Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/06/2009

LE "DERAPAGE" D'ELISABETH BADINTER

 

D’ici 3, 4 jours, je vous donnerai la fin de la Note sur l’ouvrage de Mona Ozouf : Composition française. Sa seconde partie s’avère de grande actualité au moment où se met en place une Commission parlementaire sur la dite burka.

Mona Ozouf, je le rappelle, donne une remarquable synthèse (dans cette 2ème partie) de ses travaux sur le républicanisme.

Et la Commission ferait bien de réfléchir de façon critique (au sens de la critique historique) sur le républicanisme français, avant de foncer dans un fondamentalisme républicain.

 

Mais tout de suite, je voudrais PROTESTER vigoureusement devant des propos inacceptables que j’ai entendus hier soir à l’émission Mots croisés de France 2.

Vive le débat démocratique, et il est normal que des opinions très différentes sur la dite burka s’expriment. Là n’est absolument pas le problème.

 

Mais, par deux fois, Elisabeth Badinter a déclaré que les femmes qui portent la burka n’ont « plus rien d’humain ». Si ce propos déniant l’appartenance à l’humanité à des femmes n’est pas raciste, j’aimerais que l’on m’explique ce que c’est que le racisme.

.D’ailleurs Dominique Voynet, qui est partisan d’une loi, l’a relevé  et l’a heureusement contesté. Mais l’animateur aurait du le faire.

E. Badinter m’a rappelé Georges Frèche traitant les harkis de « sous hommes ».

Ce genre de propos est nauséabond.

 

Quel mépris de grande bourgeoise, figée dans ses glaciales certitudes, que de prétendre que des humains ne le sont plus, à cause de la manière dont il s’habille, quels que soient les problèmes que posent cette manière.

Quel déclin intellectuel d’en arriver à de tels propos.

Je trouve cela indigne de « notre République », dont on se gargarise.

Il fallait que le dise. C’est fait.

 

Petit rappel: E. Badinter avait déclaré a propos de la loi sur la parité (avant qu'elle soit votée): "Laissons entrer le particularisme dans la définition du citoyen et nous vivrons une sinistre cohabitation de ghettos différents. Je ne veux pas du communautarisme". Depuis près de10 ans, nous vivons donc dans cette sinistre cohabitation, dont la meilleure preuve est que le taux de femmes à l'Assemblée Nationale est passée de 10% à un peu plus de 16%. Sinistre, en effet....

26/06/2009

IRAN, COMMISSION sur la BURQA

J’ai hâte de vous résumer (et de commenter) la seconde partie de l’ouvrage de Mona Ozouf (Note du 15 juin), mais l’actualité, et notamment la caution par N. Sarkozy de l’instauration d’une Commission parlementaire sur la burqa, m’oblige à retarder cette Note (et à compléter celle du 19, qui portait déjà sur la burqa).

Espérons que ce sera la prochaine Note.

D’abord un petit mot sur l’Iran. N’étant pas spécialiste de ce pays, je n’ai guère à ajouter aux très nombreuses analyses de la presse. Juste 2 choses :

 

D’abord, ce qui est arrivé confirme les analyses de Y. Courbage et E. Todd[1] sur l’existence d’un processus de sécularisation dans les pays de culture musulmane. Et sur l’islamisme politique radical comme raidissement crispé face à ce processus.

Ce processus est et sera différent de celui de l’Occident. Et, en même temps analogue. La sécularisation n’est pas la disparition de la religion, mais son individualisation, pour dire les choses très rapidement.

La délaïcisation, elle, est à l’œuvre en Iran depuis 1979, mais elle a d’autant plus pu avoir lieu qu’auparavant, la laïcisation avait été autoritaire, voire totalitaire[2]. Cependant, maintenant les masques sont tombés.

Combien de temps les Iraniens mettront-ils pour ariver se libérer ? Nul ne le sait. En 1984, personne ne pouvait prévoir que le Mur de Berlin tomberait 5 ans plus tard.

Espérons donc, malgré une situation internationale bloquée, notamment avec le gouvernement israélien très à droite. La recherche d’un compromis, entreprise par Obama, va s’avérer fort difficile.

 

Ensuite, je vous recommande, si vous ne l’avez pas encore lu, l’ouvrage de Farhard Khosrokhavar : Avoir vingt ans au pays des ayatollahs (Robert Laffont).

C’est une enquête auprès des jeunes de la « ville sainte » de Qom, donc le lieu où la jeunesse devrait être la plus dans la ligne. Or l’auteur montre remarquablement la diversité de ces jeunes, leurs doutes et perplexités. Le « désir de devenir acteur de sa vie ».

La seule critique que je ferai est qu’il ne distingue pas (comme malheureusement la plupart des sociologues) ‘sécularisation’ et ‘laïcisation’. Lire son propos en effectuant cette distinction le rend encore plus opératoire.

 

Sur la burka maintenant, voici d’abord le communiqué de la Ligue de l’Enseignement :

 

Liberté, égalité, fraternité contre burqas

« Dans un contexte de crise économique et sociale toujours plus grave, la question du port de signes religieux - non plus à l’école cette fois, mais dans les lieux publics - refait une apparition médiatique tonitruante. Nous ne nous laisserons pas distraire des vrais enjeux, mais burqas et niqabs suscitent une indignation justifiée, dans la société française.

« Les principes laïques ne conduisent pas à réglementer les tenues vestimentaires, sauf dans des cas spécifiques relevant de l’ordre public ou de la dignité des personnes. L’importation de coutumes d’Asie centrale excédant les prescriptions coraniques se distancie des pratiques courantes des musulmans de France, qui sont nombreux à s’insurger.

« Elle manifeste une coupure qu’on peut apparenter à une dérive sectaire. Cette dérive qui isole les adeptes du reste de la société ne saurait être condamnée uniquement pour les femmes qui ne doivent pas être les seules victimes des débats idéologiques. La question décisive est bien celle de l’égalité entre les hommes et les femmes.

« Mais, il est évident qu’on ne peut accepter le destin assigné à ces femmes car le port de burqa traduit manifestement une subordination et leur libre choix semble hautement improbable.

« La réponse à ce type de dérive est complexe. Si une enquête en forme d’état des lieux est nécessaire, la France ne manque pas de chercheurs compétents à qui on peut confier une mission au lieu d’envisager une issue législative débouchant sur un interdit frontal inefficace, voire contre productif car enfermant encore plus les femmes dans leur soumission.

