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28/08/2011

Pour une laïcité médiatique: méfiez-vous de la saison trois de "L'affaire DSK".

Je ne sais si je suis féministe, j’aurais trop peur, en prétendant l’être, de me faire illusion sur moi-même. Mais l’aboutissement (certes peut-être provisoire vu la plainte déposée en France) de l’affaire DSK me laisse un goût un peu amère. Car je ne suis pas du tout  sûr que ce qui s’est dit, à cette occasion, ait été énoncé assez fort pour faire partie désormais de la culture commune.

Je ne reviens pas sur les faits eux-mêmes. Je crois que tous les internautes qui surfent sur ce Blog auront compris qu’une relation sexuelle aussi rapide, entre deux personnes qui ne se connaissaient pas auparavant, et au vu de ce qui a été médicalement constaté ensuite, a vraiment fort peu de ‘chance’ d’avoir été une relation consentie.

Mais cela, nous nous en doutions depuis le début, non?

 Plus neuf, sans doute, a été ce qui a été dit lors de quelques émissions télévisées (C dans l’air, etc) sur l’état de sidération dans lequel  le viol met sa victime, et l’incapacité dans laquelle elle se trouve ensuite de présenter les faits tels qu’ils se sont passés. Cela a pu jouer dans l’affaire du Sofitel. Cela joue, de toute façon, dans beaucoup de cas.

 Je savais un certain nombre de choses sur le viol, notamment la difficulté des victimes, dans bien des cas, de pouvoir prouver l’agression qu’elles ont subie, j’avais aussi une idée de l’aspect humiliant des vérifications qui doivent être faites,… en conséquence le faible pourcentage des plaintes, et le pourcentage encore plus faible des condamnations n’est pas pour m’étonner.

 En revanche, je n’avais pas vraiment conscience (et je ne dois pas être le seul, loin de là) du trouble que le viol induit souvent dans la mémoire elle-même. Et de l’handicap supplémentaire qui en résulte pour les victimes. Celles-ci ne vont pas être crues, puisqu’elles vont varier dans leur récit, ne seront pas en mesure de donner des indications totalement cohérentes.  Deux logiques divergentes vont jouer : celle liée au  vécu des victimes et celle de l’institution judiciaire.

 Mais, rappelez-vous, l’affaire DSK, a été également l’occasion d’apprendre des choses, notamment sur le machisme parlementaire (j’ai consacré une note à ce sujet, à partir d’un enquête du Parisien-Aujourd’hui en France)

 Pour moi, comme pour beaucoup  d’autres, l’affaire DSK aura donc été l’occasion d’en savoir plus sur le crime de viol. Mais aussi d’avoir mon attention, et donc un peu de réflexion, fixée sur les spécificités de ce crime.  C’est important car si nous savons, en fait, énormément de choses, nos différents savoirs ne sont pas du même ordre. Dans la société dans laquelle nous vivons, le rapport le savoir que nous possédons a tendance à être élastique. Je veux indiquer par cette métaphore,  deux types divergents de savoirs par rapport à notre vie concrète, que  la société dominante tire au maximum pour les éloigner l’un de l’autre.

 Le premier est un rapport froid au savoir, au niveau collectif s’entend (je ne parle pas ici des militant-e-s de la cause des femmes, ou d’autres causes). Exemple de ce rapport froid : depuis longtemps, savoir que le nombre de viols réprimés est petit par rapport au nombre de viols commis, comme savoir, depuis longtemps,  que les médicaments ont des effets secondaires indésirables, etc. Que l’un et l’autre font de nombreuses victimes.

 Mais tant que vous n’êtes pas touchés, qu’un de vos proches n’en est pas victime, vous n’y accordez qu’une attention assez distraite. On ne peut vivre en se préoccupant, à chaque instant, de toutes les blessures du monde. Ce savoir-là est donc habituellement en sommeil, savoir passif logé dans un petit coin de votre cerveau. Il a peu d’incidence sur votre vie quotidienne, votre vie sociale. C’est donc aussi un savoir atrophié.

