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24/11/2007

UNE PRINCESSE POUR NOËL, LA LAÏCITE INTERIEURE CONTRE LES CHEVALIERS DU BIEN

D’abord, un peu d’autopublicité (la seule permise sur ce blog !!) : plus de problème pour vos cadeaux de Noël : mon roman historique

Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour vient de paraître en poche. (L’Aube poche). Courrez vite (sans, toutefois, vous casser la figure) le réclamer à votre libraire. Soit pour le lire (si ce n’est pas déjà fait ; et là vous me décevez un peu !), soit pour l’offrir à vos ami(e)s : tout le monde adore les histoires de princesse. Allez, je vous donne gratis la 4ème de couverture :

"La trame de ce passionnant roman historique est authentique : en 1903, la jeune princesse Jeanne Bibesco, prieure du carmel d’Alger, vient à Paris plaider la cause de sa congrégation auprès d’Emile Combes, président du Conseil – celui-là même qui fera voter en 1905 les lois de séparation des Églises et de l’État. Le coup de foudre est réciproque, et de leur rencontre naît un improbable amour, fort dangereux pour l’homme politique à l’éthique sans faille.

« Jean Baubérot imagine le journal apocryphe du sénateur Emile Combes, à qui échoit la tâche périlleuse  d’appliquer la loi de 1901 aux congrégations religieuses. Ce roman historique précis, nuancé, parsemé d’anecdotes et de propos véridiques, est aussi un roman discrètement engagé, qui nous amène à méditer sur la place des religions dans la France contemporaine. »                            Astrid de Larminat, Le Figaro

« Jean Baubérot s’est amusé à croiser la grande et la petite histoire en faisant tenir à Emile Combes ce journal intime, où le peu qui ne soit pas vrai est toujours vraisemblable. »                Le Monde

Jean Baubérot, président d’honneur de l’Ecole pratique des Hautes Etudes (Sorbonne), spécialiste internationalement reconnu de la laïcité, est l’auteur de nombreux ouvrages dont, aux éditions de l’Aube : L’intégrisme républicain contre la laïcité (2006)."

C'est'y pas beau!

Ensuite, voici la suite de la Note sur les « chevaliers du bien », en tenant compte de la (bonne) question posée par plusieurs internautes : que proposez-vous ? En effet, après avoir décrypté l’aspect primaire que revêt souvent l’indignation consensuelle, il ne s’agit pas de s’indigner contre l’indignation. Il s’agit plutôt de VIVRE AUTREMENT.

Comme je l’ai expliqué, ce qu’il est possible de reprocher aux chevaliers du bien c’est leur manière de dire (comme on parle de « manière de faire », d’ailleurs parler peut constituer un acte, un faire). La cause défendue par les dits chevaliers peut être bonne ou non. C’est un autre problème, à laisser de côté dans un 1er temps, à examiner dans un second temps.

Quelle est cette manière de dire ? J’en ai déjà tenté une synthèse dans mon L’intégrisme républicain... Voici, en gros, un portrait-robot indiquant comment fonctionne cette sorte de discours :

Une cause donnée se trouve valorisée au maximum. Le sujet, l’agent de la lutte, et son objectif propre, sont très fortement idéalisés. Tous les aspects complexes de la réalité, qui pourraient amener à nuancer le propos, à relativiser quelque peu la lutte menée, à tenir compte de facteurs divergents voire contradictoires, se trouvent dévalorisés. Ainsi, les positions différentes ont tendance à être ramenées à une seule, considérée comme LA position adverse et diabolisée au maximum.

Lors de la « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest, les portraits-robots des discours communistes et anticommunistes types fonctionnaient ainsi.

D’un côté quiconque avait des interrogations et des doutes aussi bien sur l’URSS que sur le parti communiste, quiconque parlait de persécutions d’opposants politiques et/ou de croyants s’avérait rapidement suspect d’être un « allié de la réaction », un « contre révolutionnaire bourgeois », un « allié du grand capital ».

Il faut se rappeler que même un « grand intellectuel » comme Sartre a marché dans cette combine. Cela le conduisait à refuser le pluralisme en déclarant : « la vérité est une, l’erreur est multiple ». Le pluralisme était donc dans l’erreur. Je pense qu’il ne faut certes pas abandonner la recherche de la « vérité », mais les chemins de cette recherche sont multiples, tâtonnants, pluriels.

Au niveau de mon domaine d’études, la laïcité, en lisant les articles de militants laïques de cette époque, on s’aperçoit une propension à dénoncer les atteintes cléricales à la laïcité, mais pas les persécutions antireligieuses des pays communistes.

Du côté de l’anticommunisme, la France a heureusement évité ce que l’on a appelé le maccarthysme[1] et qui a sévi aux Etats-Unis au début des années 1950 : Là, toute attitude un tant soit peut progressiste se trouvait accusée de complicité avec le communisme. Le maccarthysme s’en prenait aux intellectuels et artistes, mais aussi à des fonctionnaires et hommes politiques.

C’est le principe de l’engrenage : au départ : pas de liberté pour les ennemis de la liberté ; cela devient très vite : pas de liberté pour les amis de la liberté qui veulent la liberté y compris pour les ennemis de la liberté (dans les limites des lois, naturellement) et… finalement : pas de liberté pour tous ceux qui ne pensent pas comme moi.

McCarthy a été heureusement arrêté dans sa nuisance, grâce notamment  à des mécanismes démocratiques (la Cour suprême a joué un rôle), à la télévision de l’époque qui a montré la brutalité de ses méthodes, au fait aussi qu’il s’en est pris (dans cet engrenage) à l’armée elle-même. Mais le maccarthysme a durablement nui aux USA, puisqu’il a été une des causes de la guerre du Vietnam.

Il faut se rappeler ce double exemple des chevaliers du bien communistes et anticommunistes pour pouvoir prendre un peu de distance avec les conformismes d’aujourd’hui.

Continuons le portrait robot des chevaliers du bien. Donc une cause, et une manière de défendre cette cause, une représentation de cette cause, sont absolutisées et tous ceux qui la désacralisent peu ou prou (qui estiment que d’autres facteurs son t également  en jeu, qu’il faut dialectiser, articuler, etc) deviennent suspects

Le choix devient alors clair et tranché : ‘quiconque n’est pas pour moi (quiconque ne met pas au 1er rang ma Cause) est contre moi’. Les valeurs les plus hautes sont en périls. La dramatisation permet d’envisager des solutions exceptionnelles. Aucun moyen terme n’est possible : tout ce qui ressemble à un compromis est intolérable compromission. Et, on est dans la toute puissance : il suffirait de décréter la ligne juste, de la suivre pour que celle-ci se réalise sans engendrer d’effets non voulus et indésirables.

C’est, par exemple, à cette sorte d’absolutisation que la meilleure des causes, l’égalité femme-homme se trouve dévoyée car instrumentalisée pour stigmatiser des minorités, ce qui n’enlève nullement le droit à la critique. Dans notre ouvrage, Une haine oubliée, Valentine Zuber et moi, nous tentions tentait d’évaluer justement la différence entre stigmatisation et critique, car souvent des 2 côtés on joue la confusion

Parlons net : dans certaines minorités, des hommes instrumentalisent aussi le fait que la cause de l’égalité des sexes est utilisée contre leur communauté de façon stigmatisante, pour refuser de considérer qu’il existe effectivement, et notamment dans leur groupe des problème d’égalité des sexes. (c'est un peu compliqué, ma phrase, si ce n'est pas immédiatement clair, il suffit de relire, oui, oui, je vous l'assure).

 

 

Donc rompre avec la manière de dire des chevaliers du bien, n’est nullement adopter un discours inverse au leur, nullement dire « noir » sous prétexte qu’ils disent « blanc ». C’est d’abord être capable de penser (et d’exprimer) deux idées à la fois, d’articuler deux idées. Cela s’acquiert, mais pas tellement en regardant la télévision ou en lisant Elle, ou les livres à la mode, à gros tirage, car l’indignation facile engendre la notoriété facile.

On pourrait prendre pleins d’autres exemples. J’ai toujours dit et écrit que, dans la critique faite par les dits républicains sur l’enseignement d’aujourd’hui, sur les dites nouvelles pédagogies, etc, il y avait du grain à moudre, il y avait des choses qui me semblaient juste.

Ce qui est insupportable c’est la façon dont ces "républicains" idéalisent le passé, en affirmant souvent d'ailleurs des choses complètement fausses sur ce passé. Donc ils défendent le savoir en adoptant le contraire d’une démarche de savoir. Est également insupportable, la façon dont ils ne tiennent pas comptent d’un certain nombre de changements sociaux et culturels qui fait que, même si l’on peut à raison critiquer certains changements effectués, on ne peut pas faire comme s’il était possible de se passer de changement.

