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10/11/2007

LES CHEVALIERS DU BIEN

Le Blog ne se fait pas pour « devoir » de suivre l’actualité. Cela m’a été parfois reproché, j’ai toujours répondu que sur pas mal de sujets, je n’avais rien d’original à dire (entendez rien d’autre que ce qu’on peut lire ou entendre ailleurs). En outre, je suis plutôt du genre « ruminant » et quand, ayant réfléchi, j’ai une idée un tant soit peu originale, cela fait des lustres, que la dite actualité a changé de sujet. « Souvent femme varie » disaient les mecs quand ils ne craignaient pas le politiquement correct. Eh bien, c’est fort vrai pour l’actualité ! Le temps de la réflexion, et hop, votre propos est déjà totalement obsolète, et vous has been.

Là, m’a fait réfléchir la concomitance de deux crises, celle de l’Arche de Zoé et celle de Ni Putes ni Soumises. C’est la nième crise, me disais-je des chevaliers du Bien. En attendant les suivantes, car les entreprises des chevaliers du Bien tournent, en général, les unes après les autres, en eau de boudin. Et c’est ainsi depuis des lustres. Ce n’est pas de l’actualité, c’est de la permanence. Mais ce n’est pas sans effets contreproductifs. Et on ne semble pas en tirer d’élémentaires leçons.

 

 

Je sais, parler des chevaliers du Bien est un sujet sensible. J’ai déjà effleuré le sujet, et la réaction de plusieurs internautes a été fort critique (cf. la Note: "les chevaliers du bien...éteignent les lumières"). Mais ce Blog n’est pas fait pour plaire, il ne cherche pas l’audimat. Plutôt des personnes qui acceptent la confrontation, le débat d’idées, voire la tentative d’analyse.

La plupart des critiques revenaient à dire : « ne désenchantez pas ». Or, précisément, si le Blog a un petit message, c’est que nous avons tous (bibi y compris) a apprendre, chaque jour, quelque soit l’âge et l’expérience, à vivre dans un monde désenchanté. A y vivre librement et, si possible, joyeusement. Pour moi, c’est un peu cela la « laïcité intérieure », dont parle Claude Nicolet à la fin de son ouvrage, L’idée républicaine.

 

 

Les chevaliers du Bien sont ceux qui combattent pour une bonne, une juste cause et, parce que la cause est bonne, ils n’ont ni doute, ni état d’âme. Persuadés de mener le bon combat et d’avoir en face d’eux les représentants du Mal, ils mettent tout en œuvre pour faire triompher leur cause, celle du Bien, de la Justice, de la Vérité.

En général, ces chevaliers du Bien sont combattus par ceux qui estiment que la cause n’est pas bonne, voire même franchement mauvaise. Il y a opposition de contenu, mais pas forcément de forme : les chevaliers du Bien peuvent être combattus par des chevaliers d’un autre Bien. Et nous sommes toujours là, dans le combat du Bien contre le Mal. Simplement, il y a deux Biens contradictoires.

La télé adore cela, car quand elle met en présence deux chevaliers du Bien opposés, ou deux camps, peu importe, cela donne un beau pugilat. Et le pugilat, Coco, c’est du spectacle, c’est « sexy », c’est bon pour l’audimat. Quelquefois, l’animateur est relativement neutre. Je ne dirai pas qu’il arbitre, car l’arbitre fait respecter la loyauté du jeu et, là, ce n’est vraiment pas son problème, au dit animateur. Au contraire, plus il y a de coups bas, plus il semble content.

Le plus souvent, il existe une connivence entre un ou des chevaliers du Bien, représentant le camp du Bien télévisuel, alors que l’autre camp est, à l’évidence, considéré comme le camp du Mal. On a fait venir son (car, souvent, il est seul contre 4 ou 5), voire ses représentants (souvent par des pressions du type : « si vous ne venez pas, on dira à l’antenne que l’on vous a invité et que vous avez refusé de venir ») pour deux raisons.

