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29/12/2006

LE RAPPORT DE LA COMMISSION PARLEMENTAIRE, SUITE

Hou la la, que de passion : ma dernière Note sur la Commission parlementaire a déchaîné des passions, je crois que jamais il n’y avait eu autant de commentaires. Manifestement, les dites « sectes » est un sujet qui vous accroche plus que Miss France ! Figurez vous que moi, à priori, je n’ai pas d’intérêt particulier pour la question, et si la France (officielle) avait une attitude plus raisonnable à ce sujet, je ne m’y attarderai pas. Mais, voilà, il y a des choses qu’on ne peut laisser passer sans réagir.

Et notamment cette distinction qui, par ce biais, est en train de faire comme si elle était laïque, entre « religions reconnues » et « sectes ». Un des principaux membres de la Commission l’a utilisée à la télévision. Il faut alors redire que depuis 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat, il n’y a plus de religions reconnues en France. Il est scandaleux, après avoir célébré un an durant cette loi, de la piétiner ainsi ; surtout lorsqu’on se prétend parlementaire, c'est-à-dire législateur.

Et le plus scandaleux, c’est que, régulièrement, depuis le Rapport parlementaire de 1996,  qui utilisait l’expression, on nous bassine avec de pseudos « religions reconnues » (que l’on oppose aux dites « sectes ») sans que les défenseurs sourcilleux d’une laïcité intransigeante y trouvent à redire. S’ils étaient francs du collier, ils devraient être les premiers à s’indigner et à protester. Mais non, ils se taisent et font semblant de ne pas entendre. Double jeu, double discours.

Un des commentateurs (Olivier) reproche à la « communauté savante », historiens et sociologues son « silence ». Mais Olivier, elle n’est pas silencieuse. Elle s’exprime, dans la difficulté, certes, mais elle le fait. Je vous recommande d’excellents ouvrages sur le sujet, notamment deux d’entre eux :

-         Sectes et démocratie, collectif dirigé par Françoise Champion et Martine Cohen (2 chercheuses au CNRS), paru au Seuil en 1999

-         La religion en miette ou la question des sectes par Danièle Hervieu-Leger, l’actuelle présidente de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, chez Calmann-Lévy en 2001.

Par ailleurs, quand la MIVILUDES était plus raisonnable, avait eu lieu la série de conférences à laquelle j’ai fait allusion dans ma dernière Note. Elle est parue à La documentation française sous le titre Sectes et Laïcité, en 2005, avec des contributions de plusieurs historiens, sociologues, anthropologues. Au-delà de la diversité de leurs points de vue, ces contributions témoignent toutes d’une volonté de distance critique avec préjugés et stéréotypes.

Pour ma part, j'ai publié dans mon dernier livre (L'intégrisme républicain contre la laïcité, L'Aube) l'exposé que j'ai donné à cette occasion.

Mais quand la MIVILUDES est devenue…déraisonnable, à l’automne 2005, la sociologue Nathalie Lucas (CNRS-EHESS) a démissionné de son Comité directeur, et Sébastien Fath (CNRS) a refusé d’y entrer car les conditions d’un travail sérieux n’étaient pas réunies.

Enfin, il faut aussi signaler que les universitaires laïques belges de l’Université libre de Bruxelles (Université fondée sur le « libre examen » et qui, depuis le XIXe siècle, est un bastion de la pensée laïque) se sont courageusement opposés au sectarisme anti-secte qui existe aussi dans leur pays en organisant un colloque (et en publiant ses Actes dans les éditions de leur université, sous la direction d’Alain Dierkens et Anne Morelli) : « Sectes » et « hérésies », de l’Antiquité à nos jours (2002).

Je donne le petit résumé de la 4ème de couverture de ce dernier livre : « « Secte » ou « religion », « hérésie » ou « vraie foi » ? Comment obtient-on ou non un label religieux honorable ? Comment devient-on « religieusement correct » ? Qui en décide ? Quel est le poids des pouvoirs politiques dans ce choix ? Les exemples réunis ici traversent les siècles pour témoigner de la permanence de ces questions sur les rapports entre le pouvoir et les formes institutionnelles du sentiment religieux. »

De ‘bonnes’ questions sont donc posées. Pourquoi ‘bonnes’ ? Cela m’amène à répondre à Michel Naud qui, sur son blog, explique que, pour une fois, il est d’accord avec moi (il ne l’était pas sur Redeker) mais qu’il reste en désaccord avec « l’angle d’attaque » : défendre « l’intelligence » et la « raison » contre la « bêtise ». Pour lui, il s’agit d’une « divergence de nature politique » entre (si j’ai bien compris) les parlementaires et les défenseurs de la laïcité et de la liberté de conscience. Et il poursuit en indiquant que se « parer de ses titres universitaires »  court le risque de faire preuve « d’arrogance », de manier « l’argument d’autorité ».

La question soulevée est importante mais relisez la Note, c’était quand même argumenté de façon un peu plus subtile. Que dire alors sans me répéter ? OK, je suis d’accord sur les risques indiqués. Ils existent, et les diplômes ne sont nullement une garantie infaillible. Il n’empêche, on ne peut mettre si facilement de côté la question de la compétence : Michel Naud passerait-il sur un pont fabriqué par des gens qui n’auraient aucun métier, à partir de plans établis par des amateurs ? Habiterait-il au 7ème étage d’un immeuble construit par des gens sans compétence ?

Mon métier consiste précisément à avoir une compétence en matière de laïcité, et pour cela je travaille chaque jour. Je m’exerce à la gymnastique intellectuelle, car on ne l’acquiert pas sans s’entraîner régulièrement. Mon métier consiste aussi à pratiquer et à enseigner ce que l’on appelle la démarche de connaissance, et à juger si elle est respectée ou non. Or, ce que je constate c’est que, de plus en plus, il y a des personnes qui, profitant de leur position politique, sociale et/ou médiatique, ne se privent pas de traiter doctement, avec une complète bonne conscience, de tous les sujets possibles et imaginables dés lors qu’il s’agit de sujets dits « de société »,  comme s’il n’existait que l’opinion et pas la connaissance.

OK, il y a la liberté d’opinion, mais en faire un absolu et ne pas la mettre en tension avec la compétence, c’est permettre aux puissants de dominer sans partage. Et si on n’a plus le droit de dire qu’une ânerie est une ânerie, alors non seulement la liberté d’opinion est à sens unique (du côté des puissants), mais le mensonge le plus complet règne. Car, en général ces gens là prétendent qu’ils sont du côté «  (des) Lumière, (de) l’éducation, (du) progrès, (de) l’émancipation » (dixit Catherine Picard). Ils ne se gène pas, eux, pour prétendre combattre « l’obscurantisme », alors que ce sont les pires obscurantistes qui soient.

Les lois mémorielles, par exemple, montrent le remplacement de la connaissance historique par la vérité d’Etat. Je croyais que fascisme et stalinisme nous avait vacciné contre cela. Eh bien non, et les multiples protestations des historiens n’y font rien, précisément parce que prétendre chercher à être intelligent est devenu politiquement incorrect. Pourtant, étant donné la surinformation due à la communication de masse, due aussi à ce que la culture est devenue une marchandise, il est essentiel d’apprendre (et cela s’apprend de façon continue) à trier entre des marchandises de très piètre qualité (et qui s’affichent, sont lancées avec moult publicité et font ainsi les meilleures vente : renoncer à distinguer intelligence et bêtise risque fort de rendre esclave de critères quantitatifs) et ce qui est de meilleure qualité.

Sinon, il ne faut pas s’étonner si la France s’avère de moins en moins capable de résoudre ses problèmes.

Vous connaissez, le petit enfant qui dit que le roi est nu, parole que chacun trouve scandaleuse. Et pourtant… Si on n’a plus le droit de dénoncer (à ses risques et périls, nous sommes bien d’accord) la bêtise,  alors elle va régner sans partage.

Il ne s’agit naturellement pas de décréter « bête », tout ce qui n’est pas votre opinion. Là, ce serait de la bêtise. Au contraire, il faut lire et fréquenter des gens dont vous ne partagez pas forcément l’avis, mais qui, eux aussi, réfléchissent et travaillent. Et là, je réponds à Isabella Orsini qui me reproche d’avoir écrit la postface d’un ouvrage d’histoire maçonnique Deux siècles de Rite écossais Ancien Accepté en France  et d’être allé dialoguer, rue Cadet,  avec  le Grand Orient.

Et pourquoi pas ? Dialoguer avec les maçons ne signifie pas forcément un complet accord avec eux. Une règle du débat maçonnique est que l’on écoute l’orateur en silence, qu’on le laisse développer son point de vue, sans l’interrompre et manifester approbation ou désapprobation. Voila une éthique intelligente de débat. Elle est très nécessaire dans une société où bruit, fureur, « coups de gueule »’, petite phrase, inflation idéologique, maximalisation et mise en scène de l’émotion tend à nous abêtir, à privilégier les affects primaires sur l’analyse et la réflexion.

Alors oui, ce livre d’histoire maçonne semble écrit (sauf ma postface, of course) par des maçons. Et alors ? Quand j’ai lu les textes que l’on m’a remis je ne me suis intéressé à leur qualité, je n’ai pas cherché à savoir si leurs auteurs étaient ceci ou cela. Et voila ma réponse à Charles Chasson qui prétend qu’à l’EPHE, on accepterait qu’un Témoin de Jéhovah fasse une thèse sur les Témoins. Je n’ai pas dirigé, pour ma part, de thèse sur les Témoins et je ne sais si l’assertion est exacte. Mais peu importe : j’ai dirigé des thèses sur le catholicisme et je n’ai jamais demandé au doctorant(e) s’il était catholique, je n’ai d’ailleurs jamais demandé à mes étudiants et étudiantes ni leur confession ni leur options politiques ni quoique ce soit de ce genre.

