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20/10/2007

LA MEDECINE, DU TRIOMPHE A L'AMBIVALENCE

Le feuilleton de l’été a porté sur « laïcité, médecine et mort », avec un important excursus sur « La médecine contre les femmes » (cf la Note du 17/9). Puis d’autres questions nous ont occupés. Alors, dilemme : ou je laisse le feuilleton inachevé, en espérant qu’il deviendra aussi célèbre que la symphonie du même nom, ou je me dépêche de conclure tant qu’il reste un peu de soleil (du moins en France, Europe, Japon et Amérique du Nord, car le Blog est aussi visité dans des pays de l’hémisphère sud où on va vers l’été).

Bon, d’accord : devant vos demandes répétées, je choisis la seconde solution. Mais, pour ne pas faire une Note trop pantagruélique (on me dit qu’elles sont « intéressantes, mais souvent trop longues ». Promis, je fais plus court… à partir de novembre), je ne parle pas de tout ce dont je comptais parler. Je sélectionne en fonction des problèmes les plus contemporains pour qu’en 2 Notes (celle d’aujourd’hui et celle de la semaine prochaine) tout soit terminé..

Ainsi le feuilleton sera aussi un peu inachevé, et j’aurais résolu le problème de la quadrature du cercle. Par ailleurs, je vais être « savant » sur le XIX° et je vais me ‘lâcher’ au fur et à mesure que nous allons arriver à l’aujourd’hui. Que voulez vous, cela fait du bien de mettre en boite la bêtise ambiante. Et si je tiens un Blog, c’est aussi pour m’offrir ces petits plaisirs !

On y va ? On y va :

1)      Liberté de conscience des « derniers instants »

: l’analogie entre hier et aujourd’hui.

Le problème de la laïcisation de la mort, de sa représentation (fin de la vie ou passage dans l’au-delà) ne concerne pas que la médecine, même si celle-ci est l’agent principal de la mutation effectuée. On peut même écrire que cette mutation a été largement masquée par une question qui a occupé le devant de la scène : la libre volonté de la personne elle-même quant à ses derniers instants et son enterrement. Cette question ressurgit aujourd’hui autrement dans la problématique de « mourir pour la dignité ».

Dés l’établissement du 1er seuil de laïcisation le droit, sinon d’être athée du moins d’être « indifférent en matière de religion » est reconnu. Portalis, ministre des cultes de Napoléon, indique aux maires que l’on a le droit de mourir sans les secours de la religion.Il faut savoir qu’à l’époque refuser d’appeler un prêtre et risquer de rôtir en enfer apparaissait aussi stupide qu’aujourd’hui ne pas appeler un médecin si on a 41° de fièvre. Donc c’est le fait d’une infime minorité « d’esprits forts » et il ne me parait pas du tout sur que cela soit bien entré dans les faits, surtout après 1815.

En même temps, ce qui était prévu pour les enterrements et les cimetières concernait, dans la logique dominante d’alors, le pluralisme religieux. Ainsi un décret de juillet 1806 ordonnait d’ensevelir chaque individu suivant le culte qu’il a professé durant sa vie, « à moins qu’il n’eût formellement demandé le contraire par un acte de dernière volonté » déposé à la mairie.

Par ailleurs, on prévoyait la possibilité d’avoir des cimetières différents, ou de diviser le cimetière « en autant de parties qu’il y aura de cultes différents » dans la commune (décret du 23 prairial an 12) ; ce qui là aussi ne fut pas évident, surtout pour les microminorités (on va le voir).

 

 

Un des problèmes (officieux) était le fait que pour l’Eglise catholique, le cimetière devait être béni, et il y avait souvent la présence dans le cimetière d’une partie non bénite, considérée culturellement comme la « terre maudite », où les personnes enterrées allaient, sans nul doute (elles aussi), rôtir en enfer. Il s’agissait, la plupart du temps de suicidés, de filles de « mauvaise vie » (leurs partenaires allaient-ils eux au paradis ?), d’enfants morts sans avoir reçu le baptême, aussi, parfois, de protestants de cultes non reconnus (baptistes, méthodistes, libristes, etc), de catholiques convertis au protestantisme, de membres d’autres microminorités et de personnes mortes sans enterrement religieux. C’était, d’une certaine manière, les désigner à la vindicte publique.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des sociétés de libre-pensée se créent, d’abord dans les milieux d’exilés en Belgique, ensuite en France même. Partout la question lancinante est celle de l’enterrement civil. « Agis comme tu penses », tel est le mot d’ordre. Autrement dit, si tu es convaincu qu’il n’y a pas de Dieu, de paradis, purgatoire et enfer, veille à ne pas recevoir les derniers sacrements et à ne pas être enterré religieusement. (Cf. les travaux de Jacqueline Lalouette sur la Libre pensée).