« Une loi risque de stigmatiser une population et être attentatoire aux libertés d’autant que des dispositions existent qui peuvent permettre d’apporter une réponse ponctuelle au problème.

« La seule solution est celle qui allie la fermeté sur les principes et la constance dans le travail d’intégration à la société. Ce travail demande une mobilisation de tous les acteurs, élus, enseignants, militants associatifs, travailleurs sociaux

Cette voie est certes longue et difficile, mais c’est la seule efficace. C’est celle que propose - et met en pratique -  la Ligue de l’enseignement. »

Le 23 juin 2009. Le Secrétariat National de la Ligue de l’enseignement

 

Quelques commentaires à partir d’un large accord global :

 

Le terme de « dérive sectaire » : j’étais assez d’accord avec cette expression au tout début de la MIVILUDES. Malheureusement celle-ci, après un changement d’équipe, l’a instrumentaliser et s’en est servi comme d’un cache-sexe.

Ceci dit je suis d’accord pour dire que la burka, comme au Québec le mode de vie des juifs hassidiques par exemple[3], pose un problème difficile aux sociétés démocratiques : les personnes et les groupes qui ont fait le choix d’une manière de vie contre-sociétale.

D’un mode de vie à l’opposé des principes sur lesquels repose la société.

 

Alors que le foulard manifeste souvent une intégration distanciée, la burka entre en opposition frontale avec la société française. Contrairement au foulard, la burka désocialise puisqu’elle rend extrêmement difficile l’aspect non verbal du dialogue, empêche le fac à face.

 

Je pense à la fois, qu’une société peut légitimement émettre des limites, édicter des contraintes liées au vivre-ensemble, à ce qu’on appelle « l’ordre public » d’une société démocratique.

Et, en même temps, il me semble aussi  que ces façons provocantes d’exister posent une question à la société démocratique, que l’on aurait tort d’évacuer sans y réfléchir de sang froid.

Il n’existe pas, à ma connaissance du moins, d’enquête qui cerne globalement le problème de la burqa en France. Mais les éléments d’enquête dont on dispose, semblent indiquer que le port de la burqa est, dans un certain nombre de cas, le choix de converties à un islam radical.[4]

(ce qui,là, ne pas complètement dans le sens du communiqué de la Ligue)

Il s’agit alors, d’un changement total de la façon d’exister en société.

Par quels parcours, quel processus, à la suite de quelles déconvenues, etc, ces personnes ont ainsi totalement rompu avec leur passé, pourquoi un tel besoin de rupture, de désappartenance à la société globale ?

Je voudrais disposer d’un peu de savoir sur ce plan.

 

Je suis fondamentalement un militant des principes démocratiques. Mais pour que ceux-ci soient, précisément, des principes démocratiques et non des « dogmes » de religion civile à la Jean-Jacques Rousseau, je dois me poser des questions et ne pas être ignorant dans ma réflexion.

Ce que j’aime bien dans le communiqué de la Ligue, c’est qu’il articule une fermeté dans les principes, un constat concret (c'est encore sur des femmes que l'on tombe dessus!) et l’idée que l’on n’est pas dans la toute puissance.

Or, dans toute cette affaire, le recours incantatoire à la loi, est une façon naïve de se situer dans la toute puissance.

C’est une attitude religieuse et "contre productive".

 Au total: je dois me méfier des idées toutes faites, des stéréotypes, des pseudo-évidences sociétales, de la tendance toujours présente dans une société à se sacraliser elle-même.

Je dois réfléchir de façon rationnelle.

 

Que va faire la Commission qui se crée actuellement ?

Est-ce qu’elle va continuer les habituelles entourloupes de certaines Commissions : se contenter essentiellement d’auditionner qui bon lui semble, prétendre qu’il s’agit là d’une enquête  et rédiger un rapport à partir de là?

Ce n’est pas sérieux.

Ce n’est pas une démarche de connaissance. Cela confine même à l’obscurantisme.

 

La Commission Bouchard-Taylor au Québec a procédé autrement. Elle a disposé d’un budget qui lui a permis de diligenter des enquêtes menées par des chercheurs. Elle a passé des contrats avec des équipes d’universitaires.

Et les choses ont pu être faites selon les méthodes des sciences humaines. Et les Commissaire disposer d’un savoir d’ordre scientifique AVANT de rédiger leur rapport.

La Commission Bouchard-Taylor, pour cela, s’est donné le temps nécessaire : 14 mois.

Je suis donc inquiet quand j’apprends que, nommée en juillet (c'est-à-dire travaillant effectivement à partir de septembre), la Commission compte rendre son rapport avant la fin de l’année.

 

D’autre part, s’il y a des auditions, seront-elles télévisées ? L’expérience montre que cela favorise les stéréotypes, les propos passionnels, émotionnels, au détriment d’une argumentation raisonnée.

Là encore, lors de l’enquête que j’ai effectuée sur la Commission Bouchard-Taylor, j’ai pu faire le constat suivant : les consultations publiques faites pendant 3 mois par les Commissaires étaient télévisées. Et cela incitait les gens à des propos à l’emporte pièce.

Mais la retransmission par la télé s’arrêtait à une certaine heure, pour que les programmes habituels reprennent. Or souvent, la consultation continuait… dans un climat très différent.

L’absence de la télé permettait des propos plus nuancés, dialectiques, complexes ; une meilleure écoute entre les personnes présentes, etc.

Donc il faut se méfier de l’effet télé.

 

Bon, voilà pour aujourd’hui. On risque fort d’avoir à reparler du problème d’ici la rentrée.

Bonnes vacances[5]…. En maillot de bain, j’espère !

 

PS : Suite d’indications dèjà données : V. Geisser comparaîtra devant la Dite Commission de discipline du CNRS, le 29 juin. Les soutiens s’emplifient : Voici deux soutiens symboliquement forts en provenance des Etats-Unis, à diffuser sans réserves. Il vous suffit pour les découvrir ce cliquer sur les deux liens actifs:

NOUVEAU: deux lettres ouvertes à Mme Catherine Bréchignac, Présidente du CNRS, émanant des milieux universitaires américains: California Scholars for Academic Freedom et 47 universitaires nord-américains - 24 juin

Cf. www.estherbenbassa.net

 

 



[1] Le rendez-vous des civilisations, Seuil, 2007.

[2] Cf. P-J. Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam, Fayard, 2008.