Non seulement, ce serait contraire à la laïcité, mais cela n’offre aucun intérêt. Tout choix de thèse comporte des motivations extra-scientifiques et le travail du directeur de thèse consiste à faire progresser le ou la doctorant(e) dans l’objectivation, la connaissance objective. Connaissance objective qui sera jugée au final. Je sais bien que les idéologues de tous poils vont prétendre que l’objectivité n’étant pas absolue, il n’existe pas. Stupidité affligeante : la richesse absolue n’existant pas non plus, autant dire qu’il n’existe aucune différence entre un PDG gagnant 300 fois le smic et un SDF !

J’ai répondu à quatre commentaires sur 34, mais j’arrête là. Juste dire à Anne-Marie Lepagnol qu’elle ne s’inquiète pas, la suite des Notes sur les Lumières arriveront prochainement. Mais ce ne sera pas la prochaine Note, car celle-ci (mise sur le Blog le 2 janvier) va être un scoop mondial et surprenant. Je ne vous en dis pas plus. JUSTE QUE JE VAIS VOUS RAJEUNIR....et gratuitement!

Et très joyeuse année 2007 (et tant que nous y sommes : joyeuse année 2008 itou) à toutes et tous les Internautes et navigatrices/navigateurs sur ce Blog.

PS: il m'est impossible de modérer mon blog quand quelques personnes, qui ont pourtant leur propre blog s'en servent pour écrire moult commentaires répétitifs avec des attaques perso. Il y a là une intention de rendre impossible le bon fonctionnement du Blog qui peut permettre des échanges mais n'est pas une tribune permanente, sauf pour l'auteur du blog (c'est la règle du jeu de tous les blogs). Encore une fois, je suis responsable du contenu et je recois actuellement chaque jour beaucoup de mel de bolgospirit à ce sujet. Je suis donc obligé de prendre des mesures drastiques et, faute de pouvoir passer tout mon temps à trier de supprimer des commentaires pour éviter la mise en cause des personnes. J'en suis désolé et demande à ceux qui ont écrit par ailleurs des choses intéressantes de m'en excuser.

 



23/12/2006

L'ATTRISTANTE BÊTISE D'UNE COMMISSION PARLEMENTAIRE

Le beau pays de France se distingue d’autres démocraties par l’existence d’une Mission interministérielle, rattachée au Premier Ministre, chargée de combattre les « sectes », ensuite les « dérives sectaires ». Le changement de terme a d’abord correspondu à un changement d’orientation. Après les « dérives » d’Alain Vivien, qui se prenait pour Saint-Just et faisait alliance avec les pires communistes chinois, et devant (notamment) les avis provenant du Ministère des affaires étrangères indiquant à quel point l’image de démocratie française était atteinte, et vraiment pas seulement Outre-atlantique, on semblait décider, il y a 2 ou 3 ans, à faire preuve d’un peu de raison.

 

Un peu de raison, qu’est-ce à dire ? Il est nécessaire d’aller un peu au fond des choses, de réfléchir à ce que signifie vivre en société. Donc, excusez-moi d’avance, prenez votre mal en patience ; je vais faire une assez longue digression.

Toute société a ses marges, c'est-à-dire comporte en son sein des personnes qui pensent et vivent de manière différente de ce qui est la pensée habituelle, normale donc normée, dépendante de normes sociales : même une société dite pluraliste est contraignante  en matière de pensée : et 50, 100 ans après, on affirme souvent à propos d’une personne qui, bien que novatrice sur certains sujets, avait des préjugés sur d’autres : « il avait les idées de son temps », sur ce point, il n’était pas original mais «partageait les préjugés de son époque ». 

Mais ce n’était ni le « temps » ni « l’époque » qui imposait en soi ces préjugés, cette pensée stéréotypée, c’était la société du temps qui se l’imposait à elle-même. Une société, pour pouvoir fonctionner à besoin de l’existence d’idées communes, de pensée communes, engendrant des comportements communs. Elle a besoin, pour exister de façon relativement stable d’une pensée fixe, donc plus ou moins figée, de pré-jugés (au sens strict) communs. Si tout  le temps et de tout côtés s’opèrent des mises en question cela devient vite invivable. Idées fixes,  routinières, stéréotypes, etc autant de schèmes sociaux nécessaires à la vie commune. Cela n’a rien de honteux et je ne suis absolument pas dans la condamnation moraliste : on bénéficie du fait de vivre en société, il ne faut pas l’oublier. Mais le prix à payer, c’est forcément que les pensées communes ne sont pas très intelligentes, c’est le moins que l’on puisse dire. En fait, soit elles sont prosaïques et neutres  quant à l’intellect, soit elles abêtissent.

 

De même que les théoriciens du contrat social ont montré que l’être humain aliénait une partie de sa liberté pour pouvoir exister en société, de même l’être humain aliène une partie de son intelligence, de son libre examen, de sa liberté de penser pour qu’un petit dénominateur commun, une pensée rabotée et robotisée, puisse faire exister du lien social. OK, mais, merde, point trop n’en faut dans cet abandon. Et comme les gens sont différents, certains en abandonnent beaucoup (il semble, à les lire, que certains Parlementaires soient dans ce cas : ils ont fait le don admirable à la société de la plus grande partie de leur intelligence et sont devenus, par amour pour autrui sans doute, des handicapés du bulbe). D’autres veulent moins aliéner de leur personnalité, et les refus d’abandon sont plein de périls : cela peut aller jusqu’à la folie. Folie géniale d’un Antonin Arthaud,  risque d'une folie plus ordinaire, apparente ou masquée de beaucoup d’autres.

En effet, il ne s’agit pas de dire que la société est bête et que plus  l’individu est asocial plus il est intelligent. Non c’est beaucoup plus complexe et dialectique.

 

D’abord, parce qu’on a aucune garantie que c’est bien son intelligence que l’on refuse d’aliéner. Cela peut être plein d’autres choses.

Par ailleurs, le lien social est fait de bêtise ET d’intelligence sédimentée : une société dispose d’une certaine intelligence collective, rencontre d’intelligences individuelles. Elle en a besoin pour sa survie. Le lien social est un ensemble multiple. La société demande donc à nombre  d’individus qui la composent d’être intelligents sur des points précis. Nous historiens, on qualifie cela de « production des élites ». Et le processus de démocratisation correspond à une société de plus en plus complexe et donc qui a besoin, pour survivre d’avoir de plus en plus de membres relativement intelligents. Mais comme l’intelligence produit des idées non-conformes, cela risque de tirer la société à hue et à dia, de la déstabiliser. D’où mille et une stratégies pour produire des individus ayant, dans la mesure du possible, une intelligence fonctionnelle, contrôlée. On parle d’esprit d’initiative, par exemple. 

La société sait faire preuve aussi d’une intelligence d’anthropophage : elle trie a posteriori dans la marginalité, dans les non-conformismes d’hier ce qui, au bout du compte, lui sert. Car elle ne peut être immobile, avoir des idées définitivement figées. Elle a besoin, pour progresser ou simplement ne pas s’enliser, de se nourrir de ce qu’elle a condamné. Combien de penseurs, de novateurs, d’artistes,… ont été célébrés et magnifiés après leur mort, alors qu’on leur avait fait les pires vilaineries leur vie durant ! Et ceux que l’on célèbre ainsi après coup, n’étaient nullement des anges. Ils pouvaient même être insupportables de leur vivant. En effet, penser, créer, avoir des valeurs ou des idées différentes des idées communes est non seulement difficilement vivable pour soi-même, mais c’est très souvent encore plus insupportable pour les autres.

 

Bref, je ne plaide aucune cause. Je ne donne raison à personne. Je tente seulement de réfléchir sans trop céder à l’obligation d’être bête qui, aujourd’hui, n’est pas seulement le fait du matraquage des medias de masse, mais tend à être politiquement imposée. Quand des Parlementaires votent des lois qui vont contre la scientificité de la démarche historienne, je me demande de plus en plus comment faire consciencieusement mon métier, comment tenter d’être intelligent dans un tel contexte. Quand je constate la production sociale d’un (pseudo) anticonformisme stéréotypé (ce qu’est devenu Charlie Hebdo par exemple), de (pseudo) contestataires célébrés par gauche et droite réunis, j’ai une grosse colère qui monte en moi. Je la maîtrise, je la dompte, car la colère n’est pas forcément bonne conseillère. Mais je ne me couche pas devant l’abêtissement, et je réécoute Brassens dans ma tête : « Quand on est con, on est con » chantait-il. Et s’il n’a pas précisé : « Qu’on soit Parlementaire  ou …. » mais on peut facilement le déduire de sa chanson.

 

Vous êtes toujours là ? Merci. Je reprends : donc toute société à ses marginaux, ses non-conformistes multiples; des gens un peu étranges ou très bizarres. Cela, dans tous les domaines, et pas seulement sur le plan religieux. Des gens dont certains sont insupportables. Des gens qui peuvent choquer. Ils n’ont pas forcément raison pour autant, loin s’en faut. Ils peuvent s’enfermer dans leur marginalité, dériver à tout va, dans leur rejet de balises sociales, devenir dangereux même (ce n’est pas exclu, et nous allons en reparler) etc. Mais ce que l’étude de l’histoire m’a appris c’est que la société puisait pour bouger, pour changer, dans l’ensemble des marginalités. C’est que certains de ces non-conformismes, certaines de ces marginalités se révélaient à terme très utiles socialement, c’est que la société au bout du compte se nourrit de gens qu’elle a flingué.