 

 

Précisons que la question des enterrements civils fut épineuse sous le gouvernement d’Ordre Moral (années 1870). Le préfet de Lyon leur avait imposé un horaire très matinal et un trajet particulier, amenant des protestations non seulement des libres penseurs mais aussi d’autres personnalités comme le pasteur-sénateur évangélique Edmond de Pressensé qui déclara : « l’honneur d’une religion est que l’on puisse ne pas la pratiquer ».

La victoire des Républicains entraîna 2 conséquences sur ces sujets.

D’abord le remplacement du décret de l’an 12 par une loi d’avril 1884 qui prévoit que « toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance » et qu’il n’y aura plus, dans les cimetières, « des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou de circonstances qui ont accompagné sa mort. » (suicide).

 

 

Cette laïcisation du cimetière (les tombes, elles, gardant la possibilité d’avoir des signes religieux, même très ostensibles) permettaient de résoudre certains problèmes des libres-penseurs ou des protestants (conversions, cultes non reconnus, etc). Elle accentuait les problèmes que posaient déjà à l’Eglise catholique le décret de l’an XII: cette Eglise «défendait la conception canonique du grand dormitoire où les membres disparus de la communauté des fidèles, morts en union avec elle, reposaient en terre bénite dans l’attente de la résurrection –le cimetière est « l’église des morts » dit Mgr Freppel (évêque-député) lors de la discussion de la loi de 1881 » (R. Bertrand, in Chantin-Moulinet, La séparation de 1905, Ed. de l’Atelier, 2005, 39)

On retrouve ce problème (ce qui montre que la temporalité de la loi et celle de la culture ne sont pas les mêmes) dans les débats de la loi de 1905 : l’attachement de beaucoup de gens au bâtiment église, vient d’un ensemble : église-cimetière ; maison de Dieu ET lieu où reposent les morts. Même des radicaux, souvent un peu bornés sur le plan du symbolique, ont du comprendre cela.

 

 

Cette laïcisation posait aussi des problèmes aux juifs, et il y a eu (en certains endroits) des accommodements à leur égard. Encore aujourd’hui les juifs de Genève sont enterrés dans un cimetière situé en France, avec une porte qui ouvre sur la Suisse. Preuve que Genève (où la séparation a eu lieu en 1907) est plus stricte que la France sur ce sujet.

De façon plus générale, la loi fut incomplètement appliquée : à Nîmes, dans les Cévennes, le Lubéron, des cimetières catholiques et protestants continuèrent d’exister, la laïcisation des enclos confessionnels fut incomplète. Lors de la 1ère guerre mondiale, il y a eu constitution de carrés confessionnels dans les cimetières militaires.

 

 

Ces dispositions furent complétées par la loi de « liberté des funérailles » qui, elle, voulait répondre aux problèmes posés par le non respect éventuel de la volonté du mourant et fut adoptée en 1887.

L’article 2 interdit les « prescriptions particulières applicables aux funérailles, en raison de leur caractère civil ou religieux ». L’article 3 donne le droit à tout majeur ou mineur émancipé de « régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. ». L’article 4 donne la procédure d’urgence à suivre s’il y a « contestation sur les conditions des funérailles » ; l’article 5 indique les peines encourues si l’on contrevient à la volonté du défunt ou à la décision judiciaire.

 

Le débat porte sur la meilleure façon de respecter les volontés du défunt. Mgr Freppel demande qu’une déclaration écrite (gardée par une société de libre pensée) qui peut dater de plusieurs années ne fasse pas foi face à une indication reçue à l’approche de la mort par la personne décédée. Et il demande que s’il n’y a pas de testament ou d’acte notarié, la famille soit qualifiée pour prendre une décision. Le ministre Goblet, qui a laïcisé le personnel de l’école publique l’année précédente, est d’accord pour dire qu’une simple déclaration signée ne suffit pas. La loi prévoit, soit un testament soit une déclaration ayant « la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens » et « soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation » (art. 3).

P.Y. Baudot (in P. Weil, Politiques de la laïcité au XX° siècle, PUF, p. 391 ss.) donne 2 remarques fort intéressantes

La 1ère est que les moribonds sont exclus de la procédure (ce qui a fait que cette loi a été « perçue par certains, à l’orée des années 1990, comme apte à fonde le droit contemporain de la bioéthique ») : c’est « une exigence de pleine conscience de l’individu à l’approche du terme de sa vie qui est formulée ».

La deuxième conséquence est que la formulation (« tout majeur… en état de tester ») englobe la femme mariée, qui (selon le Code civil) a une incapacité générale et ne peut accomplir aucun acte juridique sans autorisation de son mari, mais est relevée de cette incapacité pour rédiger son testament.

