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04/04/2005

LE PRECEDENT DE 1882

Le précédent de 1882


En 1903, lors de la Commission Stasi, certains ont fait allusion à la rupture des débuts de l’école laïque pour justifier l’adoption d’une loi contre le port de signes religieux à l’école publique. Les musulmans d’aujourd’hui pouvaient bien en passer par où les catholiques avaient du en passer au XIXe siècle !
A supposer que l’argument soit valable, il témoigne plus de la mémoire légendaire que de l’histoire scientifique. Certes, une rupture a bien existé, mais de façon plus dialectique qu’en a retenu la mémoire. Un historien réservé à l’égard de la politique suivie par Ferry, Pierre Chevallier (in La séparation de l’Eglise et de l’école, Fayard, 1981), affirme : « La rentrée d’octobre 1882 des écoles primaires publiques eut lieu dans une atmosphère qui ne différa guère des années précédentes ».

On ne doit pourtant pas minimiser l’importance de la loi de mars 1882. Elle laïcise l’enseignement public par trois dispositions :
-l’instruction morale et religieuse est remplacée par l’instruction morale et civique ;
-le droit d’inspection, de surveillance des « ministres des cultes » est supprimé ;
-l’école publique s’arrête un jour par semaine pour faciliter la tenue du catéchisme.


Les deux premières dispositions diminuent l’influence sociale de la religion. On instaure, telle la Belgique en 1879, la neutralité religieuse de l’école ; d’autres pays (comme la Grande Bretagne, par la loi Forster de 1870) avaient gardé un cours non confessionnel de morale chrétienne.
En revanche, la dernière mesure témoigne d’une laïcité qui favorise la liberté de conscience. Cela mécontente des laïques militants. Pour l’un d’eux (C. Duthil, Opportunistes et radicaux, 1882), laisser ainsi une place au « prêtre qui enseignera que 1+1+1=1 (=la Trinité), qu’un gramme de pain est réellement le corps d’un dieu » est « l’œuvre de législateurs qui n’ont aucune conviction ni en morale ni en science ». Mais Ferry serait même allé plus loin dans l’accommodement. Il aurait accepté qu’un cours de religion puisse être donné en dehors des heures scolaires. Il fut battu par une coalition de son aile gauche et de l’opposition de droite (qui jouait la politique du pire, persuadée que plus la loi serait dure, plus les chances d’un renversement de majorité aux élections seraient fortes).

Cet accommodement n’est pas le seul et les débuts de la laïcité de l’école constituent le triomphe du cas par cas. Quand certains veulent enlever les crucifix des écoles laïques, une circulaire réfrène leur ardeur : la loi instaurant la laïcité scolaire n’est pas une « loi de combat » mais « une de ces grandes lois organiques » destinées « à vivre avec le pays. » L’enlèvement des crucifix doit donc se faire « suivant le vœu des populations », à un « moment qu’il est impossible de préciser (sic). » Vingt ans plus tard, coexistaient encore des écoles laïques avec crucifix et d’autres sans crucifix.

Dans un même département les situations étaient contrastées. Ainsi au sud-est du département du Nord, à faible pratique religieuse, la laïcisation fut assez complète. En revanche, là où beaucoup restaient catholiques, crucifix et prières sont maintenues et on accompagne les enfants à la messe. Malgré ceux qui prônent l’égalité devant la loi, ces différences existent également dans le reste de la France.

Il ne s’agit pas seulement d’être tolérant mais aussi de gagner les catholiques à la laïcité et donc de pouvoir les inclure dans les majorités républicaines (Littré parlera des « catholiques du suffrage universel »). Cet irénisme fait partie du conflit des deux France et les catholiques intransigeants le dénoncèrent comme une habileté diabolique : « on ne donne aux populations que la dose d’athéisme (= de laïcité) qu’elles sont capables de supporter » s’indignait un de leur organe de presse en 1886.

Il n’empêche, ce comportement des républicains impliquait de ne pas céder aux jusqu’au-boutistes, de leur imposer une limitation de la laïcisation. Elle signifiait également de ne pas faire de la laïcité un absolu, de tenir compte de ceux qui pouvaient basculer dans un camp ou un autre. On comprend que les plus intransigeants des catholiques aient pesté devant cette intelligence de la situation et lui aient fait le reproche d’être trop habile. Il est malheureusement à craindre que les islamistes radicaux n’aient pas à faire semblable reproche aux auteurs de la loi de mars 2004.




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