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23/08/2006

CULTE DE LA PERSONNALITE ET LAÏCITE

ZIDANE, GÜNTER GRASS ET SARTRE 

Cet été, deux personnes ont chuté de leur piédestal : Zinédine Zidane qui, devant 2 à 3 milliards de téléspectateurs a donné un coup de tête, lors de la finale de la coupe du monde de football, au défenseur italien Marco Matterazzi qui l’avait insulté et Günter Grass qui a reconnu, soixante ans après les faits, et… peu avant la parution de son autobiographie, qu’il avait été un Waffen SS à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Rapprocher ces deux faits semble incongru, et à ma connaissance (mais je suis loin d’avoir tout lu), personne n’a osé le faire. Pourtant par delà l’énorme différence des deux actions : donner un coup de tête, même vif, n’a rien à voir avec un engagement nazi, il existe une ressemblance. Zidane, comme Grass, était considéré comme un personnage moralement emblématique et son coup de tête l’a fait redevenir un simple être humain comme nous l’ont expliqué de doctes commentateurs. Et c’est aussi cette humanité fragile et faillible qu’ont mise en avant les défenseurs de Grass pour expliquer et son engagement de jeunesse et son long silence. Cette insistance montre, a contrario, qu’avant leur geste ou leur aveu ces deux hommes n’étaient pas socialement considérés comme de simples humains !

 

Zidane est plus qu’un sportif, c’est un artiste à sa manière, comme le montre très bien le film qui a été réalisé sur lui. Grass est un grand écrivain. Pourquoi l’un et l’autre ont-ils été érigés en modèle moral, en conscience morale collective comme si la conduite morale n’était pas la responsabilité de chacun ? Quelle est la cohérence de cette société qui dénonce à temps et contretemps ceux qu’elle appelle les « gourou » et qui s’empresse de  considérer des célébrités comme des « gourou » ?

 

La déception  est  ensuite à la mesure de la ferveur.

 

 

Et si la laïcité, c’était aussi le refus de l’érection médiatique d’une personne en conscience morale collective, en sur être humain. Si la « faute » était là : dans cette religiosisation (si l’on peut dire) sociale d’êtres humains.

La laïcité, cela veut dire que socialement il n’existe ni Dieu ni maître. Libre à chacune et chacun de croire et de suivre qui il veut ; le rôle de la société laïque et démocratique consiste seulement à faire en sorte (notamment par l’instruction qui, aujourd’hui, ne peut plus se réduire à l’école !) que croyance et suivance soient des actes personnels, réfléchis.

 

Mais ce n’est pas ce qui se passe, loin  de là. Des personnalités qui, à un titre ou un autre, sont médiatisées sont propulsées maîtres es morale. En général il s’agit de vedette du show-biz (chanteurs, acteurs, sportifs), pour qui défendre une cause dite humanitaire est pratiquement un exercice imposé et qui permet de la montrer à l’admiration béate des foules comme un quasi saint ou une quasi sainte. Mais il peut s’agir également d’un intellectuel médiatique, style BHL en France, ou Grass (qui lui, au moins, écrit de bons livres) en Allemagne. Alors là, même beaucoup de membres de la classe moyenne intellectuelle sont dupes, tellement il est difficile de vivre sans être un mouton de panurge.

Il s’agit pourtant d’une mise en scène, tout autant que le cas précédent et ne veut RIEN dire sur la « « « valeur morale » » » de la personne en question. Et à supposer qu’elle soit effectivement « très bien », elle a sûrement sa part d’ombre quelque part.

 

On a parlé de  « culte de la personnalité » pour des leaders politiques comme Staline, Mao, des dictateurs d’Amérique latine, etc. Mais ne s’agit-il pas d’une nouvelle forme de culte de la personnalité que cette fabrication médiatique et sociale des maîtres de morale ? Et cela ne devrait-il pas constituer une différence entre le service public de radiotélévision et le service privé que de faire en sorte que les artistes, les vedettes, les philosophes et les écrivains (voire les papes : cf. Jean-paul II) soient ramenés à leur humanité ? La redevance ne se justifie que s’il existe une véritable différence entre ce service public et des chaînes privées. Manifestement on est, le plus souvent, loin du compte.