 

Chaque système social a sa bêtise propre. Et décrypter celui de la France d’aujourd’hui est finalement l’objet de ce blog car la laïcité, c’est aussi l’utopie d’un vivre-ensemble le plus intelligent possible et le combat pour ce vivre-ensemble là. Pour faire bref, la pente dominante d’aujourd’hui consiste à refuser de plus en plus des démarches de connaissance, une pensée de raison, cela alors même que l’on prétend le contraire. Je m’en expliquerai plus à fond dans des Notes prochaines, mais le seul exemple des lois qui impose une mémoire contre la démarche historienne en est déjà un exemple probant. Un autre est la non répercussion sociale en France de débats philosophique contemporains. Nous y reviendrons. Un troisième exemple est donné par la commission parlementaire sur les dites sectes qui a rendu son rapport cette semaine (« L’enfance volée. Les mineurs victimes des sectes »). Je vais maintenant vous expliquer pourquoi.

 

Pour cela, je reviens au début mon propos : durant le bref moment où la MIVILUDES (la Mission contre les « dérives sectaires ») avait décidé de faire preuve d’un peu de raison, elle avait aussi compris, à sa manière, que toute société a ses marges, qu’une société démocratique ne combat pas ses marges a priori, qu’elle hiérarchise et cherche à distinguer ce qui lui semble présenter un danger de ce qui est étrange, bizarre, mais finalement (grosso modo) pas plus dangereux que les comportements moyens. Pour cela, elle  voulait ne pas rester englobée par le discours militant anti-secte (comme c’était le cas du temps de Vivien) et estimait pouvoir s’enrichir un peu, apprendre de discours de connaissance. Vous vous demandez pourquoi je vous raconte cela, un peu de patience, vous allez le savoir.

 

Dans la perspective que je viens d’indiquer donc, une série de conférences avaient été organisées et diverses institutions scientifiques (dont la mienne, l’Ecole Pratique des Hautes Etudes) avaient été mises à contribution. Quelques rencontres préalables avaient eu lieu. Au cours d’une de ces rencontres, la question des enfants était venue sur le tapis. La personne de la MIVILUDES que j’avais en face de moi m’avait affirmé que d’après l’ensemble des informations dont elle disposait, il y avait environ 150 enfants en danger pour cause de « dérives sectaires », et qu’avec le concours des services sociaux une action était entreprise pour faire face à cette situation, qui prenait place parmi beaucoup d’autres causes qui faisaient que le nombre global d’enfants en danger en France se trouvait, naturellement, beaucoup plus élevés. Selon un rapport publié ce mois ci (décembre 2006) par l'Observatoire national de l'action sociale décentralisé, il y en aurait 97000, une bonne part venant des désunions matrimoniales. Faut-il interdire le divorce pour autant? 

 

Environ 150, aller mettons 200 enfants pour avoir un chiffre rond (sur 97000, 1/500e). Grâce aux Parlementaires de la dite Commission, on passe de 150-200 à…. 60000 à 80000 enfants. Quel admirable tour de magie. Quel dommage que ces parlementaires-magiciens soient incapables de faire, non pas l’équivalent, mais le dixième de ce tour de magie pour le remboursement de la dette ou la lutte contre la vie chère !

Un autre petit problème cependant, un magicien doit être assez habile pour que l’on ne comprenne pas que lest son truc. Or là, les parlementaires de la Commission se montrent particulièrement lamentables. Leur tour de passe passe est tellement grossier que même un mal-comprenant  (il faut que je soit politiquement correct de temps à autre, non ?) peut facilement le saisir. Sont « victimes » a priori tous les enfants (les mineurs en fait) « élevés dans un contexte sectaire ».  Autrement dit : la marginalité sociale elle-même est devenue suspecte, en tout cas en matière religieuse.

 

Mais je voudrais dire à la Commission qui si on passe d'un danger réél à un danger virtuel, même en adoptant (par hypothèse d'école) son raisonnement, ce sont  alors les millions d'enfants qui vivent en France qui se trouvent en danger : Alain Bazot (Président de l'UFC-Que Choisir) nous prévient: par un article intitulé: "L'enfant roi, cible des publicitaires. Le boniment des annonceurs de l'agro-alimentaire est dangereux. Il favorise l'apparition de l'obésité."  (Le Monde, 16/12/2006)Là, nous ne sommes plus dans les marges, mais au coeur même de la société.

 

 Toute une batterie de mesures est proposée par la Commission dont le sens général consiste renforcer l’emprise d’institutions dont beaucoup d’analyses ont montré qu’elles se trouvent en crise (pour prendre un seul exemple : nos parlementaires devraient profiter de la « trêve des confiseurs » pour lire l’ouvrage de François Dubet : Le déclin de l’institution, Seuil), crise dont j’ai parlé ici à plusieurs reprises (là encore, cela ne signifie pas leur condamnation, loin s’en faut, mais qu’on ne peut plus être dans le schéma où les institutions avaient toujours raison). Cette batterie de mesures va dans le sens d’une société de surveillance généralisée de tout ce qui bouge, de tout ce qui n’est pas conforme.

Mais comment en serait-il autrement puisqu’on ne hiérarchise pas, que l’on ne compare pas et que l’on traite tout autrement les marges et le commun.

 

Vous me connaissez, la difficulté ne me fait pas peur. Au contraire, quand un raisonnement rencontre une difficulté, c’est là que cela devient le plus intéressant. Car, ou vous vous êtes planté, et alors il n’y a pas d’offense à changer d’avis. Ni vous ni moi ne sommes le pape. Et même le pape,… rappelez-vous dernièrement Benoit XVI, il a fait quelque peu machine arrière…

Donc la difficulté, ce sont les transfusions sanguines. C’est le seul argument sérieux face aux Témoins de Jéhovah, car pour le reste. Un mec actuel de la MIVILUDES (qui a été normalisée depuis, j’ai oublié de vous le dire. Et normalisée pour crime de recherche d’intelligence : pensez elle commençait à dialoguer avec des universitaires de l’EPHE, de l’EHESS, etc. Hou là là, gravissime…) a déclaré un jour que les enfants des Témoins sont « tristes » parce que les Témoins sont contre les fêtes organisées en classe (qui d’ailleurs, parfois, ne sont guères laîques,…). Comme s’il n’y avait pas mille et une façon d’être joyeux. Comme si on pouvait émettre un jugement aussi global, sans dire une énormité. Cela,  sans parler de la tristesse des enfants de ce type quand ils se sont rendus compte que leur père aurait très bien pu être épinglé dans la chanson de Brassens citée tout à l’heure.

 

Bref les transfusions sanguines. C’est vrai, OK, c’est un problème. Plus ambivalent qu’il en a l’air.

D’abord parce que dans les sociétés plus intelligentes que la nôtre, qui ne foncent pas broum broum dans la répression, le refus des transfusion des Témoins a conduit a mener des recherches sur les substituts à de telles transfusions et des recherches sur les autotransfusions, recherches qui ont fait progresser  la science.

Ensuite, parce que des médecins eux-mêmes ont mis un petit bémol à leur opposition depuis l’affaire du sang contaminé, affaire qui a montré (à tous ceux qui ne veulent pas le voir, mais les exemples abondent) que le danger n’est pas seulement du côté des marges et qui a fait mourir des transfusés.

Enfin, ce problème se pose bien sûr partout et donc, plutôt que se montrer autiste, la France ferait mieux de s’informer davantage sur la façon dont il est abordé ailleurs, même peut-être (mais j’en demande beaucoup) de se concerter. Je ne dis pas que l’aspect conflictuel aura forcément disparu, je dis que d’une part il pourra être réduit, de l’autre que plus on diabolise, et l’on croit résoudre le problème de façon incantatoire, plus on sert la soupe aux éléments intransigeants d‘un groupe et l’on bloque la situation.

 

La militance antisecte en France est actuellement le résultat de 3 tendances : des laïques plus durs que purs qui sont en fait antireligieux mais ne peuvent déblatérer contre les jésuites ou les curés et donc se défoulent sur des groupes marginaux ; des laïques qui, sur l’islam ont compris des choses, mais que leur antiaméricanisme obsessionnels et leur méconnaissance de la question font que de fait, ils se montrent guère différents des premiers sur la question ; des catholiques qui ont avalé plein de couleuvres avec l’œcuménisme et que leur religion n’était pas forcément la seule vraie, etc que eux aussi ont besoin de se défouler.

J’oubliais, il y a aussi certains protestants luthéro-réformés, qui veulent dégouliner de respectabilité œcuménique et qui, anciens « hérétiques » normalisés veulent être plus clean que les clean, inodores et sans saveur. Mais, il faut savoir aussi que, quand même, le président de la Fédération protestante ne mange pas de ce pain là et à courageusement protesté contre la bêtise de la dite Commission parlementaire (il a indiqué à la fois son « désaccord profond » avec les Témoins et le fait qu’il a été « scandalisé » par l’attitude de la commission faisant fi de la loi et de la jurisprudence concernant les Témoins. Cf. Le Monde, 28 novembre 2006)

 

Le plus drôle c’est qu’il a été précédé par…une ancienne présidente de UNADFI, c'est-à-dire de la « principale association antisecte », qui estime que l’on s’est engagé « dans une chasse aux sorcières » et que ce que fait la MIVILUDES, « ce n’est pas sérieux », demande que « des travaux sérieux (soient) entrepris », « qu’on prenne le temps de la réflexion et qu’on évite les amalgames » (Le Monde, 17 novembre 2006)

En toute laïcité, j’ai envie de dire « Alléluia » : les gens peuvent évoluer, devenir plus intelligents. Tout n’est pas perdu. Joyeux  Noël!