[3] Sur les juifs hassidiques au Québec et les travaux de la Commission Bouchard-taylor (dont il est question ci après), cf. mon ouvrage : Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (l’Aube, 2008)

[4] J’ai demandé à un spécialiste de l’islam de m’en dire plus là-dessus. Je vous en ferai part.

[5] En n’oubliant pas votre Blog favori, cependant.

12:08 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (10)

19/06/2009

Projet de Commission sur le port de la burqa

Je vous renvoie à l'interview qui est parue sur le site web de Libération (le 19 juin) qui résume bien l'entretien que j'ai eu avec la journaliste, Laure EQUY. Voici le texte:

Burqa: «On ne libère pas

       les gens malgré

       eux»

INTERVIEW

Alors que le gouvernement s'interroge sur la nécessité de légiférer sur le port de la burqa, le sociologue Jean Bauberot, spécialiste des questions de laïcité, évoque la «croyance un peu jacobine selon laquelle l’Etat saurait ce qui est bon pour les citoyens».

Recueilli par LAURE EQUY

  •  Jean Bauberot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), est auteur de plusieurs ouvrages dont les Laïcités dans le monde (PUF, 2007). Alors qu'une soixantaine de députés de toutes tendances ont déposé, le 8 juin, une proposition de résolution pour créer une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab, il estime qu'il est moins question de la laïcité que de problèmes d'«ordre public», comme «la reconnaissance de l’identité de la personne que l’on a en face de soi».

 

 

Le port de la burqa dans la rue représente-t-il une atteinte à la laïcité?
L’exigence de laïcité n’est pas du tout la même à l’école ou dans la rue. Plus que de laïcité, il serait question d’ordre public dans un pays démocratique, lorsque la burqa ne permet pas de reconnaître la personne qui la porte. Elle peut alors rendre difficile l’acte social.

Mais il y a, aujourd’hui, une confusion sur la laïcité. Ses principes fondateurs, actés sous la IIIe République sont la liberté de conscience, l’égalité des citoyens devant la loi, la séparation du religieux et de l’espace public. Il s’agissait d’empêcher la domination du religieux, non son expression. On peut, bien sûr, regretter que des femmes portent la burqa mais on ne libère pas les gens malgré eux.

Les députés, derrière André Gerin (PCF), proposent d'abord la création d’une commission avant, éventuellement, de légiférer. Ne trouvez-vous pas cette démarche raisonnable?
Contrairement au voile, on ne dispose pas d’enquête sur le port de la burqa. Un débat serein, rationnel, suppose effectivement de la connaissance. Mais, depuis quelques jours, plusieurs personnes semblent trouver avant même d’avoir cherché! Evitons les déclarations à l’emporte pièce.

Une piste plausible est la co-existence de deux manières de porter la burqa: l’une subie, l’autre revendiquée. Or, je ne sais pas si le fait de voir plus de femmes en burqa dans la rue - à supposer que cette impression soit juste -, n’est pas lié au fait que celles-ci sortent davantage. C’est pourquoi, il faut être extrêment attentif et avoir toutes les données du problème: s’il y a une loi, ces femmes ne risquent-elles pas de rester recluses?

Pour l’une et l’autre de ces démarches, subie ou revendiquée, faut-il passer par une loi?
Dans le cas où le port de la burqa est subi, un dispositif d’aide sociale pour accompagner vers l’autonomie paraît peut-être plus approprié. Il s’agirait plutôt, a priori, d’un travail d’antenne.

Pour les femmes qui revendiquent le port de la burqa, je crois que c'est l’évolution du rapport actuel entre démocratie et islam qui peut modifier les choses. C’est moins un problème de laïcité que de sécularisation. Les changements internes à une religion sont liés à une dynamique sociale, à un climat général, pas à une approche autoritaire.

Si la burqa est une manière de retourner le «stigmate» (lire l’interview de Mohamed-Cherif Ferjani qui évoquait «un contexte» où certaines musulmanes «ont l’impression, à tort ou à raison, que l’islam est rejeté, diabolisé», ndlr), la façon la plus efficace est d’agir sur ce stigmate même, en accentuant par exemple la lutte contre les discriminations. Il faut, en tous cas, veiller à ne pas aggaver ce stigmate.

Cinq ans après la loi interdisant les signes ostensibles d’appartenance religieuse à l’école, la question du port du voile intégral - niqab ou burqa - est aujourd’hui posée. Quels points communs entre ces deux débats?
Le débat n’est pas exactement le même: avec la loi de 2004, il portait essentiellement sur la signification du voile. Pour la burqa, peuvent aussi se poser des problèmes pratiques de reconnaissance de l’identité de la personne que l’on a en face de soi. Le point similaire est sans doute cette idée que l’Etat peut émanciper les individus malgré eux. Une croyance un peu jacobine selon laquelle l’Etat saurait ce qui est bon pour les citoyens.

Deux infos:

Sur le site de Laurent Bloch, un compte-rendu du livre de Todd Shepard « 1962 — Comment l’indépendance algérienne
a transformé la France » qui complète bien celui qui a été donné par  ce Blog :
http://laurent.bloch.1.free.fr/spip.php?article124
 De récentes atteintes aux libertés publiques ("affaire Vincent Geisser")lui ont inspiré une petite
mise au point :
 http://laurent.bloch.1.free.fr/spip.php?article123
 
D'autre part, de façon constante, vous pouvez trouver beaucoup d'infos sur la laïcité sur le site: www.laicite-laligue.org

16:22 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)

15/06/2009

UNE BELLE LECON DE REPUBLIQUE : LETTRE A MARTINE AUBRY

Chère Martine,

Veuillez excuser cette appellation un peu familière, alors que je ne vous connais pas personnellement. Mais un long compagnonnage critique me lie au PS et, d’autre part, j’ai un peu de peine à adopter le « Bonjour », maintenant hégémonique, au début des lettres

Vous m’avez inclus dans le « think tank » du PS, permettez donc que je ne me limite pas à participer à ce travail collectif, que je m’autorise à vous donner un petit conseil.

A vous, aux autres responsables du PS, à celles et ceux qui veulent dépoussiérer la culture politique française.

Si ce n’est pas déjà fait, profitez de l’été qui arrive, et des loisirs qu’il donnera, pour lire très attentivement, et ruminer longuement, le dernier livre de Mona Ozouf, Composition française.