Et puis, quelle contradiction entre des gens qui reprochent (à juste titre) à l’école de ne pas être assez distante de la télévision, d’en être parfois un clone, mais qui, eux mêmes, jouent sur les même ressorts que la télé : l’émotionnel, l’indignation au premier degré, les affirmations massives et unilatérales, etc.

 

 

Prendre ses distances avec les chevaliers du bien, c’est prendre ses distances avec la croyance de Sartre : « la vérité est une, l’erreur est multiple ». La vérité n’est jamais une, au sens où elle n’est pas un bloc figé, immobile quelque chose que l’on pourrait cerner et s’approprier une fois pour toute, et répéter à l’infini.

Vous connaissez sans doute l’image utilisée par Husserl : le cube est un objet dont on ne peut jamais voir toute les face en même temps. On est obligé de se déplacer et, à chaque fois, on ne vois que certains aspects du cube.

Donc, il s’agit ni d’inverser des contenus, ni d’être dans le relativisme, dans l’équivalence  généralisée, mais dans le savoir que, pour ne pas se planter, il faut prendre en compte le plus de facteurs possibles et que, même là, on ne prend jamais en compte tous les facteurs, on ne voit jamais toutes les face du cube. C’est une démarche de désacralisation.

Quand Pierre Nora (au début de la série d’ouvrages qu’il a dirigé sur Les lieux de mémoire) écrit : la mémoire sacralise, l’histoire laïcise, c’est exactement cela : la mémoire croit que le passé s’est déroulée selon le souvenir que l’on en a, et qu’il n’y a rien à chercher. C’est pourquoi, la démarche historienne ne commence pas par en savoir plus, elle commence par trouer du pseudo savoir. Elle commence par mettre du doute, de l’inconnu sur ce qui semble évident. Et à partir de là, on se donne les moyens les plus rigoureux possibles pour reconstruire le plus sérieusement qu’on le peut quelque chose de ce passé.

Alors vous me direz : OK, mais c’est une démarche de spécialiste. Et on ne peut être spécialiste de tout. Comment faire ?

 

 

 

D’abord, il faut justement renoncer à savoir tout sur tout, à croire que l’on peut savoir tout sur tout. C’est un des pièges de la démocratie ("le plus mauvais régime excepté tous les autres" : donc précieux mais à ne pas sacraliser), que de faire comme si le citoyen pouvait avoir une opinion éclairée dans tous les domaines. Et maintenant, en plus, on prétend que nous sommes « surinformés ». Foutaise ! L’information sélectionne, cache autant qu’elle montre, et ce qu’elle montre, elle le montre d’une certaine manière, avec une certaine mise en scène.

On peut très bien vivre, en sachant que sur des tas de sujets où tout le monde croit savoir, eh bien on ne sait pas. C’est d’ailleurs même plutôt fun de jeter un regard un peu distancié, un peu humoristique sur les certitudes à deux balles de ses contemporains. Bien sur, il faut se méfier alors un peu de la tour d’ivoire, de l’impression que l’on a que ces gens là sont vraiment pas très finauds, qu’ils tombent tête baissée dans les pièges les plus grossiers.

Et à certains moments, c’est aussi un peu difficile à vivre car vous êtes sommés de communier aux vérités moutonnières. Il y a des fois où il faut assumer le petit courage d’être seul. Petit, en démocratie, en tout cas car si cela peut vous fermer certaines portes, vous couper de réseaux de relations, on ne vous mettra pas en prison pour autant.

Alors justement, puisqu’on ne court pas le risque de la prison, de la torture et de la mise à mort, osons au moins donner à la démocratie ce qu’elle nous permet : une réflexion un peu personnelle, une réflexion non calibrée.

Oui, on peut très bien vivre en sachant qu’on ne sait pas tout sur tout. Quitte à ce que, faute de pouvoir avoir une réflexion personnelle, fondée en raison, issue d’une démarche de connaissance, dans certains domaines, on ratifie temporairement un savoir commun. Mais cela en sachant que son savoir est donc très relatif, de qualité moyenne, qu’il reste (au minimum) un petit doute, parce qu’on a pas vraiment eu le temps et les moyens de vérifier. C’est un savoir monoprix, c’est un savoir de supermarché. Ce n’est pas grave du tout, à condition  de ne pas être complètement dupe.

Sur des tas de sujets, je connais ce qui se dit, je tente quand même de trier, mais en sachant que mes critères de trie sont relatifs, que ma connaissance donc est partielle et provisoire, que je peux modifier mon jugement, etc

Ce n’est en rien du nihilisme absolu, c’est simplement faire une petite place à la mobilité possible de son point de vue, garder une petite distance avec les évidences. Se méfier de la méthode Coué : ce n’est parce que quelque chose est répété à satiété que clea devient juste.

 

 

 

Ensuite, même dans les domaines où l’on n’est pas compétent, on peut, malgré tout, dans beaucoup de cas, arriver à s’orienter dans la pénombre. A avoir quelques critères de tri.

Par exemple, justement, se méfier de tous les discours style chevaliers du bien, les discours séducteurs, les discours qui confortent des croyances de groupes, les discours blocs, les indignations faciles. Apprendre à ne pas réagir au quart de tour. A estimer au départ qu’on ne sait pas, ou que l’on sait peu. Etre attentif à ceux qui sont capables de vous présenter deux idées (ou trois !) articulées sur le sujet et non une position absolutisée, une vérité bloc.

Il faut un peu tendre l’oreille car leur petite musique n’est pas débitée de manière tonitruante dans les supermarchés de la consommation des lieux communs, dans les temples où l’on communie aux espèces eucharistiques de la religion civile. Et là, la croyance en une sorte de transsubstantiation  est monnaie courante. Autrement dit : on passe son temps à vouloir vous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Un bon critère pour échapper à cela : la lectio difficilior. Je vous expliquerai la semaine prochaine de quoi il s’agit. Déjà que l’on me dit que mes notes sont trop longues, et que du coup on a du mal à les télécharger (mais je me suis amélioré, depuis…la semaine prochaine).

 

 

Enfin, puisqu’il serait illusoire de croire pouvoir avoir des idées personnelles sur tout, qu’il faut bien de toute façon, vivre en acceptant relativement des lieux communs (ce que les historiens, un siècle après, qualifient, avec une certaine condescendance d’« idées de l’époque », autrement dit : idées pipeau !), au moins qu’il y ait un domaine, où l’on ne bêle pas avec les moutons, où on n’hurle pas avec les loups.

Un domaine où l’on consacre du temps, de l’énergie, de l’intelligence, à effectuer une véritable démarche de connaissance, à acquérir un certain savoir hors des lieux communs de toutes sortes (y compris les lieux communs des contestations établies, balisées). Cela signifie accepter de se mettre en question soi même,  accepterd’affronter les « faits désagréables » (citation de Max Weber, que je vous ai déjà sortie je ne sais plus quand). Bref un domaine où l’on ne soit pas une pomme calibrée.

Et ce qui est passionnant quand on emprunte ce chemin, c’est que l’on n’arrive jamais au bout. Un de mes premiers livres s’intitulait La marche et l’horizon.  Il est daté et j’ai évolué depuis sur certains points. Mais la constance, c’est l’idée que l’horizon s’éloigne au fur et à mesure que l’on marche, et que c’est tant mieux, puis qu’alors on continue à marcher, pas à marche forcée étant donné qu'il n’y a pas de but final à atteindre. On marche à son rythme et si on n’atteint pas l’horizon, on découvre de nouveaux paysages. C’est chouette.

C’est un peu tout cela que je pense être la LAÏCITE INTERIEURE.

 

 

Pendant que je finis de rédiger cette Note, j’allume la radio pour écouter les nouvelles. Alain Souchon chante dans le poste :

La vie ne vaut rien, rien, rien

La vie ne vaut rien

Mais moi quand je tiens,

Dans mes mains éblouies,

Les jolis petits seins

De mon amie,

Alors moi je dis

Rien ne vaut la vie

Rien ne vaut la vie.



[1] Du nom du sénateur Joé McCarthy

[2] Doctrine officielle de l’Eglise catholique qui affirme que, dans l’eucharistie, le pain et le vin  ne sont plus du pain et du vin mais corps et sang du Christ.

17/11/2007

LES TARTUFE NIAIS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

POUR UNE NOUVELLE MODIFICATION DE LA CONSTITUTION FRANCAISE.

Ainsi le Conseil Constitutionnel  vient de prendre une double décision. Avec des pincettes, il accepte les tests ADN, en revanche il invalide la possibilité de statistiques dites « ethniques » (en fait cette appellation est aussi fausse que la traduction par « discrimination positive » de l’expression affirmative action), que pourraient comporter des études sur le caractère multiculturel de la société française. Cela me donne un peu envie de rejouer à ce que j’ai déjà tenté deux ou trois fois dans ce Blog : écrire une Note d’anticipation. 