PS du 2 janvier: devant le nombre de commentaires dont beaucoup, certes, contiennent des choses intéressantes, mais dont certains comportent des attaques perso qui font que blogspirit me rappelle que je suis responsable du contenu des commentaires, et n'ayant pas le tempsde trier, je me vois contraint d'enlever les différents commentaires, en priant les internautes qui ont écrit des choses intéressantes de bien vouloir m'excuser. Merci d'avance et bonne année.

16/12/2006

LES NEO-REPUBLICAINS SONT-ILS VOLAIRIENS OU OBSCURANTISTES?

Amis internautes qui venez sur ce blog, vous êtes très sérieux, trop sérieux à mon goût puisque chaque fois que j’écris une Note ‘légère’ (mais comportant « la morale de l’histoire »), comme celle de la semaine dernière (« Miss République 2007 ou le courage d’être seule ») la fréquentation chute (relativement, mais chute quand même : environ de 200 à 150 visites par jour). Ce blog, vous le voulez intello ; et quand il montre des « signes ostensibles » d’amusement… cela ne vous plait guère.

 

Mais, permettez une question : comment faites vous pour le savoir ? Mystère. Que le nombre de pages consultées chute, soit (« Baubérot parle des Miss cette semaine, sans mettre de photos… je ne vais pas m’attarder »), mais les visites. Comment savez-vous que je rigole avant même d’aller sur le blog ? Il y aurait-il du bouche à oreille ? En tout cas me voila bien, moi qui espérais crever l’audimat, pouvoir vendre à TF1, comment il a dit déjà le PDG ? : « de la cervelle disponible pour espace publicitaire » (ou du décervelage….) et ainsi pouvoir passer les fêtes de fin d’année aux Bahamas, c’est complètement raté. Cela m’apprendra à préférer Miss Limousin à Kant ou Heidegger !

Pourtant, si on ne peut plus s’amuser par le moyen d’un blog…

 

Enfin, que ne ferais-je pas pour vous reconquérir ! Je vais donc être (ou du moins apparaître !) de nouveau sérieux, reprendre ma réflexion sur les Lumières, les néo-républicains et Voltaire (à ce propos, le philosophe aimait séduire les belles, lui qui a dit : « donnez moi cinq minutes pour leur faire oublier que je suis laid »).

Mais comme je l’ai très fâcheusement interrompue, voici le résumé des chapitres précédents : après avoir vu (Note du 23 novembre) que la loi française de séparation des Eglises et de l’Etat se situait dans la filiation des théories de John Locke sur le « gouvernement limité » et la séparation du religieux et du politique, nous avons comparé La Lettre sur la tolérance du dit Locke et le Traité sur la tolérance de Voltaire (Note du 3 décembre), pour aboutir à la question : « Voltaire est-il l’ancêtre des néo-républicains ? ». Je vous ai laissé sur ce suspens insupportable et au lieu d’y répondre, j’ai vagabondé avec les Miss[1] et vous vous êtes sentis délaissés. Desesperates Houseblogeurs !

 

Alors maintenant me voici au pied du mur.

Je pars du constat suivant : les néo-républicains invoquent Voltaire : pour faire passer la pilule de ses propos islamophobes Redeker se réfère à lui, Brighelli également s’affirme voltairien, ainsi que des milliers d’autres. D’ailleurs, quand la Bibliothèque Nationale organise une exposition « Lumières ! Un héritage pour demain » un « litanique et revendicateur « Voltaire, reviens ! » griffe toutes les pages du livre d’or situé dans le couloir à la sortie »[2]

Nous comprenons facilement pourquoi : on estime qu’existe aujourd’hui un « retour » de « l’obscurantisme religieux » que Voltaire a combattu sa vie durant. On veut, comme lui, combattre « obscurantisme » et « fanatisme », lutter non seulement pour la « tolérance » (le mot n’a plus si bonne presse) mais pour « l’impertinence ».

 

Tiens, tiens, j’ai du après avoir utilisé le terme de « tolérance » mettre une parenthèse restrictive : cela signifie-t-il que la société ayant changé, depuis le XVIIIe siècle, on ne pourrait plus tenir les même propos ? De fait, rappelez-vous la Note du 3 décembre : pour Voltaire un « athée » est aussi pernicieux qu’un « superstitieux sanguinaire ». Il est, selon lui, « bien plus utile et raisonnable » de « sacrifier aux faunes » que de se « livrer à l’athéisme ». En effet, « partout où une société est établie, une religion est nécessaire », etc.

Pouvons-nous répéter Voltaire ? Et s’il « revenait » (puisqu’on écrit « Voltaire revient ») ne serait-il pas choqué par la laïcité (fondée sur le très précieux postulat que la religion est un choix personnel et qu’une société peut être établie sans reposer sur un fondement religieux) que par certaines manifestations des religions ? La référence à Voltaire ne serait-elle pas boomerang ?

Alors, on va prétendre naturellement que Voltaire était un « homme de son temps », on va trier dans ses propos entre ceux qui seraient propres aux préjugés du temps et ceux qui seraient… éternel (osera-t-on le terme ?).

Autrement dit, on va faire exactement la même chose que ce qui est fait dans les religions révélées : affirmer qu’il existe un message permanent, transhistorique au-delà de ces propos datés historiquement, et que c’est ce message qui importe.

Mais si les religions révélées disent cela en cohérence interne, en rationalité interne avec ce qu’elles affirment être (des religions révélées, précisément), quelle cohérence, quelle rationalité cela peut-il avoir pour un discours laïque ?

Un discours laïque doit-il être une pâle copie d’un discours religieux ou doit-il être un discours d’un autre ordre ?

« Voltaire revient » : n’est-ce pas le type même de l’injonction religieuse ?

La laïcité prône, en séparation avec la religion (dont elle laisse la responsabilité à chacun) la nécessité d’un discours critique pour le débat démocratique. Un discours critique implique de s’interroger sur ce que l’on dit, sur son contenu et la manière de le dire. Or, vous connaissez l’adage : « Le premier poète qui compare la femme à une rose est génial »… alors que le millième ne fait que radoter un stéréotype[3] De même répéter Voltaire aujourd’hui (même en triant) c’est être (pour citer un néo-républicain) un « crétin », un sinistre crétin prétentieux.

Cela ne signifie naturellement pas que l’on ne puisse pas se nourrir intellectuellement de Voltaire, à condition de ne pas en faire un maître à penser, une référence quasi unique, de comparer Voltaire, par exemple, à Locke, par exemple à Bayle (cf la Note du 21 septembre : « A propos de Pierre Bayle »). Tiens Bayle, lui, qui vivait pourtant avant Voltaire (il est mort en 1706, il y a 300 ans) ne partageait nullement son opinion négative sur les athées. Bayle pensait qu’une société peut exister sans qu’une religion lui fournisse de fondement unitaire. On pouvait donc être de ce temps là et ne pas partager les idées, les préjugés de Voltaire.

De même (nous l’avons également vu avec Locke), on pouvait penser la séparation des religions et de l’Etat, plus que la suprématie du politique sur le religieux (c’est cela la ligne dominante du Traité de la tolérance, comme nous l’avons vu).

Donc Voltaire n’est pas un si merveilleux penseur que cela….

Donc on peut prendre du grain à moudre chez Voltaire, à condition d’en prendre aussi chez beaucoup d’autres penseurs,… et à partir de là d’élaborer une réflexion personnelle. D’ailleurs, c’est exactement ce que fit Voltaire : il ne se situait pas en référence à quelqu’un d’autre, il lisait beaucoup d’auteurs, ruminait ce qu’il lisait, et se montrait ensuite inventif.

 

Rappelez-vous ce qu’affirmait Marx : « je ne suis pas marxiste » (la suite a montré à quel point il avait raison !!!). De même Voltaire n’était pas voltairien. Surtout pas : il était trop intelligent et caustique pour l’être.

Se dire « voltairien » signifie que l’on englobe sa pensée par celle de Voltaire, or (comme je le montre dans mon si sublime, si merveilleux ouvrage L’intégrisme républicain contre la laïcité), laisser englober son individualité, c’est cela le communautarisme. Se dire voltairien, c’est ni plus ni moins que du communautarisme intellectuel. Se dire « voltairien » c’est en tout cas nullement se situer dans la filiation de Voltaire, au contraire. Des personnes influencées par Voltaire ont fait, à leur époque, du « despotisme éclairé », mais deux siècles et de demi plus tard, en rester à Voltaire, c’est du despotisme tout court.

 Un exemple, un seul qui fait qu’être voltairien aujourd’hui c’est, contrairement à Voltaire, ne pas se servir de sa cervelle, se vautrer dans la paresse intellectuelle, et vouloir imposer aux autres une pensée complètement figée.

Nous avons vu que, chez Voltaire (contrairement à Bayle et Locke) existait une certaine philosophie implicite de l’histoire, une croyance dans la marche en avant du progrès. Une part importante de son argumentation est fondée là-dessus. Ce n’est certainement pas l’aspect le plus novateur, original de Voltaire mais, du moins, à l’époque, existaient des indices  qui allaient dans ce sens. Dire qu’une certaine intolérance était compréhensible au XVIe siècle et ne l’était plus au XVIIIe à cause du progrès des idées (cf Note du 23 novembre) était alors un propos qui possédait sa raison d’être (même si maintenant les historiens n’en parleront plus ainsi).

