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30/04/2005

Citoyenneté et Laïcité

LAÏCITÉ, CITOYENNETÉ ET RÉPUBLIQUE
(exposé donné à Marseille, en ouverture d’un colloque
à partir de la transcription ; l’aspect oral est donc conservé)




La laïcité n’est pas tombée du ciel. C’est une invention humaine, une construction façonnée par des acteurs historiques, une réalité sociale toujours en devenir, avec des références à des principes et avec des manifestations concrètes. Il en est de même d’ailleurs de la citoyenneté. Et cet aspect socio-historique n’empêche nullement une visée universelle. En effet, l’universel se construit à travers l’affrontement et le dialogue des cultures, à travers la circulation, les échanges, à travers les transferts culturels, et dans cette optique, la laïcité ne saurait être une exception française.
Si la France peut être considérée comme un pays emblématique en matière de laïcité, elle a construit sa laïcité grâce à beaucoup d’efforts venus d’autres cultures. Par un mouvement analogue de transfert culturel, elle a exporté des éléments de laïcité dans d’autres pays. Faute de temps évidemment, je ne vais pas pouvoir exposer ici une sorte d’histoire internationale de la laïcité, mais je voudrais maintenant que chacun ait bien en mémoire ce contexte, et c’est dans ce contexte que je vais retracer quelques grandes étapes entre la laïcité française et la citoyenneté.

LA NOTION DE CITOYENNETE
Vous savez qu’à l’origine, la notion de citoyenneté est une notion exclusive, discriminatoire. En Grèce, dans les cités, ce sont quelques milliers d’hommes qui se rassemblent sur la place publique, l’agora, pour délibérer et pour gouverner la cité, et le citoyen est non seulement membre de la cité, mais il doit adhérer à la religion de la cité. Et par cette adhésion, il dispose de droits individuels et politiques, il participe à l’assemblée du peuple et peut accéder à la magistrature. Les droits de citoyen sont loin d’être dévolus à tout être humain : les esclaves, les métèques, les barbares, les femmes, les enfants ne sont pas citoyens, et, sauf certains de ces derniers, n’ont pas vocation à le devenir. En reconnaissant les Droits de l’Homme et du Citoyen, l’Assemblée nationale en 1789, effectue donc une énorme rupture.
Mais cette rupture n’est pas dénuée d’ambiguïté, et je ne voudrais pas qu’on oublie l’une et l’autre : énorme rupture et ambiguïté. Je vais peut-être insister sur les ambiguïtés puisqu’il faut peut-être parler davantage des trains qui arrivent en retard que de ceux qui arrivent à l’heure, mais malgré tout, cela n’empêche pas que la rupture est décisive au niveau de l’Histoire.
Alors pourquoi ambiguïté ? parce que la Déclaration semble bien indiquer que tout homme, au sens d’être humain, a vocation à être citoyen et l’article 1, cet admirable article 1 l’affirme :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Et plusieurs articles d’ailleurs ensuite passent de l’humain au citoyen comme s’il existait une équivalence.
Malheureusement, cette lecture qui établit un continuum entre l’humain et le citoyen se trouve contredite par les débats qui ont lieu juste après l’adoption de la Déclaration. On se pose la question : les Juifs, les Noirs peuvent-ils être citoyens ?… alors qu’on ne devrait pas se la poser, étant donnés les principes qu’on a établis. Les êtres dépendants : enfants mais aussi domestiques, femmes, sont écartés de la citoyenneté.

De plus, on établit une disjonction entre citoyenneté active et citoyenneté passive. Bref, ces débats montrent qu’il y a une tension à partir de la Déclaration de 1789, entre une conception plus universaliste portée par des gens comme Condorcet et aussi de manière un peu plus ambiguë par l’Abbé Grégoire par exemple, et une conception malheureusement plus restrictive, où, si l’on n’est pas citoyen -et tout le monde n’est pas citoyen-, on ne dispose pas de la totalité des droits de l’homme.
Et donc dans cette tension pour savoir qui est sujet de droit : l’être humain ou le citoyen au sens
restrictif, se joue au premier chef la laïcité, comme principe non discriminatoire de neutralité de la sphère politique et publique à l’égard des croyances, de séparation des sphères politique et religieuse mais aussi, d’une manière générale, publique et privée, avec la multiplicité d’appartenance, de condition, de situation que peut avoir la personne privée et enfin d’acceptation de la pluralité, du pluralisme. Et le cas des Juifs est ici exemplaire.

CITOYENNETE ET MINORITE
Après beaucoup de tergiversations, l’Assemblée va reconnaître en septembre1791 la citoyenneté aux Juifs, en détachant en principe l’individu de sa communauté. On connaît la célèbre phrase de Clermont-Tonnerre : “ tout accorder au Juif comme individu, ne rien accorder aux Juifs comme nation“. Mais, aspect malheureusement méconnu, en fait les Juifs ne furent pas autorisés à prêter serment de citoyenneté comme individus. Ils le furent seulement à titre collectif, comme groupe représenté par une délégation, composée des dirigeants et du rabbin de la communauté.
Donc vous voyez, on n’arrive pas à tenir les principes qu’on expose.
Alors bien sûr, je voudrais encore insister sur le fait que ça n’empêche pas qu’une rupture formidable est accomplie. La citoyenneté antique reconnaissait le citoyen à ce qu’il avait part au culte de la cité et de cette participation seule, lui venaient ses droits civils et politiques ; c’est parce que le citoyen pouvait participer au sacrifice précédant l’assemblée qu’il pouvait voter ; c’est parce qu’il pouvait effectuer le sacrifice au nom de la cité qu’il pouvait devenir magistrat, et le combat laïque a consisté et consiste toujours à libérer la citoyenneté de toute allégeance à la religion de la cité.
Et ce combat laïque a été tenu dans une certaine mesure par la Révolution : comédiens, bourreaux, professions excommuniées par l’église catholique, Protestants, Juifs ont été admis aux droits du citoyen. Par ailleurs, la création irréversible de l’état civil laïque, du mariage civil en 1792 ont permis une dissociation concrète -et ça évidemment c’est très important- entre citoyenneté et appartenance religieuse.

Pourtant, on n’a pas fait tout le travail, et ce qui vient d’être dit sur les Juifs fait percevoir la face cachée de la médaille. Le minoritaire est parfois mis dans une situation difficile à vivre.
D’un côté on lui demande plus qu’au majoritaire puisque le majoritaire fait partie de la culture ambiante et la culture majoritaire informe la culture ambiante. Donc, d’un côté on lui demande plus qu’au majoritaire de se comporter en individu déconnecté de son appartenance et censé fonctionner dans la sphère privée et de l’autre côté, dans la pratique sociale, on le renvoie en fait de façon récurrente à cette appartenance communautaire, quelle que soit la prise de distance personnelle qu’il a ou qu’il tente d’avoir avec sa communauté.

A la Commission STASI , un des auditionnés a dit, fort justement : “ le communautarisme, ça commence d’abord dans le regard de l’autre “. Par ailleurs, ce que nous avons dit sur le cas des juifs sous la Révolution nous a amenés à rappeler l’existence d’un serment de citoyenneté et significativement on voit la multiplication des serments sous la Révolution. Or, il faut bien voir que les Lumières avaient critiqué le principe même du serment. Ils considéraient le serment comme un acte religieux qui n’avait pas sa place dans un système politique éclairé. Et donc, cette multiplication des serments constitue une des preuves que, malheureusement, la Révolution a fini par produire une nouvelle religion de la Cité, à laquelle les citoyens devaient faire allégeance, une sorte de messianisme civil séculier.

CITOYENNETE ET RELIGIONS
voyons plus précisément ce qu’il en est au niveau du rapport avec les religions.
On le sait, c’est l’article 10 de la Déclaration de 1789 qui –là aussi en rupture énorme avec l’ancien régime-- établit la liberté dans ce domaine, en affirmant que nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses et le “même“ montre bien la difficulté extrême qu’on avait à franchir ce cap donc “ pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi“. Cette limitation due à l’ordre public ne nous choque pas aujourd’hui bien sûr, mais il faut voir d’une part que c’est quand même la seule allusion à l’ordre public dans toute la déclaration des Droits de l’Homme, et ce n’est pas peut-être un hasard si elle se fait à propos de la religion et ensuite cela pose toujours la question : l’ordre public est-il démocratique ? Si l’ordre public est démocratique, il n’y a pas de problème. Mais malheureusement, l’ordre public n’est pas forcément complètement démocratique.



Dès 1792 des mesures-- dans un contexte que vous connaissez que je ne vais pas détailler, il ne s’agit pas de ma part de faire des accusations morales mais de montrer la difficulté de l’accouchement de cette citoyenneté laïque-- vont être prises contre des prêtres réfractaires au nom précisément de l’article 10 et du fait qu’ils n’avaient pas prêté serment à la constitution civile du clergé. Et en 1793 la première égalité des cultes fonctionne réellement en France, mais malheureusement il s’agit d’une égalité dans la répression : tous les cultes sont considérés comme fanatiques et superstitieux. Auparavant, la Révolution s’en était pris aux vœux monastiques comme aliénation de la liberté et avait aboli les congrégations comme contraires aux droits de l’homme et, pour cette même raison, aboli le célibat des prêtres.