Un historien de 2107 indiquerait que cette décision du Conseil avait alors valeur de symbole : la conception républicaine dominante au début du XXIe siècle admet l’usage de tests génétiques en matière de contrôle social, malgré l’opposition de « larges pans de la société civile, la gauche, le centre et même une frange de la majorité », à l’inverse elle refuse une démarche de connaissance défendue par des « chercheurs soucieux de mieux comprendre les mécanismes de discrimination qui minent la société française et de mesurer l’écart qui sépare l’idéal républicain de sa réalité. »

Précisons, que les guillemets sont mis par l’historien de 2107 lui-même: il cite l’éditorial du Monde du samedi 17 novembre …2007. L’édito de Libé, lui, est plus ambiguë. « Il faudra trouver un autre moyen de rendre lisible la réalité de la discrimination française envers les minorités visibles. La tâche n’est pas impossible » écrit Laurent Joffrin. Pour les tests ADN,  Libé, ayant activement lutté contre (à l’inverse des stats, cela ne divisait pas son lectorat), voit surtout que leur usage est rendu « homéopathique » par l’encadrement effectué, d’abord par la loi elle-même (sous la pression de la société civile) ensuite par le Conseil.

Mais Libé reconnaît un « symbole fort regrettable » le maintien du principe. Le symbole est encore plus « fort » si l’on met ensemble les deux décisions.

Et c’est bien au niveau du « symbole » que cela se joue. Car que signifie voter une loi, la maintenir tout en rendant son application difficile ? Cela me rappelle la loi de juin 2001 sur les dites « sectes » : certains de ses défenseurs affirmaient : « mais de toute façon, elle ne sera pas appliquée ». Sic, j’ai entendu notamment un éminent juriste dire cela dans un colloque sur les libertés organisé par une université américaine. Ce à quoi ses collègues américains ont répondu : « à supposer que ce soit le cas, réfléchissez à ce que signifie être favorable à une loi au motif qu’on ne l’appliquera pas ! »

Pour ma part, j’avais un précédent historique de sinistre mémoire à mettre dans le débat : la loi de 1825 sur le sacrilège qui condamnait à mort les profanateurs d’hostie (espèces consacrées pour la célébration eucharistique). Certains l’avaient prôné en déclarant explicitement qu’elle n’était, de toute façon, pas applicable.

Dans ces cas de figure, nous sommes donc hors du fonctionnel, hors de ce que l’on appelle la rationalité instrumentale. En revanche nous somme en plein dans le domaine, tout aussi important, de la légitimité symbolique.

 

 

Ainsi, nous ne sommes donc pas, à propos des tests ADN, dans une quelconque tentative de « maîtrise » de l’immigration. La précision n’est pas tout à fait négligeable. Au risque de choquer certains internautes, je me méfie aussi de l’angélisme dénonciateur à ce propos. Même si maîtriser l’immigration, ce n’est pas (bien sûr) la refuser. En fait, je suis d’accord avec ce qu’avait déclaré en son temps Michel Rocard et que l’on a honteusement tronqué (en ne répercutant que la 1ère partie de la phrase) : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle doit y prendre sa part. » Autrement dit, il faut concilier (ce qui n’est pas facile) réalisme  et éthique.

 Les tests ADN, qui vont constituer une mesure pratiquement inapplicable, ne font partie ni du réalisme ni de l’éthique. Reste le symbole. Je serai bref puisque cela a été dénoncé pratiquement de toute part. Disons qu’entre autres symboles, c’est une manière d’indiquer aux Africains (par exemple) que seule notre conception de la famille (avec filiation directe) est valable.

 

 

Et surtout que la décision du Conseil préfère les tests ADN pour immigrés aux statistiques qui pourraient nous donner une connaissance plus exacte des discriminations. Là, personne n’est capable de dire les conséquences effective de la censure du Conseil. Mais, il est possible de faire trois constats :

 

D’abord, la décision témoigne d’un glissement, d’un court circuit manifeste. La censure renvoie à l’article 1 de la Constitution : La République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race et de religion ». Mais, comme le fait remarquer le sociodémographe Patrick Simon (Libé, 16 novembre) une étude statistique n’est pas « la loi ». Cela n’a même rien à voir.

En fait, une fois encore (c’est pareil dans les lois dites mémorielles), c’est la spécificité de la démarche de connaissance qui est allègrement ignorée. Le Conseil Constitutionnel fait partie de ceux qui tournent le dos à l’état d’esprit des Lumières, qui valorisaient le savoir. Il est dans la confusion la plus complète. Il confond (notamment) savoir et normes. Peut-être en partie parce que dans les sciences juridiques savoir et normes ne sont pas séparés. En partie aussi, certainement, parce que l’idéologie républicaine est une idéologie d’aveugles, elle permet de cacher la réalité, de refuser de voir ce qu’il est désagréable de voir.

Car, second constat, le Conseil Constitutionnel s’aveugle depuis longtemps, par rrréépublicanisme niais, sur les discriminations.

Un petit rappel historique est nécessaire : En 1982, il y 25 ans, députés et sénateurs adoptent une modification du code électoral pour qu’aux élections municipales « les listes des candidats ne (puissent) comporter plus de 75% de personnes du même sexe » dans les villes de plus de 3500 habitants.

Censure du Conseil : les « principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute distinction par catégories des électeurs et des éligibles ». La règle qui, « pour l’établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe » est donc contraire à ces principes. Pas touche à la sacro sainte conception du citoyen abstrait, sans sexe, sans couleur de peau, mais pas sans âge (18 ans et plus) ni sans nationalité (mais tout bon citoyen abstrait qui se respecte ne peut être que français ou, à la rigueur européen, c’est bien connu), tel est le logo du Conseil.

 

 

C’est ce que l’on appelle, significativement, « la transcendance par le politique ». A part cela, on se croit laïque sous prétexte que l’on est un adepte crédule de la religion civile. Quand Bush dit « Dieu » américain, le Conseil dit de la même manière « citoyen abstrait » républicain français. C’est kif-kif.

Ce « citoyen universel abstrait » a été déboulonné par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui modifie la Constitution par l’alinéa suivant : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »

Au secours : le citoyen a désormais un sexe ! Cachez ce sexe que je ne saurais voir ». Il y a des enfants en France, quand même !

Et oui, le citoyen a un sexe, il n’y a plus que les médecins qui n’ont pas de sexe (du moins pour le féminisme caviar de l’hebdo Elle et autres grenouilles de bénitier médical).

Miracle : malgré toutes les injures déversées par tombeaux ouverts sur cette modification et la loi sur la parité, en 2007, la République existe toujours. Elle est composée de citoyens sexués et, stupeur, elle n’en est pas morte.

Etrange ! Il y a-t-il un Rrrééépublicain dans la salle ? Il pourrait peut-être m’expliquer ce prodige.

Mais, pas de miracle, les discriminations politiques contre les femmes continuent : regardez la composition de l’Assemblée Nationale. Cela est logique et le Conseil constitutionnel en est, en bonne part responsable.

Cela est logique : une candidate à la députation ne sort pas, tel un lapin ou un pigeon, d’un chapeau de magicien. Il y a un parcours où les responsabilités municipales figurent en bonne place. Si, à partir de 1982, il y avait eu au moins 25% de femmes dans les conseils municipaux des villes de plus de 3500 habitants, il y aurait certainement aujourd’hui nettement plus de femmes à l’Assemblée Nationale. Donc si ce n’est pas le cas, c’est à cause du Conseil, de sa tartuferie.

Mais, s’il y avait plus de femmes, peut-être la République serait morte alors car, entre nous, le citoyen abstrait républicain, c’est quand même plutôt un mec qu’une gonzesse, non ? Il doit être couillu.

Les femmes, c’est pour l’image, Play-Boy vous le dira. Pour la République, Marianne ; pour l’Eglise catholique, la Vierge Marie. Les deux France, même combat.

Aussi machistes, historiquement, l’une que l’autre.

 

Croyez-vous que le Conseil, en ces temps d’inflation de la mémoire (d’une mémoire très amnésique !), se rappelle sa niaiserie de 1982 ? Non, bien sur. Ses membres n’ont rien appris et rien oublié.

Ils sont toujours aussi aveugles et sourds. Ils ont toujours la même conception un peu débile de la République.

Ce sont toujours les gardiens du Temple où gît le Citoyen Abstrait Sacralisé, totem et idole de la République dite laïque.

Et ils nous refont donc le coup, 25 ans plus tard. « Cachez cette couleur de peau que je ne saurais voir ».

Tartufe pas mort.

 

En effet, c’est toujours la même antienne : « Cachez ces discriminations que je ne saurais voir », hier sur le sexe, aujourd’hui sur la couleur de peau.