 Et puis, existe un savoir chaud,  un savoir activé pourrait-on dire. Un aspect de la réalité sociale où la communication de masse attire en boucle, de façon constante, votre attention.  Et elle le fait de telle manière que vous ne pouvez qu’en être imprégné, qu’accorder de l’importance à cette question, quelle que soit la position que vous prenez, et l’importance réelle que personnellement vous lui accordez. Ainsi depuis des années, on  nous bassine avec les femmes trop vêtues (trop, par rapport aux critères de la consommation de masse). On fait un problème obsédant de ce qui pourrait n’être qu’un aspect du pluralisme vestimentaire des sociétés modernes. On tente de vous duper.

 Mais, bien sûr, il y a des savoirs activés de façon quasi permanente qui correspondent à des questions plus importantes : les crises économiques et financières, les problèmes de réchauffement climatique, d’épuisement de l’énergie fossile, etc. Même là, il faut être très attentif à la façon dont vous présente les choses, pour ne pas être dupé.

 Parfois, il faut une affaire : DSK, le Médiator,… pour qu’un savoir froid puisse devenir un savoir activé,  passer d’un bout à l’autre de l’élastique. Nous sommes tous devenus fondamentalement des médiaspectateurs. Nous appréhendons le réel principalement à travers un médiaspectacle. C’est cela qui retient notre attention, et qui imprègne beaucoup de nos réflexions.

 Il y aurait beaucoup à dire, sur la construction médiatique de ces affaires. Pour l’affaire DSK, j’ai relevé (avec d’autres) à quel point elle ressemble à une série télé, qui, tel le Zorro de la chanson d’Henri Salvador, passerait en  même temps sur toutes les chaînes. Et je ne suis pas contre le fait que qu’on l’ait, à un certain niveau, vécu ainsi. A plusieurs reprises, j’ai tenté d’expliquer dans ce Blog que le fun, l’amusement superficiel, font aussi partie de la vie. L’important c’est que le fun ne devienne pas votre maître. Que l’amusement superficiel joue dans votre existence le rôle nécessaire du repos, sans nuire à l’indispensable travail que demande une réflexion un peu personnelle.

 Et, dans l’affaire DSK, comme dans d’autres, le problème essentiel est que l’attention que l'événement a permis sur le crime de viol  risque de n’être que temporaire (sur les femmes dites trop habillées, on s’arrange pour que cela soit d’actualité de façon quasi permanente). On peut toujours se demander alors  si le savoir ne va pas redevenir désactivé, vite fait.

 Un savoir sagement rangé dans un petit placard, pour ne pas troubler notre quiétude. La vie reprend son cours, n’est-ce pas ! Et pour qu’elle puisse reprendre son cours COMME AVANT (là est le piège),  on déplace la question. C’est ce qui est en train de se passer avec l’affaire DSK : depuis 3, 4 jours, l’attention médiatique s’est déplacée. Le problème n’est plus de savoir s’il y a eu viol et ce que cela signifie, mais de savoir quels vont être les effets du retour de DSK en France sur la campagne électorale, et notamment si ce retour va gêner les socialistes.

 La série télé, « L’affaire DSK » a eu comme saison 1 : Il est coupable ; comme saison 2 : La victime a menti. Et maintenant, la saison 3, c’est : Le retour de DSK ou DSK : le retour, comme vous voulez. Ce feuilleton va passer en différents épisodes, toute l’année 2011-2012. Profitez des rebondissements de l’action ,si vous le souhaitez, mais méfiez-vous d’un acquiescement au premier degré de ce que l’on vous fera voir.

 Je ne dis pas que cet aspect des choses (DSK comme trublion de la campagne électorale) soit négligeable (on peut compter sur Sarkozy pour tout faire pour l’exploiter au maximum). Je dis seulement que, comme des moutons de Panurge, nous sommes en train de suivre la voie que l’on nous trace : ne plus avoir la préoccupation active du viol, pour  fixer  notre attention sur les conséquences de l’affaire quant à l’échéance présidentielle. Or le second aspect ne doit surtout  pas nous faire oublier le premier. Il doit y avoir un avant et un après DSK. Tout ce que nous avons appris alors, tout ce qui a été dévoilé et se trouve habituellement masqué, doit désormais faire partie de notre mémoire. Sinon la superficialité nous gouverne.

