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04/04/2005

COMBES ET LA SEPARATION (II)

LE PROJET COMBES DE SEPARATION

Nous nous étions arrêtés au 4 septembre 1904, au discours prononcé à Auxerre et où Combes prend, pour la première fois, franchement partie pour la séparation.
Il l’a fait en affirmant que c’est le Vatican qui a « ostensiblement » déchiré le Concordat et qu’il n’est pas dans ses intentions de le rapiécer. Il tient des propos libéraux sur la future séparation : son objectif doit être la « paix sociale et la liberté religieuse », il n’existe pas de « bienveillance envers les personnes », de « concession raisonnable » ni de « sacrifice conforme à la justice » que le camp républicain ne soit pas prêt à consentir.
Ainsi la séparation va inaugurer « une ère nouvelle et durable de concorde sociale en garantissant aux communions religieuses une liberté réelle sous la souveraineté incontestée de l’Etat. »

Ce langage correspond à celui de Briand, le rapporteur de la Commission parlementaire et celle-ci a tenté, effectivement, d’élaborer un proposition de loi assez libérale. Or l’action de Combes ne correspond pas à son discours. En effet le projet de loi que Combes communique à la Commission le 29 octobre 1904 et qu’il dépose officiellement à la Chambre le 12 novembre est typique d’une laïcité de combat et il va s’attirer notamment les sarcasmes de Clemenceau qui le considèrera comme liberticide.
Donnons quelques exemples de cet aspect très combatif du projet.

1) La référence à la liberté de conscience et de culte placée en tête de la proposition de la Commission ne figure pas dans le projet gouvernemental.

2) Séparées de l’Etat en ceci qu’elles cesseront d’en recevoir des subsides et d’être des organismes de droit public, les Eglises ne seront nullement libres pour autant. Les associations formées pour l’exercice (local) du culte ne pourront pas se fédérer au niveau national (proposition de la Commission) mais au niveau DEPARTEMENTAL, ce qui rend impossible la constitution d’une Eglise catholique en France, et affecte encore plus les minorités protestantes et juive qui, parfois, n’avaient que quelques dizaines de membres sur toute la superficie d’un département. Par contre, cela facilite une étroite surveillance du préfet.

3) Les associations créées pour l’exercice du culte devront s’organiser de telle manière que leur existence sera difficile. Elles devront tenir une comptabilité très stricte vérifiée par le préfet et les irrégularités qui, pour la loi de 1901 donnent lieu à des amendes, seront punissables de peines d’emprisonnement. Cela risquait d’être fort dissuasif pour l’administrateur bénévole éventuel, s’imaginant dormir en prison pour avoir commis une négligence !

4) Il serait d’ailleurs difficile de faire face aux dépenses qui résulterait de la fin du budget des cultes ; ainsi si la commission avait admis la possibilité d’un fond de réserve allant jusqu’à un capital produisant un revenu égal à un an de dépense, le projet Combes réduit ce fond à une somme insignifiante : le capital lui-même (et non le revenu qu’il produit) ne doit pas être supérieur à un tiers du budget annuel. Comment investir dans de pareilles conditions ?

5) Les édifices religieux (églises, temples, synagogues, etc) après deux années transitoires de concession gratuite, seront louées pendant 10 ans aux associations créées pour l’exercice du culte. Cette location POURRA (et non devra) être ensuite renouvelée « dans les limites des besoins » de l’association pour une nouvelle période de 10 ans ou une période moins longue.
Sinon, on les affectera soit à un autre culte, soit à un service public (ce qui rappelait la période de la Révolution où de nombreuses églises étaient devenues des temples de la Déesse Raison ou avaient été affectées à divers usages ‘profanes’)

6) Les mesures de polices sont sévères, voire arbitraires. On prévoit des peines d’amendes et de prison « en termes vagues et dont il eût été facile d’abuser » écrira en 1909 l’historien anticlérical Debidour (L’Eglise catholique et l’Etat sous la IIIe République, II, 1889-1906). Et l’Association Nationale des Libres Penseurs parlera elle-même de mesures qui pousseraient « à la délation » et de « tracasseries policières »

7) Par contre, cette même Association dénonce le maintien de « privilèges économiques » car les mesures transitoires sont très favorables aux membres du clergé qui, pour une bonne partie d’entre eux, continueront à toucher longtemps une bonne partie de leur pension. Le projet leur est plus favorable que la proposition de la Commission

Donc si la « bienveillance envers les personnes », est au rendez-vous, pour le reste la liberté n’y est pas. On peut se demander pourquoi ce projet est d’une telle dureté. Dans Mon ministère, écrit en 1907, Combes ne s’explique pas vraiment, sinon pour dire qu’il était fort réticent à élaborer un projet de loi ; que, s’il n’avait tenu qu’à lui, il aurait repris pour l’essentiel la proposition de la Commission en en modifiant (durcissant ?) seulement certains points. Mais, explique-t-il, Briand était socialiste et les radicaux ne voulaient pas laisser à un socialiste la paternité d’une réforme aussi importante.

L’argument est plausible, mais fort insuffisant car il ne dit rien du contenu lui-même. Combes dégage en touche. Il faut donc imaginer d’autres raisons. Pour ma part, j’en vois au moins 3 :
- d’abord la majorité des premiers textes, et notamment la proposition de Francis de Pressensé, co-signée par Jaurès et Briand en 1903, étaient eux aussi assez durs. La Commission avait évolué vers plus de libéralisme, en atténuant fortement la proposition Pressensé par une autre proposition provenant du député radical Réveillaud, concoctée en fait par des milieux protestants. Combes voulait revenir à une certaine orthodoxie républicaine mise à mal, à ses yeux, par la Commission.
- Ce (relatif) libéralisme de la Commission pouvait faire peur à beaucoup de laïques : les rumeurs alarmistes se développaient. Du côté catholique, elles parlaient d’une future « persécution » ; du côté laïque de la formation d’une Eglise catholique de combat où le pape, libéré des entraves concordataires, allait nommer comme évêques des membres militants de congrégations dissoutes, voire faire surveiller le catholicisme français par des envoyés personnels italiens.
- Enfin, il n’est pas exclu de penser que Combes prenait une position de départ dure pour pouvoir faire ensuite des concessions aux modérés de sa majorité et leur faire plus facilement accepter un texte qu’ils auraient amendé.

Mais il s’agit là de raisons plausibles, les archives de Combes ne permettent pas de trancher. En tout cas, le projet Combes va déclancher une campagne de presse hostile d’un quotidien républicain anticlérical (« la campagne du Siècle »). Cette campagne de presse sera le sujet de notre prochain épisode.
(à suivre).



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