30/04/2010
LA LOI SUR LE VOILE INTEGRAL
Table ronde
La loi du voile : l’État du dÉbat
03 mai 2010
18h00-20h00
Salle Denys et Maurice Lombard, 96 Bd Raspail, 75006 Paris
Faut-il interdire le port du voile islamique en France ? Quelles doivent être les modalités d’une éventuelle interdiction : générales, ou ménageant des distinctions entre types de voile ou espaces de prohibition ? Comment mener le débat public ? Dans quel cadre juridique s’inscrit-il ? Comment concilier libertés individuelles et valeurs républicaines ? Le port du voile est-il l’expression d’une liberté ou d’une servitude ?
Cette table ronde propose de faire un état du débat en France (ses lieux, ses protagonistes, ses procédures) et d’analyser les argumentaires mobilisés ainsi que les travaux des commissions parlementaires (Stasi, Gérin, Raoult), au prisme de différents points de vue (religieux, sociologique, politique, juridique, etc.).
On introduira des éléments comparatifs avec la situation en Egypte, où le débat est vif.
L’inscription de l’Islam, religion et culture, dans le paysage français, renvoie à des interrogations fortes sur sa compatibilité avec les valeurs de la République, le respect des droits humains (notamment l’égalité hommes-femmes), ou encore avec la déclinaison des politiques dites d’intégration.
Parmi les thématiques qui ont suscité le débat public, celle des tenues vestimentaires des femmes corrélées à la pratique de l’islam, le voile sous toutes ses déclinaisons, a indiscutablement suscité les échanges les plus virulents dans l’arène politique. Cette montée dans l’agenda, contraignant les pouvoirs publics à se saisir de la question, s’est faite en deux temps.
En 1989, l’apparition du foulard islamique dans les écoles et les premiers incidents consécutifs, ont amené le gouvernement à saisir le Conseil d’Etat, dont l’avis invitait les pouvoirs publics à une prudence législative, et à une vigilance sur l’obligation scolaire, les règles de sécurité, et le respect de l’ordre public, ce qui conduisait à localiser la gestion des litiges.
Mais ce dispositif n’a pas mis fin aux tensions et, au terme d’une longue gestation, la loi du 15 mars 2004 est venue prohiber le « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les établissements scolaires de l’enseignement public.
Mais le débat sur le port du voile a rebondi selon deux modalités : à travers la question du port du voile dans d’autres espaces que l’école (université, monde du travail, services publics et autres lieux publics…) qui occasionne des contentieux de plus en plus abondants ; par la mise en cause de nouveaux voiles « intégraux », correspondant à de nouvelles pratiques, dont la visibilité et la symbolique autour du corps féminin ne pouvaient que relancer le débat.
Aussi, il semble que nous nous acheminions vers un nouveau traitement législatif d’une question de société, comme l’a indiqué récemment le chef de l’Etat à la suite des travaux de la mission d’information parlementaire sur le port du voile intégral, qui a remis son rapport le 26 janvier 2010.
Denis Gril
Professeur à l'Université de Provence, rattaché à l'IREMAM (Aix en Provence),
Le voile dans les textes sacrés…
Anne Levade
Professeur de droit, Université Paris XII, membre du Comité de Réflexion et de Proposition sur la Modernisation et le Rééquilibrage des Institutions de la Vème République
Le niqab selon la loi française…
Jean Baubérot
Directeur d'études Emérite à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (chaire "Histoire et sociologie de la laïcité")
Déroulement de la Commission Gérin …
Nathalie Bernard-Maugiron
Chargée de recherche en droit (Développement et Sociétés)
Revirement législatif sur la loi du niqab en Egypte…
Maryam Borghée
Master II en sociologie EHESS… sous la direction de Michel Wierworka
Le phénomène du "voile total" …
Présentation et animation: Sabrina Mervin, chercheure au CNRS, historienne, co-directrice de l’IISMM
Attention: inscription nécessaire auprès de Marie-Hélène Bayle, au: 0153635602;
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche - École des Hautes Études en Sciences Sociales
96 boulevard Raspail – 75006 PARIS, téléphone 01.53.63.56.00, télécopie 01.53.63.56.10, iismm@ehess.fr, http://iismm/ehess.fr
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27/04/2010
La liberté de conscience des femmes
Je reprendrais le dialogue avec J.-M. Schiappa dans ma prochaine Note, en tenant compte des commentaires rédigés sur la 1ère.