Sinon, nous sommes sous l’emprise d’un cléricalisme médiatique. Nous ne vivons pas la laïcité dans notre vie quotidienne. Car, comme l’écrit Claude Nicolet (L’idée républicaine, p. 499 ss.), la laïcité est « à la fois une institution collective (c'est-à-dire une organisation de l’Etat…) et une ascèse individuelle, une conquête de soi sur soi-même ».  Il faut lutter « au plus intime de la conscience », contre tout ce qui incite au « renoncement à avoir une opinion à soi (…) pour se fier à une vérité toute faite ».

 C’est ce que Nicolet nomme la laïcité intérieure. Mais on pourrait parler aussi de laïcité face au cléricalisme médiatique, pour mieux montrer l'interaction de l’individuel et du social. Nicolet parle d’ascèse et de renoncement. Je serais plus dialectique : non seulement cela n’empêche pas d’avoir le droit, de temps à autre, à la superficialité (c’est pour cela aussi que je vous ai parlé de Lady Gaga !), mais sachez que dans la « conquête » d’une pensée personnelle, se niche aussi beaucoup de plaisir.

D'ailleurs, vous avez certainement l'expérience d'une telle jouissance. L'éprouver de plus en plus est tout le mal que je vous souhaite.

 

 

 

 

 

 

 

20/08/2011

Le monstre doux: La redif. de l'été!

De quoi parler cette semaine, se demande de Baubérot de votre coeur?

Ce ne sont pas les sujets qui manquent entre le pape qui s'aperçoit que la laïcité n'est pas une "exception française", malgré ce que lui avait indiqué un philosphe rrrrépublicain; Bachar qui continue à réprimer à tout va, la crise financière qui devient critique (c'est bien le moins pour une crise!), etc, etc.

Mais voilà, je suis en plein dans la rédaction d'un nouveau livre et j'ai envie de laisser le pape à son destin (s'il avait lu et suivi mon interview imaginaire,...), le despote à sa chute (du moins on espère), et les milliardaires à leurs paradis fiscaux.

J'ai trouvé mieux: faire comme le service public de radio-télé: une rediff! Oui la rediff d'une Note dont je suis assez content (toujours modeste, avec ça) parce qu'elle a été écrite avant les Révolutions arabes et que celles-ci ont montré la validité de mon "dialectisons camarade" et des "réstances multiformes" annoncée (elles ont même utilisées les nouvelles technologies!), bref, pour l'essentiel, je suis toujours d'accord avec ce que j'ai écrit il y a un an (je signalerai juste un point d'évolution au passage). Et je trouve utile de réattirer l'attention sur l'ouvrage de Simone, au moment où la camapagne électorale prend ses marques.

(comme quoi, on trouve toujours à se justifier à postériori!!!)

Sauf imprévu qui m'inspire, la prochaine Note sera consacrée à un ouvrage très important de l'anthropologue américain John Bowen, L'islam à la française, qui va paraître le 24 août aux éditions Steinkis.

En attentant, voilà la rediff:

Le monstre doux, L’Occident vire-t-il à droite ?  de Raffaele. Simone (Gallimard, 2010)

La perspective de Simone consiste à analyser les conséquences du développement d’une culture globale de masse « despotique », désormais au pouvoir dans les démocraties occidentales. Il lui applique la prévision faite par Tocqueville :

 « Si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques (…), il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. »

Pour Simone, on y est : nous nous enfonçons de plus en plus dans les mailles du filet d’un « despotisme culturel moderne » où la politique, l’économie et la guerre s’effectuent à travers une « culture de masse, gouvernant les goûts, les consommations, les plaisirs, les désirs et les passe-temps, les concepts et les représentations, les passions et le mode d’imagination des gens

Le Monstre doux est un nouveau souverain absolu ne dominant plus les humains de façon sacrale, verticale, mais capable de se placer «à côté de chacun d’eux pour le régenter et le conduire » (Tocqueville). Ce souverain absolu, précise Simone, est une « entité immatérielle et invisible » constituée « par tout ce qui gouverne la culture de masse de la planète. »

Il dégrade les humains sans les faire souffrir et « ne brise pas les volontés mais les amollit, les plie et les dirige » (Tocqueville, toujours).