Certes déjà une femme mariée pouvait être enterrée religieusement malgré l’opposition du mari si la famille le demandait et pouvait prouver la religion à laquelle elle appartenait, mais c’était donc « par défaut » Là, cette loi va devenir une source de la liberté de conscience de la femme mariée (on se gausse des débats d’un ancien concile moyenâgeux se demandant si la femme a une âme, mais au XIXe siècle…), reconnue par la jurisprudence en 1891. De façon pas forcément consciente (car cela va de pair avec des manifestations explicites d’antiféminisme laïque), la laïcisation contribue donc à l’émergence de la femme comme individu sujet de droits.

2) la médecine triomphante au XX° siècle

Tous ces faits sont des manifestations du basculement du 1er seuil de laïcisation à un second seuil. Au cours du XXe siècle, des graphiques montreront une incontestable progression de « l’espérance de vie », selon l’expression consacrée. Cette expression est très significative : l’espérance de vie s’est substituée, comme préoccupation sociale dominante, à l’espérance de l’au-delà. La médecine est une institution morale puisqu’elle apporte un gain de vie appréciable. Et, elle fait cela grâce à son adossement à la science et à la technique. La médecine réussit cette prouesse de mettre l’espérance en statistiques.

Mais l’émergence d’une « obsession de la santé  se traduit d’abord par la consommation de biens et de services » et la « société médicalisée » qui se développe « obéit d’abord à une logique marchande » (O. Faure, , Les Français et leur médecine au XIXe siècle, Belin 1993, 271). Les médecins l’ont encouragée en imposant progressivement la rétribution à l’acte et le libre choix du praticien.

Dés le tournant des XIXe et XXe siècles les critiques et les attaques se sont déplacées du terrain de la vérité (si l’on peut dire) et de l’efficacité de la médecine vers celui de l’honnêteté et de la moralité des médecins. De groupe social ascendant, ces derniers sont devenus un groupe social établi  avec une augmentation substantielle de leurs revenus, une notoriété souvent assurée, etc. Bref, ils n’ont plus besoin de faire preuve (en tout cas au même degré) des qualités qu’ils devaient (plus ou moins) avoir pour conquérir clientèle et pouvoir. Et la législation les favorise (ainsi, en 1892, la loi Chevandier a augmenté le monopole de l’institution médicale sur la santé, son auteur précisant que « là où le miracle s’arrête, l’exercice illégal de la médecine commence »)

 

Amusante et représentative, la pièce : La nouvelle idole de François de Curel, écrite au tournant du siècle,  raconte l’histoire d’un prof de la fac de médecine, Albert Donnat. Il fait des recherches sur le cancer, dans ce cadre il n’inocule à une jeune tuberculeuse, « condamnée par la science ». Or elle boit de l’eau de Lourdes, ce qui la guérit de la phtisie, mais pas du cancer que lui a inoculé le prof ! Ce dernier, saisi de remords à l’idée que la malheureuse va mourir par sa faute, s’inocule lui-même le cancer !!

Cette pièce est à la fois représentative des conflits du XIXe à un moment où la Vierge de Lourdes va voir ses « miracles » mis sous contrôle médical et en même temps annonce la modernité du XXe : le pouvoir du médecin devient socialement incontrôlable : lui seul sait ce qu’il fait et prend des décisions sur des critères qui échappent à l’emprise du patient alors que les intérêts de l’un et de l’autre ne sont pas forcément les mêmes.

 

Juste après la seconde guerre  mondiale, la création de la Sécurité sociale va permettre des « progrès » dans l’égalité de l’accès aux soins. Elle est mue par l’utopie d’une future médecine gratuite pour tous devenant une médecine non seulement curative mais aussi préventive, médecine apte donc à intervenir légitimement de plus en plus dans les différents aspects de la vie et de la société. Ils deviennent des sortes de grands prêtres des temps modernes et le rituel médical s’amplifie.

Dans le temps de la médecine triomphante peu à peu, les médecins catholiques s’alignent sur l’opinion médicale dominante qu’un médecin a le droit de « taire la vérité » à son patient. Là encore, curieusement étant donné la longue réticence des médecins catholiques, on constate une opposition entre la « transparence » des « façons de faire anglo-saxonnes » et les « stratagèmes » de dissimulation des médecins français (A. Carol, Les médecins et la mort XIX-XXe siècle, Aubier, 2004, 274). Mais peut-être l’explication de cette divergence d’attitude doit-elle être trouvée dans la suprématie sociale de la médecine sur la religion plus nette en France qu’en Grande Bretagne.

Cette suprématie va se confirmer avec le Concile Vatican II et ses suites. En 1972, le sacrement de l’ « extrême onction » se transforme en sacrement d’ « onction des malades » et sa signification même se sécularise et se médicalise. Jusque-là, rappelons-le, il s’agissait de pouvoir remettre, in extremis, ses péchés au mourant pour lui éviter la damnation éternelle de l’enfer. Désormais, le sens du sacrement est tourné vers la guérison. Cette guérison est considérée comme toujours possible, même dans les cas les plus graves. La pratique religieuse accepte donc d’être englobée par la pratique médicale. Le rite change de sens et intériorise les idéaux de la modernité médicale. La prévalence sociale du médecin sur le prêtre est implicitement reconnue.  La préparation religieuse à la « bonne mort » cède le pas à l’aide « toute psychologique » aux soins curatifs (F-A. Isambert, De la religion à l’éthique, Le Cerf, 1992, 270).