D’abord pour avoir un beau pugilat, du spectacle.

Ensuite, pour que le camp du vrai Bien (le Bien télévisuel) triomphe publiquement (c'est-à-dire médiatiquement). Que le ou les chevaliers du  faux Bien qui, en fait, défendent le Mal (le Mal télévisuel) soi(en)t confondus aux yeux des millions de téléspectateurs, et traînés dans la boue médiatique,. Ainsi le vrai Bien triomphe. La scène sociale est purifiée. Les blasphémateurs, les impies, les hérétiques sont symboliquement mis à mort. C’est tellement beau, un film avec de beaux corps à corps et l’happy end où le méchant est visiblement vaincu !

Grâce à la télé, on a la Saint Barthélemy à domicile, pratiquement tous les jours[1]. Et en plus, en toute bonne conscience : nous ne sommes pas comme ces méchants Américains ou Japonais : chez nous la peine de mort est abolie.

 

 

Je l’ai déjà dit : les chevaliers du Bien sont, en général, combattus par des chevaliers d’un Bien inverse. Mais quelques mauvais esprits dont je fais, hélas, parti, luttent contre les chevaliers du Bien parce que les chevaliers du Bien les insupportent. Parce qu’ils ne croient pas au « Bien », enfin pas complètement. Ils croient à un bien, à des biens relatifs[2], et quand le bien se transforme en Bien, alors (pour eux), cela devient très vite craignos.

Ces mauvais esprits pensent que « chaque médaille a son revers », ils ont toujours des questions impertinentes à poser au Bien, à ses chevaliers. Ils cherchent la petite bête, ce qui ne colle pas, les contradictions internes, les impensés, les points aveugles. Ils sont toujours dans le « c’est trop beau pour être vrai », dans le « qui fait l’ange fait la bête ». Ils sont pervers ou sociologues, parfois les deux (mais rassurez vous, il existe aussi des sociologues qui sont ou deviennent chevaliers du Bien : Bourdieu, les dernières années de sa vie en est un bon exemple).

 

 

Ce qu’il y a de socialement, et médiatiquement, insupportable chez ces mauvais esprits, c’est qu’ils prétendent ne pas penser l’inverse des chevaliers du Bien. En fait, ils chipotent : « cela est assez juste, mais là non, et ce pour telle et telle raison ». Ils veulent déconstruire, garder certains aspects, en rejeter d’autres. Ils argumentent, pire ils soulèvent les tapis et montrent la poussière qui est enfouie dessous. Ils regardent dans les coins interdits. Ils farfouillent les placards pour y sortir les cadavres enfouis ;

Que c’est déplaisant ! Et pourquoi font-ils cela ? Pourquoi ne communient-ils pas dans le grand Bien commun ? Pourquoi passent-ils leur temps à farfouiller au lieu de combattre le Mal ? Ils ont de bien mauvaises intentions, certainement. Et, si ce n’est pas le cas, ce sont des inconscients, des naïfs, ne voyant pas (ou ne voulant pas voir) le Mal qui rode, qui nous menace, qui va nous envahir. Bref, puisqu’ils ne sont pas vraiment pour le Bien, ils sont pour le mal, ils sont complices du mal.

 

« Naïveté ou cynisme », that is the question, comme dirait  le regretté Williams. Cette question, on la trouve en page 4 de couverture d’un petit livre : La tentation obscurantiste qui dénonce, notamment, pèle mêle, des spécialistes de l’islam soupçonnés de ne pas mener le combat du Bien contre l’islamisme. L’Assemblée Nationale s’est dépêchée de donner le prix du livre politique à ce chef d’oeuvre. Il faut dire que le jury est principalement composé d’hommes (et de femmes) de média, qui ne semblent voir plus loin que le bout de leur audimat.