Actuellement en Occident, nous dit Simone, « d’énormes masses dirigées de façon [politiquement] diverse sont conduites à une consommation incessante (…), à la bonne humeur et au fun forcé (…), à la soumission parfaite plutôt qu’à la pratique de la liberté. » A part la « soumission parfaite » (j’y reviendrai), je pense que ce diagnostic est pertinent. Simone est loin d’être le seul à le faire mais, nous allons le voir, il le systématise. Surtout, au lieu de relier cela très vite (comme le font des analyses de gôche classiques) à une domination économique capitaliste, sans nier le lien, Simone explore la consistance propre de cette domination culturelle.

Il ne la traite pas en superstructure, mais en structure aussi importante que le politique et l’économique et dans une relation d’interaction avec eux.

Retenons, pour le moment une originalité : se situant dans la filiation de Tocqueville et de la philosophie politique libérale, il envisage cela comme un pouvoir absolu (donc indu), une sorte de nouveau totalitarisme. Car il ne faut pas se tromper d’époque : certes il existe des hiérarchies verticales, des dominations dues à des traditions, des institutions, des leaders charismatiques, mais ces dominations sont de plus en plus surdéterminées par une domination d’un nouveau type et que beaucoup ne veulent pas vraiment voir : le « mimétisme social ». Prolongeant et articulant ensemble des études plus spécialisées, l’analyse de Simone comporte différents paramètres

ndiquons en deux :

Le «temps libre » comme « temps captif » où il n’existe plus guère (Simone écrit « aucun ») d’espace « qui ne soit pénétré par un facteur de fun spectaculaire qui peut être représenté par une variété d’objets, typiquement par un écran. » Différents lieux (villes, sites naturels, réserves, pays même) se trouvent transformés de façon à accueillir des touristes et des « non-lieux » sont créés comme espaces de sociabilité-consommation. Il est fait violence à la nature, « au nom du fitness et du fun. »

Un autre paramètre est l’affaiblissement entre la « réalité » et la « fiction » : ainsi guerres et catastrophes peuvent être vues comme des spectacles. Elles tuent ceux qui s’y trouvent, mais « ne font pas de mal à celui qui les regarde », sauf… une transformation insidieuse de sa personne.

Dans son ouvrage sur La société du spectacle (écrit en 1967 !) Guy Debord avait déjà émit l’idée que l’ubiquité des images transforme les choses en ‘choses-à-voir’ :« La réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel (…). Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Et Debord de conclure par une hypothèse dont on a pas finit de percevoir la pertinence : «Le spectacle est l’idéologie par excellence. » Simone actualise le propos : « la propension à se faire-voir, à se-faire-regarder (…) augmente démesurément avec le développement du paradigme de la caméra ubiquiste. » L’exacerbation du voir, la multiplication des écrans, qui de plus en plus peuvent nous accompagner partout, la « spectaculaire dilatation de la vision » et « l’inondation de technologies de la vision » induit une modification de l’éthologie et de l’écologie modernes.

 Au passage, Simone montre qu’Hannah Arendt s’est trompée quand elle a écrit que la vision « instaure une distance de sécurité entre sujet et objet. » Il se développe maintenant une « techno-vision » qui annihile tout « effort d’interprétation » et aboutit à une « herméneutique de degré zéro ».  Des événements et des faits sont produits « à la seule fin de les faire voir »  On aboutit à des « communateurs ontologiques ».

C’est dans ce contexte que la gauche occidentale « s’édulcore avant de fondre » (cf ; le sous titre « L’Occident vire à droite »). Elle a considéré la culture de masse « comme marginale » par rapport à ce qu’elle a présupposé être le « vrai pouvoir » : le pouvoir politique et le pouvoir économique. De plus en plus aujourd’hui, elle doit passer sous les fourches caudines de ce « despotisme culturel ».