Enfin, troisième constat, comme hier on crachait sur la parité et nous menaçait des pires choses si elle était instaurée, aujourd’hui, une pétition de SOS-Racisme, signée par de nombreuses « personnalités » est intitulée : «Fiche pas mon pote». En demandant au Conseil de censurer les stats, elle prend pour cible une «grande enquête publique [qui] prévoit de demander à 24 000 personnes de répondre à des questions comme : “De quelle couleur de peau vous diriez-vous ?” ou“Avez-vous une religion ? Si oui, laquelle ?” etc.». Et elle appelle d’urgence à «se mobiliser devant ce renoncement aux principes fondateurs de notre République». Elle menace du retour à « la France coloniale ou de Vichy », c'est-à-dire du régime de la collaboration avec le nazisme et de l’étoile jaune !
Cela, vise, en fait, un groupe d’une quinzaine de chercheurs qui préparent, sous l’égide de l’Insee et de l’Ined, une enquête intitulée «Trajectoires et origines, enquête sur la diversité des populations en France». Cette enquête a pour objectif d’analyser l’impact de l’origine dans l’accès au logement, à l’éducation, à l’emploi, aux loisirs, aux services publics et aux prestations sociales, aux réseaux de relations, etc. Des chercheurs français et d’autres pays ont heureusement réagi et défendu leurs collègues. La contre-pétition (que j’ai signée) indique :

« Le questionnement porte sur l’ensemble des facteurs – sociaux, culturels, générationnels, géographiques, liés à l’origine ou au sexe – susceptibles d’intervenir pour favoriser ou limiter cet accès aux ressources. La couleur de peau et la religion en font partie, parmi d’autres. Il ne s’agit nullement d’«enfermer» les personnes interrogées dans des «catégories ethnoraciales», il ne s’agit nullement de recenser les personnes selon leur origine, de faire des statistiques ethniques mais plutôt d’évaluer, de mesurer la place de l’ethnicité dans la définition de soi, dans l’assignation à une différence non revendiquée et dans les trajectoires socioprofessionnelles. » (cf. Libé, 15 novembre)

Selon F. Héran (Débats, Le Monde, 15 novembre) dans le courrier de SOS-Racisme au CNIS, on trouve la condamnation du projet même de toute étude de la religion : « la prétention de pouvoir comprendre la part d’influence de la religion sur le comportement des individus est totalement inacceptable ». « Exit donc Durkheim ou Weber » indique Héran qui ajoute : « A croire que la section des sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes n’a pas été créée en 1886 par la IIIe République mais par Vichy ». Effectivement : on ne saurait être plus obscurantiste, ni antilaïque. La section des sciences religieuse a été une création laïque et républicaine, à un moment où la laïcité se souciait d’intelligence et de savoir.

Les républicano-obscurantistes n’en ont cure. D’après le site de SOS Racisme, 85386 personnes ont, au 17 novembre, signé la pétition. Combien ont réfléchi et se sont renseignés auparavant sur l’étude menée par l’Insee – Ined ? Combien ont joué les chevaliers du bien, au réflexe pavlovien : « ‘ethnique’, vous avez dit ethnique. Mais c’est affreux Monsieur Michu. Indignons nous bien vite tous ensemble. » Et dans le tas… François Hollande. Le PS est vraiment, vraiment mal barré ! Mais cela ne m’étonne malheureusement pas : chaque fois que le PS m’a demandé (seul ou avec d’autres) de parler de la laïcité, Hollande arrivait après, et…donnait les conclusions, par un discours roublard mais farci de lieux communs. La laïcité, bien sûr, il sait ce que sait, es fonction de Premier Secrétaire du Parti, il n’a pas besoin d’apprendre ni d’écouter. Seulement de se faire photographier en train de lire L’histoire de France pour les Nuls.

Comme dirait l’autre, tout cela est assez Dégueulasse.

Mais, après tout, la décision du Conseil Constitutionnel de 1982 et les injures sur la parité n’ont pas empêché la défait du camp rrrééépublicain. Je prends donc date.  Tout comme il y a eu une révision de la Constitution en 1999, je propose une nouvelle révision constitutionnelle. Après tout, ce ne sera que la 23ème depuis 1958. L’Article I énonce que la France est une « République laïque » qui « respecte tout les croyances ». je propose un ajout : « La France est une République laïque. Elle respecte toutes les croyances et le savoir ».

Mais ya du boulot camarades !

PS : La semaine prochaine : la suite de la Note sur les chevaliers du bien (en tenant compte des remarques des Internautes). On n’a d’ailleurs pas vraiment quitté le sujet, non ?

10/11/2007

LES CHEVALIERS DU BIEN

Le Blog ne se fait pas pour « devoir » de suivre l’actualité. Cela m’a été parfois reproché, j’ai toujours répondu que sur pas mal de sujets, je n’avais rien d’original à dire (entendez rien d’autre que ce qu’on peut lire ou entendre ailleurs). En outre, je suis plutôt du genre « ruminant » et quand, ayant réfléchi, j’ai une idée un tant soit peu originale, cela fait des lustres, que la dite actualité a changé de sujet. « Souvent femme varie » disaient les mecs quand ils ne craignaient pas le politiquement correct. Eh bien, c’est fort vrai pour l’actualité ! Le temps de la réflexion, et hop, votre propos est déjà totalement obsolète, et vous has been.

Là, m’a fait réfléchir la concomitance de deux crises, celle de l’Arche de Zoé et celle de Ni Putes ni Soumises. C’est la nième crise, me disais-je des chevaliers du Bien. En attendant les suivantes, car les entreprises des chevaliers du Bien tournent, en général, les unes après les autres, en eau de boudin. Et c’est ainsi depuis des lustres. Ce n’est pas de l’actualité, c’est de la permanence. Mais ce n’est pas sans effets contreproductifs. Et on ne semble pas en tirer d’élémentaires leçons.

 

 

Je sais, parler des chevaliers du Bien est un sujet sensible. J’ai déjà effleuré le sujet, et la réaction de plusieurs internautes a été fort critique (cf. la Note: "les chevaliers du bien...éteignent les lumières"). Mais ce Blog n’est pas fait pour plaire, il ne cherche pas l’audimat. Plutôt des personnes qui acceptent la confrontation, le débat d’idées, voire la tentative d’analyse.

La plupart des critiques revenaient à dire : « ne désenchantez pas ». Or, précisément, si le Blog a un petit message, c’est que nous avons tous (bibi y compris) a apprendre, chaque jour, quelque soit l’âge et l’expérience, à vivre dans un monde désenchanté. A y vivre librement et, si possible, joyeusement. Pour moi, c’est un peu cela la « laïcité intérieure », dont parle Claude Nicolet à la fin de son ouvrage, L’idée républicaine.

 

 

Les chevaliers du Bien sont ceux qui combattent pour une bonne, une juste cause et, parce que la cause est bonne, ils n’ont ni doute, ni état d’âme. Persuadés de mener le bon combat et d’avoir en face d’eux les représentants du Mal, ils mettent tout en œuvre pour faire triompher leur cause, celle du Bien, de la Justice, de la Vérité.

En général, ces chevaliers du Bien sont combattus par ceux qui estiment que la cause n’est pas bonne, voire même franchement mauvaise. Il y a opposition de contenu, mais pas forcément de forme : les chevaliers du Bien peuvent être combattus par des chevaliers d’un autre Bien. Et nous sommes toujours là, dans le combat du Bien contre le Mal. Simplement, il y a deux Biens contradictoires.

La télé adore cela, car quand elle met en présence deux chevaliers du Bien opposés, ou deux camps, peu importe, cela donne un beau pugilat. Et le pugilat, Coco, c’est du spectacle, c’est « sexy », c’est bon pour l’audimat. Quelquefois, l’animateur est relativement neutre. Je ne dirai pas qu’il arbitre, car l’arbitre fait respecter la loyauté du jeu et, là, ce n’est vraiment pas son problème, au dit animateur. Au contraire, plus il y a de coups bas, plus il semble content.

Le plus souvent, il existe une connivence entre un ou des chevaliers du Bien, représentant le camp du Bien télévisuel, alors que l’autre camp est, à l’évidence, considéré comme le camp du Mal. On a fait venir son (car, souvent, il est seul contre 4 ou 5), voire ses représentants (souvent par des pressions du type : « si vous ne venez pas, on dira à l’antenne que l’on vous a invité et que vous avez refusé de venir ») pour deux raisons.

D’abord pour avoir un beau pugilat, du spectacle.

