des deux actions : donner un coup de tête, même vif, n’a rien à voir avec un engagement nazi, il existe une ressemblance. Zidane, comme Grass, était considéré comme un personnage moralement emblématique et son coup de tête l’a fait redevenir un simple être humain comme nous l’ont expliqué de doctes commentateurs. Et c’est aussi cette humanité fragile et faillible qu’ont mise en avant les défenseurs de Grass pour expliquer et son engagement de jeunesse et son long silence. Cette insistance montre, a contrario, qu’avant leur geste ou leur aveu ces deux hommes n’étaient pas socialement considérés comme de simples humains !

 

Zidane est plus qu’un sportif, c’est un artiste à sa manière, comme le montre très bien le film qui a été réalisé sur lui. Grass est un grand écrivain. Pourquoi l’un et l’autre ont-ils été érigés en modèle moral, en conscience morale collective comme si la conduite morale n’était pas la responsabilité de chacun ? Quelle est la cohérence de cette société qui dénonce à temps et contretemps ceux qu’elle appelle les « gourou » et qui s’empresse de  considérer des célébrités comme des « gourou » ?

 

La déception  est  ensuite à la mesure de la ferveur.

 

 

Et si la laïcité, c’était aussi le refus de l’érection médiatique d’une personne en conscience morale collective, en sur être humain. Si la « faute » était là : dans cette religiosisation (si l’on peut dire) sociale d’êtres humains.

La laïcité, cela veut dire que socialement il n’existe ni Dieu ni maître. Libre à chacune et chacun de croire et de suivre qui il veut ; le rôle de la société laïque et démocratique consiste seulement à faire en sorte (notamment par l’instruction qui, aujourd’hui, ne peut plus se réduire à l’école !) que croyance et suivance soient des actes personnels, réfléchis.

 

Mais ce n’est pas ce qui se passe, loin  de là. Des personnalités qui, à un titre ou un autre, sont médiatisées sont propulsées maîtres es morale. En général il s’agit de vedette du show-biz (chanteurs, acteurs, sportifs), pour qui défendre une cause dite humanitaire est pratiquement un exercice imposé et qui permet de la montrer à l’admiration béate des foules comme un quasi saint ou une quasi sainte. Mais il peut s’agir également d’un intellectuel médiatique, style BHL en France, ou Grass (qui lui, au moins, écrit de bons livres) en Allemagne. Alors là, même beaucoup de membres de la classe moyenne intellectuelle sont dupes, tellement il est difficile de vivre sans être un mouton de panurge.

Il s’agit pourtant d’une mise en scène, tout autant que le cas précédent et ne veut RIEN dire sur la « « « valeur morale » » » de la personne en question. Et à supposer qu’elle soit effectivement « très bien », elle a sûrement sa part d’ombre quelque part.

 

On a parlé de  « culte de la personnalité » pour des leaders politiques comme Staline, Mao, des dictateurs d’Amérique latine, etc. Mais ne s’agit-il pas d’une nouvelle forme de culte de la personnalité que cette fabrication médiatique et sociale des maîtres de morale ? Et cela ne devrait-il pas constituer une différence entre le service public de radiotélévision et le service privé que de faire en sorte que les artistes, les vedettes, les philosophes et les écrivains (voire les papes : cf. Jean-paul II) soient ramenés à leur humanité ? La redevance ne se justifie que s’il existe une véritable différence entre ce service public et des chaînes privées. Manifestement on est, le plus souvent, loin du compte.

Il existe un aspect adolescentrique dans cette érection sociale de maîtres de morale, de consciences morales collectives. Il y a là une fuite de ses propres responsabilités. Et, un jour ou l’autre, on est sur d’être déçu.

Non pas que l’on ne puisse pas apprécier moralement tel ou tel : la gentillesse habituelle de Zidane (quand on ne le provoque pas !), beaucoup de propos écrits par Grass (et notamment sur le nazisme), etc. Mais il faut savoir qu’il s’agit là d’un aspect de leur personnalité, qui comme toute individualité comporte des aspects multiples, complexes, paradoxaux et même, sans doute, contradictoires. Il ne faut pas auréoler tel ou tel, le considérer globalement comme une saint ou une sainte car toute vision globale et unifiante d’un être humain est totalement réductrice et s’avère un jour boomerang. C’est, au contraire, en sachant qu’on ne vit pas avec des saints (et dans sa vie médiatique, et dans sa vie publique et dans sa vie privée) que l’on peut pleinement apprécier ce que chacune et chacun veut vous apporter, peut vous enrichir sur un plan ou un autre.