Etant donné que le débat sur la dite « burqa » s’enflamme, je vous propose aujourd’hui une invité exceptionnelle : Valentine Zuber
J’avais signalé sous article dans Réforme, Plusieurs internautes sont allés consulter le site de cet hebdo, mais l’article n’est accessible qu’aux abonnés.
Ils me l’ont alors réclamé et Valentine a accepté qu’il soit republié sur le Blog.
Donc, voila de VALENTINE ZUBER :
« Pour une laïcité respectueuse de la liberté de conscience, même de celle des femmes »,
Je voudrais réagir à la mise en cause par Max Chaleil de certains protestants qui renieraient selon lui le combat en faveur de la liberté et de la laïcité porté par leurs ancêtres depuis le XVIe siècle. En éludant le problème de la burqa ils mettraient, ce faisant, « les femmes, la religion et la démocratie » en grave danger.
Sans m’appesantir plus que cela sur le formidable et très contestable raccourci historique qui est devenu un véritable lieu commun de la mythologie bien pensante des protestants français, je crois au contraire que c’est le genre de raisonnement tenu par Max Chaleil qui est potentiellement porteur d’atteintes graves à la laïcité et à la liberté individuelle, et en particulier celles des femmes.
En tant qu’historienne de la laïcité, je voudrais rappeler que la laïcité française (d’inspiration protestante ou non) ne s’est parée du discours féministe que depuis très peu d’années.
D’un point de vue historique, on peut même dire que le processus de laïcisation français s’est presqu’entièrement déroulé à l’insu du développement du droit des femmes. C’est ainsi que l’universalisme abstrait défendu dès la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, prétendait parler de l’homme en tant qu’être humain alors qu’en fait il ne s’adressait véritablement qu’à l’homme, en tant que représentant du genre masculin.
Et s’il est vrai que si la Révolution a bien accordé certains droits civils aux femmes, elle ne leur a rien lâché en ce qui concerne leurs droits politiques. On a longtemps appris sur les bancs de l’école publique française que l’instauration du suffrage universel datait en France de la Révolution de1848, sans jamais préciser qu’il s’agissait d’un « universel » uniquement masculin…
La France a d’ailleurs accordé extrêmement tardivement le droit de vote aux femmes (1944-45), bien après des pays comme le Danemark ou le Royaume-Uni (1915), la Belgique (1920) ou même la Turquie (1934).
Il faut dire que dans le contexte du conflit des deux France, entre Républicains et Catholiques, les femmes étaient considérées comme étant des alliées inconditionnelles de la France cléricale et donc politiquement soumises au parti de la réaction.
Ce stéréotype a longtemps perduré et la laïcité française s’est partiellement construite sur la mise à l’écart de la moitié de la population, celle jugée politiquement peu sûre. La laïcité française n’a donc en aucun cas été le garant d’avancées féministes pendant la plus longue partie de son histoire en France.
Le discours semble avoir changé depuis la fin des années soixante-dix. Et la militance féministe s’est récemment emparée de l’étendard de la laïcité. Une partie d’entre elle l’a fait en défendant le refus de l’ouverture de l’école publique aux filles voilées pour tenter de les détacher de leurs mentors.
En dépit des bruyantes proclamations en faveur de l’émancipation de toutes les femmes, il ne me paraît cependant pas que le discours de type laïque antiféministe ait vraiment disparu du paysage.
Et certaines féministes républicaines s’en sont paradoxalement faites les courroies de transmission. Lors des grandes consultations sur la laïcité (comme lors de la commission Stasi de 2003), les jeunes filles intéressées n’ont pas ou très peu été entendues par les experts.
Et le discours sur l’émancipation nécessaire et volontariste que la République devrait aux « faibles femmes » musulmanes menacées par leur mari, frère ou père, rappelle bien souvent les discours paternalistes et machistes des Républicains de la fin du XIXe siècle qui mettaient en cause les qualités physiologiques et morales de ces premières « faibles femmes » alors sous l’emprise de leurs émotions hystériques et de leurs curés.
A cause de ses impensés paternalistes et idéologiques, le discours féministe républicain, dominant dans les médias en France, s’est donc inscrit à contre-courant de celui du féminisme anglo-saxon ou du féminisme musulman naissant qui prônent d’abord la liberté accordée aux femmes dans leur choix de vie plutôt qu’une libération imposée de l’extérieur par l’Etat aux individus.