Ensuite, pour que le camp du vrai Bien (le Bien télévisuel) triomphe publiquement (c'est-à-dire médiatiquement). Que le ou les chevaliers du  faux Bien qui, en fait, défendent le Mal (le Mal télévisuel) soi(en)t confondus aux yeux des millions de téléspectateurs, et traînés dans la boue médiatique,. Ainsi le vrai Bien triomphe. La scène sociale est purifiée. Les blasphémateurs, les impies, les hérétiques sont symboliquement mis à mort. C’est tellement beau, un film avec de beaux corps à corps et l’happy end où le méchant est visiblement vaincu !

Grâce à la télé, on a la Saint Barthélemy à domicile, pratiquement tous les jours[1]. Et en plus, en toute bonne conscience : nous ne sommes pas comme ces méchants Américains ou Japonais : chez nous la peine de mort est abolie.

 

 

Je l’ai déjà dit : les chevaliers du Bien sont, en général, combattus par des chevaliers d’un Bien inverse. Mais quelques mauvais esprits dont je fais, hélas, parti, luttent contre les chevaliers du Bien parce que les chevaliers du Bien les insupportent. Parce qu’ils ne croient pas au « Bien », enfin pas complètement. Ils croient à un bien, à des biens relatifs[2], et quand le bien se transforme en Bien, alors (pour eux), cela devient très vite craignos.

Ces mauvais esprits pensent que « chaque médaille a son revers », ils ont toujours des questions impertinentes à poser au Bien, à ses chevaliers. Ils cherchent la petite bête, ce qui ne colle pas, les contradictions internes, les impensés, les points aveugles. Ils sont toujours dans le « c’est trop beau pour être vrai », dans le « qui fait l’ange fait la bête ». Ils sont pervers ou sociologues, parfois les deux (mais rassurez vous, il existe aussi des sociologues qui sont ou deviennent chevaliers du Bien : Bourdieu, les dernières années de sa vie en est un bon exemple).

 

 

Ce qu’il y a de socialement, et médiatiquement, insupportable chez ces mauvais esprits, c’est qu’ils prétendent ne pas penser l’inverse des chevaliers du Bien. En fait, ils chipotent : « cela est assez juste, mais là non, et ce pour telle et telle raison ». Ils veulent déconstruire, garder certains aspects, en rejeter d’autres. Ils argumentent, pire ils soulèvent les tapis et montrent la poussière qui est enfouie dessous. Ils regardent dans les coins interdits. Ils farfouillent les placards pour y sortir les cadavres enfouis ;

Que c’est déplaisant ! Et pourquoi font-ils cela ? Pourquoi ne communient-ils pas dans le grand Bien commun ? Pourquoi passent-ils leur temps à farfouiller au lieu de combattre le Mal ? Ils ont de bien mauvaises intentions, certainement. Et, si ce n’est pas le cas, ce sont des inconscients, des naïfs, ne voyant pas (ou ne voulant pas voir) le Mal qui rode, qui nous menace, qui va nous envahir. Bref, puisqu’ils ne sont pas vraiment pour le Bien, ils sont pour le mal, ils sont complices du mal.

 

« Naïveté ou cynisme », that is the question, comme dirait  le regretté Williams. Cette question, on la trouve en page 4 de couverture d’un petit livre : La tentation obscurantiste qui dénonce, notamment, pèle mêle, des spécialistes de l’islam soupçonnés de ne pas mener le combat du Bien contre l’islamisme. L’Assemblée Nationale s’est dépêchée de donner le prix du livre politique à ce chef d’oeuvre. Il faut dire que le jury est principalement composé d’hommes (et de femmes) de média, qui ne semblent voir plus loin que le bout de leur audimat.

 

 

Plus fondamentalement, puisque nous sommes forcément (c’est cela qui est la structure même d’une société où la mise en scène médiatique est devenu le Réel) dans le combat du Bien contre le Mal, il serait strictement insupportable que les douteurs du Bien ne soient pas des complices, aveugles ou conscients peu importe, du Mal. Car, si par malheur il en était autrement, cela signifierait que le doute peut être légitime. Qu’on a raison de farfouiller, d’argumenter point par point, de trier à ses risques et périls, d’interroger. Et alors on entrerait dans le domaine du complexe. Du subtil. Du nuancé. Du partiellement raison, partiellement tort. Et tout cela c’est télévisuellement ingérable.

Non, il faut affirmer le Bien, tous ensemble. Quitte parfois, à reconnaître, mais alors tous ensemble et en même temps, que l’on s’est trompé. Ce n’est pas grave, à condition de dire aussi péremptoirement et consensuellement que l’on s’est trompé qu’auparavant on proclamait le Bien. Car, alors, on a produit un nouveau Bien, qui non seulement remplace l’ancien, mais permet de (oblige même à) le stigmatiser.

 

 

Autrement, c’est devenu télévisuellement ingérable. En effet, j’ai eu l’occasion, dernièrement, de regarder des archives de l’INA. Dans les années 1960, vous avez des entretiens d’une bonne heure où Claude Lévi-Strauss, Raymond Aron ou Michel Foucault (Sartre refusant alors tout passage à la télé) vulgarisent leur savoir sur le mode d’un cours d’université populaire. L’émission s’intitule : Lectures pour tous. Vous y entendez cette chose étonnante : du complexe simplifié : cela reste complexe, subtile, nuancé et c’est pourtant rendu audible.

En revanche, dans les années 1970, vous assistez à deux novations ‘néo-philosphiques’. Les nouveaux philosophes (qu’ils sont jeunes alors !) introduisent le pugilat (Glucksmann contre René Andrieu, le rédacteur en chef de l’Humanité), et le paraître (BHL, habillé en dandy avec son éternelle chemise blanche échancrée). La télé devient alors beaucoup plus « sexy ». Elle peut, selon la belle expression de M. Patrick Lelay, « vendre des parts de cerveau disponibles » aux annonceurs.

 

 

Parmi les mauvais esprits dont je viens de parler. Il y a des journalistes. Ces inconscients croient à la possibilité du complexe simplifié, clarifié. Vous les trouvez un peu à la télévision, de préférence sur le cable, un peu plus à la radio, un peu plus dans la presse écrite (et pas seulement nationale).

Ces dangereux personnages doivent être neutralisés. Rassurez vous, on s’y emploie. D’abord, en leur retirant le droit de titrer leurs articles. L’information est trop sérieuse pour être laissée aux journalistes. Des fois qu’ils utilisent les parts de cerveau disponibles qui leur sont confiées pour les provoquer à la réflexion, et non pour les vendre, ces naïfs inconscients ! Ce sont des commerciaux, des agents marketing qui font les titres. Eux au moins ce sont des gens sérieux, pas des mauvais esprits. Et ils savent, ces professionnels, tirer d’un article qui prétend montrer l’ambivalence des choses, le titre bien accrocheur qui les ramène à l’univocité du Bien.

Ensuite, et cela c’est encore plus fun, on peut compter sur la collaboration du lecteur lui-même. Eh oui, en chaque lecteur, se trouve un petit chevalier du Bien qui sommeille, et ne demande qu’à être réveillé, asticoté, titillé. Les gros titres, les infos « sexy », les propos bien unilatéraux, les nouvelles indignatoires (oui, j’assume ce néologismes), les propos matières à émotions consensuelles, nous en raffolons tous. Comment alimenterions nous autrement nos conversations café du commerce ?

 

Pour être bien ensemble, indignons nous en cœur. Evitons les propos qui fâchent, qui prennent la tête, les « c’est plus compliqué »,… C’est autour du Bien commun que se fabrique de la communion sociale. Et la communion sociale, nous avons tous besoin.

Je n’ai pas encore parlé de l’Arche de Zoé, de Ni Putes ni soumises, etc. Mais dans les ficelles du métier, il y a le suspens. C’est pourquoi, je vous laisse en plan, en espérant vous avoir donné un peu envie de connaître la suite, et donc de revenir sur le Blog dans 8 jours. Pourtant, je ne vends rien, même pas votre cervelle. Mais, contrairement à ce j'ai prétendu au début, moi aussi, je regarde l’audimat de mon Blog, qu’alliez vous imaginer ?

(à suivre).



[1] Car c’était cela le but de la Saint-Barthélemy  (Saint Bar-télé my !) populaire : purifier la République, pardon le Royaume de France de la présence sacrilège d’hérétiques impunis : cf. les travaux de Janine Garrisson..

[2] Comme le disait Sartre, quand il était compagnon de route des communistes : "la Vérité est une, l’erreur est multiple : c’est pourquoi on ne saurait être pluraliste." (je cite de mémoire). Eternel argument des orthodoxies de tous poïls.

01/11/2007

"MINORITES VISIBLES", FIN MEDECINE ET MORT

 Il y a quelques semaines, je vous ai renvoyé à deux articles du Monde, celui de Michel Wieviorka et celui de Didier Fassin à propos des statistiques dites « ethniques » : en effet, ils correspondent à ce que je pense : ces statistiques sont nécessaires, mais elles doivent être maniées avec rigueur. Elles ne servent pas, en effet, à cataloguer les gens, mais à mieux connaître les discriminations que certains d’entre eux peuvent subir.