(Gallimard)

Vous y trouverez, en effet, une très belle leçon républicaine, apte à sortir de ce que l’auteure ne crains pas d’appeler « l’intégrisme républicain »[1], sans pour autant larguer le bébé avec l’eau du bain.

 

Trois raisons me poussent à vous inciter à une telle lecture.

 

D’abord, je ne saurais être soupçonné de « prêcher pour ma paroisse » : à la fin du livre, quand Mona Ozouf indique ses positions récentes, elles sont inverses des miennes.

Elle est (relativement) contre la loi sur la parité, que j’estime bonne comme « mesure transitoire » ; elle est (relativement) pour la loi de mars 2004 comme « mesure provisoire », alors que je pense que les aspects négatifs de cette loi l’emportent[2].

Mais le problème de la culture politique française en général, et de celle du PS en particulier, est beaucoup plus fondamental que des prises de position sur des contenus (matière à débat démocratique).

Il est dans l’ignorance structurelle, dans le refus d’avoir une démarche de « savoir » au sens strict du terme quant à la République.

Il est dans un obscurantisme profond, inconscient parce qu’idéologiquement si confortable, et dans la répétition (depuis au moins 20 ans) de stéréotypes dogmatiques qui font que le PS devient un repoussoir.

 

Chère Martine, il existe un minimum syndical, condition préalable pour sortir le PS de son ornière :

que l’on n’entende jamais plus les discours roublards, ressortant les clichés caressant les vieux militants dans le sens du poil, dont nous abreuvait François Hollande, en conclusion de journées de réflexion sur la laïcité et/ou la République, auxquelles il s’était bien gardé d’assister.

Je vous en supplie, Martine, plus jamais ça. Plus jamais. Sans doute, spontanément, vous pouvez mieux faire. Mais, après avoir lu Mona Ozouf, vous saurez comment faire infiniment mieux, sans pour autant braquer les militants traditionnels.

Je n’ignore pas les contraintes du politique, qui sont différentes de celles de l’intellectuel.

 

Car, seconde raison, Mona Ozouf est une Grande Dame, par la finesse de son intelligence, la façon dont elle allie trois qualités : fermeté et rigueur, nuances et prises en compte de la complexité, et, surtout dans ce livre destiné à un large public, clarté limpide du propos.

Vous lirez l’ouvrage comme un roman. Vous en ressortirez en ayant appris l’essentiel sur l’historicité qui est le fondement actuel et actif de la République française.

Les Français qui se sont intéressés à l’histoire de la Révolution ont suivi le match Michel Vovelle – François Furet, gagné haut la main par ce dernier lors du moment décisif du bicentenaire, en 1989.

Mais Mona Ozouf est bien meilleure que l’un et l’autre : sa « compréhension » -au sens de l’histoire comme science humaine- de la Révolution et de la République va beaucoup plus profond, et sa prise de distance avec des historiographies idéologiques est bien plus grande. Ce livre en est une nouvelle preuve.

 

Car, troisième raison, son beaucoup trop modeste sous titre est trompeur : « Retour sur une enfance bretonne » indique-t-il. Je serais l’éditeur, j’ajouterais une bande rouge avec écrit : « Une magistrale leçon de République ».

Certes, l’auteure nous compte son enfance, avec un style littéraire simple et magnifique qui rend la lecture passionnante. La première originalité de ce récit est son caractère objectif et subjectif.

Mona Ozouf en livrera la clef dans le dernier paragraphe du livre.

Elle a pris de la distance à l’égard d’elle-même pour devenir historienne (démarche d’objectivation), elle a suivi la prescription académique : il faut sortir de sa propre histoire pour pouvoir écrire l’histoire.

Et, après des décennies de travaux distanciés, objectivés, elle a « transgressé » la prescription, elle a fait retour sur son histoire personnelle.

Et ce retour lui permet d’écrire une histoire singulière, personnelle avec tout l’acquis de la distance historienne, avoir une mémoire imprégnée d’histoire.

 

Or, il se trouve que son histoire personnelle est exemplaire, car elle se situe au cœur de l’impensé républicain : la richesse de la multiappartenance, la construction d’un individu autonome à partir d’appartenances plurielles, en proximité et distance avec elles.

Trois appartenances, ont été pour elle, trois écoles de la vie[3] :

 

En premier : l’école de la Bretagne : son père était militant autonomiste breton.

Disparu alors qu’elle était petite fille, il a cependant beaucoup compté, aussi bien par la fidélité de la mère de Mona à l’idéal de son mari, que par la bibliothèque familiale qui mettait à disposition les instruments culturels de  l’itinéraire paternel.

Mona a lu Les Perses en breton et elle nous affirme : « Quand j’entends aujourd’hui les pamphlets anticommunautaristes moquer lourdement les cultures minoritaires (…), je ne peux me retenir de comparer les deux bibliothèques de mon enfance[4]. La plus universaliste n’était pas celle qu’on aurait cru. »

Car, de manière plus générale, l’école de la Bretagne, c’est aussi ce qu’elle appelle « la maison » (on pourrait dire : l’école de la maison) : tout ce qui lui a été transmis, non seulement indirectement mais fortement, par son père, mais aussi par les deux fortes personnalités féminines contrastées de sa grand-mère et de sa mère.

Sa grand-mère, belle figure paysanne, très représentatives des personnalités générées par ce qu’il possible d’appeler globalement la ‘société traditionnelle’. Ainsi « si les rôles (sexués) étaient pour elle clairement répartis, elle en inversait la hiérarchie coutumière.»…, croyait fermement à la supériorité morale des femmes et agissait en conséquence.

C’est d’ailleurs pourquoi elle était fort pieuse et, à sa manière, implicitement anticléricale : les curés n’étaient, après tout, que des hommes. Ils étaient pourvu d’une double faiblesse : celle de l’être humain redoublée par celle propre à l’être masculin.

Cet anticléricalisme religieux, l’historien le rencontre souvent, à plusieurs époques et dans plusieurs cultures. On a tendance à ne pas le percevoir aujourd’hui.

Par sa personnalité forte, cette grand mère a appris à Mona que « les livres ne sont pas la seule fenêtre de la vie ».

 

Mona Ozouf montre une France contrastée : beaucoup moins insensible à la diversité des terroirs qu’on ne l’a prétendu mais en même temps crispée sur une revendication culturelle majeure : la langue.

Ainsi, comprenant que ces rêves n’étaient pas prêts de se réaliser, le père de Mona les a minimalisé dans une revendication que la République aurait pu facilement satisfaire : enseigner le breton le jeudi (jour laissé vacant pour faciliter le catéchisme), en dehors des programmes officiels.