Mais même cette aide psychologique n’a plus rien d’évident. La modernisation de la religion fait qu’elle se tourne alors vers l’ici-bas et que son enseignement sur l’au-delà perd de sa consistance et de sa crédibilité sociale. Quand un des « grands » médecins médiatiques de l’époque, le docteur Schwartzenberg (Changer la mort, Albin Michel, 1977, 13s.) décrit, dans un ouvrage à gros tirage, l’histoire de seize cancéreux, il n’existe qu’un seul cas sur les seize où un prêtre intervient. Et le lecteur peut constater qu’il ne sait pas dire grand-chose.

De façon plus générale, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) définit la santé comme un « état de complet bien être physique, psychique et moral ». Personne, bien sûr, dans une telle perspective, ne peut se targuer d’être en « bonne santé ». Jules Romains croyait faire rire en se moquant d’une caricature de médecin dans Knock ou le triomphe de la médecine et en faisant dire à son personnage : « tout bien portant est un malade qui s’ignore » et voilà que les fous furieux (mais on les a pris au sérieux, ils ne sont pas apparus comme tels) de l’OMS, disent pratiquement la même chose. Et l’OMS définit ainsi un pouvoir total du médecin, puisque (idéalement) personne ne peut plus lui échapper.

Et personne ne rigole ! Tout le monde y croit. Et en plus, il y en même qui ont cru que c’était progressiste !

Cela est très représentatif d’une époque où il existe la croyance que le progrès scientifique et technique engendre forcément du progrès moral et social et que plus l’institution est toute puissante, mieux c’est pour l’individu. On n’a pas, encore, entendu parler des aspects contreproductifs des actes médicaux, des médicaments, des maladies nosocomiaques. On n’a pas pris la mesure de l’ambivalence des choses

La médecine peut alors se targuer d’avoir fait « reculer la mort » : diverses techniques de pointe, nécessitant des infrastructures hospitalières et technologiques fort importantes et le recours à l’informatique, sont mises en œuvre avec « succès ». On considère alors comme une « victoire » le fait de maintenir dans un coma éveillé, puis dans un coma dépassé, des grands malades qui, auparavant, seraient morts.

La lutte pour la vie était jusqu’à présent circonscrite par deux frontières dites « naturelles », la fécondation et la mort. Le nouveau savoir bio-médical ignore de plus en plus ces frontières. Les moyens artificiels de fécondation se développent. La mort se diffracte en une série de processus partiels, qui semblent de plus en plus relativement maîtrisables. Un « grand patron », Jean Hamburger écrit en 1972 : « la mort n’apparaît plus comme un événement unique, instantané, intéressant toutes les fonctions vitales à la fois ». Cela signifie que, pour les médecins, il y a toujours quelque chose qui peut être tenté et que l’on ne sait plus quand (ni pourquoi) arrêter l’intervention médicale. D’un côté personne n’est en bonne santé, de l’autre personne n’est vraiment mort.

3) L’ambivalence de la médecine aujourd’hui.

Le titre de l’ouvrage d’Hamburger que nous venons de citer est La puissance et la fragilité. Ce titre montre la conscience qu’a, dès ce moment, un médecin de l’ambivalence de la réussite médicale. La révolte des étudiants en Mai 1968 n’épargne pas la médecine (même si c’est d’abord l’Université et l’école qui sont visées) : on parle alors « d’antimédecine ». Les contestataires de Mai reprochent aux institutions d’être trop sures d’elles mêmes. Ils ne les considèrent plus en elles-mêmes comme des structures morales ; au contraire ils veulent leur appliquer une interrogation morale. La préoccupation des droits de l’être humain, quand celui-ci est sous la responsabilité d’une institution (comme élève ou comme malade), participe d’un élargissement de la représentation des droits de l’homme, élargissement qui s’effectue progressivement à un niveau international.

La France n’est pas en dehors de ce changement, même si elle a un certain ‘retard’ par rapport à d’autres pays. Elle entre dans un troisième seuil de laïcisation La première Charte du malade hospitalisée est publiée en 1974. Certes, elle est encore très timide sur les « droits du malade » mais le fait même qu’elle soit écrite constitue une novation. Et il est significatif que cette reconnaissance de droits commence par l’hôpital.

Longtemps l’hôpital a été un lieu de non droit, réservé aux classes pauvres et à des soins gratuits. La contrepartie de cette caractéristique de « bienfaisance » était la possibilité d’expérimentation sans contrôle.