Discours idéologique, et donc par cela aussi peu laïque que possible, le féminisme républicain continue de réclamer une politique coercitive contre certaines femmes au nom de leur liberté, là où la laïcité prône le respect et la liberté d’expression et de croyance pour tous les individus considérés comme adultes et responsables.
Une féministe républicaine comme Elizabeth Badinter a pu ainsi proclamer sans sourciller devant la récente Mission parlementaire sur le port du voile intégral que la liberté de conscience ne pouvait pas être complètement respectée en France puisque l’Etat combattait les sectes, auxquelles elle a immédiatement assimilé le mouvement salafiste prônant le port du voile intégral par les femmes[1].
Ce qui se joue en effet dans ce débat, c’est l’opposition culturelle centenaire entre deux conceptions antithétiques de la liberté individuelle en matière de religion :
une conception de la liberté de type libérale qui fait de la conscience individuelle un absolu et une conception de la liberté de penser qui, en se voulant « émancipatrice », s’arroge le droit de limiter la liberté de conscience de certains individus sous le prétexte qu’ils sont aliénés et incapables de se défendre.
M. Chaleil consacre un long paragraphe dans lequel il s’imagine dans l’esprit d’une femme voilée (!!!) pour démontrer que celle-ci n’aurait aucunement « la possibilité de décider par elle-même… ».
Que sait donc l’homme blanc chrétien occidental qu’il est de la psychologie de la femme, en particulier musulmane ?
Quand donc tous ces « défenseurs des femmes » les prendront enfin comme des individus à part entière, responsables et majeures politiquement ?
Les laisserons-nous s'exprimer à leur manière sans toujours chercher à déprécier leurs arguments, tirés d’une raison agissante qui vaut bien la nôtre ?
Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui comme hier, ce sont les femmes qui sont l’objet (et la cible) de ce discours républicain soi-disant émancipateur.
La figure stéréotypée de la femme musulmane voilée comme prototype de la victime a été popularisée par le grand débat politico-médiatique pour être ensuite instrumentalisée par le discours des féministes républicaines dont le mouvement « Ni putes ni soumises », complètement récupéré par le monde politique et non représentatif, s’est fait le porte-voix.
Mais les musulmanes mises en cause ne se sont généralement pas reconnues dans ce discours et ont commencé à réagir, en se réclamant elles aussi, de la laïcité de l’Etat comme garante de leur liberté religieuse.
On entrevoit depuis quelques années maintenant l’émergence d’un discours féministe musulman qui entretient des rapports à la laïcité à la fois moins passionnels que les précédents et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus sécularisés.
La candidature récente aux élection régionales de la jeune femme s’affichant ouvertement de convictions musulmanes du NPA en est un écho instructif. Bizarrement, ce discours a de la peine à se faire entendre et disparaît trop souvent sous les cris indignés de ceux qui ont le pouvoir, en particulier celui des mots.
La relecture particulièrement partisane que M. Chaleil fait de l’analyse sociologique du phénomène du voile intégral proposée par Jean Baubérot en est une illustration saisissante.
Trop souvent en effet, les médias continuent à préférer diffuser les tribunes d’indignations bien pensantes des intellectuels bourgeois désemparés devant les manifestations ostensibles d’une certaine identité musulmane qui se considère comme depuis trop longtemps bafouée par la culture dominante.
Et ils ne veulent pas prendre en compte les tentatives d’explication (qui ne sont en aucune manière des approbations) de ceux qui veulent éclairer les termes et les raisons socio-culturelles de ce débat en cours dans la plupart des grandes démocraties.
Les « affaires du voile islamique » successives et la récente polémique sur le port du voile intégral ainsi que le calamiteux débat sur l’identité nationale ont progressivement islamisé les termes du débat.
C’est un moment de recomposition culturelle particulièrement important que nous vivons actuellement et qui met singulièrement à l’épreuve la volonté de maintenir un débat réellement démocratique et laïque dans les pays qui s’en réclament.
En ne cessant de demander des lois, certains voudraient construire artificiellement des murs qui, comme tous les murs, ne sont jamais assez hauts pour endiguer la contestation de ceux qui se sentent écartés du débat public et niés dans leurs singularités individuelles.
Je crois au contraire que le principe de la laïcité française tel qu’il est magnifiquement exposé dans le premier article de la loi de séparation de 1905[2] est assez solide par lui-même pour n’avoir pas besoin de se voir préciser (et limiter) par des lois particulières et de circonstance.