Nous retrouvons, chez ceux et celles qui se disent « voltairiens », la même croyance dans la marche en avant du progrès (du coup, le renouveau de certaines religions tend à apparaître, avant même toute attitude antidémocratique ou violente comme « rétrograde », « obscurantiste », parce que privée de significations ).

Mais, maintenant, être cette croyance, est devenu super naïf. Et vouloir faire de la croyance dans la marche en avant du progrès une croyance commune obligatoire dans le débat démocratique, c’est du terrorisme intellectuel de bas étage.

 

En effet, et ce n’est pas seulement Superbaubérot  qui vous le dit mais toute la réflexion diverse sociologique et philosophique sur l’ultramodernité, la post-modernité, la modernité tardive, etc (la différence des termes montre les différentes manières d’aborder la chose), il  s’est développé un regard critique sur cette croyance de la modernité. Voltaire tenait compte de la pensée de son temps ; les voltaire-à-rien(s) d’aujourd’hui l’ignore ou veulent l’ignorer, puisqu’ils passent leur temps à regarder vers le passé.

On voit bien d’ailleurs la contradiction : s’il y a progrès, il est complètement stupide de se réclamer d’un penseur mort il y a plus de deux siècles ! La pensée de Voltaire se voulait liée à un devenir, celle des voltairiens cautionne une nostalgie du passé, elle est passéiste.

 

Pour ma part, je découperai la modernité, dans son rapport au progrès, en trois phases :

-         la modernité ascendante : la confiance dans le progrès est dominante et apparaît assez raisonnable car le bien être s’accentue et la société devient moins violente : le programme des Lumières de poursuite du bonheur  grâce à la mise entre parenthèse  sociale du ciel et à la maîtrise de la Nature a d’indéniables résultats, même s’il génère des contradictions (notamment entre son aspect universaliste et son darwinisme social pour dire les choses rapidement, qui fait que la femme, le colonisé, etc sont plus dépendants et marqués par la Nature que l’homme blanc)

-         la modernité établieles limites de la conjonction des progrès (en France, itinéraire de Brunetière à la fin du XIXe siècle : il y a « faillite partielle » de la science) puis l’ambivalence du progrès (les deux guerres mondiales) crée un dédoublement entre un bon progrès (pacifique) créateur de vie, et un mauvais progrès (guerrier) créateur de mort : Auschwitz et Hiroshima étant les sinistres, terribles symboles de ce mauvais progrès. De même sur le plan du bien être la version libérale et la version socialiste non social-démocrate s’opposent en grands récits politico-idéologiques avec des bons et des méchants.

-         La modernité tardive où il y a  (à mon sens) non seulement déconnection du progès « scientifico-technique » et du progrès social et moral, mais déconnection entre le progrès scientifique et le progrès technique.

 

Jean Paul Willaime voit le passage de la « modernité » à « l’ultramodernité » (l’équivalent chez lui de ce que j’appelle la ‘modernité tardive’) comme le « passage de la logique de certitudes à la logique d’incertitudes lié à la généralisation de deux dimensions essentielles de la modernité : l’individualisation et la réflexivité ».
Là encore, creusons un peu.

La  réflexivité, rappelle Wilaime, induit un questionnement généralisé. Dans ce cadre la science se met à questionner ses propres applications techniques (renversement par rapport aux Lumières qui émergent quand  la science d’amusement se met à avoir des effets techniques) : les interrogations actuelles sur le nucléaire (même civil), le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité, les maladie nosocomiaques etc proviennent de débats au sein de savoirs scientifiques actuels (avec de possibles instrumentalisation idéologique, naturellement). Il y a non plus ambivalence du progrès mais véritable déconnection entre un progrès des savoirs scientifiques et un progrès technique, le second étant plus pou moins mis en cause par le premier.

 

Il y a un an, Télérama avait fait un très intéressant dossier (n) du 14 décembre 2005) sur ce que cet hebdomadaire nommait très significativement le «catastrophisme éclairé ». Voilà ce que Vincent Remy écrivait en introduction à ce dossier : « Devant la multiplication des désastres de grande ampleur, se développe, chez les philosophes mais aussi chez les scientifiques un « catastrophisme éclairé » qui pose le problème de la responsabilité humaine face au progrès et à ses conséquences. »

En même temps on a l’impression parfois d’un engrenage où seul un surplus de progrès… permettrait de vaincre les aspects contre-productifs du progrès. Mais on en n’est pas sûr, car il est fort plausible que ce surplus de progrès aura lui-même des aspects contre productifs.

D’où un doute : solutions ou nouveaux dilemmes ? Le nucléaire civil, mais aussi la bioéthique  montre bien l’aspect dilemme, générateur d’incertitudes. La mutation de la « vérité » sociale (à la base de la société) de la vérité religieuse (et notamment des religions où la vérité est « révélée » et transhistorique) à la vérité scientifique qui est une vérité en débat et fortement historicisée où la vérité d’aujourd’hui est l’erreur de demain (on a imposé plein de radiographies obligatoires par la médecine du travail : « on ne savait pas et maintenant on sait » nous expliquent les « docteurs » clercs de la modernité triomphante. Réponse informulée : et aujourd’hui, qu’impose-t-on de nocif parce que ‘on ne sait pas encore ?)

 

L’individualisation : au niveau de l’institution religieuse, l’individualisation s’est déploiée dés la modernité triomphante; mais dans la nouvelle conjoncture de la modernité tardive s’instaure aussi un processus d’individualisation à l’égard d’institutions séculières, comme l’école ou la médecine, qui ont formé historiquement l’encadrement autoritaire de la recherche du progrès-bonheur (et qui ont eu d’indéniables réussites : pour prendre un exemple la diminution de femmes mortes en couche et de mortalité infantile) mais qui maintenant sont atteintes par la création d’incertitudes liée à l’avancée de la réflexivité. De là le développement de ce que l’on appelle le « consumérisme » (médical, scolaire, etc) et de revendications de type identitaires, voire religieuse à l’intérieur même de ces institutions, ce qui est une conséquence de cette prise de distance à l’égard des institutions, de cette individualisation qui atteint l’ensemble des structures institutionnelles, dans la conjoncture du « catastrophisme éclairé » où les institutions ne peuvent plus réclamé la même déférence.

 

Je ne dis pas que cela est « bien », mais avant de porter un jugement de valeur, il faut être capable d’analyser et de comprendre le pourquoi et le comment d’une situation. Ce que sont incapables de faire ceux qui se disent « voltairiens ». Invoquer Voltaire est un prétexte pour être dans la pure dénonciation, sans se fatiguer à analyser, et sans avoir le courage d’affronter les problèmes d’aujourd’hui. On peut alors vitupérer, jouer les fiers à bras. C’est complètement pipeau.

 

(à suivre : j’ai plein de futures Notes dans la tête : vous expliquer pourquoi les néo-républicains prônent en fait une religion civile, parler du rapport Machelon : j’aurais du le faire depuis longtemps, mais comme ce rapport risque de resurgir dans la campagne électorale il est encore temps d’en parler. Et puis, je viens de recevoir aujourd’hui la Lettre trimestrielle du Comité Contre l’esclavage moderne, et je voudrais aussi relayer les informations importantes que donne le CCEM sur ces nouvelles formes d'esclavage. En attendant de le faire, je donne son adresse : 31 rue des Lilas, 75019 Paris)

 

  

 



[1] De façon virtuelle malheureusement (pour moi). Ceci dit  une des choses qui m’a toujours fasciné dans le concours de Miss France est, outre sa continuation dans une société française où s’il y avait la moindre cohérence, il ne devrait plus exister, est donc le fait que ces Miss, d’accord, sont jeunes et jolies…. Mais ni plus ni moins que mille deux cent dix neuf  femmes rencontrées chaque jour dans le métro, le bus ou la rue.

[2] R. Debray, Aveuglantes Lumières, Gallimard, 2006, 22.

[3] Comparer la femme à une rose… nous ne sommes pas très loin de Miss France. Ah, ah, je vous ai bien eu, j’ai fait semblant de virer philosophe, et en fait je suis toujours obsessionnel des Miss, décidément peu sérieux !

10/12/2006

MISS REPUBLIQUE 2007 ET LE COURAGE D'ETRE SEUL(E)

Internautes adorés, comme le titre de cette Note l’indique, j’ai envie de vous raconter quelque chose d’un peu imprévu, to-day. J’ai, en effet, plein d’effervescence dans ma tête. Calmos, je mets un peu d’ordre dans mes idées et je vous narre un événement d’une importance extrême : hier, samedi 9 décembre, 101ème anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, la République française, glorieuse et immaculée, a été une nouvelle fois sauvée des périls atroces qui la menacent.

 

Mais nous l’avons échappé belle. Et « belle » est vraiment le terme adéquat car c’est bien la beauté (dont des siècles de tradition nous a appris qu’elle était l’œuvre du diable !) qui a failli faire chuter les valeurs républicaines les plus hautes.

En effet, au terme d’un insoutenable suspens (heureusement coupé de moult publicités qui permettaient d’aller faire pipi et de ranger la vaisselle), des ceus comme moi qui étions scotchés devant TF1, vivions dans l’angoisse. Pour les Groenlandais (très nombreux) qui visitent ce site, je résume : le concours de Miss France 2007 mettait (à 23h35, soit deux heure et demie après le début de l’émission) aux prises deux finalistes : Miss Picardie, « étudiante en hypokhâgne » et Miss Limousin, sourd et presque muette. Autrement dit nous avions face à face, dans un duel à mort, la méritocratie républicaine et la discrimination positive.