Au milieu du XXe siècle, l’hôpital se modernise et s’ouvre à toutes les couches de la population. Dès lors le changement s’accélère et l’hôpital devient, dans les années 1970, le lieu où décède la majorité des Français. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres, beaucoup ont pu en faire l’expérience, l’hôpital, malgré quelques progrès reste un lieu où l’individu est souvent traité en mineur. Et, ces derniers temps, significativement, l’hôpital est invoqué pour une défense crispée de la laïcité.

Par ailleurs, la mort hospitalière permet des traitements médicaux lourds, des soins collectifs performants. Mais cette médicalisation technique de la mort entraîne aussi une mort de plus en plus solitaire et qui parait vide de sens. Là encore, des questions sur le "sens de la mort", mises entre parenthèse lors de la modernité établie, ressurgissent; mais pas du tout de la même manière que lors de la prémodernité.

 

(suite et fin la semaine prochaine)

09/10/2007

LIBERTE, LAÎCITE, DIVERSITE

1) Les statistiques dites « ethniques »

2) Le Canada/Québec peut-il servir d’exemple pour la France ?

I les statistiques dites ethniques

Je voulais rédiger une Note sur la loi concernant l’immigration et le court-circuit  de l’amendement ADN et de l’abolition de l’interdiction de statistiques dites « ethniques ». Mais en fait Le Monde vient de publier 2 tribunes libres qui correspondent assez bien à ma position dans ce débat. Les 2 sont contre l’amendement ADN, moi aussi et on a suffisamment argumenté sur ce sujet pour que je considère cela comme acquis. Le problème que soulève les 2 tribune libres, c’est celui du court-circuit.

 La première est celle de Michel Wieviorka : « La diversité à reculons » (5/10/07), où il montre bien que , sur ce second point, il y a incontestablement défaite des néo-républicains qui, au nom de l’universalisme abstrait, les ont toujours refuser. Comme je l’explique (mais je ne suis pas le seul, loin de là) dans L’intégrisme républicain contre la laïcité, ce refus de telles statistiques, contribuait à masquer les discriminations. Mais, en même temps, Wieviorka parle, à juste titre je pense, du « triomphe d’une étrange coalition de fait, où se mêlent les pulsions réactionnaires et racistes des uns et les orientations progressistes des autres, ceux qui veulent s’appuyer sur « les statistiques de la diversité » pour combattre les discriminations. »

Ce n’est pas la 1ère fois, dans l’histoire de France, et notamment dans l’histoire de la laïcité, qu’il existe des coalitions de cet ordre. Cela a notamment été le cas en 1905 avec l’article 4. Dans ce cas, l’orientation finale dépend notamment de la capacité de la gauche de se réunifier autour de valeurs qu’elle a en commun. C’est, à mon sens, dans cet esprit que Wieviorka invite implicitement les néo-républicains à ne plus « s’opposer de front » à de telles statistiques mais à réfléchir, avec celles et ceux qui s’y sont montrer favorable pour combattre les discriminations, « à leur élaboration et à leur usage pratique » pour qu’elle servent effectivement à lutter contre les discriminations.

La seconde tribune libre, est celle d’Eric Fassin , « Statistiques de la discorde » (6/10/07). Elle complète bien celle de Wieviorka en proposant d’en revenir à la logique de la CNIL : mesurer la « diversité » (euphémisme bien français) par des données « objectives » relatives à « l’ascendance des personnes » doit être complété  par le développement « d’études sur le ressenti des discriminations incluant le recueil de données sur l’apparence physique des personnes ». J’entends déjà certains bondir. Mais si on va au-delà de la réaction primaire, la position d’Eric Fassin s’explique très bien : il faut partir de « l’apparence » car il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt, c’est l’apparence qui crée la discrimination : « ce qui fonde la discrimination, écrit Fassin, c’est moins d’où l’on vient que comment on est perçu ».

Il complète son propos en rappelant, ce que des chercheurs tels que lui ont toujours dit : : « de telles statistiques, loin d’assigner une appartenance « ethnique » devrait reposer sur le choix de l’intéressé, par autodéclaration ». Des amis Antillais m’ont dit qu’à plusieurs reprises on leur avait dit : « retournez dans votre pays », alors que, naturellement, ils sont français. Bizarrement, une amie suédoise n’a pas la même expérience. Etrange ne trouvez vous pas ?

II Le Canada/Québec peut-il servir d’exemple pour la France ?

Libéré de la tâche d’un long développement sur les statistiques dites ethniques, je vous offre la 1ère version de la préface (mais elle sera peut-être en fin d'enquête complètement différente)  d'une enquête portant sur des débats actuels au Canada, et en particulier au Québec. Je reviendrai dans une autre Note sur ces débats eux-mêmes. Là, laissez moi commencer par un genre littéraire plus personnel et après vous indiquer pourquoi il me semble que les Français doivent s’intéresser à ces débats.