 

 

Je pensais également à cela en écoutant deux émissions (très intéressantes par ailleurs) de Deux mille ans d’histoire (France-Inter) consacrées à Jean-Paul Sartre. Patrick Gélinet insistait sur le fait que Sartre a été beaucoup admiré et beaucoup détesté. Pour ma part, j’ai admiré Sartre quand j’étais lycéen, je n’ai pas tardé à m’apercevoir ensuite qu’il énonçait aussi (et de façon très péremptoire) beaucoup de grosses bêtises. Je ne l’ai nullement rejeté ou détesté pour autant, même si étudiant, il m’est arrivé d’écrire un article ou, reprenant l’expression de Boris Vian, j’affirmais que « Jean-Paul Sartre est devenu pour moi Jean-Saul Partre ». A dire vrai, à son insu, Sartre est un de ceux qui m’a appris qu’il ne fallait laisser personne guider votre réflexion, qu’il fallait absolument penser par soi-même et rejeter tous les conformismes, y compris les conformismes anti-conformistes ou prétendus tels, les plus séducteurs et les plus fallacieux.

Par contre, il est intéressant de ruminer des propos de Sartre (et de bien d’autres) et d’examiner là où on est d’accord, là où on n’est pas d’accord et pourquoi. On doit penser par soi-même, mais sans jamais croire que l’on pense tout seul ! Je ne sais si vous êtes comme moi, mais les ouvrages qui m’intéressent le plus sont ceux avec lesquels je suis à moitié d’accord.

 

Parmi les grosses bêtises écrites ou dites par Sartre, il y en a une que m’a appris cette émission de France Inter : Sartre aurait dit : « Si quelqu’un me dit que la liberté religieuse n’existe pas en URSS, je lui casse la gueule ». Phrase extraordinaire, non seulement à cause de l’affirmation complètement fausse (sur ce plan, on pourrait écrire un florilège des propos sartriens) mais à cause du « je lui casse la gueule ».

C’est quand on n’a pas la maîtrise du langage, du raisonnement, quand on ne peut pas argumenter en raison, que l’on « casse la gueule » ou que l’on fait le coup de poing. Qu’un des « plus brillants intellectuels du XXe siècle » ait utilisé cette menace constitue un (pour faire savant) aveu épistémologique, c'est-à-dire une reconnaissance implicite qu’il était en train de complètement déconner (pour parler en français courant !).

Comment, avec de tels propos, peut-on admirer Sartre intellectuellement, sans être soi-même plus ou moins, pour citer une autre philosophe célèbre (le commissaire San Antonio) un « handicapé de la bulbe » ? Un des deux spécialistes interrogés dans l’émission m’a semblé être ainsi, quand il s’agissait de Sartre en tout cas : il était uniquement laudatif et célébrait son « anti-conformisme », sans se rendre compte que louer benoîtement l’anti-conformisme de quelqu’un de célèbre, c’est du conformisme. L’autre était à la fois empathique et critique de temps à autre.

Aucun des deux n’a soulevé le véritable problème : dans leurs désaccords entre « l’anticonformiste » Sartre et le « conformiste » Raymond Aron, qui s’exprimait dans Le Figaro, c’est pourtant ce dernier qui avait raison, parce que c’est ce dernier qui parlait en raison et qui intégrait dans son raisonnement l’apport de connaissance des sciences humaines.

 

Cela pose la question du statut de la philosophie en France. Celles et ceux qui transforment la laïcité en religion civile sont également, en général, celles et ceux qui ne veulent pas que la philosophie s’inscrive dans un partage intellectuel du savoir, où les démarches des sciences humaines constituent des apports. Ils et elles en veulent spécialement à la sociologie et parlent du passé sans connaître les études historiques sérieuses, car intégrer la sociologie et la recherche historique les obligerait peu ou prou à prendre une certaine distance avec leur dogmatisme essentialiste.