Je veux croire à une laïcité moderne à la fois féministe et respectueuse de la liberté d’expression de tous les individus, qu’ils soient de genres masculin ou de genre féminin.
Et je veux défendre encore une fois l’inaliénabilité de la conscience en appelant au respect absolu de celle-ci, en tant que femme, chrétienne protestante, viscéralement attachée au principe démocratique et à la laïcité de l’espace et du discours publics.
Valentine Zuber, Maître de Conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, chaire de Sociologie des religions et de la laicité », 2 mars 2010.
[1]. Rapport d’information au nom de la Mission d’information sur la pratique du voile intégral sur le territoire national, Président M. André Gérin, Rapporteur M. Éric Raoult, Députés , 26 janvier 2010. Texte : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2262.asp, Audition d’Elizabeth Badinter, 9 septembre 2009, p. 104.
[2] « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public».
19:19 Publié dans CONTRE L'OBSCURANTISME | Lien permanent | Commentaires (7)
22/04/2010
Voile intégral (Belgique - France)
Vous pouvez trouver sur le site de France 24, mon débat avec le député belge Denis Ducarme (MR), auteur d'un projet de loi (qui devrait être voté aujourd'hui) interdisant le voile intégral dans tous les lieux publics.
http://www.france24.com/fr/20100422-opinions-belgique-fra...
Après le débat, ce député m'a violemment reproché d'avoir dit ce que j'ai dit, et notamment d'avoir conclu sur l'inégalité des salaires entre femme et homme. Regardez attentivement la fin de l'émission: le son est coupé (dommage!), mais vous voyez trés bien l'honorable député gesticuler, lever vivement les bras et commencer à me prendre violemment à partie.
Il m'a notamment déclaré que je n'étais pas un vrai universitaire, ou bien que j'avais beaucoup vieilli depuis que j'étais entré à l'Université! Le charmant homme!
Je compte sur toutes les charmantes internautes qui surfent sur ce Blog, pour lui rétorquer que je ne suis pas si vieux que cela!!!
12:48 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (30)
21/04/2010
Debat (amical) avec la LIBRE-PENSEE:
« Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »
Dernière minute:
Sarko Ier, à droite toute, après nous avoir sorti son 13245ème discours sur la sécurité ("vous allez voir, ce que vous allez voir"!) veut une loi qui interdit partout le "voile intégral"
Reportez vous aux Notes du 21.10; 28. 10; 25. 11; 24. 12; 2009 et 26. 1; 31. 3, 6. 4 2010 sur le problème (et ce n'est sans doute pas fini !!)
Dans le mensuel de la Libre pensée, La Raison (n° 550, avril 2010, Germinal CCXVIII), Jean-Marc Schiappa donne, dans la rubrique « Antidogmatique », un substantiel compte-rendu de la 7ème édition de mon « Que sais-je ? », sur l’Histoire du protestantisme
(un des livres dont j’avais, par ailleurs, complètement oublié de signaler la réédition aux Internautes. Il en est de même de 2 autres de mes ouvrages :
- Un christianisme profane ?, paru aux PUF, et
- La morale laïque contre l’ordre moral paru au Seuil,
Tous les 2 réédités, en 2009, par la maison d’édition Archives Karéline).
Comme l’occasion fait le larron, j’en profite honteusement !
Le compte rendu de Schiappa commence de façon un peu polémique : « Jean Baubérot (qui n’est pas de nos amis, loin s’en faut) a publié… », et il continue de façon positive :
« Ouvrage heureux. Critiquable (mais quel ouvrage ne l’est pas ?) et heureux, parce que bien au-delà des critiques et des différences d’appréciation, un tableau certes schématique mais complet se fait jour. »
Effectivement :
Traiter en 118 pages (+ présentation, bibliographie et tables des matières, on en arrive aux fameuses 128 pages de la collection "Que sais-je ?") de 5 siècles d’histoire du protestantisme mondial, l’ambition est de donner un schéma, le plus pertinent possible, mais certes pas une œuvre érudite.
Suit un compte-rendu qui correspond tout à fait à ce que j’ai voulu indiquer dans ce Que sais-je :
- d’une part le paradoxe de « l’esprit » du protestantisme, à la fois religion et par certains côtés destructeur de religion, aspect sur lequel JMS. insiste avec justesse ;
- d’autre part le protestantisme dans son déroulement historique avec sa part d’ombre et de lumière :
« A quelques lignes de distance, Baubérot évoque l’apartheid raciste et l’antiraciste Martin Luther King, tous deux convoqués au titre du protestantisme (p. 111). »
Bien sûr puisque ces 2 réalités historiques importantes ont invoqué le protestantisme pour se légitimer.