On voit bien l’ambivalence de cette conception, si on part d’un mouvement émancipateur qui libère les gens pour, au bout du compte parfois, arriver à l’obligation d’être libre, et en interprétant la liberté comme finalement l’adhésion à de nouvelles doctrines, y compris dans sa vie privée, célibat des prêtres, vœux monastiques, etc… interdisant une liberté pluraliste. Et pourtant, c’est cette dialectique entre émancipation et liberté pluraliste que la laïcité doit tenir.

COMPROMIS ET CONFLIT DES 2 FRANCE
C’est pour cela que le XIXe siècle par rapport à la Révolution Française a placé la barre un peu plus bas, c’est-à-dire qu’il a gardé l’égalité des droits, la citoyenneté à part entière, quelle que soit l’appartenance religieuse ou non religieuse, et celles-là sont restées des acquis précieux de la Révolution, mais le XIXe a rétabli un système, comme vous le savez, de culte reconnu, et a donné mission à la religion de s’emparer de l’homme pour le moraliser. Je cite Portalis, le conseiller de Napoléon dans cette affaire pour, “ étouffer les noirs projets qui naissent dans le cœur de l’homme et y faire naître de salutaires pensées“. Autrement dit, le citoyen était laïque et appartenait à la République puis à l’Empire etc, et l’homme privé devait être religieux ou en tout cas influencé par la religion parce qu’on ne persécutait pas les athées, mais on estimait qu’il fallait que les athées reçoivent une influence morale salutaire de la religion.
Donc, on donnait à la religion une influence sur l’homme tout en gardant la liberté laïque au citoyen. Et à partir de là bien sûr, il n’est pas étonnant qu’il y ait eu alors le combat des deux France, il n’est pas étonnant qu’il y ait eu l’opposition entre la France cléricale et la France anticléricale. Et bien sûr dans son fondement et dans ses principes, de mon point de vue, le combat anticlérical avait raison de s’attaquer au cléricalisme, de s’attaquer à une influence indue sur l’homme qui ne respectait pas la liberté de conscience.

Mais? dans ce combat, les frères ennemis ont fini au bout du compte par se rassembler. Et c’est toujours le risque quand il y a un conflit frontal, c’est que finalement des deux côtés on arrive à des ressemblances qui sont suspectes. Le premier point commun a été une sorte de rétrécissement à l’État-Nation. On sait que le projet originel de la Révolution française était un projet de citoyenneté qui déborde l’État-Nation, et qui était l’adhésion à ce principe d’émancipation, l’adhésion à ce principe de liberté qui permettait de faire naître le citoyen. Là, des deux côtés finalement, le citoyen va être celui qui est prêt à mourir pour la patrie. On va avoir une conception du citoyen qui est en fait la conception du citoyen-soldat.
Il n’est pas étonnant, dans cette conception, quand on parle de suffrage universel, que ce soit en fait seulement le suffrage masculin. La femme n’a pas une pleine citoyenneté à partir du moment où la définition de la citoyenneté est d’être soldat, de mourir pour sa patrie et que les femmes ne sont pas soldats à cette époque.
Donc il y a un rétrécissement finalement dans cette opposition, d’un côté la conception cléricale, qui combat les libertés modernes, combat les droits de l’homme, - et c’est le fameux “Syllabus“ du pape qui en1864 condamne ces libertés, qui condamne les droits de l’homme ; et de l’autre côté, on demande de ne pas être l’homme du Syllabus, d’être l’homme de la Déclaration des droits, mais de manière un peu religieuse, puisque paradoxalement, les républicains, quand ils arrivent au pouvoir à la fin du XIXe siècle (voyez, je suis obligé d’aller évidemment très vite) refusent la demande de juristes catholiques de constitutionnaliser les droits de l’homme.

Ils préfèrent que les droits de l’homme soient une sorte d’idéal quasi sacré plutôt qu’un principe juridique, qu’un principe constitutionnel. Malheureusement, on est obligé de constater que ce n’est pas de façon innocente qu’ils refusent cette constitutionnalisation des droits de l’homme, qu’ils refusent que ceux-ci soient un principe juridique.
Parce qu’il leur arrive d’écorner les droits de l’homme au nom du principe « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » et c’est la lutte anti-congréganiste qui est menée au début du XXe siècle. À partir de l’idée qu’en se soumettant aux règles d’obéissance à leur ordre, les membres des congrégations ont abdiqué leur qualité de citoyens actifs et se sont exclus eux-mêmes de la citoyenneté active ; mais vous savez, il faut manier avec précaution cette idée selon laquelle les gens s’excluent eux-mêmes, parce que ça peut être un prétexte à les exclure. Cette conception exclusive de la citoyenneté conduit effectivement à la lutte anti-congréganiste comme elle a conduit à refuser que les droits de l’homme deviennent un principe constitutionnel. Et le moment de la séparation des Églises et de l’État est alors un moment décisif.

LA SEPARATION DES EGLISES ET DE L'ETAT
Quelle va être la conception de la séparation des Églises et de l’État ?
La séparation est un principe laïque fondamental. Mais quelle séparation ? Est-ce qu’elle va bien respecter la liberté ? Il faut remarquer que certains projets de séparation écornaient cette liberté et visaient plus en fait une séparation de l’Église catholique et de Rome qu’une véritable séparation des Églises et de l’État. Mais (et là encore, je n’ai pas le temps de retracer toute cette histoire) ce ne sont pas ces projets qui ont triomphé.
Ce qui a triomphé, c’est un projet voté en décembre 1905, qui a fait preuve d’un esprit tout à fait différent. Il met fin à tout système de culte reconnu, il garantit l’exercice de la liberté de conscience et de culte, et il admet que les Églises ont leur organisation propre. Autrement dit, après un conflit interne au camp républicain, et qui n’a pas été sans problème, sans tensions, pari est fait que ni les croyances, ni la structure hiérarchique du catholicisme ne vont constituer une menace pour la République, et c’est ce grand pari, fait notamment par et sous l’égide de Jean Jaurès.
La loi de séparation a signifié donc la mise en route d’un processus républicain ou citoyen où la conception anticléricale qui était devenue au bout du compte exclusive de la citoyenneté s’est trouvée supplantée par une conception inclusive de la citoyenneté.
Ce processus a abouti après la seconde guerre mondiale à la constitutionnalisation de la laïcité, qui est devenue un principe constitutionnel de la République, -- la République est laïque --, à la constitutionnalisation de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisque le préambule de la constitution de 1946 met la déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme principe constitutionnel actualisé par un certain nombre de principes “ nécessaires à notre temps“ (est-il dit) et dans ces principes nécessaires à notre temps, il y a de manière nette, l’égalité des races, l’égalité des sexes et donc la fin de ce faux débat sur la citoyenneté où l’on faisait un rétrécissement de cette citoyenneté pour des raisons de race ou de sexe.
On peut donc dire qu’il est vraiment emblématique qu’il y ait eu constitutionnalisation de la laïcité en même temps que des droits de l’homme et en même temps que l’actualisation de ces droits de l’homme, qui tranchent de manière définitive sur les rétrécissements qui étaient apportés à la citoyenneté. Et de fait, c’est le moment où le droit de vote est enfin reconnu aux femmes.

Cette date, 1946, dont on ne reconnaît peut-être pas assez l’importance, puisque c’est la fin de toute allégeance à la religion de la cité, et quand je parle de religion de la cité, je ne parle pas seulement, soit de religions explicites, soit de messianismes séculiers, mais je parle aussi de croyances sociales tellement ancrées que dans l’esprit du temps elles ont valeur d’évidence, et qu’on ne perçoit même pas que ce sont des croyances sociales.
En 1905, le fait que les femmes n’ont pas le droit de vote n’est pas perçu comme générant une croyance sociale particulière, alors qu’on sait bien pourtant maintenant que c’est ça qui était en cause.
C’était une croyance sociale en l’infériorité et la dépendance nécessaire de la femme qui a survécu longtemps au déni de la réalité qui montrait le contraire ; et il faut bien reconnaître qu’à ce niveau-là, contrairement à d’autres pays démocratiques, près d’un siècle sépare en France l’instauration du suffrage masculin en 1848 de l’instauration du suffrage universel de 1944, et cela montre bien les portes insidieuses que peut prendre en tout temps la religion de la cité.
Évidemment, j’aurais pu prendre aussi un autre exemple, celui de l’ambivalence fondamentale de la République Française qui est en même temps l’empire français, République à l’intérieur, empire colonial à l’extérieur et l’exclusion de la citoyenneté pour un grand nombre de gens habitant ces colonies et protectorats, cet empire colonial. Et là encore, il est clair qu’une conception plus universaliste de la citoyenneté a commencé à prévaloir en 1946 mais comme vous le savez, avec toute la décolonisation, il y a loin de l’affirmation du principe à sa mise en œuvre.