Donc voici la dite préface, du moins dans sa version actuelle. Il s’agit donc d’un premier jet et, comme je vous aime bien, je vous vous le livre comme tel :

A chaque séjour à Montréal, j’aime gravir la colline du Mont Royal, forêt située au milieu de la ville. Le temps change la donne : la neige peut m’interdire l’accès des sentiers trop glissants et m’obliger à emprunter la presque route. Elle est loin d’être désagréable, on y croise beaucoup de cyclistes et des personnes qui font du "jogging" (les Québécois ont certainement un mot français), mais aucun automobiliste. Quand il fait 31 degrés, malgré les arbres, je me trouve vite en sueur. Il faut dire que, souvent, je n’hésite pas à prendre les différents escaliers – raccourcis dont celui, royal comme le Mont, de 257 marches. En haut je contemple la ville et la trouve toujours belle J’aime ses grattes ciel, le Saint Laurent et le pont Victoria, les monts à l’horizon.

Le Canada, plus spécialement le Québec, font partie de mon imaginaire. Un imaginaire réalisé. Enfant, mon père m’a raconté l’histoire de Maria Chapdelaine ; les promenades dans la neige que nous faisions ensemble nous transportaient, grâce à son imagination jointe à la mienne, dans le monde extraordinaire des trappeurs du Canada et de l’Alaska. Et le plus étonnant pour moi consistait à entendre qualifier, par l’auteur de mes jours, de « Canadiens français » ces gens, tout de fourrures vêtus, avec leurs chiens loups et leurs traîneaux, ces gens d’une autre planète à la vie pleine d’aventures.

Pourquoi « Français » ? Parce qu’ils parlent notre langue telle était la réponse. Etonnant : alors qu’en France même, en Alsace, pays de ma mère, j’avais rencontré pleins de cousins parlant un idiome très bizarre , qualifié de « dialecte » par les grandes personnes ; voilà que des êtres humains du bout du monde s’exprimaient en Français. Il s’agit de descendants d’anciens Français, précisait mon père.

 

 

 

Adolescent, j’ai un peu oublié les trappeurs, j’ai oublié ces Canadiens français, je l’avoue. Ils ont ressurgi dans mon univers comme Québécois. Ce n’est pas seulement le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle, ce furent aussi les chanteurs Jean Leclerc, Gilles Vignaux. « Mon pays, ce n’est pas un pays. Mon pays, c’est l’hiver ». Voilà qui favorisait la rencontre de l’image enfantine et des nouvelles. Avec la découverte, en plus, du délicieux accent chantant. Le Canada, le Québec essentiellement, apparaissait proches, mais d’une proximité factice, celle de la télévision.

Devenu professeur, colloques, cours et conférences m’ont permis d’aller dans différents endroits du Québec d’abord, du reste du Canada ensuite. J’ai été séduit par Toronto, mégapole colorée, célébrée pour son faible taux de délinquance, Vancouver où montagnes et océan, Amérique du Nord et Asie se mêlent, Victoria, délicieusement british avec ses astucieuses Miz Marple. J’ai admiré les divines couleurs des érables à Ottawa l’automne. Après avoir découvert les Québécois anglophones, j’ai rencontré des Canadiens francophones autres que les Québécois ; les Acadiens à Moncton et, à Winnipeg (ville dont le nom seul fait rêver) et son "riz sauvage", les Métis, descendants de trappeurs (nous y voilà !) bretons et d’Indiennes. J’ai mangé le plus fabuleux homard de ma vie à Halifax (j’en avais goûté pourtant d’excellentissimes au Québec, à Rimouski), et cela aussi se transforme en souvenir. Je suis allé voir un beau canyon à Lethbridge et me suis baladé dans les Rocheuses, près de Calgary, ville…où j’ai rencontré des ingénieurs de Total. Un seul regret, le Nord canadien je ne le connais pas. Sauf que, invité par l’université de Fairbanks (Alaska), j’ai pu, écarquillant les yeux et collé au hublot, en contempler l’immensité.

 

 

 

« Etes vous ici pour tourisme ou pour affaires ? » me demande-t-on parfois au hasard de rencontres. Dichotomie réductrice ! Souvent je dégage en touche et réponds : « Je suis ici pour (re)voir des amis », ce qui après tout n’a rien de faux. A d’autres moments, si le temps et l’occasion s’y prêtent, j’explique les raisons « professionnelles » de ma venue : raconter divers aspects et problèmes de la France d’aujourd’hui, plus précisément de la laïcité française, la comparer à l’interculturalisme québécois, au multiculturalisme canadien.

A certains moments, être un professeur d’université français au Canada n’est pas forcément chose facile. « Vous allez nous expliquer la révolte des banlieues » m’écrivait un collègue en décembre 2005, voulant préparer ma venue. Le temps d’arriver, fin mars 2006, il m’a fallu aussi expliquer la fermeture de la Sorbonne, la crise du CPE (contrat première embauche) et répondre à la question : « Pourquoi la France  est-elle la seule société développée qui, en six mois, doit faire face à une révolte de jeunes de classes populaires et de jeunes de classes moyennes ? ». Les termes de l’interrogation restaient extrêmement courtois, mais l’inquiétude perçait malgré tout : qu’arrive-t-il à la France ? Pourquoi ces crises à répétition qui, sensationnalisme télévisuel aidant, prenaient Outre Atlantique des allures de guerre civile.

