04/06/2009
ELECTIONS EUROPEENNES et CEREMONIE "OECUMENIQUE"
Le Blog ne va certes pas vous inciter à voter pour telle ou telle liste.
Cependant, dans la perspective défendue ici, il vous rend attentif à deux faits.
D’abord, dans divers pays, certains partis font du refus d’intégrer la Turquie à l’Europe un argument de campagne. Or l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sera, ces prochaines années, un test clef en matière de laïcité.
En effet, la laïcité va à l’encontre des replis identitaires.
L’Union européenne se trouve aujourd’hui menacée par un tel repli si elle tourne le dos à un processus engagé de longue date et ne fait pas droit à la demande de la Turquie d’adhérer pleinement à l’Union.
Certains leaders politiques mettent en avant un argument géographique pour justifier leur refus.
Cela semble davantage un prétexte qu’une raison véritable.
Depuis longtemps la Turquie est considérée comme européenne.
La Turquie est membre fondateur de diverses institutions européennes comme l’Organisation européenne de coopération économique et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Elle a adhéré au Conseil de l’Europe dés 1949.
Mieux encore, elle a établi, dés 1963-1964, un accord d’association, incluant, une perspective d’adhésion, avec l’ancêtre de l’Union, la Communauté économique européenne (CEE).
L’Europe est une entité géographiquement construite par son histoire. Or dans une perspective de géohistoire, la thèse d’une Turquie étrangère à l’Europe n’apparaît pas tenable.
En fait, pendant longtemps, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne présentait pas véritablement de difficulté spécifique. Comme d’autres pays se trouvaient requises certaines conditions économiques et des conditions politiques, notamment en matière de droits de l’homme et de respect des minorités.
Il s’agit là de règles générales importantes et qui doivent, naturellement, constituer les conditions de l’adhésion.
Récent, l’argument géographique (qui n’a pas été utilisé contre Chypre) me semble en cacher un autre : celui du repliement de l’Europe sur des « racines », considérées comme « essentiellement chrétiennes ».
Ce repli pose deux problèmes.
D’abord la mise en avant des « racines » est une référence nouvelle dans le champ politique.
Etant historien, je me garderai bien de minimiser l’importance de la dimension historique de toute communauté.
Mais si l’histoire comporte des racines, elle draine aussi avec elle, nouveauté et ruptures.
Ainsi les ruptures de la Réforme, puis des Lumières constituent des moments importants de l’Europe. Ce ne sont pas les seuls.
Privilégier les « racines », affirmer qu’il faut les « valoriser », constitue une option idéologique qui n’a absolument pas valeur d’évidence.
Dans les premiers temps de la construction européenne, ses artisans ne parlaient guère des « racines », ils privilégiaient le façonnement de l’avenir.
Ainsi, en 1950, lors de la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, alors même que de puissants partis démocrates chrétiens se trouvaient au pouvoir dans plusieurs pays européens, personne n’a proposé alors de mentionner un héritage religieux.
Cinquante ans plus tard, lors de l’adoption d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la bataille a fait rage autour d’une formule de ce type.
Du point de vue de l’historien, de plus, les « racines » de l’Europe, son « héritage » s’avèrent des réalités plurielles. Le christianisme, certes, y joue un rôle important ; il est source de civilisation et de conflits. Mais islam, judaïsme, philosophie,… y ont aussi leur part.
Privilégier des racines chrétiennes, affirmer devoir les « valoriser », c’est vouloir donner à l’Europe une identité religieuse.
Or les institutions européennes, tout en respectant les différents modes de relations entre la religion et les Etats existant en Europe, n’ont, en tant que telles, aucune référence religieuse.
Ce sont des institutions entièrement laïques.
Mais nous assistons, depuis quelques années, à des tentatives qui visent à relativiser cette laïcité institutionnelle européenne. Certains veulent qu’il soit fait référence à Dieu dans une future Constitution, d’autres veulent mentionner un héritage chrétien.
Tendanciellement, ces initiatives s’avèrent défavorables à la Turquie, pays laïque où l’islam est la religion majoritaire. L’APK, au pouvoir depuis 2002, se définit comme un parti démocrate musulman.
Or, pour l’essentiel, ce parti n’a pas porté atteinte à la laïcité turque. Cela même si, sur le plan local, certains ont signalé des tentatives pour interdire l’alcool et la mixité dans certains endroits publics.
Au demeurant, la liberté de religion et de conviction (problème bien antérieur, en Turquie, à 2002) doit constituer une exigence de l’UE dans ces négociations.
Mais refuser à priori l’entrée de la Turquie relève d’une autre démarche (celle des « racines chrétiennes »)
C’est pourquoi l’attitude envers la Turquie constitue un analyseur de la situation de la laïcité en Europe.
L’autre fait ne concerne que la région parisienne, mais il faut quand même le mentionner.
La distinction entre « antisionisme », choix politique, et « antisémitisme », doctrine de haine ne joue plus quand une liste dite « antisioniste » met en avant des révisionnistes.
Historiquement archi-faux, le révisionnisme, qui nie la politique d’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale, est une terrible doctrine de haine.
Elle ne peut que raviver l’immense douleur des familles des victimes, et de tous ceux qui s’estiment (religieusement et/ou culturellement) juifs.
Pas la moindre compromission avec le révisionnisme n’est acceptable.
***
Enfin, dernier point d’actualité : la catastrophe de l’avion Rio-Paris d’Air France.
Rapidement 2 choses.
D’abord, le voyeurisme de certains médias, filmant, avec complaisance, l’angoisse puis la douleur des familles des victimes. Certaines chaînes de télé ont passé en boucle ces images de charognards.
Cela n’apporte aucune information : tout le monde se doute de cette angoisse, de cette douleur. Il n’est aucunement besoin de l’exhiber.
Ensuite, la cérémonie dite « œcuménique » à Notre-Dame à laquelle des représentants de la classe politique de tous bords ont participé.
Depuis l’explosion du DC-10 d’UTA, au-dessus du désert nigérien de Ténéré, en septembre 1989, on assiste à ce genre de cérémonies. C’est de la religion civile.
Certes, que l'on se recueille, que les familles des croyants aient droit à des cérémonies religieuses, bien sûr. Mais cela doit rester la respnsabilité de la société civile.
La manière officielle dont la cérémonie a été faite peut porter atteinte à la conscience de certaines victimes et de leurs familles. Non seulement parce que, dans l’avion, il y avait certainement des athées. Et, plus généralement, parce que ce genre de cérémonie politico-religieuse officielle n’a pas sa place dans un pays laïque.
Pour ma part, si je meurs dans un accident collectif, je désavoue à l’avance toute cérémonie de ce type et je demande à l’avance à ma famille et mes amis de s’abstenir d’y participer.
09:17 Publié dans Europe et laIcité | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Je suis d'accord avec vous ,cher Maître,toutes ces manifestations organisées par compassion à l'égard des familles,n'ont pas leur place dans un pays dit laïque. C'est, triste à dire, mais cela fait"chaud" au coeur du français dit "moyen" .Au fait à propos de pays laïque, pourquoi avons nous toujours des jours fériés, à cause de célébrations religieuses catholiques? ??
Écrit par : ELMAN-MARBOUTY | 21/11/2009
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