L'UNIVERSALISATION DE LA CITOYENNETE
Après la seconde guerre mondiale, il y a la mise en route d’un processus qui universalise la citoyenneté et ce qui est emblématique, c’est que ce processus se met en route au moment même où les droits de l’homme s’internationalisent, où les droits de l’homme se détachent de l’État-Nation puisqu’en 1948, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme, suivie deux ans plus tard en 1950 par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans celle-ci, il n’y a pas seulement l’affirmation de principe de droits fondamentaux, de droits de l’homme, mais il y a également le dispositif juridique qui va permettre d’assurer le respect de ces droits au niveau européen, au-dessus de l’Etat-Nation. Et la France a mis du temps à ratifier cette idée que l’Etat-Nation pouvait avoir une instance supérieure pour interpréter les droits de l’homme.

Mais finalement, en 1981, grâce à François Mitterrand, il y a eu ratification de ces organismes mis en place par la Convention européenne des droits de l’homme et depuis 1981, toute personne, toute organisation non-gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation des droits de l’homme, et qui n’a pas pu obtenir justice dans le cadre des juridictions de son pays, peut en France faire appel à la Cour européenne. Donc, on commence à se déconnecter de la nationalité, et la citoyenneté suit elle-même avec le traité de Maestricht, même si cela reste modeste. Le traité de Maestricht indique : « est citoyen de l’Union, toute personne ayant la nationalité d’un état membre » et le droit de se déplacer, le droit de voter aux élections municipales et européennes sont donnés à des non-nationaux. Il y a l’émergence d’une citoyenneté qui n’est plus complètement dépendante de l’Etat-Nation.
Alors je crois que dans la mesure où la laïcité a visé à cet universalisme, cette disjonction est positive. Mais cela signifie désormais que le combat laïque se produit à l’échelle de l’Europe, à l’échelle du monde, et pas seulement à l’échelle de la France.

DEUX DEFIS
Et je voudrais en terminant indiquer là deux défis que la laïcité reçoit actuellement de ce nouveau contexte, et trois réponses qu’elle peut apporter à ces deux défis. Le premier défi, c’est justement cette déconnection des droits de l’homme par rapport à l’Etat-Nation et cette affirmation de grands principes universels au niveau des droits de l’homme. Au niveau de ce qui nous occupe plus particulièrement, on peut dire qu’il y a une progression. L’article 18 de la Déclaration universelle et l’article 9 de la Convention européenne qui la recoupe largement sont beaucoup plus explicites que l’article 10 de la Déclaration de 1789 et c’est normal parce qu’il y a eu toute une réflexion humaine depuis : ils disent clairement qu’on a le droit de manifester sa religion et sa conviction et le fait même de parler de religion et de conviction montre bien qu’on veut une égalité entre les convictions philosophiques non religieuses et les religions. Cela est tout à fait important au niveau de la liberté de conscience et par conséquent le premier défi que reçoit la laïcité, c’est : puisque nous avons maintenant des textes internationaux qui garantissent la liberté de religion et de conviction, ce qui a été appelé historiquement la laïcité-- terme un peu français par rapport à d’autres pays, même s’il n’est pas uniquement français- est-ce encore nécessaire ?

C’est le premier défi qu’on reçoit : l’espace public n’est jamais complètement neutre. Il est imprégné par des chaînes culturelles majoritaires et donc une loi, une mesure, une réglementation qui ont l’air neutre peuvent favoriser des majoritaires au détriment des minoritaires. Les Québécois ont la notion d’ « accommodement raisonnable » pour essayer de résoudre ces discriminations indirectes en disant : certes, il serait déraisonnable d’accorder tous les droits à toutes les minorités, mais il faut veiller à ce qu’il puisse y avoir des accommodements raisonnables qui soient donnés à ces minorités afin qu’elles puissent vivre paisiblement au milieu de groupes qui ne partagent pas forcément leurs convictions et leur culture. Je pense d’ailleurs que la France pratique souvent l’accommodement raisonnable mais il est clair qu’elle n’a pas ce concept et que parfois cela gêne et met un certain flou dans sa pratique.

Quoi qu’il en soit, c’est le deuxième défi (je l’entends souvent) : est-ce que la France, souvent au premier plan pour énoncer de beaux principes et l’égalité formelle, ne s’embrouille pas dans des difficultés concrètes d’application ? La question est sérieuse. Si l’on reprend l’exemple du rapport hommes-femmes, il a fallu pour progresser, une loi sur la parité (et encore est-elle mal appliquée !) pour pouvoir cesser ce petit jeu d’être au dernier banc de la classe pour l’accession des femmes à la gouvernance politique ; et aujourd’hui encore, la France est au treizième rang de l’union européenne des quinze pour le nombre des femmes qui font partie de l’Assemblée nationale et au soixante-cinquième rang mondial, ce qui n’est vraiment pas glorieux. Les grands partis politiques ont préféré payer pour avoir une pratique inégalitaire plutôt que respecter l’incitation à la parité, au niveau des élections législatives. Par conséquent, il ne faut pas avoir d’arrogance française, il faut reconnaître que la France a encore des progrès énormes à faire dans l’application des principes qu’elle énonce. Mais cela ne me conduit pas au masochisme ou à l’auto-flagellation et je pense qu’il y a trois réponses possibles à ces deux défis.

TROIS REPONSES
La première réponse possible, c’est quand même qu’en refusant tout principe de religion officielle, tout régime de culte reconnu, face à d’autres qui ne le seraient pas ou face à des opinions philosophiques qui ne le seraient pas, refusant l’athéisme d’Etat, la laïcité garantit l’égalité des convictions mieux que les pays qui ont encore des cultes reconnus ou des religions d’Etat ou officielles et vous savez qu’il y en a pas mal, et que des choses très préoccupantes peuvent se passer. Donc, la laïcité à sa manière assure une liberté de conscience qui peut aussi interpeller d’autres pays, et je crois que c’est cela aussi l’importance du dépassement de l’État-Nation, c’est que chaque pays peut interpeller l’autre sur la manière dont il réalise les droits de l’homme.
Mais j’irais même plus loin et je dirais que la laïcité française n’est pas seulement liberté de conscience : elle est liberté de penser. Il s’agit de l’acte même de penser, et pas seulement du contenu de la pensée. La laïcité vient articuler une conception pluraliste de la liberté avec le mouvement même de la liberté, avec le mouvement émancipateur de la liberté à l’égard de toute doctrine englobante, de tous les obstacles qui empêchent de se forger une pensée personnelle ou de penser par soi-même. Alors, en se souvenant de la Révolution française, il faut mener deux combats :
- un combat face à des structures d’autorité, face à des formes religieuses qui tenteraient d’englober la pensée personnelle et d’exercer une pression sur cette pensée ; et là ce combat reste très actuel. Mais il faut se souvenir que le combat pour la liberté de penser n’est jamais à l’abri d’un retournement dogmatique où l’obligation de penser librement engendre l’obligation d’adhérer à certaines doctrines ou vues communes des choses. Dans les sociétés modernes, ce risque est réel dans la mesure où une société de conformistes tend parfois à se substituer à une société d’obéissance et une pression insidieuse, implicite, voire mimétique se trouve exercée par la collectivité elle-même sur chacun de ses membres pour réduire un petit peu la pensée à une forme de pensée standardisée. Ce n’est pas tellement un contenu précis de pensée qui est imprégné qu’une exigence réductrice de massification. Là, face à toute massification, à toute standardisation de la pensée, la laïcité doit mener un nouveau combat pour la liberté de penser.

- Deuxième réponse deuxième combat ? : on peut à partir de ce combat pour la liberté de penser, et je dis bien à partir de ce combat pour la liberté de penser, traiter du droit des minorités de deux manières.
D’abord, en voyant bien ce que j’ai dit au départ, une culture, c’est du dialogue, de la confrontation, de la circulation d’idées et de sens, etc. . . Et il ne faut pas prendre les cultures minoritaires comme des particularismes que l’on va parquer dans des ghettos, il faut les prendre comme une contribution au patrimoine commun. Quand la France a proposé, dans la Charte de l’Union européenne l’expression de “ patrimoine spirituel“, je crois que cette expression est très juste, dans la mesure où elle est la plus englobante possible.
Il faut forger une culture commune qui s’alimente et s’enrichit de toutes les cultures particulières et qui sera d’ailleurs plus que la somme de toutes ces cultures, qui sera une résultante d’un art de vivre ensemble, qui prendra de la richesse à ces différentes cultures. Je crois que c’est déjà quelque chose d’extrêmement important. Ensuite, ça ne veut pas dire que chacun n’a pas des appartenances particulières plus spécifiques, mais il faut envisager les droits culturels toujours à partir de l’individu et pas à partir du groupe. Il ne faut pas que le groupe englobe l’individu, il faut que celui-ci puisse adhérer puis refuser, puis prendre ses distances, avoir une relation de proximité et de distance avec son groupe. Il doit pouvoir garder sa liberté face à son groupe, une liberté d’engagement ou de désengagement.
Enfin, il faut dire que l’individu n’est pas englobé par une identité particulière, il est la résultante de plusieurs identités et c’est comme cela qu’il construit son individualité.