 Malgré cette précision, une internaute m’a indiqué son désaccord, m’affirmant notamment qu’elle trouvait atroce le terme de « minorité visible », que, d’ailleurs, « la couleur de la peau n’a pas plus d’importance que la couleur des cheveux ». Je lui ai alors raconté une petite histoire que je vous livre également.

 

Il y a, disons, un certain nombre d’années, quand mes enfants étaient tout petits, nous prenions chez nous, ma femme et moi, une jeune fille au pair pour nous aider à les garder. Sans doute sur la recommandation d’amis, nous nous étions inscrit à une association qui recrutait des jeunes filles scandinaves, désireuses de venir à Paris et d’apprendre le français, tout en gagnant un peu d’argent. Nous téléphonions début septembre et prenions une jeune fille pour l’année scolaire.

 Une année, nous nous y sommes pris un peu tard, et toutes les jeunes filles avaient déjà trouvé une place. Nous étions bien embêtés. La dame que nous avions au bout du fil nous déclara alors : « j’aurais bien quelqu’un, mais il n’est pas sûre qu’elle fasse l’affaire. » On lui demanda pourquoi et elle répondit en nous proposant que cette personne se présente chez nous. « Vous verrez bien, alors, si vous souhaitez l’engager ». Impossible de savoir quel était « le problème » qui amenait un propos aussi dubitatif.

 Nous avons accepté de recevoir la personne en question, mais le jour précédant sa venue, nous n’en menions pas large. Cette personne avait-elle été renvoyée, au bout de quelques jours, d’une précédente place ? Etait-elle imprudente avec les jeunes enfants ? Voleuse ? Etc. Nous échafaudions de multiples hypothèses. Mais comment voir au premier abord si quelqu’un sera ben avec les enfants, et si on peut lui laisser l’appartement en confiance ?

 Le jour dit, sonne à notre porte, une jeune fille noire.

 Nous avons été très soulagés et très furieux. Soulagés, puisque le « problème » n’en n’était pas un et que, hourrah !, nous avions notre jeune fille au pair. Furieux, absolument furieux, que l’on ait pu nous faire croire qu’il y avait un problème. Et que l’énigmatique « vous verrez bien » se rapporta à cela.

 Et oui, la couleur de la peau n’a pas d’importance,… sauf dans la tête des autres. Car si je raconte ce petit souvenir, c’est qu’il est certainement pas isolé, mais malheureusement représentatif de ce qui se passe dans beaucoup de têtes.

 

Au début de mon livre L’intégrisme républicain contre la laïcité, j’indique le tragique court circuit du propos de Régis Debray, quand il a élaboré son opposition République/démocratie, en indiquant qu’en République, il n’y a pas de maire noir ni de sénateur jaune. Il voulait dire qu’en République, on ne se souciait pas de la couleur de la peau pour choisir ses élus. Mais, à son insu, il décrivait la situation concrète de la République française, qui n’avait que des maires et des sénateurs blancs, aucun noir ou jaune.

 Ainsi « qui veut faire l’ange fait la bête », comme l’affirmait déjà un certain Blaise Pascal. Il existe bien SOCIALEMENT des « minorités visibles, et l’absence de statistiques a longtemps masqué, en France, l’ampleur des discriminations. Mais la possibilité de dites statistiques, l’utilisation de l’expression « minorités visibles » doit s’accompagner d’un travail d’élucidation sur la médiation des représentations sociale. Langage et statistiques ne décrivent pas la réalité toute nue, la « réalité vraie » (comme me disait, un jour, un étudiant). Il y a toujours entre la réalité et nous même, de la représentation sociale.

 Comment faire prendre conscience, aux autres et à nous-mêmes, que cette « réalité première » ? L’école, bien sûr, devrait contribuer à cet apprentissage indispensable pour avoir un minimum de lucidité. Mais nous vivons toute notre vie en situation de formation permanente et les médias de toutes sortes, mais aussi des remarques faites au cours de conversations informelles, ont leur rôle à jouer pour ne pas coller à un sommaire premier degré.

L’expression « minorité visible » crée un malaise en France. Ce malais a conduit à de l’aveuglement. Mais il peut être utile, et créateur de lucidité.

Et maintenant, enfin !, la fin du feuilleton de l’été. Il est bien temps me direz vous, puisque nous sommes passés à l’heure d’hiver. En France peut-être, mais pas encore en Floride. Soyez reconnaissant à votre Blog favori : grâce à lui, vous pouvez imaginer que vous êtes un milliardaire, vous prélassant au soleil sur une plage de Miami Beach. Le Blog, vous offre un séjour paradisiaque à l’œil. Alors, heureux ? Ah non, vous n’allez pas réclamer en plus un tube gratuit de crème solaire.

Nous nous étions quittés, le 20 octobre, au début de la dernière partie sur L'ambivalence de la médécine aujourd'hui. Si vous voulez opérer un bref rappel, c'est facile: la Note du 20 octobre suit immédiatement celle là dans le déroulé du Blog.

Je reprends donc: 

Dans les années 1970, Ivan Illich, se fait le théoricien de la critique politique des institutions. Apres avoir proposé Une société sans école, il dénonce « l’expropriation de la santé » par la médecine. Selon Illich, le système médical moderne fonctionne comme une domination religieuse et s’exerce au moyen de rites médicaux obligatoires et de mythes culturellement imposés. L’individu gravement malade ne peut plus aller progressivement (et dans la perspective d’Illich, presque pacifiquement) vers la mort.  Le système médical décide « quand et après quelles mutilations il mourra ». « La médicalisation de la société, ajoute-t-il, a mis fin à l’ère de la mort naturelle. L’homme occidental a perdu le droit de présider à l’acte de mourir. La santé ou le pouvoir d’affronter les événements a été expropriée jusqu’au dernier soupir. La mort technique est victorieuse du trépas. La mort mécanique a conquis et annihilé toutes les autres morts » (I. Illich, Némésis médicale, Le Seuil, 1975, 201). Illich prône la séparation de la médecine et de l’Etat (sur le modèle de la séparation de la religion et de l’Etat). Il souhaite que l’Etat donne un statut égal à la médecine officielle et aux médecines alternatives. Selon lui, cela favorisera la « démédicalisation de la société » qu’il appelle de ses vœux ; de même la reconnaissance par l’Etat de doctrines religieuses concurrentes a contribué à une laïcisation de la vie sociale.

 Victorieuse socialement de la religion, sa concurrente institutionnelle dans la régulation de la mort, la médecine se voit donc attaquée comme nouvelle religion imposée. Fait significatif : Illich est qualifié de « prophète » par ses partisans comme par ses adversaires (J. Baubérot, « Ivan Illich, l’éthique médicale et l’esprit de la société industrielle », Esprit 1976, 292). Certes, ce contestataire est lui-même contesté. Ainsi des médecins répliquent en affirmant que le « progrès médical » constitue la « plus belle conquête de la civilisation occidentale, celle obtenue par la science et elle seule sur l’inégalité devant la souffrance et la mort » (Dr Escofier-Lambiotte, Le Monde, 4/6/1975).

 Mais il est intéressant de constater que, si les journaux parisiens nationaux se montrent, en général, très critiques, plusieurs quotidiens de province publient des articles assez favorables aux thèses d’Illich (idem, 308). Enfin selon Igor Barrère, alors auteur et producteur d’émissions médicales télévisuelles à succès, « Illich donne l’assaut au moment où les médecins sont atteints, comme le furent les prêtres, d’une crise d’identité » (Le Point, 16/6/1975).

Les événements se précipitent. En effet, des malades ou des proches de malades se mettent à écrire des ouvrages plus subjectifs que celui d’Illich, mais également accusateurs. Celui de la mère d’un jeune cancéreux décédé comporte un titre significatif : Messieurs les médecins, rendez-nous notre mort (S. Fabien, 1976).

  En 1980, se crée l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui diffuse des « testaments de vie » à l’instar du système américain. Un de ses membres revendique  le droit de « mourir dignement, dans la lucidité, la tendresse, sans autres affres que celles inhérentes à la séparation (d’avec les vivants) ». Ce droit, ajoute-t-il, « devient un impératif évident, dès lors que la vie peut être prolongée (par la médecine) jusqu’au dernier délabrement –et même au-delà » (cité par A. Carol, ouvrage cité, 300s.). La gloire de la médecine consistait à savoir de plus en plus prolonger la vie ; la voici maintenant accusée de servir aussi (et peut-être surtout) à prolonger la mort. 