Faire l’histoire du protestantisme n’est ni effectuer son apologie, ni le dénigrer.
L’article de Schiappa se termine en citant l’extrait d’une de mes phrases finales : « comment se renouveler ? »
Pour lui, il s’agit de « l’angoisse existentielle du protestantisme » : «jusqu’où peut-il aller dans le renouvellement ? » et JMS ajoute 2 autres questions :
« Est-il possible d’être libre et de croire ? Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? » Il finit en déclarant : « De ce débat, les libres-penseurs veulent être totalement partie prenante. »
C’est cette invitation au débat que je voudrais reprendre.
Mais, auparavant, je voudrais donner la totalité de la citation : elle est longue et je comprends tout à fait que Schiappa en ait tirer un extrait, mais celui-ci tire l'auteur vers l'expression d'une une logique convictionnelle, où il se demanderait, avec « angoisse » comment renouveler sa propre religion-anti-religion.
Et, si j’ai bien compris JMS, il s’agirait de se demander jusqu’où peut-on aller dans la non-croyance en restant protestant
(si c’est cela, je précise tout de suite que ce n’est absolument pas mon problème : on verra pourquoi).
Or il me semble que la totalité de la citation montre qu’il s’agit bien davantage d’une question qu’un historien, quelle que soit ses convictions, pourrait poser au protestantisme, en tant que groupe social, après avoir étudié sa socio-histoire.
Voilà donc comment ce petit ouvrage sur l’Histoire du protestantisme (mondial) s’achève (p. 122):
« Plus généralement, il semble, du point de vue de l’historien, que la contribution active du protestantisme à la production historique de certains aspects des sociétés modernes pose deux problèmes fondamentaux à cet ensemble confessionnel :
-Quelles réponses apporter à l’agnosticisme social implicite véhiculé par la forme de rationalité instrumentale propre à la civilisation postindustrielle ?
-Comment, après avoir participer à l’émergence de l’Occident moderne, se renouveler pour être toujours présent et actif à une époque où des aspects importants de cette civilisation s’intègre dans un mouvement pluriculturel de globalisation ? »
Cela précisé, les 2 questions m’intéressent, à distance de la manière dont elles concernent le protestantisme en tant qu’ensemble diversifié de groupements car, comme Schiappa le relève, j’indique qu’ « il n’y a pas de « protestantisme » mais des « protestantismes » (p. 7). »
Mon point de vue comporte 3 points de départ :
Premier point de départ : « Etre libre » n’est pas une mince affaire, que l’on se dise « croyant » ou « non-croyant ». Etre libre, où plus exactement tenter de se libérer, est une entreprise constante où il faut soigneusement veiller à ne pas baisser la garde.
Second point de départ : il me semble effectivement plus intéressant de poser le problème en terme de « croyance » que de religion : les croyances ne sont pas seulement religieuses, loin s’en faut. Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un dont je puisse penser qu’il soit hors de toute croyance.
Troisième point de départ : pour ce qui me concerne, je ne suis ni englobé par mon protestantisme, ni un protestant un peu honteux de l’être, et qui (en quelque sorte) s’excuserait d’être protestant.
Je suis protestant et, en même temps, agnostique sur plein de questions où le monde actuel déborde de croyants et de croyances.
C’est pourquoi, d’ailleurs, je peux être protestant convaincu et membre de l’Union rationaliste, et être autant à l’aise et distancié, conservant mon « libre-examen », dans les 2 milieux.[1]
J’ose même penser qu’il ne m’est pas plus difficile « d’être libre et de croire » que quelqu’un qui a des convictions athées, ou qui est complètement indifférent en matière de croyances religieuses.
Abordons les 2 premiers points ensemble et ensuite le 3ème. En effet, la Libre-pensée est engagée dans un dialogue avec des « protestants libéraux » (La Raison, n° 547, janvier 2010 et n° 550, avril 2010).
Or, manque de pot, les protestants libéraux, je les aime bien, mais ce n’est pas ma « paroisse » pour dire les choses avec humour.
Et il me semble que c’est cela qui dérange un peu.