Troisième et dernière réponse : que peut-on entendre maintenant par “citoyenneté“ ?
Il faut revenir à la Déclaration et à la Convention européenne qui définissent surtout des droits à : toute personne a le droit à la vie, à la liberté, à la sûreté, au respect de la vie privée, à la liberté de conscience, de réunion, d’association, etc. . . mais à côté de ces droits à, qui sont des droits inhérents à la dignité de l’être humain, il y a tout à coup à l’article 21 de la Déclaration de 1948 un droit de : le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par ses représentants, droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques de son pays.
Et là, on voit des droits pas seulement de l’être humain mais de l’être humain comme citoyen, des droits de citoyenneté, pas seulement des droits à. Je crois que c’est très important car ces droits de poussent à l’engagement alors que les droits à peuvent générer un individu passif : “ on doit me donner mes droits“.
Le droit de, c’est celui de s’engager pour les autres, pour l’organisation des règles de vie commune dans la cité. Et donc ces droits de impliquent droits et devoirs finalement, une coresponsabilité. La dialectique ne doit plus être cette horrible dialectique où certains étaient seulement êtres humains et d’autres étaient aussi citoyens.
Cela doit être une dialectique interne à chaque individu qui est à la fois être humain et citoyen. Comme être humain, il a droit à la vie, la liberté d’expression, réunion, au travail etc. . . Et, comme citoyen, il a droit de, qui est aussi un devoir de : s’engager, être co-responsable du vivre ensemble, de l’évolution de la planète, puisque maintenant un certain nombre de problèmes se passent au niveau de la planète et non plus au niveau de l’État-Nation seulement. L’habitant de la cité, ce terme connote maintenant une réalité locale, nationale, internationale-- est coresponsable de la possibilité concrète de l’exercice de la dignité humaine, parce que les droits de, produisent, fabriquent des droits à .

Ces droits à ne tombent pas du ciel ; ils sont une production politique -au sens le plus large et le plus noble du terme- de l’action de tous les citoyens. Voilà la réponse un peu commune que l’on peut avoir : il faut fabriquer ensemble de la dignité humaine, et c’est cela notre responsabilité de citoyens laïques.

Mais cela n’implique pas une réponse unique et c’est là que nous sommes laïques, c’est là où nous désacralisons toute réponse qui prétendrait avoir le dernier mot et interdirait aux autres de parler. On n’est ni dans le péremptoire, ni dans la diabolisation, on est dans une laïcité comme optique du débat démocratique, et c’est cela, me semble-t-il, le combat laïque par excellence aujourd’hui. Autrement dit le combat laïque d’aujourd’hui signifie de lutter aussi dans la société actuelle contre tout ce qui conduit -et malheureusement beaucoup de choses le font- à produire un individu passif face aux diverses atteintes à la dignité humaine, ou passif à la construction perpétuellement à recommencer d’un vivre ensemble, d’un monde acceptable pour tous. Je crois notamment qu’un des devoirs de la laïcité est de se battre contre l’envahissement de ce qui est factice, qui ne paraît pas grave mais qui envahit pourtant,

Car - et je voudrais terminer par là - il y a deux façons de briser la liberté de conscience et la liberté de penser : la première consiste à supprimer politiquement la liberté par la violence, et bien sûr la menace terroriste fait partie de cette entreprise, mais la seconde consiste à détruite socialement et la conscience et l’acte même de penser, par une médiocrité sournoisement imposée.
Je vous remercie.
(applaudissements)


19/04/2005

AUX AMI(E)S DU BLOG

Une nouveauté cette quinzaine : le texte d’une communication faite, à Montréal, chez nos amis québécois sur la Laïcité en France après la Commission Stasi. Vous trouverez également l’indication, dans la rubrique Actualité de conférences au Centre Pompidou (à Paris) et de livres parus dernièrement.
La suite du feuilleton qui, après les « aventures » du Ministère Combes, aborde maintenant le processus de la loi de séparation lui-même vous sera donnée début mai. Eh oui, j’ai beaucoup de travail en retard, et notamment d’ici la fin du mois à faire des modifications pour mon « Que sais-je ? » qui va bientôt avoir une troisième édition. En attendant une version en espagnol vient de paraître… ce qui montre bien que la laïcité n’intéresse pas que les Français.
Bonne fin de mois donc
Et à bientôt


19:30 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (0)

Laïcité 2005

LES MUTATIONS ACTUELLES DE LA LAÏCITE EN FRANCE
APRES LA COMMISSION STASI

Jean Baubérot
(version à ne pas publier ; communication présentée à Montréal)




I VERS LE CENTENAIRE DE LA LOI DE 1905 :

Alors que la plupart des observateurs s’attendaient à une progressive montée en puissance de la commémoration de la loi établissant, le 9 décembre 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat, celle-ci a débuté dès l’automne 2002-2003 par un débat social lancé, de façon un peu surprenante, par la Fédération Protestante de France, sur le sujet suivant : « faut-il modifier la loi de 1905 ? » . Les arguments présentés par la FPF n’étaient pas sans pertinence (cf l’Excursus à la fin de ce texte) car ils montraient un traitement inégal des différentes religions, mais celle-ci avait commis deux erreurs. D’abord la plupart des faits discriminants qu’elle exposait ne provenaient pas de la loi de 1905 elle-même. Il s’agissait de mesures législatives ou administratives, souvent d’ordre financier, prises ces dernières années dans le cadre de mesures visant sois disant les « sectes ». Il aurait mieux valu montrer explicitement comment, sous couvert de lutte anti-secte, la liberté religieuse était écornée, plutôt que de mettre en cause la loi de 1905. En effet, l’instance représentative du protestantisme avait sous estimé la charge symbolique d’une telle question. Aux yeux de l’opinion publique prétendre modifier la loi apparaissait comme contester le pacte laïque que celle-ci a permis d’instaurer .
Certes, deux ou trois mesures demandées par la FPF concernait effectivement la loi. Mais l’Eglise catholique, refusa à l’époque de se soumettre à la loi et obtint des aménagements (lois de 1907 et 1908, accords de 1923-1924) qui furent considérés par le Conseil d’Etat comme conformes à la loi . Finalement n’étaient réclamés que quelques aménagements analogues. La seconde erreur fut donc de ne pas insister sur cette épaisseur historique de la loi de 1905 Invoquer le principe de l’égalité de traitement et réclamer qu’il soit effectif aurait suffi.
Le paradoxe issu de ces deux erreurs fut que l’Eglise catholique put facilement apparaître comme le meilleur soutien d’une loi qu’elle avait pourtant combattu avec pugnacité et dont elle vantait, à présent, le libéralisme.

Au printemps 2003, les responsables politiques se sont en général prononcés contre la modification d’une loi, devenue un patrimoine national. On pouvait croire alors que le schéma prévu allait se dérouler et que la commémoration comporterait un aspect quasi-consensuel, analogue à celui du bicentenaire de la Révolution de 1789, et permettant, comme en 1989, une célébration apaisée d’une histoire conflictuelle. Pourtant le débat rebondit très rapidement avec la demande de certains enseignants, disposants de relais politiques et médiatiques, d’une loi interdisant les signes religieux à l’école. Naturellement, le « foulard islamique » était tout particulièrement visé.
Sans doute faut-il voir davantage qu’une coïncidence de dates entre cette relance du débat sur le voile et la mise en place, en mai 2003, du Conseil français du Culte Musulman (CFCM), dont la composition ne se limitait pas à ce qui est socialement qualifié d’ « islam modéré », ce qui déplaisait à certains secteurs de l’opinion publique. De fait, le CFCM fut pratiquement écarté d’un processus qui le concernait pourtant au premier chef.

Rappelons que, suit à un avis du Conseil d’Etat, le port de signes religieux était toléré à l’école, à condition qu’il ne mette en cause ni les horaires, ni les programmes ni la discipline et ne s’accompagne pas de manifestations de prosélytisme . Certains enseignants ont toujours mal admis cette tolérance. Les « affaires de foulards » ont débuté en France à l’automne 1989, quelques mois après la fatwa de l’imam Khomeiny contre Salman Rushdie qui a beaucoup ému le corps enseignant et foulard et révolution iranienne ont été considérés par certains comme relevant de la même logique.

C’est dans ce contexte assez conflictuel que le Président de la République a mis en place une Commission de 20 « Sages » dite « Commission Stasi », du nom de son Président, Bernard Stasi, alors Médiateur de la République, pour réfléchir, de façon générale, sur « l’application du principe de laïcité dans la République ». Cette Commission pouvait tout aussi bien relativiser le problème des signes religieux que le radicaliser. C’est le second aspect qui a prédominé car s’est enclenché ainsi le processus qui a abouti à la loi « relative à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ». Cette loi y interdit le port de signes manifestant de façon « ostensible » l’appartenance à une religion (15 mars 2004). La circulaire d’application, élaborée par le Ministère de l’Education Nationale, donna d’abord lieu à une « lourde série de cafouillages » . En fait, le Ministère fut tiraillé entre une interprétation large de la loi (tolérance du bandana par exemple) qui aurait permis au CFCM d’appeler à la respecter et une application stricte, réclamée par certains syndicats de chefs d’établissements et d’enseignants. Ces derniers, tout en se défendant d’être des « laïcards rétrogrades » réclamèrent l’application la plus stricte possible de la loi.
La position de ces syndicats a globalement prévalu. Personne ne pouvait prévoir alors comment se passerait la rentrée scolaire de septembre 2004 et, a fortiori, la commémoration du centenaire de la loi de séparation. La préparation de celle-ci était déstabilisée par le rebond conflictuel d’une laïcité que la Commission Stasi voulait, cependant, « apaisée ».
Le but de cette communication consiste à revenir sur le déroulement de la Commission Stasi, de montrer en quoi cette Commission, son travail et les limites de celui-ci, constituent un analyseur de la situation française.