Il existe un aspect adolescentrique dans cette érection sociale de maîtres de morale, de consciences morales collectives. Il y a là une fuite de ses propres responsabilités. Et, un jour ou l’autre, on est sur d’être déçu.

Non pas que l’on ne puisse pas apprécier moralement tel ou tel : la gentillesse habituelle de Zidane (quand on ne le provoque pas !), beaucoup de propos écrits par Grass (et notamment sur le nazisme), etc. Mais il faut savoir qu’il s’agit là d’un aspect de leur personnalité, qui comme toute individualité comporte des aspects multiples, complexes, paradoxaux et même, sans doute, contradictoires. Il ne faut pas auréoler tel ou tel, le considérer globalement comme une saint ou une sainte car toute vision globale et unifiante d’un être humain est totalement réductrice et s’avère un jour boomerang. C’est, au contraire, en sachant qu’on ne vit pas avec des saints (et dans sa vie médiatique, et dans sa vie publique et dans sa vie privée) que l’on peut pleinement apprécier ce que chacune et chacun veut vous apporter, peut vous enrichir sur un plan ou un autre.

 

 

Je pensais également à cela en écoutant deux émissions (très intéressantes par ailleurs) de Deux mille ans d’histoire (France-Inter) consacrées à Jean-Paul Sartre. Patrick Gélinet insistait sur le fait que Sartre a été beaucoup admiré et beaucoup détesté. Pour ma part, j’ai admiré Sartre quand j’étais lycéen, je n’ai pas tardé à m’apercevoir ensuite qu’il énonçait aussi (et de façon très péremptoire) beaucoup de grosses bêtises. Je ne l’ai nullement rejeté ou détesté pour autant, même si étudiant, il m’est arrivé d’écrire un article ou, reprenant l’expression de Boris Vian, j’affirmais que « Jean-Paul Sartre est devenu pour moi Jean-Saul Partre ». A dire vrai, à son insu, Sartre est un de ceux qui m’a appris qu’il ne fallait laisser personne guider votre réflexion, qu’il fallait absolument penser par soi-même et rejeter tous les conformismes, y compris les conformismes anti-conformistes ou prétendus tels, les plus séducteurs et les plus fallacieux.

Par contre, il est intéressant de ruminer des propos de Sartre (et de bien d’autres) et d’examiner là où on est d’accord, là où on n’est pas d’accord et pourquoi. On doit penser par soi-même, mais sans jamais croire que l’on pense tout seul ! Je ne sais si vous êtes comme moi, mais les ouvrages qui m’intéressent le plus sont ceux avec lesquels je suis à moitié d’accord.

 

Parmi les grosses bêtises écrites ou dites par Sartre, il y en a une que m’a appris cette émission de France Inter : Sartre aurait dit : « Si quelqu’un me dit que la liberté religieuse n’existe pas en URSS, je lui casse la gueule ». Phrase extraordinaire, non seulement à cause de l’affirmation complètement fausse (sur ce plan, on pourrait écrire un florilège des propos sartriens) mais à cause du « je lui casse la gueule ».

C’est quand on n’a pas la maîtrise du langage, du raisonnement, quand on ne peut pas argumenter en raison, que l’on « casse la gueule » ou que l’on fait le coup de poing. Qu’un des « plus brillants intellectuels du XXe siècle » ait utilisé cette menace constitue un (pour faire savant) aveu épistémologique, c'est-à-dire une reconnaissance implicite qu’il était en train de complètement déconner (pour parler en français courant !).

Comment, avec de tels propos, peut-on admirer Sartre intellectuellement, sans être soi-même plus ou moins, pour citer une autre philosophe célèbre (le commissaire San Antonio) un « handicapé de la bulbe » ? Un des deux spécialistes interrogés dans l’émission m’a semblé être ainsi, quand il s’agissait de Sartre en tout cas : il était uniquement laudatif et célébrait son « anti-conformisme », sans se rendre compte que louer benoîtement l’anti-conformisme de quelqu’un de célèbre, c’est du conformisme. L’autre était à la fois empathique et critique de temps à autre.