Sa demande n’a pas rencontré d’écho favorable. Ce refus est typique d’une république qui se sent perpétuellement menacée, et qui s’appauvrit elle-même par son obsession de la menace.

La conséquence de cela, c’est que la seule diversité qui a finalement été admise, est la diversité religieuse. Je vais y revenir.

 

Ensuite, « l’école de la France ».

Mona Ozouf reprend ici le titre d’un ouvrage important qu’elle a consacré à l’école républicaine.

L’école enseigne une certaine vision de la France : celle d’une « marche continue au progrès ». Elle était présentée comme une personne qui « traversait des épreuves, (…) crises de croissance, porteuses d’un développement ultérieur, et finalement résolues dans l’accès à plus d’équité et de bonheur. »

La France « n’en finissait pas de progresser vers la justice et l’humanité, en séquences bien ordonnées, comme les écolières elles-mêmes étaient censées le faire au long de l’année scolaire. »

Une croyance donc à la conjonction des progrès (du progrès scientifique et technique, au progrès social et moral, qui projetait dans l’avenir, donnait de l’espoir.

On est aux antipodes de la France « valorisant ses racines » à la Sarkozy.

Jusqu’à la guerre 14-18, cette croyance en la conjonction des progrès, ce continuum entre progrès personnel et progrès social national était tout à fait raisonnable, pouvait s’appuyer sur de nombreux indices empiriques.

Là, juste avant la guerre 39-45 (Mona entre en 6ème en 1941), cela commence à devenir répétitif, moins crédible : les horreurs de la première guerre mondiale ont montré aux adultes l’ambivalence du progrès.

Mais l’école exonère la France de toute responsabilité morale dans cette guerre.

 

Cependant, la période où la conjonction des progrès existait empiriquement reste proche. Mona Ozouf nous montre, à travers les récits qu’elle a reçus de sa famille, et même ses expériences de fillette, comment l’arrivée de la modernité dans les campagnes a transformé la vie des gens.

Savoir lire et écrire signifie accéder à une vie privée, à une existence personnelle hors du regard surveillant d’autrui.

Ainsi la correspondance avec les fils partis au Front pendant la 1ère guerre mondiale peut être privée si l’on a ce savoir, mais reste soumise au regard surveillant d’autrui si on ne l’a pas.

La religion est devenue progressivement « affaire privée », choix personnel (pour Mona la mutation, restée partielle, s’est faite entre la génération de sa grand-mère et celle de sa mère), au moment même où, la possibilité d’une sphère privée se démocratisait et signifiait espace de liberté.

Parler (comme certains) de « réduction de la religion à la sphère privée » est donc une terminologie elle-même très…réductrice.

 

L’école enseignait l’universel. La citation de M. Ozouf sur la bibliothèque de son père (et bien d’autres passages) montre les limites et les impensés d’une telle prétention.

« L’école, au nom de l’universel, ignorait et en un sens humiliait la particularité. Et la maison, au nom des richesses du particulier, contestait l’universel de l’école qu’elle soupçonnait d’être menteur », d’être « une particularité aussi, la française, qu’elle enveloppait ou dissimulait, dans le manteau de l’universel

L’école enseignait la France, elle exaltait des héros qui, comme Du Guesclin était la figure même du « traître » pour « l’école de la Bretagne ».

 

Mais M. Ozouf indique aussi tout ce qu’elle a reçu de cet enseignement : pour cette très bonne élève, l’école a été le lieu d’une « bienheureuse abstraction ».

Y règne un « credo central, celui de l’égalité des êtres », concrétisé par un système de classement méritocratique qui semble « le véritable instrument de l’égalité ».

Les dires de Mona Ozouf illustrent très bien les analyses de François Dubet[5] sur ce qu’était « l’école républicaine » est ses paradoxes, avant sa transformation en « école démocratique de masse ».

Et, après l’école primaire, le collège. Les grands textes littéraires : « grâce à eux, nous savions ce qu’étaient la passion, la jalousie, la ruse, la cruauté, la séparation ; nous pouvions vivre à l’avance ce qui ‘n’était pas de notre âge’, et sans nous faire mal. »

Dernière remarque : l’école (laïque) n’est bien sûr pas mixte : elle ne le sera qu’à partir des années 1960.

Et maintenant, on veut nous faire croire d’une consubstantialité entre laïcité et mixité.

 

Enfin, l’école de l’église. La commune où vit la jeune Mona «  a deux côtés, inscrits dans la topographie. (…) Ce « côté » vous dit quel médecin choisir, quel boulanger et ce n’est pas pour la qualité de son beurre qu’on élit son épicier. »

Autrement dit, il s’agit d’une commune coupée en deux communautés, symbolisée par les deux écoles : la catholique et la laïque, mais aussi par deux espaces sociaux différents.

On ne choisit pas son médecin en fonction de sa compétence supposée, mais de son appartenance à sa propre communauté.

Et dans des départements comme le Gard, la Drome ou l’Ardèche,  la communauté protestante présentait des caractéristiques sociales semblables de quant à soi, même si elle fréquentait l’école laïque. On trouvait là, trois communautés : deux laïques (la protestante et la libre penseuse) et une catholique.

Les fréquentations, la vie sociale, est marquée par cette communautarisation de l’espace social, même s’il ne s’agit pas de la seule division de cet espace.

A la division de deux cultures religieuses, s’ajoute celle qui provient de classes sociales. Mona Ozouf en parle aussi.

Et 1905 n’a rien changé à cela[6] : ce n’est pas la laïcité qui a uniformisé socio-culturellement l’espace social de la France, à un niveau local, c’est la sécularisation des Trente Glorieuses.

Prétendre que la laïcité a fait refluer la religion dans la « sphère privée » est une escroquerie intellectuelle.

C’est confondre choix privé et sphère privée.

Par ailleurs, contrairement à ce que je lis tout le temps, l’école n’est pas en France « gratuite, laïque et obligatoire » : c’est l’instruction qui est obligatoire et l’école publique qui est laïque (et gratuite).

La laïcité scolaire comporte la liberté de l’enseignement.

 

En revanche, ce qui est exact et complique l’affaire, c’est que (du coup) coexistent deux niveaux de laïcité :

-         la laïcité comme règle générale, comme fonctionnement social : le tout.