 Tout cela est passionnant. Je ne peux, pour ma part, que boire du petit lait car Simone analyse magnifiquement ce que j’avait tenté de dire, malhabilement, à Claude Lefort, en 1996, et que celui-ci, tout bon philosophe qu’il était, avait, abruptement, refusé d’entendre (cf. la Note du 7 octobre sur la mort de Claude Lefort). Ce n’est pas pour rien qu’une catégorie du Blog depuis sa création s’intitule « La douceur totalitaire », c’est donc une perspective dans laquelle je m’inscris.

Pourtant j’ai trouvé aussi cet ouvrage quelque peu énervant pour une raison de forme et une autre de fond.

La raison de forme peut décourager la lecture : il faut attendre 80 pages pour que le livre prenne vraiment son envol : les 1érs chapitres sont consacrés à une évaluation du déclin de la gauche et de la montée d’une nouvelle droite.

Certes, les considérations sur l’Italie sont bienvenues : Berlusconi et l’évolution de la situation italiennes sont effectivement typiques des aspects politiques du « Monstre doux » ; Mais il y a aussi des généralisations hasardeuses et parfois carrément hors sujet.

 [ajout de 2011: c'est peut-être là que j'ai un peu changé: si je relisais l'ouvrage maintenant, je me poserai davantage la question: Simone n'a-t-il pas raison en indiquant que la gauche se renie elle-même en en cédant trop au "monstre doux"?]

La raison de fond est plus intéressante. Un livre qui vous donnerait entière satisfaction serait dangereux, tel un cobra qui vous fascine. Un léger énervement est, au contraire, productif, puisqu’on se dit : pourquoi ne suis-je pas complètement d’accord ? Comme toujours quand on construit une problématique neuve, quand on décrypte et dénonce à la fois, Simone accentue parfois le trait, se montre quelque peu unilatéral. Dialectisons, camarades, dialectisons !

Nous allons envisager 2 points : le conflit, la réalité. Simone ne parle pas du conflit, le prend-il en compte ? Il ne l’ignore pas, au niveau de la planète et a quelques pages fortes sur l’enjeu que représente la représentation du corps des femmes.

« Le corps féminin, en Occident, nous dit-il, est l’emblème des choses-à-voir » et « son exhibition continue et sans retenue constitue l’un des pivots de la modernité du Monstre doux », alors que c’est le contraire dans la « culture islamique ».

Mais, à le lire, l’Occident apparaît comme un espace où le conflit a été structurellement évacué. Le Monstre doux règnerait sans partage.

Pourquoi ? Parce que, si on suit Simone, ce Monstre doux aurait capté la réalité dans le fictionnel, qui serait, à la fois, du « fictif » et du « faux »: « Le réel se déréalise de plus en plus en une sorte de sinistre jeu vidéo généralisé, son ossature se décalcifie dans une sorte d’ostéoporose ontologique »

Il est possible de contester Simone par Simone lui-même : en effet, il nous affirme aussi (parlant de l’hypertrophie du voir) : « L’œil est un organe sectoriel » Il « permet, en isolant le contexte extérieur de la chose-vue, de faire comme ce dernier n’existait pas ». De même « l’objectif cadre, en ignorant le reste. »

 OK, mais cela signifie précisément que la caméra ubiquiste cadre, isole, hypertrophie un pan de la réalité pour la mettre en scène comme actualité, en ignorant le reste de la réalité. Ce reste disparaît du champ de vision, mais existe néanmoins, et peut même s’avérer boomerang !

 Pour dire les choses autrement : la réalité publique est effectivement phagocytée par la caméra ubiquiste, la réalité privée existe toujours, avec ses joies, ses routines, sa dureté, sa cruauté parfois.

 Vous me direz : mais non, la camera ubiquiste abolit, au contraire, la frontière public-privé. Je ne suis pas d’accord : elle peut rendre tout à coup public quelque chose qui était privé, en le transformant en « fait d’actualité » par une mise en scène, ce qui est bien différent. Il me semble qu’en fait le Monstre doux a privatisé la réalité : il n’existe plus de réalité publique car, la réalité publique, c’est « l’actualité ».

 Et l’actualité, ce n’est pas la réalité : elle doit, effectivement être fun, « sexy », spectaculaire, « simplifiée » (en fait déformée), bref obéir aux lois de la chose-à-voir, et non plus à celles du réel.