 

 

Plus fondamentalement, puisque nous sommes forcément (c’est cela qui est la structure même d’une société où la mise en scène médiatique est devenu le Réel) dans le combat du Bien contre le Mal, il serait strictement insupportable que les douteurs du Bien ne soient pas des complices, aveugles ou conscients peu importe, du Mal. Car, si par malheur il en était autrement, cela signifierait que le doute peut être légitime. Qu’on a raison de farfouiller, d’argumenter point par point, de trier à ses risques et périls, d’interroger. Et alors on entrerait dans le domaine du complexe. Du subtil. Du nuancé. Du partiellement raison, partiellement tort. Et tout cela c’est télévisuellement ingérable.

Non, il faut affirmer le Bien, tous ensemble. Quitte parfois, à reconnaître, mais alors tous ensemble et en même temps, que l’on s’est trompé. Ce n’est pas grave, à condition de dire aussi péremptoirement et consensuellement que l’on s’est trompé qu’auparavant on proclamait le Bien. Car, alors, on a produit un nouveau Bien, qui non seulement remplace l’ancien, mais permet de (oblige même à) le stigmatiser.

 

 

Autrement, c’est devenu télévisuellement ingérable. En effet, j’ai eu l’occasion, dernièrement, de regarder des archives de l’INA. Dans les années 1960, vous avez des entretiens d’une bonne heure où Claude Lévi-Strauss, Raymond Aron ou Michel Foucault (Sartre refusant alors tout passage à la télé) vulgarisent leur savoir sur le mode d’un cours d’université populaire. L’émission s’intitule : Lectures pour tous. Vous y entendez cette chose étonnante : du complexe simplifié : cela reste complexe, subtile, nuancé et c’est pourtant rendu audible.

En revanche, dans les années 1970, vous assistez à deux novations ‘néo-philosphiques’. Les nouveaux philosophes (qu’ils sont jeunes alors !) introduisent le pugilat (Glucksmann contre René Andrieu, le rédacteur en chef de l’Humanité), et le paraître (BHL, habillé en dandy avec son éternelle chemise blanche échancrée). La télé devient alors beaucoup plus « sexy ». Elle peut, selon la belle expression de M. Patrick Lelay, « vendre des parts de cerveau disponibles » aux annonceurs.

 

 

Parmi les mauvais esprits dont je viens de parler. Il y a des journalistes. Ces inconscients croient à la possibilité du complexe simplifié, clarifié. Vous les trouvez un peu à la télévision, de préférence sur le cable, un peu plus à la radio, un peu plus dans la presse écrite (et pas seulement nationale).

Ces dangereux personnages doivent être neutralisés. Rassurez vous, on s’y emploie. D’abord, en leur retirant le droit de titrer leurs articles. L’information est trop sérieuse pour être laissée aux journalistes. Des fois qu’ils utilisent les parts de cerveau disponibles qui leur sont confiées pour les provoquer à la réflexion, et non pour les vendre, ces naïfs inconscients ! Ce sont des commerciaux, des agents marketing qui font les titres. Eux au moins ce sont des gens sérieux, pas des mauvais esprits. Et ils savent, ces professionnels, tirer d’un article qui prétend montrer l’ambivalence des choses, le titre bien accrocheur qui les ramène à l’univocité du Bien.

Ensuite, et cela c’est encore plus fun, on peut compter sur la collaboration du lecteur lui-même. Eh oui, en chaque lecteur, se trouve un petit chevalier du Bien qui sommeille, et ne demande qu’à être réveillé, asticoté, titillé. Les gros titres, les infos « sexy », les propos bien unilatéraux, les nouvelles indignatoires (oui, j’assume ce néologismes), les propos matières à émotions consensuelles, nous en raffolons tous. Comment alimenterions nous autrement nos conversations café du commerce ?

 

Pour être bien ensemble, indignons nous en cœur. Evitons les propos qui fâchent, qui prennent la tête, les « c’est plus compliqué »,… C’est autour du Bien commun que se fabrique de la communion sociale. Et la communion sociale, nous avons tous besoin.