Le kirpan (couteau rituel sikh) autorisé dans une école de Montréal ; des « tribunaux islamiques », la « charia » dirent certains, en Ontario ; peu après un bourg québécois de 1338 habitants à la population homogène, catholique et francophone, voit son conseil municipal adopter des « Normes de vie » qui interdisent l’excision (pénalisée au Canada comme en France), et le niqâb : le visage des citoyens doit être visible, excepté le jour d’Halloween !  : Le Canada subit à son tour les manchettes à gros titres. Des images chocs ; aussi réductrices et simplistes sans doute que celles qui pouvaient faire croire à une France à feu et à sang, mais quand même. Le pays de la Révolution tranquille semble tout à coup en proie aux déchirements et aux passions. N’est-il pire eau que l’eau qui dort comme l’affirme une sentence villageoise ?

 

 

 

A partir de l’automne 2006, je décide de me « lancer », c’est à dire de ne plus seulement donner des pistes de comparaison entre la France et le Canada, à la fin de mes exposés sur la laïcité en France, mais d’entreprendre une étude plus systématique sur les débats qui commencent à prendre de l’ampleur. Ces débats portent sur des sujets liés au multiculturalisme, à l’accommodement raisonnable (je préciserai les choses en cours de route).

Je suis incité à le faire par une exigence intérieure. L’accommodement raisonnable est une manière de sortir de l’alternative désastreuse du « tout ou rien » face aux demandes des minorités. C’est ainsi en tout cas que j’en interprète l’esprit et la signification. Nous verrons plus loin, de façon plus précise, ce qu’il est techniquement, juridiquement, mais aussi socialement.

Pour le moment, il suffit de savoir j’ai compris l’accommodement raisonnable comme un instrument pour combattre le diagnostic effectué depuis longtemps par ce que l’on appelle la « sagesse populaire » : « tout le monde est égal, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Dans une société comprenant des citoyens de différentes cultures, ce sont ceux qui appartiennent à la culture majoritaire qui sont plus égaux que les minoritaires. Il est impossible pour autant de mettre totalement en équivalence les différentes cultures. Une société n’est pas une juxtaposition d’individus mais un ensemble d’interactions, de relations communes qu’ils entretiennent quotidiennement. La prédominance d’une culture, de certaines façons de vivre, de valeurs communes aussi est nécessaire.

Donc acte. Mais comme parmi ces valeurs, il y a l’égalité, on ne peut pas tout à fait prendre son parti de cette domination culturelle. D’où le correctif de l’accommodement raisonnable qui, sous certaines conditions, accorde des dérogations aux individus. Et mes amis canadiens insistaient sur le fait qu’il s’agit d’un droit individuel, jamais d’un droit collectif. Ainsi, il y avait moins d’inégalités, moins de discriminations indirectes.

 

 

 

Je n’étais pas le seul Français à m’intéresser à l’accommodement raisonnable. A la Commission Stasi -la Commission instaurée par le Président Chirac en 2003 pour réfléchir au « principe de laïcité et faire des propositions (26 furent énoncées, dont l’interdiction de signes religieux et politiques ostensibles à l’école publique)- nous étions plusieurs à souhaiter en faire un exemple d’une laïcité équitable. Certes, cela faisait tiquer les tenants les plus convaincus de « l’idée républicaine », mais la majorité ne les suivait pas.

Se référer à l’accommodement raisonnable présentait trois avantages.

D’abord, il s’agissait de mettre un garde fou contre le risque de glissement vers une laïcité autoritaire, intolérante. La laïcité devait concilier fermeté et ouverture.

Ensuite, il s’agissait d’éviter un enfermement franco-français et de montrer qu’il était possible, même en matière de laïcité, de trouver son miel à l’étranger. Nous jouions sur du velours, puisque mention était faite, non du Canada proprement dit mais du Québec, et pour beaucoup de Français, la Belle Province reste une cousine proche de la France.

Enfin, il était possible de relire l’instauration de la laïcité en France à la lumière de l’accommodement raisonnable et de montrer que son esprit n’avait pas été étranger aux pères fondateurs de la laïcité. Les historiens emploient volontiers l’expression « d’accommodements ferrystes » pour qualifier les accrocs qu’il a tolérés à une laïcité complète.

 

 

 

Il fut donc fait mention à trois, quatre reprises de l’accommodement raisonnable dans le rapport de la Commission Stasi. Ce fut un flop. Un flop et en France et aux Canada.