 

Autant la philosophie est une discipline précieuse autant elle ne peut pas prétendre aujourd’hui se confondre avec la réflexion. Et c’est trop souvent une confusion française. Quand vous dites cela, on vous rétorque souvent : « mais, Monsieur, MOI j’ai appris à réfléchir en classe de philosophie » (comme si les autres matières n’induisaient pas à réfléchir). Et 9 fois sur 10 vous avez la langue qui vous démange : seule la politesse vous empêche de répondre : « Justement, vous voyez bien le déplorable résultat » !!!

 

 

18/01/2006

UN NOUVEL OBSCURANTISME

A propos de la loi du 23 février sur  l’enseignement
 Du rôle positif de la colonisation

Pourquoi il faut combattre cette loi

Comment se mitonne la démarche historienne

(l’exemple de Jules Ferry)

 

 

    L’article 4 de la loi du 23 février 2005 suscite beaucoup de remous. Rappelons qu’il demande d’enseigner « en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » et d’accorder « à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».

   Les parlementaires s’aperçoivent qu’ils se sont embourbés et cherchent à sortir de ce mauvais pas sans trop avoir l’air de se déjuger. Outre que cela ne va pas être facile, puisque c’est l’abrogation pure et simple qui est demandée par beaucoup d’historiens et de juristes (pour ma part j’ai signé 3 pétitions allant dans ce sens à partir de démarches un peu différentes), cette affaire mérite une réflexion d’ensemble sur notre rapport à l’histoire et au politique.

   Car si les historiens ont été choqués dans la pratique même de leur métier, le risque consiste -pour la plupart des citoyens- à s’indigner surtout moralement de cette injonction à souligner le « rôle positif » de la colonisation peu de temps après le moment où des généraux  ont officiellement admis avoir pratiqué la torture en Algérie. Pourtant, le texte aurait parlé d’un « rôle négatif », le problème (à mes yeux) resterait analogue : Les parlementaires ont allègrement outrepassé leur fonction en  confondant la connaissance et les jugements de valeur.  Peut être même est-ce encore plus grave : en fait,  des initiatives de ce type prouvent  que, dans ces milieux (rappelons le retard à l’allumage de la protestation socialiste), on nie implicitement la consistance propre de la démarche de connaissance en sciences humaines, on réduit tout à l’opinion.

   D’ailleurs, je peux très bien comprendre que l’on se méfie à priori d’une distinction trop forte : les historiens ne vont-ils pas cacher leurs options derrière leur savoir ? La question peut, fort légitimement, être posée. Trois personnes m’ont fait une remarque identique que l’on peut résumer ainsi : « Mais enfin, l’histoire n’est pas la propriété des historiens ». Je pense qu’il faut absolument, dans cette campagne, ne pas se contenter de réclamer l’abrogation de cet article 4 mais expliciter un peu ce qu’est la démarche de connaissance en histoire. Je vais le faire de façon non abstraite, à partir de mon objet d’étude propre : la laïcité.

 

   Mais avant, il faut quand même rappeler pourquoi il est indispensable de combattre vigoureusement l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

   Cela a commencé par des causes qui étaient moralement incontestables  avec, notamment, la loi du 13 juillet 1990 (dite loi Gayssot). Elle a créé un délit de négation des crimes de génocide. Bien sûr, on ne peut qu’approuver l’intention. Mais se faisant, on est passé de la pénalisation de la diffamation raciale (et de l’appel à la haine raciale) à un autre registre. On a laissé croire que le jugement moral pouvait englober la recherche historique et que l’on pouvait dire autoritairement, à partir de ce jugement moral, ce que l’historien doit chercher et trouver, selon la formule d’une des pétitions récentes.

   Reste, comme le pense une autre pétition, que la loi du 23 février franchit un pas supplémentaire important et encore plus inadmissible. La loi Gayssot avait fixé un cas limite,  la nouvelle loi impose un contenu. Cela est très grave, quelque soit le contenu fixé.

      Malheureusement, en votant cette loi, les députés ont été, à leur insu, les révélateurs d’une dérive typique de la démocratie, devenant une démocratie absolue. En effet, sous la monarchie absolue, le sujet n’avait pas à exprimer une pensée personnelle, globalement on pensait pour lui, c’est pourquoi d’ailleurs la liberté de conscience n’était pas reconnue, sauf un ‘fort interne’ dont on faisait tout pour qu’il intériorise les normes politiques et religieuses établies. En démocratie, par contre, le citoyen est co-responsable de la conduite du pays. Il vote, choisit ses représentants, exprime son point de vue. Il peut et même, en fait, il doit donc avoir un avis sur tout ce qui est important. Mais longtemps a fonctionné une sorte d’aura du savoir et de prétention des porteurs de ce savoir à avoir toujours raison ou presque. C’était ce que l’on a appelé la « République des Universitaires ». N’en n’ayons pas la nostalgie.