Je n’ai pas encore parlé de l’Arche de Zoé, de Ni Putes ni soumises, etc. Mais dans les ficelles du métier, il y a le suspens. C’est pourquoi, je vous laisse en plan, en espérant vous avoir donné un peu envie de connaître la suite, et donc de revenir sur le Blog dans 8 jours. Pourtant, je ne vends rien, même pas votre cervelle. Mais, contrairement à ce j'ai prétendu au début, moi aussi, je regarde l’audimat de mon Blog, qu’alliez vous imaginer ?

(à suivre).



[1] Car c’était cela le but de la Saint-Barthélemy  (Saint Bar-télé my !) populaire : purifier la République, pardon le Royaume de France de la présence sacrilège d’hérétiques impunis : cf. les travaux de Janine Garrisson..

[2] Comme le disait Sartre, quand il était compagnon de route des communistes : "la Vérité est une, l’erreur est multiple : c’est pourquoi on ne saurait être pluraliste." (je cite de mémoire). Eternel argument des orthodoxies de tous poïls.

Commentaires

Les "chevaliers du Biens"... n'est-ce pas ce qu'Howard Becker, dans "Outsiders", appelait les "entrepreneurs de morale" (chapitre VIII). « Le prototype du créateur de normes, c’est l’individu qui entreprend une croisade pour la réforme des mœurs […]. Un tel croisé est fervent et vertueux, souvent même imbu de sa vertu »

Écrit par : B.C. | 10/11/2007

Tout cela n'est pas prêt de changer. Il n'est pas bien vu de réfléchir, même notre Président nous demande d'arrêter de réfléchir, et à ce que je sache, ça ne suscite pas la réprobation des foules surexcitées ! Les "principes de philosophes" c'est contraire au pragmatisme, à la réalité, à l'immédiat, au médiatique, au bon sens populaire. Que venez-vous donc nous enquiquiner avec les cours de Foucault ou Aron ? Allons bon !

Je lis toujours avec plaisir vos billets, qui m'étonnent, me font changer d'avis, me donnent envie d'en savoir plus... mais je dois dire que je ne comprends absolument pas comment garder la motivation face à un tel flot de pensée pavlovienne passée à la moulinette de la Grande Simplification... Comme le disait Gandhi, toutefois, chaque goutte d'eau participe à la grandeur de l'océan


J'attends donc avec impatience la suite de ce billet. Cette question des Chevaliers du Bien est passionnante. Je suis tombé sur Le Banquier anarchiste de Pessoa récemment, où un riche banquier explique son absurde condition d'anarchiste selon lui accompli. Entre autres choses (peut-être plus évidentes), j'y ai vu un très brillant exposé de l'impossibilité de libérer les autres malgré eux : toute tentative en ce sens ne fait que remplacer une tyrannie (un mal) par une autre, voire en créer de nouvelles...

Écrit par : Achtungseb | 11/11/2007

Ce ne sont pas des "parts de cerveau" mais du "temps de cerveau" disponible(s) que prétendait vendre P. Lelay.
Et dire qu'en pinaillant ainsi de la sorte je sacrifie à l'Audimant de votre blog : quelle perversion, ces sociologues, c'est pas croyable !

Écrit par : David Gonzalez | 12/11/2007

Au delà du formatage télévisuel, la dialectique du complexe et du simplifié renvoie à la capacité de prise de décision, d'action...Sarkozy nous le montre tous les jours, il est une efficace de la simplicité même si elle frise la bêtise, le complexe tétanise, il empêche d'agir, tout les militans savent ça...Bourdieu l'avait évoqué dans son "sens pratique".

Écrit par : Bob | 20/11/2007

C'est précisément tout le sens de l'oeuvre d'Edgar Morin que de répondre à ce problème...

Écrit par : Achtungseb | 20/11/2007

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