 C’est pourquoi, je m’intéresse à l’actualité, représentation collective dominante de notre société, mais je n’en crois rien. Ou du moins je m’efforce d’en croire le moins possible.

 Plus je suis agnostique par rapport à l’actualité, plus je me libère. Même si, comme l’écrit Simone : « La liberté est coûteuse »,  Et comme la culture a horreur du vide, tenter de me libérer me conduit à travailler beaucoup pour pouvoir percevoir, interpréter, décrypter, un petit pan de réalité, de cette réalité privatisée et médiatiquement invisible. Ne pas être dupe.

Le conflit n’est pas absent, il s’est dédoublé. D’un côté il s’est déréalisé dans la mise en scène qu’opère sa médiatisation. On s’exprime, on défile, on se bat, on négocie en fonction de la caméra qui filme et enregistre. Et cela fait spectacle.

Mais restent tous les aspects conflictuels de la réalité privatisée, celle que l’objectif n’a pas cadré. La réalité n’est pas abolie pour autant, car si elle n’existe pas dans l’instant médiatique, elle a des conséquences dans le temps historique.

Bien sûr, encore une fois, toute réalité est susceptible de se muter, se déréaliser en actualité : l’ipod met à la portée de beaucoup cette transsubstantiation cathodique. Mais la réalité est inépuisable, elle déborde de partout. Et puisqu’on cadre, on en laisse toujours plus que l’on en saisit.

La morale de cette histoire est à la fois pessimiste et optimiste.

 Pessimiste, car effectivement, des décideurs politiques aux simples individus, la tendance dominante est de se conduire selon l’actualité et non selon la réalité. C’est pourquoi personne ne maîtrise plus grand-chose.

Optimiste, car, aussi gourmand soit-il, le Monstre doux ne peut digérer toute la réalité et donc, comme les autres totalitarismes, on peut raisonnablement espérer qu’il se heurte, et se heurtera, à des résistances multiformes.

 

 

 

 

 

 

13/08/2011

Brêves de comptoir... laïques

Aller, c'est l'été, laissez-vous aller... C'est une  valse? Non ce sont les brêves de comptoir du Blog.

La société de la com. de masse favorise les personnes qui pêtent plus haut que leur QI.

L’ignorance partagée permet d’éviter le ridicule (cf. les idioties sur la laïcité, entre autres).

On ne dit plus des sourds, mais des mal-entendants ; on ne dit plus des aveugles mais des mal-voyants, alors pourquoi dit-on encore des « philosophes républicains » au lieu de dire des mal-comprenants ?

Sarkozy a réussi le prodige de nous faire regretter Chirac. Pitié ! J’espère que jamais  nous aurons Copé qui nous ferait regretter Sarkozy

(Brève de comptoir entre intellos) : « T’as tout faux dans ton dernier article sur Ricœur. Si t’avais écouté le discours de Sarko à l’inauguration du fond Ricœur, t’saurais que ce dernier « a fait sa thèse sur le philosophe Hursell » (authentique). J’te parie que tu ne connais même pas ce philosophe. C’est pourtant un phénomène ! »

Monsieur Pichu fait les courses du ménage (c’est un « souchien » donc, par définition quelqu’un de très émancipé, féministe, et tout et tout) et il discute, à son retour, avec Madame Michu : « Figurez-vous que j’avais trouvé un très bon boucher. Il vend de la viande hallal qui est excellente et pas chère. Mais voilà, je viens je viens d’apprendre que ce boucher est musulman ! »  

Déclaration presque pas imaginaire de François Fillon : « je suis un incompris, ma déclaration contre Eva Joly, le 14 juillet, mon attaque contre une Française d’origine norvégienne, c’était juste pour mettre de l’égalité dans la xénophobie ».

Si Ségolène Royal avait été élue, en 2007, qui aurait gardé les gosses demandait Fabius ?  Si jamais  Martine Aubry est élue en 2012,  Fabius sera-t-il la première dame ?