 Bien sûr, on demande toujours à la médecine d’assurer la santé et la vie : si quelqu’un meurt à 50 ou 60 ans, on ne trouve pas cela normal. Mais, il se produit 2 nouveautés :

-         implicitement, on fixe un âge « normal » pour mourir. Faites une petite enquête autour de vous, et vous vous apercevrez que c’est (en gros, il peut y avoir des variations suivant les individus) entre 80 ans et 90 ans environ. Autrement dit : d’une part si quelqu’un meurt à 74 ou même 76 ans, on a tendance à penser qu’il aurait pu vivre un peu plus longtemps. S’il meurt à 84, 86, on ne dira plus : « c’est dommage, il aurait pu vivre plus âgé ». En revanche, on demandera : « comment était-il à la fin de sa vie ? », « est-ce qu’il a souffert pendant longtemps ? » et d’autres questions de ce genre : le souci de la prolongation de la vie fait place au souci des conditions de la fin de vie.

-         Si on apprend que quelqu’un est toujours vivant à 94, 96, 100 ans, ce souci de qualité de fin de vie devient tout à fait prédominant. Vous n’entendez pas dire : « j’espère qu’il va vivre encore de nombreuses années » mais plein de questions sur son état de conscience et son état de validité. S’il « a toujours sa tête » mais n’est plus du tout valide, on le plaint. S’il « n’a plus sa tête », on plaint ses proches. On peut d’ailleurs, dans tous les cas de figure, plaindre ses proches qui, souvent à plus de 60 ans et en étant eux-mêmes grands parents, doivent « encore » consacrer du temps et de l’énergie à s’occuper d’un vieillard.

(eh puis, on n’ose pas trop le dire, car ce n’est vraiment pas politiquement correct, mais on ne peut s’empêcher de penser que tout cela coûte cher en soins médicalisés et en système de retraites qui explose. Une blague que j’ai entendue dernièrement : « Les gens coûtent un prix fou à la sécurité sociale pendant les 3 dernières semaines de leur vie. Raccourcissons la vie de chacun de 3 semaines et le trou de la sécu sera résolu ! »

 Tout cela montre que les mentalités changent en profondeur. On est alors sorti (même si l’intégrisme républicain ne s’en rend pas compte) du temps où la médecine était l’objet de vénération comme prolongeant l’espérance de vie.

 Il ne s’agit pas d’un « retour en arrière » comme le disent facilement… les nostalgiques du passé (puisque l’époque de la modernité établie qu’ils voudraient éternelle est finie) mais d’un nouveau moment historique. A l’angoisse de l’au-delà et de la damnation de la prémodernité se substitue, dans la modernité tardive, l’angoisse de la déchéance physique et mentale. La crainte et l’espérance s’étaient transférées du clerc religieux au clerc médical, lors de la modernité triomphante, elles se retournent maintenant en partie contre ce dernier clerc avec la crainte d’un prolongement médicalisé abusif de la vie et l’espérance d’une mort douce, sans médicalisation excessive.

 

Dés 1980, Le Nouvel Observateur titre en 1ère page (n° du 7 au 13 avril 1980) : « La ruée des Français sur les médecines douces » L’introduction et la conclusion montrent de façon significative la mutation culturelle en train de s’opérer. En l’introduction, la rédaction précise :  Ces médecines (homéopathie, acupuncture, phytothérapie) « impliquent un autre rapport à soi et à la société que l’hospitalo-centrisme qui caractérise la médecine industrialisée moderne ».

 Le long article de Michel Bosquet (alias l’économiste de gauche André Gortz) (6 pages bien remplies, à partir d’une enquête de Marie-Geneviève Blanchard) « Plaidoyer pour les médecines douces » conclut que « essentiellement artisanales, les médecines douces vont à contre-courant de l’idéologie dominante héroique et prométhéenne, pour laquelle les progrès du bien être se forgent par un grand déploiement d’énergie, de machines superpuissantes, de capitaux et de recherches hyperspécialisées ». Elles plongent leurs racines dans les civilisations préindustrielles  et, à cause de cela, « attirent et dérangent à la fois ».

 Elles répondent, cependant, à « une nouvelle conception, post-industrielle de la modernité, mettant en question la place et le pouvoir de la science, ses finalité et son contrôle, les limites à assigner à son envahissement. » 

 Et Bosquet termine (après avoir constaté que certes « on continue souvent de qualifier les médecines douces de « non scientifiques »), par cette question qu’un hebdomadaire de gauche n’aurait jamais posé 15, 20 ans auparavant : « Et si la santé, elle non plus n’était pas « scientifique », ni la vie codifiable ? ». Certes, la semaine suivante, le « docteur » Norbert Bensaid rétorque que « l’humanisation indispensable d’une médecine de plus en plus technicienne » ne peut pas être recherchée « dans un retour aux empirismes ancestraux ». Il n’empêche, le ver est dans le fruit.

 Cela d’autant plus qu’une nouvelle mondialisation surgit avec la décolonisation et la chute du Mur qui n’est plus une simple occidentalisation (comme celle impulsée par les « grandes découvertes » et la colonisation subséquente, puis celle de la constitution de nouveaux empires coloniaux au XIXe) mais une rencontre-confrontation des cultures.

 Sous la conduite d’un ancien chef de laboratoire des Instituts Pasteurs d’outre-mer, Jean Benoist, l’Association d’Anthropologie médicale appliquée au développement et à la santé (ADAMES), tente de « défricher les représentations culturelles (on revient toujours à ce problème des représentations !) à l’intérieur desquelles s’inscrivent les modèles psychologiques et biophysiques de la maladie ». L’ADAMES estime que « l’analyse des pratiques médicales dans les sociétés « traditionnelles » et modernes doit contribuer à réviser certains préjugés » (des médecins ?). Est distingué, à la suite des Britanniques (toujours eux !), : illness (ce que ressent le malade), disease (la maladie selon le médecin) et sickness (la prise en charge socio-culturelle de la maladie). Trois approches différentes, et non celle du seul médecin comme cela a été le cas pendant longtemps.

 En 1983, est créé, par la France, le premier Comité consultatif national d’éthique (CCNE), tournant important voulu par un président de la République socialiste, François Mitterrand. Il semble significatif que la France qui, la première, a institué l’exercice illégal de la médecine en 1803, instaure la première, à un niveau national, un tel Comité qui manifeste que la médecine n’est plus seule créatrice de son propre sens. Elle doit partager la construction de ce sens, et les interrogations que sa réussite même provoque, avec le reste de la société.

 Dans le CCNE, à côté de médecins, de chercheurs, de juristes, d’anthropologues, de sociologues et de personnalités politiques et civiques, on trouve des représentants des « principales familles philosophiques et spirituelles ».

 Cela est intéressant à 2 titres : d’abord, cela montre que Mitterrand a compris que les religions, si elle ne doivent pas surplomber la société civile (cléricalisme) font partie de cette société et peuvent participer à la réflexion de cette société. Certes, c’était déjà le cas (cf. les nombreuses prises de position des Eglises). Mais cela représente une clarification très nette de cette situation.

 Ensuite, les religions ne sont pas seules : il est fait mention de « familles philosophiques » : on peut réfléchir aux questions de l’ordre du symbolique en dehors des traditions religieuses. Là encore, c’est une clarification (faite plus nettement en Belgique qu’en France : en Belgique, il existe des conseillers humanistes séculiers, à côté des aumôniers dans les hôpitaux, les prisons, etc).

 

 Bien sûr, il ne faudrait pas, pour autant, avoir une vue idyllique du CCNE : c’est un nouveau pouvoir : je renvoie sur ce point à l’ouvrage de Dominique Memmi : Les gardiens du corps, paru aux éditions de l’EHESS en 1996. Pour ma part, j’ai dit ce qui est important dans l’optique où nous nous plaçons ici et je remarque que dans le livre de D. Memmi, on trouve plein d’indications qui vont dans le même sens. Ainsi, le discours de clôture de B. Kouchner, alors ministre de la santé, pour les 10 ans du CCNE. Kouchner distingue 3 âges dans la représentation de la médecine : l’âge de la « pré-éthique » : « c’était l’époque de la science et de la médecine conquérante (…) Médecin, je fut de ceux qui réclamaient des coudées franches pour la médecine » reconnaît-il ; l’âge de « l’éthique » « où l’homo scientificus découvre ses pouvoirs et ses responsabilités », puis un « 3ème âge, notre âge » où « la confiance aveugle bascule en une méfiance systématique ».