 

Petite parenthèse : personne n’avait prévu semblable finale, et les bonnes Françaises et les bons Français devaient, civiquement, non pas regarder TF1 mais France2 et vendre tous leurs meubles (pas leur télé quand même !) pour que le Téléthon explose son record de dons. Soutenir le Téléthon apparaissait d’autant plus un devoir républicain et laïque que des évêques avaient tonné contre la pernicieuse recherche sur les cellules souches susceptible d’en recevoir quelques miettes (des dons effectués).

Mal embouché comme pas deux, j’avais déclaré à mes étudiants, à mon cours sur la laïcité, qu’il n’y aurait là nul suspens : les cléricaux du premier seuil de laïcisation (l’épiscopat) allaient se faire battre à plat de couture par l’union des cléricaux du second seuil (les médecins) et des cléricaux du troisième seuil (les animateurs de télé et autres individus showbiz). Le match du Téléthon était joué d’avance.

 

Tel une jeune fille qui enlève son foulard en arrivant à l’école, je devient sérieux en arrivant en Sorbonne et donc je n’avais pas osé ajouter : « il mieux vaut, dans ces conditions, regarder l’élection de Miss France, au moins il y aura un peu de suspens ». Pourtant j’aurais du puisque la finale se révélait emblématique du combat titanesque que livre la glorieuse République franco-picarde contre la piteuse démocratie anglo-saxonne et limousine (si, si, la preuve : Richard Cœur de Lion est mort en Limousin)[1].

Comme quoi, on a toujours tort d’être sérieux !

 

Donc, je reprends le cours du récit pour que le suspens ne soit pas trop interminable et que certains ne meurent pas d’arrêt cardiaque : des 35 belles de départ, restaient seules en compétition Miss Picardie, symbole de la République et Miss Limousin symbole de la démocratie.

 

Moi, vous commencez à me connaître, il y aurait un concours de Miss mauvais-républicain, j’aurais toutes mes chances (et, une fois n’est pas coutume, je pourrais passer à la télé sans me faire agresser par un trostko-bushien comme Romain Goupil), j’étais donc à fond pour Miss Limousin.

A mon anti républicanisme primaire, s’ajoutaient d’autres motifs tout aussi pernicieux. D’abord, au lieu de me considérer comme un individu abstrait universalo-français, étant né en Limousin, je me sens Limousin et j’en suis fier. Existerait une ‘Limousin pride’, je serais sur un char.  Miss Limousin est donc une payse et cela plaisait beaucoup à mon « sot localisme » impénitent[2].

Ensuite, sans aucunement dénigrer Miss Picardie, Miss Limousin était la plus belle et, supersexiste (à défaut d’être supersexy) comme je suis, l’adorable Miss de mon terroir me plongeait dans un doux rêve-petite-madeleine, quand mes parents (des enseignants républicains, eux) m’emmenaient, à 10, 11 ans, au théâtre municipal de Limoges voir jouer du Marivaux et qu’au lieu d’apprécier la haute tenue du texte, je restait bouche bée devant les belles dames aux robes magnifiques, et j’intimais mentalement l’ordre au jeune premier de tomber à genoux pour déclarer sa flamme. Ver de terre amoureux d’une étoile…

 

Heureusement pour la République, aussi bien le président du tribunal, euh non du jury, le grand Michel Sardou que le vote populaire (métaphore républicaine extraordinaire : le vote des quelques vedettes du showbiz formant le jury comptait pour 2/3, et le vote des téléspectateurs pour 1/3 !) a élu Miss Picardie. On n’a pas dit par quel score la République fut ainsi sauvée. Mais ouf ! On veut bien un peu d’affirmative action dans notre France chérie, mais point trop n’en faut : deuxième après l’hypokhâgneuse, c’est déjà pas si mal…

Me reprenant enfin, j’ai, bien sûr, entonné une vigoureuse Marseillaise, et j’ai crié (comme à Valmy) « Vive la nation » (en ajoutant « universelle abstraite »).

 

Mais ensuite, hélas, mes mauvaises pensées me sont revenues et l’élection de Miss France m’a rappelé mes discussions avec des étudiantes féministes américaines. L’une d’elle m’avait dit un jour : « Nous, on accepte sans problème les filles à foulard mais on a obtenu dans notre ville la suppression du concours de Miss, les Françaises, elles, font l’inverse. Ce n’est pas très féministe » Intéressant, non ?

 

Regarder TF1 et le concours de Miss France s’est avéré plein d’autres enseignements. A un moment, par exemple, a été passé un reportage sur Miss France 2006 (également Miss Europe : qui a dit que la construction européenne se trouve en panne ?) et, dans ce reportage, il y a eu une séquence où Miss France 2006 se trouvait invitée dans diverses émissions de télé, et notamment celle d’Ardisson sur France 2, service public alimenté sur nos impôts. Comme d’hab, Ardisson (ou un autre animateur de son talk show) lui a lancé une vanne très bête et méchante, et elle en a été toute déstabilisée. Alors un autre animateur, qui avait sans doute des restes rentrés de preux chevalier, lui dit : « Ne vous inquiétez pas : votre métier est d’être belle, notre métier est d’être con ». Tel quel (comme dirait Philippe[3]).

 

Admirable éclair de lucidité, et si (rêvons) j’étais nommé président de France-Télévision je  ferai passer cette répartie en boucle sur toutes les chaînes publiques au moins un jour par semaine. Avec une nuance toute fois : maintenant, on ne réclame plus seulement des femmes d’être belles, on les veut belles et intelligentes (et le concours de Miss France se met au goût du jour : belle et hypokhâgneuse…), tandis que les animateurs de télévision, eux, peuvent être et sont de plus en plus sinistrement « cons ».

L’aveu en a été fait spontanément parce qu’il s’agissait de Miss France et que ce petit macho d’animateur a eu le cœur serré devant une belle jeune femme fragilisée (je le comprends très bien : j’aurais eu exactement la même réaction). Mais habituellement beaucoup d’animateurs de télé se montrent des cons arrogants, satisfaits, puant de bêtise et traitant de haut  toutes celles et ceux qui s’efforcent de ne pas leur ressembler.

 

Aller, même si ce n’est pas Miss Limousin qui a gagné, je vais me montrer beau joueur et souhaiter beaucoup de courage, d’intelligence et de finesse à Miss France 2007 ; il lui en faudra pour affronter, un an durant, la bêtise des multiples « cons » qui se mettront sur sa route. Elle qui rêvait à la fois de devenir Miss France et de faire l’école du Louvre pour être archéologue, a réalisé son premier rêve, je lui souhaite de réaliser le second et surtout que le premier ne tourne pas au cauchemar. « On est bien seule quand on devient Miss France » a déclaré la Miss de l’an dernier, dans le petit reportage déjà cité. Oui, il faudra à Miss Picardie avoir le courage d’être seule, seule face à la meute.

 

Mais ce courage d’être seul, d’affronter la connerie ambiante, la connerie ordinaire qui se réclame parfois des beaux noms de laïcité et de République n’est-ce pas le lot quotidien de celles et de ceux qui tentent de refuser le formatage, la standardisation, d’une société de communication de masse, d’une communication marchande qui veut transformer tout un chacun, Miss ou pas Miss, en marchandise.

Telle est la morale de mon histoire.

 

Allez on en reparlera dans une semaine, en reprenant la suite des Notes précédentes et en s’intéressant aux Voltair-rien(s), ces nouveaux religieux de la religion civile républicaine.

Bonne semaine et à plus {rappellez vous : le courage d’être seul(e)}.



[1] Mais comme, pour un universitaire, tout est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît, je rappelle que Calvin était picard (et donc, pour les néo-républicains, cela fleure le protestantisme "anglo-saxon"!).

[2] C’est une citation tirée de l’ouvrage emblématique (pour les néo-républicains) de J. Milner : De l’école qui oppose l’universalisme républicain français au « sot localisme » démocratique anglo-saxon.

[3] Sollers, bien sûr. C’est une vanne intello-nulle, mais au point où j’en suis.

03/12/2006

VOLTAIRE, ANCETRE DES NEO-REPUBLICAINS?

Tout d'abord: 6250 visite en novembre, soit 208 visites par jour: mieux encore qu'en octobre. Bravo les Internautes. Continuons le débat (ce qui est drôle, c'est que le nombre de commentaires semble inversement proportionnel à la longueur des Notes, si j'en crois ce qui s'est passé pour la dernière Note: peut être qu'avec une Note d'une demi ligne, le record du nombre de commentaires sera battu!!)

Bon, passons aux choses (relativement) sérieuses : 

 

Nous avons vu, il y a une dizaine de jours, que la loi de 1905 se situait dans la filiation du philosophe anglais John Locke, tout en innovant en donnant (elle) une liberté égale aux athées par rapport aux membres des différentes religions. Mais cette filiation est restée largement implicite et le commentaire d’Atchtung-seb (à la suite de la Note) constitue un des nombreux témoignages que la laïcité française a oublié ce qu’elle doit à celles et ceux qui n’ont pas eu l’infinie chance de naître sous le doux soleil français. Les références des militants laïques  ont varié au cours de l’histoire de la laïcité française. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, des courants laïques, qui pouvaient diverger dans leur conception des rapports entre laïcité et islam, se réclamaient pourtant tous de Condorcet, le dernier philosophe des Lumières française, victime du jacobinisme révolutionnaire. Ces dernières années, au sein de la tendance la plus stricte de la laïcité, la référence à Voltaire la supplante largement. Et des affaires récentes, comme celle des caricatures, alimentent cette référence. Il vaut la peine d’examiner cela d’un peu plus prés.