 Pour l’UMP une femme ne peut porter un foulard lors des sorties scolaires, alors que dans les années 1950, peu après que la laïcité ait été mise dans la Constitution,  le chanoine Kir siégeait en soutane à l’Assemblée Nationale ? Oui, mais c’était un chanoine. C’était donc déjà un hommage à Sarkozy ! (Chanoine du Latran NDLR)

Pour Rousseau, l’homme  est naturellement bon et c’est la société qui le corrompt, pour le Baubérot de votre cœur, l’être humain est virtuellement intelligent, mais la société exige de lui d’être un peu con(formiste).

Et, pour finir en beauté, cette déclaration presque pas imaginaire de Marine Le Pen : "Désormais, dans le FN recentré,  tous les être humains sont frères et  il est formellement  interdit d’être raciste envers ses frères inférieurs. »

 

 PS plus sérieux: Lutter pour le droit de mourir dans la dignité ne signifie nullement vouloir qu'un médecin tout seul puisse décider de la vie et de la mort des gens malades et très âgés. C'est précisément l'absence de loi satisfaisante qui favorise ce genre de pratique délictueuse.

 

 

 

 

 

07/08/2011

Benoît-ï-Lama XVI sépare le temporel et le spirituel

Vous êtes de plus en plus d’amoureux du Blog (on peut fantasmer !) : juillet est d’habitude un « mauvais » mois pour sa fréquentation, pour cause de plages et de bronzettes. Eh bien, les chiffres parlent, comme disent les « experts » (pas Miami) : 4034 visites en juillet 2009, 9031 en juillet 2010 et 14678 en juillet 2011.

Vous connaissez les « Interviews presque imaginaires » du Canard Enchainé. N’ayant rien à ajouter  que vous ne sachiez déjà sur les sujets graves qui font l’actualité actuellement (dramatique répression en Syrie ; enlisement en Lybie : Bravo BHL d’avoir entraîné la France dans cette galère !; capitalisme financier qui poursuit sa chute et nous entraine avec lui;…), j’ai décidé de copier honteusement le Canard, et de vous livrer l’interview imaginaire de Benoît-ï-lama XVI.

Comme le chantait autrefois la belle Françoise Hardy (eh oui, mes goûts musicaux ne se limitent pas à Lady Gaga, même si c’est elle la plus gaga-i-ssime ![1]) : « Etonnez-moi, Benoît ». Il nous a effectivement étonnés ! Jugez plutôt:

Le Monde (mardi 2 août) a interviewé le dalaï-lama  qui a décidé de « séparer les fonctions de chef politique et de dirigeant religieux tibétain » et de ne  conserver que la dernière.

 Eh bien, pour ne pas être en reste Benoît-ï-lama XVIa décidé de faire pareil. « Il est temps que je prenne ma retraite politique pour ne plus être qu’un chef spirituel » a déclaré  le saint Père à l’envoyé spécial permanent du Blog au Saint-Siège.

Mais au-delà de votre personne, vous bouleversez l’institution catholique ?

Benoît-ï-lama XVI : Je l’espère bien. Il s’agit pour moi de mettre un terme à une institution qui date du VIIIe siècle, quand Pépin-le-Bref a délivré Rome des Lombards, et a attribué au pape d’alors, Zacharie, les territoires conquis[2].

Ce fut une double erreur puisqu’à partir de ce moment non seulement le pape a cumulé des fonctions politique et religieuse, mais la France a été considérée comme « la fille aînée de l’Eglise ».

Il est temps de mettre un terme à tout cela, pour obtenir la « saine laïcité » dont parlent les discours ecclésiastiques, et cela dans l’intérêt de l’Eglise catholique elle-même.

Pourquoi ?

Benoît-ï-lama XVI : Comme l’indique mon éminent collègue le Dalaï-lama « Il est archaïque qu’un pays soit dirigé par un chef religieux. La meilleure manière de diriger un peuple est la voie de l’élection. (…) Et je pense que ma fonction, débarrée de son autorité politique, peut être plus utile sur le plan religieux. »

Mais l’Etat du  Vatican est un tout petit pays,…

Benoît-ï-lama XVI : Justement, ou  il est particulièrement ridicule de la part du chef spirituel de centaine de millions de personnes de vouloir persister à être le chef d’Etat du plus petit pays du monde, ou cela cache une autre ambition, celle de jouer la confusion du politique et du religieux, d’être dans une volonté de puissance qui n’a rien n’a voir avec la déréliction d’un crucifié.