-         la laïcité comme référence identitaire d’une partie de la population : la partie (là, la « Bretagne bleue » minoritaire) ; en général d’une identité de gauche.

Mais ce n’est pas le seul clivage : dans la commune de Mona, les enfant de fonctionnaires vont à l’école laïque, les petits notables et les commerçants qui veulent élargir leur clientèle mettent parfois leurs garçons à l’école laïque et leurs filles à l’école des Sœurs.

 

Chez Mona, on est Breton face à l’école de la France et Bleu face à la Bretagne traditionnellement d’identité catholique.

Mais Mona fréquente le catéchisme, comme d’autres enfants de l’école laïque, et elle raconte les petites vexations qui lui sont infligées à cause de cette appartenance à « la laïque ».

Plus fondamentalement, les « certitudes religieuses » de « la maison » et celles de l’Eglise ne sont pas les mêmes.

Par exemple :

-         selon la maison, au Paradis, on retrouve tous les êtres qui vous sont chers et ont eu une « bonne vie » (donc Mona y retrouvera son père). C’est même grâce à ces retrouvailles qu’il s’agit bien du Paradis !

-         selon l’Eglise, hors d’elle, pas de salut, pas de Paradis (donc Mona n’y retrouvera pas son père, mort en refusant les « derniers sacrements).

La Grand-mère va « à confesse comme on va chez le dentiste » : cela fait partie de « l’hygiène » et sa « fidélité (est) plus paroissiale que cléricale »

On tend souvent à confondre croyances religieuses et croyances cléricales. En fait, l’autonomie religieuse personnelle est moins nouvelle que ne le croient les sociologues, même si l’individualisation de la religion s’est accentuée ces dernières décennies.

 

La profondeur du livre de Mona Ozouf, c’est qu’elle analyse ce que transmettent la maison, l’école et l’église comme des « croyances » :

« la foi chrétiennes de nos ancêtres, la foi bretonne de la maison, la foi de l’école en la raison républicaine

Ce  sont ces trois croyances qui ont formé ce qu’elle appelle sa « tradition ».

La tradition, « un déjà là nécessaire » qui germe en nous à notre insu au point de devenir « presque nôtre ».

Car s’il laisse « un peu de jeu à notre liberté » c’est parce qu’il « dépend de nous, jusqu’à un certain point de lui accorder ou de lui refuser (…) notre assentiment. »

La liberté de l’individu se construit à travers du déjà-là, des traditions. Par une dialectique de la proximité et de la distance envers ces traditions. Non pas par l’arrachement du particulier, pour accéder à un universel abstrait.

 

En fait, ce qui est passionnant chez Mona Ozouf, c’est que l’universel abstrait de l’école est très précieux, mais à condition qu’il soit une particularité parmi d’autres.

Là est le très riche paradoxe de son récit.

Elle s’est construite comme sujet autonome à travers le « persistant inconfort » de « croyances désaccordées » : celles de la maison, de l’école et de l’église.

Croyances chacune totalisante mais que la pluralité a empêché d’être totalitaire.

Les « codes multiples » ont été formateurs. C’est l’enfermement dans un seul code qui aurait été étouffant.

Aujourd’hui, en France, c’est l’uniformisation médiatique des codes qui représente le grand danger, la véritable menace pour la liberté de l’individu.

 

Mona Ozouf nous fait ensuite insensiblement passer, via l’école secondaire et l’Ecole Normale supérieure, de son histoire personnelle, déjà exemplaire de bien des aspects de l’histoire de la république française, à une limpide synthèse de ses découvertes de chercheuse sur l’histoire de la Révolution (comme fondation républicaine) et de la République.

(à suivre)

 

PS: Pour prendre connaissance des activités du Collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle, formé à la suite de " l'affaire Vincent Geissr", et dont je suis membre fondateur cf:  http://petition.liberteintellectuelle.net


[1] Tiens, tiens, cela me rappelle quelque chose : c’est d’autant plus probant que M O ne semble pas avoir eu connaissance de mon ouvrage : L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube, 2006).

[2] Mais précisément, le crétinisme intellectuel guette tout un chacun, dés que l’on se met à n’apprécier que les personnes qui partagent votre position. Il est bien plus passionnant de lire des ouvrages avec lesquels on peut avoir certains désaccords, et de comprendre où, quand et pourquoi ces désaccords se produisent.

[3] Le livre part des souvenirs (articulés avec un savoir historien) de M. Ozouf pour, peu à peu, passer à une brillante synthèse vulgarisée de ses recherches. Tout en suivant la dominante du plan, mes indications sur la 1ère partie tiennent aussi compte de la seconde.

[4] Celle de ce qu’elle appelle « la maison » et celle de l’école laïque.

[5] Je ne sais si elle l’a lu, elle ne s’y réfère pas en tout cas.

[6] Au niveau de la France, et de la Bretagne en général (voir l’ouvrage d’Yves Lambert : Dieu change en Bretagne, où 1905 ne présente pas de rupture) ; Pour la commune de Mona, en 1906, il y a « la laïcisation de l’école communale toujours tenue (jusque là) par les congréganistes du Saint-Esprit ».

Et oui, on l’oublie : il y a eu des instituteurs/institutrices congréganistes dans les écoles laïques, et ils sont partis progressivement, même si le principe de leur départ a été acté en 1886 (4 ans après la laïcisation de l’école publique)

08/06/2009

OBAMA. LA DEBACLE, une CHANCE pour le PS ?

Deux brèves réactions à deux événements d’actualité.

 

D’abord j’étais à un important colloque international sur « Modes of Secularism » à Vienne quand Obama a prononcé son discours au Caire.

« Secularism » c’est ainsi que les documents internationaux traduisent « laïcité », et j’ai indiqué la relation étroite entre les 2 termes dans mon « Que sais-je ? » sur Les laïcités dans le monde.

Quand on me déclare "M'enfin le secularism n'est pas la laïcité française." Je réponds: "effectivement, dans la définition du secularism, il y a la séparation, mais pas le Concordat en Alsace-Moselle!"... et on pourrait continuer la liste, bien sûr/

Le Monde m’a contacté pour que je réagisse sur les propos d'Obama concernant le voile. Mais comme je ne savais pas ce qu’il avait dit exactement, j’ai préféré m’abstenir de répondre.