II DE LA COMMISSION STASI

Sociologue et membre de la Commission Stasi, l’auteur de cette communication tente donc de rendre compte d’une observation participante de son fonctionnement. Il s’agit, en particulier, d’expliquer pourquoi un ensemble de personnes, considérées au départ comme très diverses et d’opinions divergentes quant à la laïcité, ont abouti à un vote quasi-unanime (l’auteur de la présente communication ayant, seul, fait exception) en faveur d’un projet de loi interdisant, à l’école publique, les « signes ostensibles » d’appartenance religieuse . Cinq raisons peuvent être mises en avant

Première raison. Diverse au départ dans ses convictions, la Commission a travaillé dans un climat de grande convivialité. Le souhait d’aboutir à un texte unanime, général, et autant que possible équilibré par rapport aux options représentées, a été de plus en plus important. De fait, si l’on prend l’ensemble du texte (150 pages), une part est faite aux principales sensibilités représentées. Pour ne prendre qu’un exemple, il est fait mention à quatre reprises de la notion d’ « accommodement raisonnable » comme voie possible de solution des conflits. Un des usages de cette notion peut, certes, donner lieu à une pertinente critique. Il n’empêche. Stratégiquement, ce qui apparaissait important à ceux qui ont fait inclure cette expression était de donner, en France, une légitimité laïque à cette «expression l’ « accommodement raisonnable, quitte ensuite à l’expliquer plus rigoureusement.
Ce type d’exemples pourrait être multiplié. La Commission a voulu croire que le plus important était le texte qu’elle rédigeait. Ses membres se confortèrent mutuellement dans cette idée grâce à la pratique de la célèbre méthode Coué ! Notons d’ailleurs que le problème des « signes religieux » à l’école publique ayant été examiné par la Commission à la fin de ses travaux , il était clair alors que celle-ci allait adopter des positions libérales sur tous les autres points importants en discussion (statut dit « concordataire » en Alsace-Moselle, écoles privées sous contrat, aumôneries,…). Un membre important de la commission qui craignait qu’un durcissement de la laïcité française atteigne l’Eglise catholique était rassuré. Jeu de dupe, car l’application de la loi a créé, en certains endroits, des problèmes aux aumôneries catholiques, par souci de ne pas paraître avoir une laïcité à géométrie variable.

Seconde raison. Loin d’aboutir à une sorte de moratoire du débat, le temps de travail de la Commission (essentiellement du début de septembre au début de décembre 2003) a été celui d’une exacerbation médiatique et politique. Un problème de voile porté, dans un collège de banlieue parisienne, par deux jeunes-filles (Alma et Lila Lévy), hyper médiatisé, a soulevé des polémiques virulentes . Par ailleurs les responsables politiques n’ont pas attendu la fin des travaux de la Commission pour prendre position en faveur d’une loi, aussi bien à l’UMP qu’au Parti socialiste. Sous l’influence de Laurent Fabius, le Parti socialiste a déposé un projet de loi. A l’UMP, la loi a constitué un enjeu dans la rivalité entre Nicolas Sarkozy (qui y était opposé) et Alain Juppé. Le président Chirac, lui-même, sans prendre explicitement parti, a insisté sur la nécessité de défendre la laïcité. Ces événements extérieurs ont pesé sur la Commission. A également lourdement pesée la montée des actes d’antisémitisme liés à la situation du Proche Orient où le processus de paix a été stoppée. La nécessité de combattre toute manifestation d’antisémitisme était partagée par tous. Le projet de loi proposé est-il en congruence avec cette nécessité ? Il est permis d’en douter.

Troisième raison. Soit depuis le départ, soit en cours de route, en congruence avec l’évolution du contexte, la direction de la Commission a souhaité voir adopter le projet de loi qui a finalement recueilli la quasi-unanimité. Cette direction était double : le président (Bernard Stasi) qui a su créer du lien entre les membres de la Commission et faire régner un climat chaleureux ; le rapporteur (Rémi Schwartz) qui a eu un rôle important dans la sélection des personnes auditionnées et a rédigé une première version du rapport. Autorité de la direction et liberté des débats se sont fort combinés de manière opérationnelle. Peu à peu, les membres de la Commission ont du se situer face à des « vérités » qui prenaient valeur d’évidence.

Quatrième raison.Les auditions ont privilégié les situations à problèmes. Elles se sont prolongées au-delà de ce qui était prévu et le temps de travail de la Commission étant, par ailleurs, raccourci, il n’y a pas eu de séances permettant véritablement une analyse distanciée, une mise en perspective du matériau recueilli. Au lieu d’être pris au sérieux, les témoignages d’acteurs ont souvent été pris pour « argent comptant » . Parfois l’émotion suscitée par des cas douloureux l’a emporté sur l’analyse froide. La quasi-unanimité de la Commission en est alors arrivée à la conviction qu’il existait en France, un « danger islamiste » en augmentation par rapport à la situation d’il y a quelques années et qu’il fallait lui donner un « coup d’arrêt ». Pourtant aucune enquête scientifiquement fondée ne pouvait appuyer cette conviction, seulement des témoignages pas toujours représentatifs.
La Commission n’était pas libre d’inventer le contenu de ce coup d’arrêt. Elle devait répondre à une question qui provenait du débat social et politique. Une réponse négative (pas de loi) serait interprétée, prétendait-on, comme un aveu de faiblesse. Par ailleurs, l’idée d’une certaine équivalence entre la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes et le refus de tolérer le port du foulard a été, de plus en plus, sans débat approfondi, une idée dominante de la Commission, voire une vérité d’évidence qu’il était affectivement difficile de récuser.

Cinquième raison. La Commission a cru équilibrer sa position en élaborant plusieurs autres propositions (26 au total). Une proposition particulièrement novatrice consistait à « prendre en considération les fêtes les plus solennelles des religions les plus représentées ». Il s’agissait de fêter les jours de Kippour et de l’Aïd-El-kébir dans les écoles, à égalité avec les fêtes catholiques et de permettre, dans l’entreprise, par un « crédit de jours fériés » que l’une de ces fêtes ainsi que le Noël orthodoxe, puisse se substituer à un autre jour férié. La Commission a voulu croire que cette proposition avait une chance d’être adoptée et permettrait à son travail de ne pas se réduire à la proposition de loi sur les signes religieux à l’école. Après la remise du rapport, il y a eu, avant la rentrée de septembre 2004, plusieurs déclarations de membres de la Commission exprimant leur déception.

Au total, l’étude du travail de la Commission qu’il faudrait, naturellement approfondir, peut constituer un élément permettant d’analyser comment se constitue une idéologie de groupe, comment peu à peu une idéologie dominante impose son emprise à un ensemble de gens aux convictions diverses.

III LA COMMISSION STASI COMME ANALYSEUR DE LA LAÏCITE FRANCAISE

Il s’agit ici d’avantage de lancer quelques pistes que de proposer une étude complète. Sept pistes sont proposées :

Première piste. Le rapport de la Commission aborde de nombreux points et soulève, à sa manière, différents problèmes qui se posent à l’ensemble de la société française et non à une seule de ces composantes. Ainsi le problème du « communautarisme subi » (p. 99ss.) et des discriminations rampantes (p. 106ss.) . On pourrait donc considérer le rapport Stasi dans sa globalité et, à partir de son examen critique, développer un débat d’ensemble sur la laïcité en France, un siècle après la loi de séparation. C’était l’espoir de la Commission quand elle a rédigé son rapport. Ses membres ont insisté sur le fait qu’il a été élaboré 26 propositions. Cependant, seule la proposition sur l’interdiction des « signes religieux » a fait l’objet d’un vote à part, ce qui montre qu’elle n’était pas mise sur le même plan que les autres. Mais peut-être est-ce là le signe que, actuellement, l’ « actualité » domine la réalité sociale.
Pour le moment, l’espoir de voir pris en compte l’ensemble des propositions a été déçu car le rapport a été réduit au projet de loi, puis dépassé par l’adoption de la loi elle-même, les positions en pour et en contre, et le débat sur la manière dont elle va être appliquée. Il s’est opéré une certaine réduction du problème de la laïcité, au contenu de la loi du 15 mars 2004. Cela écrit, une Haute Autorité contre les discriminations va être mise en place, plus de 20 ans après la création d’un organisme analogue en Grande Bretagne. Aspect significatif, la présidence en reviendra probablement à Bernard Stasi.