C’est, naturellement, du second cas de figure qu’il s’agit. Cette confusion permet, entre autres, de faire pression dans un sens rétrograde à l’ONU, en s’alliant avec des pays semi-théocratiques comme l’Arabie saoudite.

Croyez-vous que si je suis considéré comme un chef d’Etat honoré, que si le nonce apostolique est le doyen des ambassadeurs dans un pays en apparence laïque comme la France, tout cela serait dû à l’étendue du territoire que je gouverne ? Soyons sérieux.

Justement, quelles vont être les conséquences en France ?

Benoît-ï-lama XVI : Eh bien, pour en rester au nonce apostolique, savez-vous qu’il assiste es-qualité au « dialogue institutionnel » mis en place depuis Lionel Jospin entre l’Eglise catholique en France et le gouvernement ?

C’est, bien sûr, une intrusion scandaleuse du représentant officiel d’un chef d’Etat étranger, qui serait vivement dénoncée s’il s’agissait de l’islam. Cela ne pouvait donc durer.

Effectivement,.. 

Benoît-ï-lama XVI (interrompant) : Vous comprenez bien que les évêques français qui constituent la délégation ne peuvent dire le fond de leur pensée, en présence du nonce. Je surveillais ainsi politiquement des libres citoyens d’un autre pays que le mien. Je n’en dormais plus la nuit.

Mais comment l’idée de séparer le politique et le religieux vous est-elle venue ?

Benoît-ï-lama XVI (inquiet) : C‘est off, vraiment off.

Oui bien sûr, je vous le promets, c’est off. [eh oui, le Blog est contaminé par la déontologie médiatique!]

Benoît-ï-lama XVI : C’est le résultat de mon entrevue avec Lady Gaga. Je l’ai reçue quand elle est venue à Rome pour la Gay Pride. C’est un sujet sur lequel je pense que l’Eglise catholique doit évoluer. J’ai estimé qu’elle pouvait être de bon conseil.

Nous avons beaucoup parlé. Elle m’a expliqué qu’elle était la marraine de Zarachy (rien que ce prénom, cela a déjà fait tilt !), le fils de sir Elton John et David Funrnish. Elle m’a dit à quel point « c’était chou » (je répète son expression) d’être la mère substitutive de ce bébé.

Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Mais je lui ai répondu : « Il m’est absolument impossible, comme chef religieux, de cautionner le mariage homosexuel. » Elle m’a rétorqué : « Mais, Saint Père, personne ne vous le demande. Vos prises de position spirituelles ne regardent que vous. Nous souhaitons simplement que vous cessiez toute pression politique à cet égard. »

Et la Lady a continué : « Ne trouvez-vous pas que cela aboutit à d’insupportables paradoxes : la France, pays qui se veut laïque, interdit le mariage homosexuel, alors que l’Angleterre, où il existe une religion établie, l’autorise depuis 2005, date à laquelle Elton John a épousé David Funrnish, justement. »

Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! La solution était, bien sûr, dans la séparation entre pouvoir temporel et autorité spirituelle.  Comme dit le prophète d’une religion sœur : « Pas de contrainte en matière de religion » et donc pas de contrainte au niveau des références morales religieuses.

Croyez-le ou pas, l’interview s’est terminée en écoutant et visionnant ensemble un clip de la célèbre chanteuse. Oh oh oh oh, oh oh oh oh…..

 PS: Pour Mathilde: Non, malheureusement, je ne passe pas pas par les Vosges cette année. Mais ce n'est peut-être que partie remise.

  

 



[1] L’interview va vous en apporter la preuve.

[2] Benoît-ï-lama XVI a trouvé cette précision dans l’excellent petit « Librio » de votre humble serviteur : Petite histoire du christianisme, le meilleur tirage -plus de 110000 exemplaires- de tous ses livres. Et en plus, il s’en vante !