  Petit commentaire : le 1er âge a duré longtemps, le second a en partie coïncidé, à mon sens, avec le 1er. Le 3ème n’abolit pas les 2 premiers, il s’y superpose. Il n’est d’ailleurs pas l’âge de la « méfiance systématique », mais plutôt un âge ambivalent où les individus réclament toujours des succès médicaux, tout en ayant une relative méfiance. Celle-ci n’a rien de « systématique », mais il est intéressant que le médecin Kouchner (et il n’est pas le seul dans ce cas, loin de là) ait cette perception dramatisée. On constate en effet que, souvent, pour des médecins, dès que l’on ne se trouve plus dans la « confiance aveugle », cela signifie pour eux que l’on est dans la « méfiance systématique » ! Cela montre bien qu’alors ils n’arrivent que très difficilement à quitter le 1er âge, et que beaucoup d’entre eux réclament toujours, en fait, une « confiance aveugle ». Les gens veulent bien faire confiance, mais pas « aveuglément », à condition de ne pas être dépossédés de leur jugement et de leurs droits, de ne pas être livrés passivement à un médecin pseudo tout puissant.

 Le débat sur l’euthanasie, qui a toujours plus ou moins existé, rencontre un impact social beaucoup plus important à partir des années 1980. Il se double d’un débat sur les soins palliatifs, dont la première unité est créée, en France, en 1987 et la première équipe mobile deux ans plus tard (il y en a respectivement 78 et 225 en 2002, prenant en charge 50000 malades). Se situant en réaction contre ce qui est qualifié d’ « excès de certains traitements curatifs », les soins palliatifs bénéficient des acquis de la médecine scientifique et technologique -de la recherche médicale en matière d’antalgiques et d’opiacées notamment- mais estiment que la « qualité de la survie a plus d’importance que la durée de la survie ». L’insistance est mise sur la globalité de la personne humaine,  l’existence de besoins globaux, la nécessité aussi d’une présence auprès des grands malades.

 Vous pouvez facilement trouver des études sur ce nouveau type de soins. Aussi je me borne à indiquer que développement des soins palliatifs apparaît comme une tentative de double réponse, une réponse aux problèmes posés par l’ « acharnement thérapeutique », une réponse aux problèmes posés par la sécularisation de la mort, par le « recul des pratiques religieuses » qui « donnaient formes aux conduites à tenir face aux mourants et permettaient l’expression des émotions » (M. Castra, Bien mourir, sociologie des soins palliatifs, Paris, PUF, 2003, 29). Mais, parfois accompagnés d’une idéologie holiste, les soins palliatifs peuvent aboutir, selon l’expression très juste d’Anne Carol (2004, 307), à une sorte « d’acharnement affectif ».

 Eh oui, toujours de l’esprit critique dans ce Blog. Jamais content le baubérot diront certains. Rassurez vous, je ne crache pas dans la soupe. Mais je rappelle (et comptez sur moi pour le faire inlassablement) que notre terre n’est pas un paradis peuplé de saints. Que voulez vous, les chevaliers du bien de tous poils, je peux les apprécier, à condition qu’ils soient un chouïa critiques sur eux même et ce qu’ils font.

 Par ailleurs, 85% des enterrements restent des enterrements religieux et la période d’accommodation de la religion aux valeurs dominantes de la société se termine dans les années 1980, avec l’émergence du troisième seuil de laïcisation. Selon la loi de séparation des Eglises et de l’Etat elle-même (1905), la présence d’aumôniers de diverses confessions est non seulement possible à l’hôpital, mais peut être rétribuée sur fonds publics (article 2).  Cependant, la crise du clergé limite leur présence ou induit des tensions intéressantes : ainsi il existe des femmes catholiques qui sont aumônières dans des hôpitaux, ce sont naturellement (puisque femmes) des laïques, mais sur leur fiche de paye de l’hôpital il est marqué comme profession : « ministre du culte » !

 Cependant, longtemps, les aumôniers sont plus ou moins considérés comme pouvant éventuellement perturber l’efficacité technique du travail. En effet, un certain nombre de soignants connaissent la religion principalement par ce qu’en disent et montrent les médias. Et la logique médiatique du spectaculaire entraîne la surmédiatisation de phénomènes religieux perçus comme « intégristes » au détriment de toutes les autres réalités religieuses. La représentation, vous dis-je, la représentation !

 D’où, dans certains cas qui restent minoritaires, des atteintes partielles à la liberté de religion, spécialement quand il s’agit de l’islam et des religions minoritaires en France. Parfois  même c’est une sorte de religion civile catholique que l’on cherche à imposer : témoin cet hôpital public ou chapelet et crucifix font partie du « kit décès ». « Tous les patients (…) en sont affublés. Quand les familles découvrent la méprise (judaïsme, protestantisme, islam, etc), les soignants ne peuvent échapper à de vives remontrances. Ce n’est pas pour autant que leur pratique s’est modifiée » (I. Lévy, La religion à l’hôpital, Paris, Presses de la renaissance, 2004, 263). Cas limite peut-être mais révélateur d’une difficulté à intégrer le pluralisme des croyances dans une France qui confond parfois laïcité et uniformité.

 Plus fondamentalement, si la critique des institutions séculières s’est désutopisée par rapport à Mai 1968 et aux écrits d’Ivan Illich, elle s’est également généralisée. Etant donné le rôle politique de légitimation symbolique du régime républicain joué par l’école et la médecine en France, la crise de ces institutions y est plus vivement ressentie que dans d’autres pays modernes. Or, de mon point de vue, il n’est pas étonnant que la réussite même de la médecine conduise à sa crise[1].

 En effet, des Lumières aux mutations des années 1960-1970, a existé la croyance en la corrélation des progrès : le progrès scientifique et technique devait être transformé, grâce à des réformes politiques, en progrès social et moral. Cette croyance, je l’ai montré dans les 1èrs épisode de ce feuilleton, a été très forte en France : la République, « régime du progrès » pouvait rassembler des personnes de convictions différentes autour d’objectifs communs. Chacun gardait sa propre conception de l’ « être », tous se retrouvaient pour un « faire » collectif, le plus efficace possible. Le nazisme ou le stalinisme ont montré que le progrès scientifique et technique pouvait être dévoyé. Mais il ne s’agit plus de cela aujourd’hui.

 La médecine fœtale et néonatale se montre techniquement capable de mettre au monde de très grands prématurés de 400-500 grammes. Faut-il alors « faire vivre » ? La frontière entre la vie et la mort s’est estompée : la mort par arrêt du cœur reposait sur un constat empirique. La mort cérébrale, les différents stades de coma font émerger un « espace-tampon » entre vie et mort, une sorte de « purgatoire laïque » selon l’expression de Bernard-Marie Dupont (« Quand la vie s’arrête-t-elle ? », in J.-Cl. Ameisen et alii, Qu’est-ce que mourir ?, Paris, éditions Le Pommier, 1997, 65). On peut faire durer pendant des mois ou des années des comas dépassés. Quand faut-il alors « faire mourir » ?

 

 Nous l’avons vu, en parlant des réactions liées à l’âge des gens, le progrès scientifique et technique peut être jugé indésirable, même manié par des personnes dont la « conscience »,  la « conscience professionnelle » comme la « conscience morale », n’a pas à être suspectée. Le schéma « une  conscience et une confiance » sur lequel était fondé le développement institutionnel de la médecine vacille.

 Le « droit au refus de traitement » devient une question juridique importante. Il se produit un passage de la primauté du « faire » (où l’acte moral consistait en un « faire » consciencieux et performant) à un renouveau (et non à un retour, vu la mutation du contexte) des questions autour de « l’être », à ce que l’on appelle tout à coup le « mourir authentiquement humain », différent de l’efficacité thérapeutique maximale. La réussite même de la modernité, et le fait que cette réussite ait été obtenue par la domination généralisée d’une logique marchande, contribue à un tel changement.

 Après le fait de mourir dans l’espérance d’un au-delà meilleur, après le combat pour l’allongement de « l’espérance de vie », nous sommes donc parvenus à la période historique ou le problème central devient celui de « mourir dans la dignité ». Et le contenu de la représentation de ce qu’est la « dignité humaine est forcément l’enjeu d’un débat convictionnel.

  En fait, on l’a vu également, ces trois niveaux s’emboîtent plus qu’ils ne se succèdent. Et attention, comme nous avons tenté de décrypter les rapports dominants à la mort dans le passé, il faut prendre de la distance avec le rapport dominant d’aujourd’hui. Le désir de « mourir dans la dignité » peut être marqué d’ambivalence. Il comporte, certes, l’insistance sur la qualité de vie, sur le refus d’une « vie végétative », mais il peut aussi intérioriser des normes implicites de la société globale selon lesquelles un ‘véritable’ être humain est jeune, beau, utile, séduisant et performant. Nous ne sommes pas à l’abri d’un double discours où le « dit » sera le droit de mourir dans la dignité et le « non-dit » sera que vieillir est… indigne. Aujourd’hui comme hier, la vigilance s’impose donc…

Votre jean Baubérot


[1] J’ai développé les propos qui suivent dans mon livre Laïcité 1905-2005, entre passion et raison (Le Seuil).