Ainsi, on va sans doute se trouver obligé d’affronter le problème des minorités, problème longtemps nié à cause de la référence à l’universalisme abstrait dit « républicain ». Le durcissement de la laïcité peut apparaître ainsi comme un préalable à ce tournant, qui paradoxalement contribue à le rendre possible. La loi de mars 2004 serait, dans cette optique, une sorte d’orgasme républicain préludant à un certain apaisement, une manière plus rationnelle d’envisager les problèmes..

Seconde piste. L’idée d’une diversification des jours fériés n’a pas suscitée de mouvement d’approbation de la part d’une partie de l’opinion publique, ce qui aurait pu induire un débat social. Le refus du politique, toutes tendances confondues, a été net et a été l’objet d’une approbation tacite ou manifeste de l’opinion.Certains ont dénoncé, dans la proposition, un danger de « communautarisme ». Cela induit à une analyse de l’identité française implicite où prend place, comme l’a remarqué en son temps David Martin : « a form of Catholicism without Christianity » ou Jean Paul Willaime en remarquant que la religion civile à la française pouvait être une « catholaïcité », un « syncrétisme laïco-chrétien » . Mais là encore, le problème de la « diversité culturelle » ne peut être complètement évacué. On commence à entendre des propos affirmant que telle ou telle profession (les présentateurs de télévision, la police, etc) doivent être « à l’image de la nation », autrement dit plus diversifiés ethniquement (si l’on prend bien le terme « ethnique » dans un sens non essentialiste, mais comme un construit social).

Troisième piste. En ne mettant pas en cause l’existence de « cultes reconnus » et l’existence de cours confessionnels de religion en Alsace-Moselle, ni la présence d’aumôneries dans les établissements publics, ni les subventions dont bénéficient les écoles privées sous contrat, en restreignant l’interdiction de signes religieux « ostensibles » à la seule école publique, la Commission rend la laïcité plus stricte sur un seul problème. Elle accentue donc le fait que la laïcité soit à « géométrie variable » suivant les régions, les domaines et (en partie) les religions. Cette géométrie variable montre que la laïcité concrète est moins déterminée par la référence à des principes cohérents que par une menace ressentie. On en accorde beaucoup aux Alsaciens, parce qu’ils sont considérés comme ne posant pas de problèmes particuliers, par contre l’islam… Mais la situation particulière faite à l’Alsace–Lorraine s’enracine aussi dans une histoire différente (non seulement entre 1870 et 1918, mais au moment de la Révocation d l’Edit de Nantes), montrant aussi que la laïcité à la française est une construction historique particulière. Peu à peu, difficilement certes, une prise de conscience s’opère chez certains qu’on ne peut pas considérer les caractéristiques propre de la laïcité française à un moment donné de son histoire avec « LA » laïcité.

Quatrième piste.Une certaine contradiction se manifeste dans le rapport de la Commission entre un récit historique qui prend partie pour un « modèle libéral et tolérant » de laïcité contre un autre modèle « combatif et anticlérical » et la description de la situation actuelle plus alarmiste et qui induit des mesures relativement combatives. L’oubli des menaces perçues dans le passé ne conduit guère à prendre ses distances face aux menaces perçues dans le présent. En effet, dans les années qui précédèrent 1905, l’idée que la République se trouvait en danger était forte. Les congrégations et même, pour certains, le catholicisme lui-même avec sa structure hiérarchique (et donc, disait-on, monarchique) comme un péril où, suite au Ralliement, la République se trouvait investie de l’intérieur. La condamnation d’une laïcité historique qui aurait eu des « omissions », des « coups de force » et aurait exercé des « violences symboliques » pourrait bien apparaître boomerang aux historiens de l’avenir. On Peut percevoir, en tout cas, une double tendance ; la minoration, voire l’annulation des menaces ressenties dans le passé ; la majoration des menaces présentes.

Cinquième piste. Les deux institutions considérées comme principalement menacées dans le rapport de la Commission sont l’école et l’hôpital. Ce n’est pas un hasard. Ecole et médecine ont constitué, une légitimation politique des régimes qui se réclamaient de la Révolution française et qui menaient une action laïcisatrice. D’où une certaine « sanctuarisation » de ces institutions. Est-elle toujours tenable aujourd’hui, dans un contexte de développement de l’individualisation (et de la recherche identitaire qui lui est liée), dans le développement de l’idée de « droits de la personne », y compris à l’intérieur des institutions et dans une situation de « consumérisme » engendrée par l’insistance sur la responsabilité de l’individu ? Les impensés de la Commission, notamment sur la mutation des institutions dans l’étape actuelle de la modernité, ne risque-t-elle pas d’être également boomerang ? Le risque existe de demander aux musulmans le respect d’une image de la République, la déférence à l’égard de ses institutions que l’on ne réclame plus des autres couches de la population.

Sixième piste. Il existe un lien entre la crise des institutions, la crise de la distinction public- privé et la crise de l’universel abstrait. Lors de l’établissement de la laïcité en France, l’objectif représenté par les institutions semblait avoir valeur d’évidence : plus de santé par la médecine, plus d’instruction par l’école. Ces institutions se trouvaient légitimées par les rapports étroits que l’on établissait entre science et morale, entre progrès des connaissances et progrès social. Tout débat sur les finalités se trouvait mis entre parenthèse au profit de la recherche d’un ‘comment’ performatif. Aujourd’hui, de façon nouvelle, la question des finalités se repose : le ‘faire’ cède de nouveau la place à ‘l’être’. De là une nouvelle donne du rapport de la religion (et de la philosophie) au social. La présence de représentants de sensibilités religieuses et philosophiques au Comité consultatif national de bioéthique (créé en 1983) est un indice de cette nouvelle situation, fort peu pensée cependant.
Il faut noter que la philosophie, en France, ne sait pas prendre sa place parmi les convictions, contrairement à se qui se passe en Belgique et dans certains autres pays. La philosophie, dont le magistère remplaça, en France, celui de la théologie, a également du mal à se situer par rapport aux sciences humaines. Sa démarche propre se trouve en perte d’universalité, or la philosophie a été considérée comme le couronnement du savoir enseigné par l’école laïque.

Septième piste. En amont des problèmes traités, ne trouve-t-on pas, finalement, la question de l’universel : l’universel peut-il être trouvé par la mise entre parenthèse des particularités ou doit-il se construire à partir d’éléments d’universel existant dans chaque culture ? La France passe, peu à peu de la première réponse à la seconde. Elle le fait en traînant les pieds !

Cependant, la France n’a peut-être pas dit son dernier mot. La loi libérale de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 fut précédée, en 1904, d’une loi très dure contre les congrégations. Il s’est opéré, entre ces deux lois un véritable renversement de perspective : on est passé d’une logique de combat à une logique d’apaisement . Il a donc existé dans l’histoire de la laïcité française des renversements surprenants. Il n’est pas interdit de penser qu’il peut y en avoir encore. Peut-être…




EXCURSUS

Les principaux griefs présentés par la FPF concernaient l’application à la loi de séparation de 1905 de dispositions de la loi de 1901 sur les associations. Cela est un peu compliqué et mérite explication. La loi séparation les Eglises et l’Etat crée, pour l’exercice du culte et l’utilisation de bâtiments cultuels (églises, temples, synagogues, ...) propriétés publiques des associations cultuelles. Ces associations cultuelles ont quelques dispositions spécifiques et, pour le reste, fonctionnent selon les associations loi de 1901. Or les groupements considérés comme des « sectes » ont (sauf exception) des statuts se référant à la loi de 1901. Depuis 1998, les parlementaires (et aussi l’administration), dans l’optique de la lutte contre les sectes, ont durci certains aspects de la loi de 1901, ce qui s’est appliqué aussi à la loi de 1905.
Le protestantisme en a été indirectement touché, beaucoup plus que le catholicisme. En effet, le pape ayant ordonné aux catholiques de refusé la loi de 1905, d’autres lois ont été prises pour ne pas rejeter la pratique du culte catholique dans l’illégalité et, en 1923-1924, un arrangement, avalisé par le Conseil d’Etat, a été trouvé entre le Saint-Siège et le gouvernement français. Selon cet accord, des associations diocésaines, automatiquement présidées par l’évêque, sont considérées comme conforment à la loi de 1905. Or une des modifications les plus gênantes, pour prendre un exemple, consistaient dans l’interdiction pour les associations d’avoir un salarié dans leur conseil d’administration. Le pasteur est membre du conseil presbytéral qui sert de conseil d’administration d’association cultuelle. Certes, des démarches permettent, jusqu’à présent de ne pas appliquer concrètement cette disposition, mais est-ce encore la liberté quand on vit ainsi de façon précaire avec des épées de Damoclès ?
La Fpf a donc notamment demandé à mettre fin à l’automaticité du lien entre la loi de 1901 et celle de 1905 (établi par cette dernière) ce qui a été considéré par certain comme une volonté de quitter le terrain associatif. Il ne s’agissait naturellement pas de cela. Plutôt que de mettre en cause la loi de 1905 elle-même, il aurait mieux valu, à mon avis, montrer d’une part que l’Eglise catholique continue a disposer d’une situation relativement spécifique, ce qui va contre l’égalité proclamée des cultes, d’autre part que, sous couvert de lutte antisectes, des dispositions récentes (et ne datant pas de 1905 !) écornaient la liberté religieuse.