 

   En effet, l’outrecuidance des spécialistes, des experts a été critiquée et les journalistes ont joué (jouent toujours chaque fois que ce néo-cléricalisme affleure) un rôle fort utile en dévoilant la faillibilité des clercs (quitte à devenir eux-mêmes de nouveaux clercs, parfois responsables de nouveaux conformismes, mais cela on en parlera une autre fois).

   Pour ce qui concerne l’histoire, les historiens eux-mêmes ont insisté, avec raison, sur  les limites de l’objectivité historique (critique du « scientisme » du XIXe siècle et du début du XXe siècle). La vulgarisation s’est étendue, d’abord grâce aux médias de masse et aujourd’hui avec internet ou n’importe qui peut écrire sur n’importe quel sujet. Les moins de 25 ans ne s’en privent pas, ils ont créé des millions de blogs. Moi-même qui, paraît-il, ait dépassé depuis quelque temps déjà cet âge…

   Dans tout cela, il y a du progrès, beaucoup de progrès et ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Mais il n’en reste pas moins que l’opinion et le savoir ne sont pas la même chose et que de plus en plus on méconnaît cette distinction essentielle. Et, justement, l’ère des médias de masse, du multimédia, d’internet, fait, qu’à mon sens, le problème de l’instruction en général et de l’école en particulier, n’est plus (s’il l’a jamais été) de transmettre un savoir encyclopédique (forcément plus ou moins dépassé) mais d’apprendre à trier entre les offres d’ « information » multiples, presque infinies maintenant grâce au Web, et dont la qualité va du pire au meilleur (le meilleur étant, vous l’aviez deviné, votre Blog baubérotesque chéri !!).

 

   Trèves de plaisanterie. Je voudrais, le plus concrètement possible, raconter comment, je travaille comme historien (puis après, si cela vous plait, je vous raconterai comment je passe de l’histoire à la sociologie) pour expliquer que le problème n’est pas un problème de « propriété » mais une distinction nécessaire entre mémoire et histoire, et même entre récit historique établi et démarche historienne. Des choses fort savantes on déjà été dites la dessus par Pierre Nora, Paul Ricoeur, etc, j’y reviendrai peut-être ; mais, pour le moment, allons en cuisine, voir comment se mitonne le plat historique.

   Prenons l’exemple d’un personnage emblématique de la laïcité française : Jules Ferry. Il lutte contre les congrégations enseignantes et prend (en mars 1880) deux décrets dans ce sens, le premier contre les jésuites, le second imposant aux congrégations de se faire enregistrer.

   Personne n’obtempère et à l’automne 1880, 271 établissements  congréganistes sont fermés au milieu de troubles : portes barricadées des établissements ouvertes à coup de haches par la troupe, cellules de moines forcées, gendarmerie à cheval, bagarres avec des blessés, arrestations, excommunications de Procureurs de la Républiques et de commissaires par les « autorités ecclésiastiques », etc. La presse relate ces événements hautement conflictuels et sa consultation est, encore aujourd’hui, intéressante pour savoir comment ces événements ont été vécus.

   Ce vécu s’est transformé en mémoire et, pour certains, en vérité historique : dans les conférences que j’ai données, j’ai eu parfois d’aimables interlocuteurs qui, avec des jugements de valeurs différents (suivant qu’ils étaient laïques ou catholiques militants) me citaient cela comme « preuve » que l’établissement de la laïcité a été fortement conflictuel. Et, avouez que, quand il ne s’agissait d’historiens professionnels, qu’ils connaissent ces faits  était l’indice d’une incontestable culture historique.

   OK il y a eu du conflit, c’est indéniable ; mais l’historien ne peut pas se contenter de cette idée établie. Il doit passer des journées entières aux archives, à prendre connaissance et à faire l’analyse critique des sources disponibles, etc. Et aussi (surtout), il doit aborder tout cela d’une manière professionnelle, en artisan compétent.