En France, car la totalité du rapport de la Commission fut un flop, alors que celle-ci espérait qu’il constituerait la pièce maîtresse des débats sur la laïcité qui ne devaient pas manquer d’avoir lieu pendant l’année du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905.

En effet, le dit rapport avait, pour dire les choses de façon imagée, le « cul entre deux chaises ». Sa tonalité d’ensemble et certaine de ses propositions (par exemple celle concernant les jours fériés) se référait à une laïcité moins dure que pouvait le faire penser la prise de position en faveur d’une loi contre les « signes ostensibles » à l’école publique. Pour les partisans de cette loi, c’est la caution de la Commission qui importait ; le rapport ils s’en souciaient peu, pour certains ne voulaient même pas en entendre parler. Mais celles et ceux qui partageaient des préoccupations du rapport et l’auraient volontiers discuté, se montraient réservés face à la proposition de loi et donc méfiants à l’égard du rapport. Seule une petite minorité l’a donc pris en compte.

Le « flop » canadien est du à d’autres causes. Naturellement, le rapport intéressait a priori beaucoup moins de gens. Il fut cependant lu, notamment, par des professeurs des universités de Montréal et d’Ottawa et l’opinion majoritaire immédiate fut que la Commission avait fait un contresens et perçu l’accommodement raisonnable comme un instrument en faveur de la majorité et non de la minorité. C’est vrai qu’un passage prête à cette confusion. Pas forcément tous, surtout si on comprend les intentions de la Commission (rapportées plus haut) : ainsi, il faut avoir à l’esprit qu’être minoritaire n’est pas seulement un problème de nombre : les catholiques, à l’époque de Jules Ferry, étaient politiquement minoritaires.

 

 

 

Mais, un paradoxe supplémentaire allait bientôt apparaître, la Commission Stasi avait voulu se faire le chantre de l’accommodement raisonnable, moi-même je l’avais présenté très positivement dans mon ouvrage Laïcité 1905-2005, entre passion et raison. Par ailleurs, comme le montre bien l’ouvrage collectif dirigé par Didier et Eric Fassin, De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française (La Découverte, 2006), le modèle dit républicain se trouvait de plus en plus contesté en France. Et, à peu près au même moment, se déroule le conflit déjà évoqué à Toronto, ville qui, pour moi, était le modèle de la ville multiculturelle et, au Québec, l’accommodement raisonnable se trouve mis en question. Mise en question qui a abouti à la nomination, en mars 2007, d’une Commission, dirigée par deux universitaires de renom : Gérard Bouchard, sociologue et Charles Taylor, philosophe, chargée par le gouvernement québécois, d’une vaste consultation sur le sujet.

Alors j’ai considéré comme indispensable d’examiner les choses d’un peu plus prés. J’entends bien que mes ami(e)s québécois et d’autres Canadiens, des juristes notamment, m’indiquent que l’on se trouve en pleine confusion. La tentative d’instauration de tribunaux dits « islamiques » n’a rien à voir avec le multiculturalisme disent-ils. Et ils ajoutent: on appelle accommodement raisonnable, des compromis qui n’ont rien à voir avec lui. Techniquement ils ont raison sans doute. J’y reviendrai. Mais voilà le débat social s’enfle, et un débat social s’effectue toujours dans la confusion et avec de multiples biais.

 

 

 

Dans ce débat, certains des propos énoncés peuvent paraître primaires, voire même « un peu racistes » comme me le dit une amie française résidant au Québec. Mais, peut-être faut-il les entendre au-delà de ce qu’ils disent. Ecouter soigneusement les multiples points de vue qui s’expriment. Analyser froidement la complexité de ce qui se joue. Weber affirmait que la première tâche du sociologue consiste à « affronter les faits désagréables », et sa principale opposition au marxisme de son époque était que celui-ci fuyait un tel affrontement.

Mais ce refus mazrxiste n’est-il pas le risque de toute militance ? Sociologues, historiens, spécialistes de sciences humaines, philosophes (a fortiori allais-je écrire) on est tous forcément peu ou prou citoyen et militant. Je ne suis pas citoyen québécois ni canadien. Et si leurs débats ressemblent aux nôtres, je me sens moins impliqué. Bonne position pour « affronter les faits désagréables ». Par ailleurs, il existe suffisamment de décalages pour que la comparaison soit pertinente. Décalage dans le rôle et le fonctionnement de la Commission Bouchard-Taylor par rapport à la Commission Stasi, décalage dans le fait que ce n’est pas seulement des minorités issues d’une immigration de ces dernières décennies qui sont considérées comme faisant « problème », autres décalages.

Enfin, dernier avantage de ma position d’observateur : mes divers interlocuteurs sont certainement moins allusifs avec moi qu’ils ne le seraient avec un compatriote. Les récits sont donc autres. Les données recueillies s'avèrent très riches. Et passionnantes. Elles sont révélatrices et de toutes les difficultés des démocraties modernes et des logiques d’une histoire particulière.

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