Maintenant, de retour, je peux rapidement indiquer deux impensés français :

 

D’abord, une fois encore, j’ai pu me rendre compte, à Vienne, que la vision de la France, très majoritairement partagée par des spécialistes internationaux (sociologues, philosophes, politologues, anthropologues, etc) du "secularism", était celle d’une laïcité sectaire, perçue à travers notamment la loi du 15 mars 2004.

La façon dont cette loi a terni la réputation internationale de la France est un des impensés de notre pays : on ne veut pas le savoir !

Et de façon plus générale, le récit laïco-jacobin dominant ne passe pas. Certains savent bien que cela ne correspond pas à la réalité empirique. D'autres s'y laissent un peu prendre.

 

Un des orateurs du colloque s’est demandé si la France ne confondait pas les fins du secularism/laicity (liberté de conscience et égalité des citoyens) et les moyens (séparation, neutralité de l’Etat), prenant ces moyens pour des fins.

C’est une très bonne question.

 

Ensuite, revenu en France, j’ai lu que certains trouvaient que le discours d’Obama comportait trop de références religieuses pour les oreilles laïques françaises.

Le discours d’Obama doit être compris comme la poursuite d’un élargissement de la religion civile américaine, d’un « Judeo-Christian secularism » (selon l’expression d’Elizabeth Sharkman Hurd[1]) à une religion civile plus inclusive.

Cela dans le cadre d'une stratégie internationale, tournant le dos à celle de G-W. Bush.

 

La cérémonie d’investiture d’Obama allait déjà dans ce sens.

Y participaient notamment, a côté d’un pasteur évangélique, d’un évêque épiscopalien gay, d’une femme pasteur, et de quelques autres personnalités religieuses, Ingrid Mattson, présidente de «The Islamic Society of North America », qui a prononcé une prière.

La religion civile américaine n’est certes pas ma cup of tea, loin s’en faut. Mais c’est dans cette logique d’élargissement et cette stratégie que l’on doit analyser la politique religieuse d’Obama.

 

 

Et surtout, cela m’a fait sourire, de lire que le discours du Caire pouvait être choquant pour des oreilles habituées à la laïcité française, cela juste après la messe dite cérémonie oecuménico-politico-machin chose de Notre Dame. Y participaient Sarko, Bayrou, Martine Aubry, etc.

On se trouvait en pleine religion civile catho-républicaine!

(avec la Fédération Protestante, acceptant d'être prise en otage. Au moins juifs et musulmans ont fait leur cérémonie à part, et sans le zinzin politique officiel)

Certains Français sont vraiment impayables dans leur aveuglement pour ce qui les concerne !

 

Enfin, si voir la laïcité française uniquement à travers la loi de 2004 est réducteur, c'est la réponse du berger à la bergère, car, les Français aussi voient souvent la situation de pays étrangers à travers des stéréotypes (parfois encore plus) réducteurs.

Témoin le pseudo "communautarisme anglo-saxon" à l'existence duquel des super naïfs croient avec une crédulité qui serait désarmante si elle n'était pas très bête et méchante.

 

 

 Autre événement : les résultats des élections européennes. La débacle du PS est, pour lui, l’occasion de la dernière chance.

Il aurait fait 19 ou 20%, il aurait pu croire avoir sauvé les meubles,  à plus de 20% être à peu près sur la bonne voie rénovante. A 16,5%, il est obligé d’affronter lucidement la situation.

S’il ne veut pas suivre la même voie que le PCF ces dernières décennies : devenir un parti de gestionnaires locaux, sans possibilité d’ambition nationale, il faut qu’il cesse de croire suffisant quelques réformes internes.

Il  lui faut arrêter d’être dans des discours stéréotypés et répétitifs.

Même le PC d’ailleurs change, témoin la nouveauté du Front de gauche.

 

Pour ce qui concerne les sujets qui préoccupent ce Blog, il faut que le PS examine soigneusement pourquoi, quand Jospin était 1er Ministre, il a réussi la parité mais complètement raté la lutte contre les discriminations et pour la diversité.

Quels sont ses blocages culturels et idéologiques;

Quelles sont les raisons de son inintelligence profonde à ce sujet.

L'échec d'Harlem Désir à Paris est ,à ce niveau, très significatif.

En quoi le mollètisme (de Guy Mollet, marxiste et colonialiste ; grand responsable de la guerre d’Algérie) habite toujours le PS d’une certaine manière.

Et quelle révolution il doit effectuer, quant à son outillage mental, pour devenir un parti socialiste du XXIe siècle…. Et non du XIXe !

 

La bonne nouvelle, c’est que ce soit Europe écologie et non le Modem qui le talonne. Les combines à la mords-moi-le-nœud qu’Hollande nous mijotait sont heureusement à l’eau.

Que des gens du Modem puissent constituer une force d’appoint en 2010, dans certaines régions, soit.

Mais, heureusement, la posture moraliste à la Bayrou, l’imprécation littéraire, a montré ses limites, et aussi la mauvaise foi qu’elle pouvait avoir.

Car diaboliser Sarko en s’alliant avec Villepin, faut quand même le faire. Sans parler des ses attaques contre Daniel Cohn Bendit.

 

L’écologie politique n’a pas toujours trouvé les bonnes réponses -personne ne les a- mais au moins elle affronte les problèmes du XXIe siècle.

Il lui faut maintenant transformer l’essai. Et que les Verts ne retournent pas à leurs sempiternelles querelles internes.

Il y a encore beaucoup de travail à faire pour relier écologie-économie-culture. Du moins la campagne d’Europe écologie a déjà montré un véritable élargissement de la perspective habituelle. Il ne fait pas s’arrêter en si bon chemin

Quant au PS, ou il va enfin comprendre certaines choses, ou …, même si une hirondelle ne fait pas (encore) le printemps, Europe-écologie peut devenir la grande formation de gauche qui corresponde aux problèmes d’aujourd’hui.

 

 



[1] The Politics of Secularism in International Relations, Princeton University Press, 2008. A noter qu’elle analyse l’opposition à l’entrée de la Turquie dans l’UE comme une autre manifestation de ce « Judeo-Christian Secularism”

13:08 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (5)

04/06/2009

ELECTIONS EUROPEENNES et CEREMONIE "OECUMENIQUE"

Le Blog ne va certes pas vous inciter à voter pour telle ou telle liste.

Cependant, dans la perspective défendue ici, il vous rend attentif à deux faits.

 

D’abord, dans divers pays, certains partis font du refus d’intégrer la Turquie à l’Europe un argument de campagne. Or l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sera, ces prochaines années, un test clef en matière de laïcité.