Voltaire qui (un commentaire de la Note de samedi dernier le rappelle, avait séjourné en Angleterre et en avait pris de la graine!) se voulait influencer par le « sage Locke » et a également écrit un ouvrage sur la tolérance, en 1762. A propos de la condamnation à mort d’un protestant Jean Calas pour un crime qu’il n’avait pas commis (il sera réhabilité, post mortem en 1765) Voltaire élargit sa réflexion au problèmes généraux de la liberté de conscience, du pluralisme, aux rapports entre politique et religion, etc.

 

Je vais donc indiquer un peu longuement la trame de ce Traité sur la tolérance. Cela en vaut la peine car cet écrit est à la fois très familier (c’est lui qui donne la notoriété habituelle de Voltaire sur ce sujet) et fort peu connu. On se contente, en effet, en général, de louer Voltaire, d’en faire le champion du bien contre les forces du mal (le fanatisme, l’intolérance, etc) et ce jugement moral dispense d’aller y voir de plus prés. Mais citations seront faites d’après l’édition du Traité de Flammarion.

Voltaire ne nous livre pas, comme Locke, une théorie de philosophie politique aboutissant à séparer le gouvernement civil et l’Etat. Voltaire a l’art du mélange des genres et il se fait tour à tour historien érudit, exégète de la Bible (Ancien et Nouveau Testament), auteur de fables fictives conduisant à une réflexion philosophique sur la « tolérance universelle ». Précisons pour ne plus avoir à y revenir, qu’il a une aussi mauvaise opinion des athées que  celle de Locke : après avoir dit tout le mal possible de la « superstition »  il ajoute « qu’il vaut mieux » pour « le genre humain » d’être « subjugué par toutes les superstitions possibles, pourvu qu’elles ne soient point meurtrières, que de vivre sans religion » car « un athée qui serait raisonneur, violent et puissant, serait un fléau aussi funeste qu’un superstitieux sanguinaire ». Pour lui « il est bien plus raisonnable et plus utile » de « sacrifier aux faunes, au sylvains, aux naïades » que « de ses livrer à l’athéisme » car « partout où une société est établie, une religion est nécessaire ; les lois veillent sur les crimes connus et la religion sur les crimes secrets. »

La grande différence avec Locke est la suivante : Voltaire replace le problème de la tolérance dans une philosophie de l’histoire. Sa philosophie de l’histoire explicite est la marche en avant du progrès : le temps, la raison, la philosophie, le progrès sont là des termes étroitement liés. L’affaire Callas montre, selon lui, que « le fanatisme, indigné depuis peu des succès de la raison, se débat sous elle avec plus de rage », « dans un temps où la philosophie a fait tant de progrès » (p. 35). Autrement dit, on assiste à ses derniers soubresauts, avant la victoire de la raison et de la philosophie qui est le discours de la raison.

 Pour Voltaire, le « fanatisme » était peut être acceptable hier, mais aujourd’hui « le temps, la raison qui fait tant de progrès, les bons livres, la douceur de la société » font leur œuvre (p. 47). Il faut donc « adoucir des édits autrefois peut-être nécessaires, et qui ne le sont plus » car « le régime de la raison (…) éclaire lentement mais infailliblement les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois [cela ne sera pas le point de vue de Rousseau], plus encore que la force ne les maintient.» (p. 56). Etc. Précisons que les « édits autrefois nécessaires » = la Révocation de l’Edit de Nantes et ses suites…

Le passé fanatique par excellence, c’est le Moyen Age  et ces « siècles de barbarie » où « il pouvait être pardonnable de présenter des fables au vulgaire, c'est-à-dire à ces seigneurs féodaux, à leurs femmes imbéciles, et aux brutes leurs vassaux  (…) on les repaissait d’histoires de sorciers et de possédés ; ils imaginaient aisément que Saint genou guérissait de la goutte, et que saint Claire guérissait les yeux malades » (p. 130). Temps de « superstitions » et ce passé a engendré les guerres de religions du XVI e siècle avec le massacre de Vassy et la Saint-Barthélemy (p. 45), temps de « fanatisme ».

 

Conclusion : il faut être dans le sens de l’histoire : « Chaque jour la raison pénètre en France, dans les boutiques des marchands comme dans les hôtels des seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d’autant plus qu’il est impossible de les empêcher d’éclore » (p131)

Mais Voltaire développe également une philosophie de l’histoire plus implicite, très claire pourtant qui se dégage du panorama historico-mondial qu’il donne. Cette autre vision est un peu plus complexe que la marche en avant qui va de temps passés intolérants à un temps présent qui a tout pour être tolérant. En effet, s’il a tout pour l’être, il ne l’est pas et l’affaire Callas en est la preuve. Donc Voltaire opère un élargissement du temps (et aussi de l’espace : « sortons de notre petite sphère ») pour expliquer pourquoi la virtualité tolérante du temps présent ne se réalise pas en France.

Et là, il n’y a plus un progrès linéaire de l’histoire mais une sorte d’exception historique occidentale qui se transforme présentement en exception française (« Serons nous les derniers à embrasser les opinions saines des autres nations, elles se sont corrigées : quand nous corrigerons-nous ? », p. 80).

Exception historique occidentale, mes 2 termes sont importants : c’est d’abord une exception historique : les Grecs et les Romains étaient tolérants : « de tous les peuples anciens policés, aucun n’a gêné la liberté de penser » (p. 61), suit des passages fort érudits (par rapport bien sûr, à la connaissance historique du temps) sur l’Antiquité.

 

A propos des Romains, Voltaire démonte facilement des récits édifiants de martyres « composés uniquement par les chrétiens eux-mêmes » (p. 79) et en montre contradictions et invraisemblances, mais il a lui-même parfois une méthode parfois peu rigoureuse d’administration de la preuve : ainsi, il donne un exemple qui va dans son sens, puis ajoute « Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que… » (idem) ou encore « qu’on juge si la persécution excitée par Galère, après dix-neuf ans d’un règne de clémence et de bienfaits, ne doit pas avoir sa source dans quelques intrigues que nous ne connaissons pas » (p. 75), etc. D’une manière générale il pense, que quand ils ont été persécutés, les chrétiens l’avaient bien cherché : à partir de l’histoire de Polyeucte, il estime que « ce zèle inconsidéré, qui éclata souvent (…) a été probablement la source de toutes les persécutions » (p. 70), persécutions qui eurent au demeurant un caractère modéré et épisodique (p. 71) et furent dues à des motifs politiques et privés et non religieux (p. 74s)

 

Ensuite Voltaire passe a l’Ancien Testament et là il s’efforce de montrer que les Hébreux ont fait cohabiter la croyance en  leur Dieu et la croyance dans l’idolâtrie. Et au moment de Jésus coexistent pharisiens, sadducéens et esséniens. « On ne trouve, dans toute l’histoire de ce peuple aucun trait de générosité, de magnanimité, de bienfaisance ; mais il s’échappe toujours, dans le nuage de cette barbarie si longue et si affreuse, des rayons d’une tolérance universelle » et un spécialiste de Voltaire, Vissière, de commenter qu’ « oubliant son habituelle férocité [contre les Hébreux et l’Ancien Testament cf. Le Dictionnaire philosophique ], il leur accorde exceptionnellement un satisfecit » (p. 12) : en fait on voit là conjuguées ensemble les 2 philosophies de l’histoire : la linéaire puisqu’il y a barbarie longue et affreuse ; la en zigzags puis qu’il y a des rayons d’une tolérance universelle qui vont disparaître ensuite.

 

Cette tolérance disparaît ensuite en Occident et Voltaire parle d’une Chine et d’un Japon tolérants (p. 51), qui ont laissé venir les missionnaires chrétiens, la Chine étant même un modèle de tolérance et de civilité (relation, fictive encore une fois, d’une disputé de controverse en Chine,  chapitre 19, p. 125ss.) Eloge du « sage et vertueux » Confucius (p. 140). On le verra, l’intolérance des Chinois et des Japonais s’inscrit dans le seul cas où pour Voltaire l’intolérance est nécessaire. Continuons notre lecture du Traité :

 

En Occident, l’intolérance (mauvaise) est arrivée avec le christianisme, non pas certes avec Jésus : au contraire et il rapproche la mort de Jésus de celle de Socrate (p. 104). Le lien structurel entre christianisme (« l’Eglise ») et intolérance est la conclusion logique de son propos, même si c’est une conclusion qu’il explicite très brièvement, car si Voltaire nous donne des chapitres sur l’antiquité gréco-latine, les deux testaments, la Chine, etc, il ne nous donne pas de chapitre de l’histoire de l’Occident chrétien et reste allusif sur le constantinisme (c'est-à-dire le système de relations étroites entre politique et religion établi progressivement à la suite de la conversion de l’Empereur romain Constantin au christianisme, au début du IVe siècle de notre ère).

Pourtant ce qu’il nous en dit brièvement est très significatif : quand il met en scène Constantin, c’est pour en faire un homme éclairé qui commence par dire à l’évêque Alexandre et à Arius : « Vous êtes de grands fous  de disputer sur des choses que vous ne pouvez entendre » (p ; 133). Sa faute fut seulement de ne pas persévérer dans sa résolution d’imposer silence aux 2 parties et d’être « flatté de présider à un concile ne long habits rouge, la tête chargée de pierreries » (p. 134) : cela « ouvrait la porte à tous (les) fléaux ». En fait, pour l’ensemble des historiens d’aujourd’hui ce qui se mis en place alors fut un système le « césaropapisme » où l’empereur avait des pouvoirs spirituels, le politique un pouvoir religieux. Ce n’est que plus tard, à certaines périodes du Moyen-Age, que le pouvoir religieux influencera le politique.