Aucun des deux n’a soulevé le véritable problème : dans leurs désaccords entre « l’anticonformiste » Sartre et le « conformiste » Raymond Aron, qui s’exprimait dans Le Figaro, c’est pourtant ce dernier qui avait raison, parce que c’est ce dernier qui parlait en raison et qui intégrait dans son raisonnement l’apport de connaissance des sciences humaines.

 

Cela pose la question du statut de la philosophie en France. Celles et ceux qui transforment la laïcité en religion civile sont également, en général, celles et ceux qui ne veulent pas que la philosophie s’inscrive dans un partage intellectuel du savoir, où les démarches des sciences humaines constituent des apports. Ils et elles en veulent spécialement à la sociologie et parlent du passé sans connaître les études historiques sérieuses, car intégrer la sociologie et la recherche historique les obligerait peu ou prou à prendre une certaine distance avec leur dogmatisme essentialiste.

 

Autant la philosophie est une discipline précieuse autant elle ne peut pas prétendre aujourd’hui se confondre avec la réflexion. Et c’est trop souvent une confusion française. Quand vous dites cela, on vous rétorque souvent : « mais, Monsieur, MOI j’ai appris à réfléchir en classe de philosophie » (comme si les autres matières n’induisaient pas à réfléchir). Et 9 fois sur 10 vous avez la langue qui vous démange : seule la politesse vous empêche de répondre : « Justement, vous voyez bien le déplorable résultat » !!!

 

 

Commentaires

Bien d'accord avec vous sur les méfaits du piédestal.
Il se trouve que j'éprouve aujourd'hui un peu plus d'estime tant pour Zidane (dont le geste, au mépris de son "image", a révélé un grave dysfonctionnement du jeu sur lequel tous les autres se taisent, faisant leurs coups en douce) que pour Grass (qui n'est sans doute devenu un si grand écrivain qu'en faisant tourner le moteur secret que constituaient ce secret et cette souffrance intérieure).
Est-ce parce que je n'ai pas appris à réfléchir en classe de philosophie ? bah, peu importe.
"On doit penser par soi-même, mais sans jamais croire que l’on pense tout seul", ça, c'est une phrase importante. Je vous remercie de l'énoncer si clairement et vous souhaite une bonne rentrée !

Écrit par : Berlol | 23/08/2006

Zidane aurait donc chuté ! Méconnaisse-vous à ce point les réalités des banlieues pauvres ? Ne sautez pas trop vite vers des conclusions hâtives...Bien au contraire dans certains milieux n'at-il pas définitivement restauré une image érodée par les succès médiatiques...Le loup n'a pas été apprivoisé

Écrit par : jc | 01/09/2006

Que la laîcité consiste à ce que socialement il n'y ai ni Dieu ni maître me semble évident et je pratique cette approche depuis longtemps. Ainsi, entre autres, lorsqu'il y a 25 ans j'avais rencontré Elton John qui s'était arrêté aléatoirement avec Jonnhy Halliday à bord de leur voiture prototype "Olympio" (nom inspiré de Victo Hugo) sans plaque d'immatriculation le long d'une route bretonne non loin de Pleumeur Bodou ( où se trouve la première station de télécommunications spatiales avec les Etats-Unis) pour rencontrer l'inconnu que je suis toujours, je lui avait proposé après lui avoir parlé d'Arpanet, de la NSA et de Thimoty Leary (l'auteur de "chaos et cyberculture" qui fût le maître de Bill Gates et de son empire microsoft), d'intervenir mondialement à la télévision pour présenter (ce qu'il fit peu après) l'ordinateur futur sur lequel il branchait un aspirateur qui lui servait de gratte dos, tandis qu'il pouvait y lire les journaux du jour du monde entier, pouvait écouter toutes les radios de la planète, y composait sa musique, l'ordinateur jouant tout un orchestre, tout en préparant aussi un café (le service en plus). Déclarant alors "je suis génial avec ça", il se piquait, se roulait sur une table en étant pris d'une crise de folie, perdait ses dents, etc... Il s'agissait de présenter en enlevant le piedestal l'ordinateur multimédia désormais en vente partout avec internet, un système tout à fait libertaire qui n'appartient à personne. Quant à Jonnhy Halliday il écopa de deux nouvelles chansons : "Diego libre dans sa tête" et "Requiem pour un fou". Laïque... non ?

Écrit par : Rocambolesque | 05/09/2006

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