Les défis de la laïcité

Sous ce titre, le Centre Pompidou (Place georges-Pompidou, 75004 Paris)
organise un cycle de conférences et de débats.

Le 9 MAI a 19 hezures
LES VALEURS LAÏQUES DANS UNE SOCIETE DE DEFIANCE
avec G. Haarscher, B. Kriegel, A-G. Slama et J. Baubérot

le 23 mai (toujours à 19 h)
QUEL AVENIR POUR LA LAÏCITE DANS LE MONDE ?avec A. Kaspi, Ph. Moreau-Defarges, O. Roy

VENEZ NOMBREUX

Parmi les parutions récentes

Ouvrage collectif édité par Y. Ch. ZARKA : FAUT-IL REVISER LA LOI DE 1905 ? (PUF)
4 auteurs prennent position :
Christian Delacampagne et René Rémond sont pour la révision de la loi
Henri Pena-Ruiz et Jean Baubérot sont contre
Chacun a un argumentaire différent. Un débat essentiel et pluraliste donc

A. RENAUT et A. TOURAINE : UN DEBAT SUR LA LAÏCITE (Stock)
La question principale de cet ouvrage est : comment concilier la laïcité et les droits culturels ? Question essentielle ; des choses pertinentes sont dites, A. Renaut m’a paru plus à l’aise que Touraine, un peu gêné aux entournures par son vote à la Commission Stasi. Mais tous les 2 font des propositions intéressantes

J. LALOUETTE : LA SEPARATION DES EGLISES ET DE L’ETAT Genèse et développement d’une idée 1789-1905 (Seuil)
Ouvrage très solide et fort bien documenté sur l’histoire de l’idée de séparation de la Révolution à la loi. Montre bien que la laïcisation n’a pas attendu 1905.



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13/04/2005

LES PLAISANTERIES....

cher(e)s Ami(e)
Vous le savez, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Arretez donc, maintenant de prendre mon blog comme prétexte. C'était (un peu) drôle au début; cela ne l'est plus. Si vous êtes bavards, créez votre propre blog. Vous pourrez dé...bloguer en toute quiétude
MERCI D'AVANCE

20:45 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (0)

04/04/2005

Avril laïque

POUR UN AVRIL LAÏQUE

Allez, vous prendrez bien un peu de laïcité en consultant régulièrement ce blog (plus de 50 Notes à découvrir ou redécouvrir..) alors qu’on en a pas fini de vous parler du pape malade, agonisant, mort, enterré, du futur pape…jusqu’à l’ « habemus papam » et tutti quanti.

Bien sûr, il s’agit d’un événement d’actualité et le passer sous silence serait anormal, mais nous vivons actuellement, à propos du catholicisme, cette hypermédiatisation qui se manifeste dès qu’un événement sort de l’ordinaire, cette information « en boucle » qui confond connaissance et répétition, réalité et vision de la face émergée de l’iceberg, voyeurisme et explication.
Une fois encore notre société joue le double jeu : d’un côté elle se prétend rationnelle, de l’autre elle dégouline d’émotionnel.

Une information laïque sur la mort du pape n’aurait certes pas été l’ignorance de l’événement mais la capacité de prendre un peu de distance,
d’abord en ne versant par dans une papolatrie qui n’est pas le fait de la majorité des catholiques ;
ensuite en parlant d’eux, justement, les catholiques, de leur foi et de leurs doutes, de leurs espoirs et de leurs questionnements, de leurs convictions et de leurs contestations : il n’y a de pape que parce qu’il y a des « fidèles » qui ne sont ni passifs ni routiniers ;
enfin en parlant des mutations actuelles du catholicisme qui ne sont pas minces (2/3 des prêtres français ont plus de 60 ans, de plus en plus de tâches sont faites par des laïcs, en particuliers des diacres, en augmentation : le diacres peuvent être mariés mais doivent être des mecs, pour être « figure » du Christ, comme si l’important dans le Christ c’était son zizi. Il me semble pourtant que c’est tout autre chose et certainement la grande majorité des catholiques en France en tout cas en sont d’accord) ; là encore les changement internes du catholicisme ne se réduisent pas à l’action du pape, c’était l’occasion de le rappeler.

Mais ainsi conçue, l’information est-elle jamais laïque ? Le combat pour le rationnel (par pour une raison absolutisée, figée, intemporelle dont ses dévots philosophes ont très logiquement fait une déesse sous la Révolution) est plus nécessaire que jamais. Le lien social aujourd’hui n’est d’ailleurs même pas fondé sur de l’émotion partagée mais sur une émotivité frelatée, produite en masse et exhibée sans pudeur.

Notre blog continue son entreprise de guérilla intellectuelle contre cette société étouffante, qui se croit libre comme pense l’être un ivrogne. 3816 visites (au 3 avril) depuis sa création fin décembre. Bientôt la 4000ième visite. Vive l’inconnu(e) qui franchira ce cap.
medium_dsc00554.jpg

Les nouveautés de la quinzaine, outre cet édito plus fourni que d’habitude (et je vais continuer dans ce sens), sont
-dans la rubrique « Laïcité française », une Note sur « le précédent de 1882 », histoire de mettre notre grain de sel un an après le vote de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école publique.
-dans la rubrique « Emile Combes » (qui semble être la plus visitée) la suite : « Le projet Combes de séparation ».

Quelques nouvelles de l’Université de printemps sur la laïcité (cf photo ci dessus) qui a eu lieu à Villlefavard (Haute-Vienne): elle s’est fort bien passée, avec 50 à 80 participants suivant les séances (près de 150 pour le magnifique concert). Les exposés étaient à la fois de haut niveau et de forme vulgarisée (place particulière a été faite aux images dans certains exposés, complété par une très intéressante exposition), les questions et remarques ont été fournies et pertinentes, la nourriture agréable et l’excursion réussie avec le soleil au rendez-vous medium_dsc00557.jpg(cf phot o ci dontre, prise lors de la visite du musée de Chateauponsac).

Enfin, pour les « mordus » parisiens, deux rendez-vous :
- le 7 avril à 13heures, soutenance d’habilitation de Jérôme Grévy (« Les formes du conflit République laïque/Eglise catholique ») à Sciences-Po
- le 18 avril de 9h à 18h30, Journée d’Etudes consacrée à la Laïcité et l’Outre-Mer : la loi de 1905 est très diversement (ou pas du tout) appliquée Outre-Mer, cela risque être un impensé de la séparation. Pour y remédier l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et l’Institut Européen en Sciences des Religions se sont associés à l’Université française de Polynésie. La journée aura lieu à l’IESR, 14 rue Ernest Cresson, 75014 Paris (en faut il faut entrer par le porche qui est APRES le 14 quand on vient de Denfert, et là, c'est au fond de la cour).

Et pour terminer une bonne nouvelle : en avril les jours seront de plus en plus longs, et je vous promets qu’il en sera de même en mai. N’est-ce pas sympa ?



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COMBES ET LA SEPARATION (II)

LE PROJET COMBES DE SEPARATION

Nous nous étions arrêtés au 4 septembre 1904, au discours prononcé à Auxerre et où Combes prend, pour la première fois, franchement partie pour la séparation.
Il l’a fait en affirmant que c’est le Vatican qui a « ostensiblement » déchiré le Concordat et qu’il n’est pas dans ses intentions de le rapiécer. Il tient des propos libéraux sur la future séparation : son objectif doit être la « paix sociale et la liberté religieuse », il n’existe pas de « bienveillance envers les personnes », de « concession raisonnable » ni de « sacrifice conforme à la justice » que le camp républicain ne soit pas prêt à consentir.
Ainsi la séparation va inaugurer « une ère nouvelle et durable de concorde sociale en garantissant aux communions religieuses une liberté réelle sous la souveraineté incontestée de l’Etat. »

Ce langage correspond à celui de Briand, le rapporteur de la Commission parlementaire et celle-ci a tenté, effectivement, d’élaborer un proposition de loi assez libérale. Or l’action de Combes ne correspond pas à son discours. En effet le projet de loi que Combes communique à la Commission le 29 octobre 1904 et qu’il dépose officiellement à la Chambre le 12 novembre est typique d’une laïcité de combat et il va s’attirer notamment les sarcasmes de Clemenceau qui le considèrera comme liberticide.
Donnons quelques exemples de cet aspect très combatif du projet.

1) La référence à la liberté de conscience et de culte placée en tête de la proposition de la Commission ne figure pas dans le projet gouvernemental.