En effet, la laïcité va à l’encontre des replis identitaires.

L’Union européenne se trouve aujourd’hui menacée par un tel repli si elle tourne le dos à un processus engagé de longue date et ne fait pas droit à la demande de la Turquie d’adhérer pleinement à l’Union.

Certains leaders politiques mettent en avant un argument géographique pour justifier leur refus.

Cela semble davantage un prétexte qu’une raison véritable.

 

 

Depuis longtemps la Turquie est considérée comme européenne.

La Turquie est membre fondateur de diverses institutions européennes comme l’Organisation européenne de coopération économique et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Elle a adhéré au Conseil de l’Europe dés 1949.

Mieux encore, elle a établi, dés 1963-1964, un accord d’association, incluant, une perspective d’adhésion, avec l’ancêtre de l’Union, la Communauté économique européenne (CEE).

L’Europe est une entité géographiquement construite par son histoire. Or dans une perspective de géohistoire, la thèse d’une Turquie étrangère à l’Europe n’apparaît pas tenable.

 

En fait, pendant longtemps, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne présentait pas véritablement de difficulté spécifique. Comme d’autres pays se trouvaient requises certaines conditions économiques et des conditions politiques, notamment en matière de droits de l’homme et de respect des minorités.

Il s’agit là de règles générales importantes et qui doivent, naturellement, constituer les conditions de l’adhésion.

Récent, l’argument géographique (qui n’a pas été utilisé contre Chypre) me semble en cacher un autre : celui du repliement de l’Europe sur des « racines », considérées comme « essentiellement chrétiennes ».

 

Ce repli pose deux problèmes.

D’abord la mise en avant des « racines » est une référence nouvelle dans le champ politique.

Etant historien, je me garderai bien de minimiser l’importance de la dimension historique de toute communauté.

Mais si l’histoire comporte des racines, elle draine aussi avec elle, nouveauté et ruptures.

Ainsi les ruptures de la Réforme, puis des Lumières constituent des moments importants de l’Europe. Ce ne sont pas les seuls.

Privilégier les « racines », affirmer qu’il faut les « valoriser », constitue une option idéologique qui n’a absolument pas valeur d’évidence.

 

Dans les premiers temps de la construction européenne, ses artisans ne parlaient guère des « racines », ils privilégiaient le façonnement de l’avenir.

Ainsi, en 1950, lors de la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, alors même que de puissants partis démocrates chrétiens se trouvaient au pouvoir dans plusieurs pays européens, personne n’a proposé alors de mentionner un héritage religieux.

Cinquante ans plus tard, lors de l’adoption d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la bataille a fait rage autour d’une formule de ce type.

 

Du point de vue de l’historien, de plus, les « racines » de l’Europe, son « héritage » s’avèrent des réalités plurielles. Le christianisme, certes, y joue un rôle important ; il est source de civilisation et de conflits. Mais islam, judaïsme, philosophie,… y ont aussi leur part.

Privilégier des racines chrétiennes, affirmer devoir les « valoriser », c’est vouloir donner à l’Europe une identité religieuse.

Or les institutions européennes, tout en respectant les différents modes de relations entre la religion et les Etats existant en Europe, n’ont, en tant que telles, aucune référence religieuse.

Ce sont des institutions entièrement laïques.

Mais nous assistons, depuis quelques années, à des tentatives qui visent à relativiser cette laïcité institutionnelle européenne. Certains veulent qu’il soit fait référence à Dieu dans une future Constitution, d’autres veulent mentionner un héritage chrétien.

 

Tendanciellement, ces initiatives s’avèrent défavorables à la Turquie, pays laïque où l’islam est la religion majoritaire. L’APK, au pouvoir depuis 2002, se définit comme un parti démocrate musulman.

Or, pour l’essentiel, ce parti n’a pas porté atteinte à la laïcité turque. Cela même si, sur le plan local, certains ont signalé des tentatives pour interdire l’alcool et la mixité dans certains endroits publics.

Au demeurant, la liberté de religion et de conviction (problème bien antérieur, en Turquie, à 2002) doit constituer une exigence de l’UE dans ces négociations.

Mais refuser à priori l’entrée de la Turquie relève d’une autre démarche (celle des « racines chrétiennes »)

C’est pourquoi l’attitude envers la Turquie constitue un analyseur de la situation de la laïcité en Europe.

 

L’autre fait ne concerne que la région parisienne, mais il faut quand même le mentionner.

La distinction entre « antisionisme », choix politique, et « antisémitisme », doctrine de haine ne joue plus quand une liste dite « antisioniste » met en avant des révisionnistes.

Historiquement archi-faux, le révisionnisme, qui nie la politique d’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale, est une terrible doctrine de haine.

Elle ne peut que raviver l’immense douleur des familles des victimes, et de tous ceux qui s’estiment (religieusement et/ou culturellement) juifs.

Pas la moindre compromission avec le révisionnisme n’est acceptable.

***

 

Enfin, dernier point d’actualité : la catastrophe de l’avion Rio-Paris d’Air France.

Rapidement 2 choses.

D’abord, le voyeurisme de certains médias, filmant, avec complaisance, l’angoisse puis la douleur des familles des victimes. Certaines chaînes de télé ont passé en boucle ces images de charognards.

Cela n’apporte aucune information : tout le monde se doute de cette angoisse, de cette douleur. Il n’est aucunement besoin de l’exhiber.

 

Ensuite, la cérémonie dite « œcuménique » à Notre-Dame à laquelle des représentants de la classe politique de tous bords ont participé.

Depuis l’explosion du DC-10 d’UTA, au-dessus du désert nigérien de Ténéré, en septembre 1989, on assiste à ce genre de cérémonies. C’est de la religion civile.

Certes, que l'on se recueille, que les familles des croyants aient droit à des cérémonies religieuses, bien sûr. Mais cela doit rester la respnsabilité de la société civile.

La manière officielle dont la cérémonie a été faite peut porter atteinte à la conscience de certaines victimes et de leurs familles. Non seulement parce que, dans l’avion, il y avait certainement des athées. Et, plus généralement, parce que ce genre de cérémonie politico-religieuse officielle n’a pas sa place dans un pays laïque.

Pour ma part, si je meurs dans un accident collectif, je désavoue à l’avance toute cérémonie de ce type et je demande à l’avance à ma famille et mes amis de s’abstenir d’y participer.