   C’est pourquoi, exprès, avant même de mentionner l’utilisation d’autres sources que la presse, je donnerai un exemple de la différence d’approche : au contraire de la culture médiatique actuelle, l’historien doit être autant sensible au non-événement qu’à l’événement. Ferry n’applique pas les décrets à toutes les congrégations masculines, il ne les applique (au contraire de ce que fera Combes 22-23 ans plus tard[1]) à aucune congrégation féminine, bien qu’elles n’aient pas davantage obtempéré que leur collègues masculins.

  Ce genre de non-événement peut être signalé par la presse, mais il s’agit d’une information non médiatique qui ne peut donner lieu à de gros titres ni à une iconographie. J’ai vu des dessins d’époque représentant l’assaut donné à un établissement congréganiste dans des expositions ou des livres qui se veulent savants ; mais comment représenter ce qui ne s’est pas produit (mais aurait pu se produire) ? Ferry a limité le conflit. L’historien doit être un analyste du non-événement.

   Et, le plus classiquement du monde, l’historien va consulter des archives. Celles de Jules Ferry, conservés dans la charmante petite ville de Saint-Dié dans les Vosges (je vous recommande son Festival annuel de géographie et son gewurztraminer), sont pleines d’enseignement.

   Un exemple : environ un an plus tard, le ministre reçoit une synthèse alarmante des rapports des différents inspecteurs d’académie chargés de surveiller les anciens établissements congréganistes, notamment ceux des jésuites (considérés comme les plus dangereux). Ils se trouvent désormais tenus par des laïcs (=non prêtre ou religieux) catholiques, des prêtres séculiers (=non religieux), des évêques. Mais « partout l’ancien personnel enseignant a réapparu (…) partout le directeur légal n’est jamais qu’un directeur fictif, l’autorité réelle appartenant toujours (…) à un père jésuite ». Au total : « Nulle part, rien n’a été changé, ni dans les aménagements intérieurs, ni dans les bibliothèques et livres classiques[2], ni dans les procédés et méthodes d’enseignement ». Conclusion : « Nous sommes de nouveau joué ». Il y a « nécessité de faire quelque chose ».

   Ce « quelque chose », qu’on ne se permet pas de préciser au ministre, est de façon très plausible, l’abolition de la loi Falloux, l’interdiction de l’enseignement privé. Or Ferry se refuse à en arriver là, il estime l’enseignement privé nécessaire pour éviter tout monopole d’Etat qui pourrait aboutir à l’imposition d’une idéologie d’Etat. Il enterre donc le rapport. Aujourd’hui, un petit malin l’enverrait à un journaliste, ce rapport serait publié et… Ferry déstabilisé, peut être obligé, sous pression, de prendre des mesures plus dures même s’il les trouvait impolitiques. Mais ce n’était pas ainsi que les choses se passaient alors et c’est pourquoi Ferry a pu être Jules Ferry. Le rapport a dormi, bien au chaud, en attendant que les historiens le déterrent, tels des princes charmants réveillant des belles au bois dormant par de doux baisers !

L’enterrement de ce rapport n’est pas resté sans effet : après s’être dispersés par petits groupes, les congréganistes réintègrent progressivement leurs locaux les années suivantes. La mémoire a retenu le souvenir du conflit. L’histoire doit aussi prendre en compte sa limitation, le fait qu’il est loin d’avoir été un conflit global et permanent.

 

La suite bientôt (et cette fois, ce sera vrai !)

Deux info(s) :

-         Comment J. Ferry a opéré et réussi la laïcisation de l’école publique ? ce que j’ai raconté dans cette Note et beaucoup d’autres choses (notamment quel est le contenu de la morale laïque qui fut enseigné), vous le trouverez dans mon livre : La morale laïque contre l’ordre moral, Le Seuil, paru en 1997.

-         Pour prolonger la réflexion sur la démarche historienne et la citoyenneté, les problème que pose le recours à l’historien comme expert, etc je vous recommande l’ouvrage collectif dirigé par Guy Zelis (et relu par sa femme dont il ne nous dit pas le prénom), L’historien dans l’espace public, l’histoire face à la mémoire, à la justice et au politique, édition Labor, 2005.

 

 

 

 

 



[1] Cf. les Notes de la catégorie Emile Combes

[2] Qui disaient du mal de la Révolution française et de la République