 

De même, pour Voltaire, les « barbares » firent moins de mal que les controverses religieuses jusqu’à qu’ils se prêtent « à ces disputes fatales » (. 135). Ailleurs, il rappelle les persécutions du christianisme dominant qui, à ses yeux, furent les pires : « les vaudois, les albigeois, les hussites, les différentes sectes des protestants », « nous les avons égorgés, brûlés en foule, sans distinction ni d’âge ni de sexe. Y a-t-il dans les relations avérées des persécutions anciennes, un seul trait qui rapproche de la Saint-Barthélemy et des massacres d’Irlande ?» (p. 79), massacres de protestants qu’il rapporte avec pas mal de complaisance p. 49 , c'est-à-dire en donnant le plus de détails sanguinolents possibles et, nous l’avons vu, insiste sur les « superstitions ».

 

Selon Voltaire, cette intolérance compromet l’Eglise catholique en son entier : « Le successeur de Saint Pierre et son consistoire (…) approuvèrent, célébrèrent, consacrèrent l’action de la Saint-Barthélemy » (p. 87). Saint-Barthélemy dont les protestants furent les victimes. Certes, ils « imitèrent la cruauté des leurs ennemis » (p. 45), mais au XVIe siècle, les protestants furent des agents du progrès et donc, « malgré leurs erreurs, nous leur devons le développement de l’esprit humain, longtemps enseveli dans la plus épaisse barbarie » (p.44) et les pays protestants, aujourd’hui ont tolérants (cf p. 48, 49, 52).

Voltaire est donc indulgent envers l’intolérance protestante car c‘est le catholicisme qui est essentiellement visé par son propos, et plus exactement, trois formes de catholicisme :

-         le catholicisme de la « populace » (terme qui revient plusieurs fois), de la « province » (« la raison l’emporte à Paris sur le fanatisme, quelque grand qu’il puisse être au lieu qu’en province le fanatisme l’emporte presque toujours sur la raison »  p. 38), des confréries ; c’est sur ce catholicisme là que repose la puissance de l’Eglise, c’est lui qui a fortement influencé la décision des magistrats dans l’affaire Callas.

-         le catholicisme des « superstitions monacales ultramontaines » (p. 132) versus les « libertés de l’Eglise gallicane » ;

-         et surtout, et de façon obsessionnelle : les jésuites. C’est d’autant plus intéressant que ce qu’il dit de la (bonne) Chine a comme source (qu’après il arrange à sa manière) les Lettres édifiantes et curieuses que les jésuites avaient publié sur la Chine. Le chapitre XVII du Traité, pages 118ss. Est constitué par une lettre fictive indiquant un plan de super Saint-Barthélemy contre les protestants (à assassiner dans leurs lits et pas dans la rue : le sang sur la place publique, cela fait désordre !), suivie de castrations (des garçons de 14 ans et plus, pour ne pas perpétuer les protestants) et de conversions et mariages forcés des filles à des catholiques (pour ne pas trop dépeupler la France) ; quant aux jansénistes, le plan de ces ignobles jésuites serait de leur donner des hosties empoisonnées (blasphème religieux absolu pour le catholicisme, en même temps que crime) ce qui est une manière de dire que les jésuites sont sans foi ni loi. Or ce chapitre (qui suit un dialogue déjà imaginé d'un janséniste mourant avec un jésuite bien portant) introduit la justification de l « ’intolérance » contre les jésuites.

 

Là, contre les jésuites,  « l’intolérance paraît raisonnable » (p. 123) « de « droit humain » (p. 121) parce que les « erreurs » sont des « crimes » dés que ces erreurs « inspirent le fanatisme ; il faut donc que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la tolérance ». Comme les jésuites le sont avec leurs « maximes coupables » et « leur institut est contraire aux lois du royaume » alors « on ne peut s’empêcher de dissoudre leur compagnie, et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens ». Mais c’est en quelque sorte là de la bonne intolérance si l’on peut dire car c’est « un mal imaginaire » et « un bien réel pour eux, car où est le mal de porter un habit court au lieu d’une soutane, et d’être libre au lieu d’être esclave. » (cqfd : on libère les jésuites en étant intolérants avec eux !)

 

On voit là qu’il s’agit d’un cas de figure : la libération par l’intolérance impensable dans la pensée de Locke où on ne peut jamais libérer les gens malgré eux : c'est une conception très différente de la liberté.

En revanche, Voltaire plaide pour la tolérance envers les protestants, mais cette tolérance voltairienne semble égale à la non tolérance de Locke envers les catholiques : « je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante. En Angleterre, les catholiques, regardés comme attachés au parti du prétendant, ne peuvent parvenir aux emplois : ils payent même double taxe ; mais ils jouissent d’ailleurs de tous les droits des citoyens » (p. 49) : l’Angleterre est donc donnée en exemple, y compris dans les limites de sa tolérance ; cela correspond au fait qu’en revanche, la Caroline (de ce qui encore l’Amérique anglaise)  est trop lockéenne pour Voltaire, et la France n’a pas selon lui à imiter cette tolérance générale.

 

Il faut noter que la tolérance limitée en Angleterre s’effectue à partir d’un grief politique précis : « regardés comme attachés au parti du prétendant » (Stuart, alors que depuis 1714 c’était une autre dynastie, les Hanovre, qui régnait). En revanche, la raison donnée par Voltaire de la limitation de la tolérance est le fait de ne pas être de la religion du prince » : la conformité à l’idéologie de l’Etat dirait-on en termes modernes. Voltaire se situe dans la tradition du  gallicanisme (on a vu que le catholicisme ultramontain, c'est-à-dire favorable à la suprématie du pape, était visé) où le roi a un pouvoir temporel sur l’Eglise.

La solution qui permet la tolérance,  dans le Traité de Voltaire, n’est pas le « gouvernement limité », comme chez Locke, mais la « bonté du prince » et la fin des dogmes et des controverses qu’ils entraînent.

-         la solution (à l’affaire Callas ou au problème de l’intolérance ?) : « cet écrit sur la tolérance, écrit Voltaire, à propos de son texte, est une requête que l’humanité présente très humblement au pouvoir et à la prudence. Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson. Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière » (p. 151). Et dans la postface de 1765, trois ans plus tard, il estime que tout est allé beaucoup mieux puisque d’un côté « on chassait les jésuites, on abolissait leur société en France ; ils avaient été intolérants et persécuteurs ; ils furent persécutés à leur tour » (p. 153). (donc il s’agit bien d’une « persécution » et non de l’application des lois d’un Etat de droit, comme le demande Locke) et Paris a remédié à Toulouse, le roi a pris le contre pied de la « populace » et de juges fanatisés : non seulement le jugement a été cassé, mais un don royal a réparé « la ruine de la famille » : « le roi, par cette bonté, mérita, comme par tant d’autres actions, le surnom que l’amour de la nation lui a donné » (p. 156) (=le surnom de Louis XV était Louis le Bien aimé). L’aspect plaidoyer pour une cause contribue donc à l’absence d’une réflexion critique sur le politique. Et si ce n’est pas le politique qui est le responsable de l’intolérance, si ce n’est pas lui qui a à se réformer, quelle est la cause, quel est le remède ?

-         on l’a déjà vu : le texte fonctionne sur des oppositions (qui font du philosophe, par définition « impartial » (p. 154) le juge moral sinon judiciaire). Fanatisme (religieux et non politique quand il s’agit de peuples chrétiens ; au contraire la bonne intolérance est mise dans le politique pour les peuples non chrétiens, peuples antiques et peuples non occidentaux), superstitions, populace de province, catholicisme monastique et ultramontain, jésuitisme, etc sont les causes du mal. Mais même au-delà, ce qui parcourt l’ouvrage c’est que les dogmes et les controverses religieuses que ces dogmes engendrent sont inutiles et même nuisibles. Nous l’avons vu à propos de l’émergence du constantinisme, ce ne sont pas les liens étroits Eglise-Etat que critique Voltaire, c’est le fait que l’Etat n’ait pas imposé silence aux disputes religieuses : il indique « Il sortit de chaque verset contesté une furie armée d’un sophisme et d’un poignard » mais sans établir de lien avec l’instrumentalisation politique de la religion (p. 134s). Formule ramassée de la p. 133 est très claire : « Moins de dogmes, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n’est pas vrai j’ai tort ». La solution est donc dans le retour à l’adoration d’un « Dieu clément (…) celui dont toute la loi conduisait en ces paroles : ‘Aimez Dieu et votre prochain’ » ; mais « cette loi pure et sainte » a été surchargée «  de sophismes et de disputes incompréhensibles » (un Dieu généraliste qui se distingue du Dieu de Jésus Christ trop particulier : cf la prière finale au « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, de tous les temps »)

Contrairement à Locke la solution n’est pas donc politique mais théologique (un christianisme où la morale supplante la doctrine) autant que culturelle (les progrès de la raison) : proposition d’une démocratie politiquement libérale au « gouvernement limité » (quant à son pouvoir) chez Locke, manifeste d’anticléricalisme religieux de l’autre. D’une côté une vision pour l’essentiel laïque et séparatiste, de l’autre un gallicanisme anticlérical.

 

POUVONS-NOUS DIRE ALORS QUE LES NEO-REPUBLICAINS SONT (comme ils l'affirment volontiers) DES "VOLTAIRIENS"?

Oui, certes, mais non finalement, CAR.... (à suivre...)

PS: petite réponse au commentaire d'Iloreda: Oui, l'ouvrage La solution laïque et ses problèmes d'Emile Poulat est intéressant. Poulat a écrit plusieurs livres sur la laïcité; je vous recommande plus particulièrement le dernier:

Notre laïcité publique, paru chez Berg International en 2003.