2) Séparées de l’Etat en ceci qu’elles cesseront d’en recevoir des subsides et d’être des organismes de droit public, les Eglises ne seront nullement libres pour autant. Les associations formées pour l’exercice (local) du culte ne pourront pas se fédérer au niveau national (proposition de la Commission) mais au niveau DEPARTEMENTAL, ce qui rend impossible la constitution d’une Eglise catholique en France, et affecte encore plus les minorités protestantes et juive qui, parfois, n’avaient que quelques dizaines de membres sur toute la superficie d’un département. Par contre, cela facilite une étroite surveillance du préfet.

3) Les associations créées pour l’exercice du culte devront s’organiser de telle manière que leur existence sera difficile. Elles devront tenir une comptabilité très stricte vérifiée par le préfet et les irrégularités qui, pour la loi de 1901 donnent lieu à des amendes, seront punissables de peines d’emprisonnement. Cela risquait d’être fort dissuasif pour l’administrateur bénévole éventuel, s’imaginant dormir en prison pour avoir commis une négligence !

4) Il serait d’ailleurs difficile de faire face aux dépenses qui résulterait de la fin du budget des cultes ; ainsi si la commission avait admis la possibilité d’un fond de réserve allant jusqu’à un capital produisant un revenu égal à un an de dépense, le projet Combes réduit ce fond à une somme insignifiante : le capital lui-même (et non le revenu qu’il produit) ne doit pas être supérieur à un tiers du budget annuel. Comment investir dans de pareilles conditions ?

5) Les édifices religieux (églises, temples, synagogues, etc) après deux années transitoires de concession gratuite, seront louées pendant 10 ans aux associations créées pour l’exercice du culte. Cette location POURRA (et non devra) être ensuite renouvelée « dans les limites des besoins » de l’association pour une nouvelle période de 10 ans ou une période moins longue.
Sinon, on les affectera soit à un autre culte, soit à un service public (ce qui rappelait la période de la Révolution où de nombreuses églises étaient devenues des temples de la Déesse Raison ou avaient été affectées à divers usages ‘profanes’)

6) Les mesures de polices sont sévères, voire arbitraires. On prévoit des peines d’amendes et de prison « en termes vagues et dont il eût été facile d’abuser » écrira en 1909 l’historien anticlérical Debidour (L’Eglise catholique et l’Etat sous la IIIe République, II, 1889-1906). Et l’Association Nationale des Libres Penseurs parlera elle-même de mesures qui pousseraient « à la délation » et de « tracasseries policières »

7) Par contre, cette même Association dénonce le maintien de « privilèges économiques » car les mesures transitoires sont très favorables aux membres du clergé qui, pour une bonne partie d’entre eux, continueront à toucher longtemps une bonne partie de leur pension. Le projet leur est plus favorable que la proposition de la Commission

Donc si la « bienveillance envers les personnes », est au rendez-vous, pour le reste la liberté n’y est pas. On peut se demander pourquoi ce projet est d’une telle dureté. Dans Mon ministère, écrit en 1907, Combes ne s’explique pas vraiment, sinon pour dire qu’il était fort réticent à élaborer un projet de loi ; que, s’il n’avait tenu qu’à lui, il aurait repris pour l’essentiel la proposition de la Commission en en modifiant (durcissant ?) seulement certains points. Mais, explique-t-il, Briand était socialiste et les radicaux ne voulaient pas laisser à un socialiste la paternité d’une réforme aussi importante.

L’argument est plausible, mais fort insuffisant car il ne dit rien du contenu lui-même. Combes dégage en touche. Il faut donc imaginer d’autres raisons. Pour ma part, j’en vois au moins 3 :
- d’abord la majorité des premiers textes, et notamment la proposition de Francis de Pressensé, co-signée par Jaurès et Briand en 1903, étaient eux aussi assez durs. La Commission avait évolué vers plus de libéralisme, en atténuant fortement la proposition Pressensé par une autre proposition provenant du député radical Réveillaud, concoctée en fait par des milieux protestants. Combes voulait revenir à une certaine orthodoxie républicaine mise à mal, à ses yeux, par la Commission.
- Ce (relatif) libéralisme de la Commission pouvait faire peur à beaucoup de laïques : les rumeurs alarmistes se développaient. Du côté catholique, elles parlaient d’une future « persécution » ; du côté laïque de la formation d’une Eglise catholique de combat où le pape, libéré des entraves concordataires, allait nommer comme évêques des membres militants de congrégations dissoutes, voire faire surveiller le catholicisme français par des envoyés personnels italiens.
- Enfin, il n’est pas exclu de penser que Combes prenait une position de départ dure pour pouvoir faire ensuite des concessions aux modérés de sa majorité et leur faire plus facilement accepter un texte qu’ils auraient amendé.

Mais il s’agit là de raisons plausibles, les archives de Combes ne permettent pas de trancher. En tout cas, le projet Combes va déclancher une campagne de presse hostile d’un quotidien républicain anticlérical (« la campagne du Siècle »). Cette campagne de presse sera le sujet de notre prochain épisode.
(à suivre).



LE PRECEDENT DE 1882

Le précédent de 1882


En 1903, lors de la Commission Stasi, certains ont fait allusion à la rupture des débuts de l’école laïque pour justifier l’adoption d’une loi contre le port de signes religieux à l’école publique. Les musulmans d’aujourd’hui pouvaient bien en passer par où les catholiques avaient du en passer au XIXe siècle !
A supposer que l’argument soit valable, il témoigne plus de la mémoire légendaire que de l’histoire scientifique. Certes, une rupture a bien existé, mais de façon plus dialectique qu’en a retenu la mémoire. Un historien réservé à l’égard de la politique suivie par Ferry, Pierre Chevallier (in La séparation de l’Eglise et de l’école, Fayard, 1981), affirme : « La rentrée d’octobre 1882 des écoles primaires publiques eut lieu dans une atmosphère qui ne différa guère des années précédentes ».

On ne doit pourtant pas minimiser l’importance de la loi de mars 1882. Elle laïcise l’enseignement public par trois dispositions :
-l’instruction morale et religieuse est remplacée par l’instruction morale et civique ;
-le droit d’inspection, de surveillance des « ministres des cultes » est supprimé ;
-l’école publique s’arrête un jour par semaine pour faciliter la tenue du catéchisme.


Les deux premières dispositions diminuent l’influence sociale de la religion. On instaure, telle la Belgique en 1879, la neutralité religieuse de l’école ; d’autres pays (comme la Grande Bretagne, par la loi Forster de 1870) avaient gardé un cours non confessionnel de morale chrétienne.
En revanche, la dernière mesure témoigne d’une laïcité qui favorise la liberté de conscience. Cela mécontente des laïques militants. Pour l’un d’eux (C. Duthil, Opportunistes et radicaux, 1882), laisser ainsi une place au « prêtre qui enseignera que 1+1+1=1 (=la Trinité), qu’un gramme de pain est réellement le corps d’un dieu » est « l’œuvre de législateurs qui n’ont aucune conviction ni en morale ni en science ». Mais Ferry serait même allé plus loin dans l’accommodement. Il aurait accepté qu’un cours de religion puisse être donné en dehors des heures scolaires. Il fut battu par une coalition de son aile gauche et de l’opposition de droite (qui jouait la politique du pire, persuadée que plus la loi serait dure, plus les chances d’un renversement de majorité aux élections seraient fortes).

Cet accommodement n’est pas le seul et les débuts de la laïcité de l’école constituent le triomphe du cas par cas. Quand certains veulent enlever les crucifix des écoles laïques, une circulaire réfrène leur ardeur : la loi instaurant la laïcité scolaire n’est pas une « loi de combat » mais « une de ces grandes lois organiques » destinées « à vivre avec le pays. » L’enlèvement des crucifix doit donc se faire « suivant le vœu des populations », à un « moment qu’il est impossible de préciser (sic). » Vingt ans plus tard, coexistaient encore des écoles laïques avec crucifix et d’autres sans crucifix.

Dans un même département les situations étaient contrastées. Ainsi au sud-est du département du Nord, à faible pratique religieuse, la laïcisation fut assez complète. En revanche, là où beaucoup restaient catholiques, crucifix et prières sont maintenues et on accompagne les enfants à la messe. Malgré ceux qui prônent l’égalité devant la loi, ces différences existent également dans le reste de la France.

Il ne s’agit pas seulement d’être tolérant mais aussi de gagner les catholiques à la laïcité et donc de pouvoir les inclure dans les majorités républicaines (Littré parlera des « catholiques du suffrage universel »). Cet irénisme fait partie du conflit des deux France et les catholiques intransigeants le dénoncèrent comme une habileté diabolique : « on ne donne aux populations que la dose d’athéisme (= de laïcité) qu’elles sont capables de supporter » s’indignait un de leur organe de presse en 1886.

Il n’empêche, ce comportement des républicains impliquait de ne pas céder aux jusqu’au-boutistes, de leur imposer une limitation de la laïcisation. Elle signifiait également de ne pas faire de la laïcité un absolu, de tenir compte de ceux qui pouvaient basculer dans un camp ou un autre. On comprend que les plus intransigeants des catholiques aient pesté devant cette intelligence de la situation et lui aient fait le reproche d’être trop habile. Il est malheureusement à craindre que les islamistes radicaux n’aient pas à faire semblable reproche aux auteurs de la loi de mars 2004.