Le point fondamental est de savoir si les croyances sont réductibles à celles dont le contenu est explicitement religieux.
S’il n’existe de croyances que religieuses, les autres, ceux qui ne croient « ni à Dieu ni à Diable » peuvent se croire dans la pure connaissance et poser, de l’extérieur, la question : « Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »
Or, dés la construction de la sociologie en démarche scientifique, il a fallu avoir une conception plus large de la croyance. Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, le vieux Durkheim (que certains accusent pourtant de « scientisme ») notait :
« Une société ne peut ni se créer, ni se recréer sans, du même coup, créer de l’idéal. Cette création n’est pas pour elle une sorte d’acte surérogatoire, par lequel elle se complèterait une fois formée ; c’est l’acte par lequel elle se fait et se défait périodiquement. »
Il précise à ce sujet qu’il n’existe pour lui aucune « différence essentielle » entre « une assemblée de chrétiens (…) ou de juifs (…) et une réunion de citoyens commémorant l’institution d’une nouvelle charte morale ou quelque grand événement de la vie nationale »
Et il indique par ailleurs :
« La science, si loin qu’on la pousse reste toujours à distance de l’action. La science est fragmentaire, incomplète ; elle n’avance que lentement et n’est jamais achevée ; la vie elle, ne peut attendre. Des théories qui sont destinées à faire vivre, à faire agir, sont donc obligées de devancer la science et de la compléter prématurément. »
A mon avis, Durkheim pointe là, 2 types différents de croyances :
- Celles qui concernent des réalités supra empiriques, symboliques, transcendantes (non pas que l’empirique soit absent, au contraire, il existe ne serait-ce que de façon indirecte, mais l’important est la signification que cela revêt pour l’individu, sa « foi »[2] dans sa croyance) :
C’est ce que l’on peut appeler les « convictions » qu’elles soient religieuses, philosophiques, morales dans leur contenu, Durkheim indique qu’elle fonctionnent de la même manière.
Et, depuis de nombreux travaux sociologiques ont confirmé cela.
- Celles qui sont immanentes et concernent au premier chef des réalités empiriques, des problèmes concrets.
Aussi bien dans la vie quotidienne que dans la vie politique et sociale, ces croyances doivent remédier sans cesse à l’aspect « fragmentaire » et, on le sait maintenant plus que du temps de Durkheim, incertain des démarches scientifiques.
Durkheim indique déjà indirectement d’ailleurs cet aspect incertain : si la science « n’est jamais achevée », c’est qu’elle n’atteint jamais la certitude, la certitude globale, ce qui ne signifie pas (et c’est important) qu’il n’existe pas des quasi-certitudes locales.
Ces 2 types de croyances sont en rapport étroit chez tous ceux qui ont des convictions fortes.
Si vous avez des croyances morales, philosophiques, religieuses fortes, elles vont intervenir dans votre vie quotidienne.
Et longtemps, l’imposition de croyances transcendantes (il n’y a pas si longtemps dans l’Espagne de Franco, où le catholicisme était religion d’Etat ; et aujourd’hui en Iran par exemple) faisait qu’elles étaient des croyances sociétales et intervenaient directement dans les décisions de la vie politique et sociale.
Après des siècles de combats, pour le droit à être « hérétique », « mal pensant », « incroyant » de telle ou telle croyance politiquement imposée, etc, la laïcité a consisté à dire que l’individu ne pouvant, de toute façon, être contraint à croire dans croyances transcendantes dans son « fort interne »,
(c'était cela le problème dont la laïcité a été la solution)
l'individu devait avoir le droit de manifester extérieurement ses croyances, sans les imposer aux autres.
Et, actuellement, d’ailleurs, nous nous retrouvons dans un combat commun, la Libre-pensée, et beaucoup d’autres dont moi-même, face à ceux qui voudraient transformer la laïcité en l’inverse, et refouler ce type de croyances dans le fort interne.
Mais, comme l’indique Emile Poulat, la « solution laïque » a « ses problèmes », elle n’est pas (naturellement) la venue du Paradis sur terre !
Elle n’a pu vraiment séparer du politique que les croyances dont le contenu était le plus transcendant, le plus éloigné des réalités empiriques : disons (pour faire bref) les religions et les philosophies de type plus ou moins spéculatif.
La séparation de 1905, c’est la séparation des Eglises et de l’Etat, mais aussi de la Libre-pensée et de l’Etat ; bref de l’ensemble des « religions et convictions » pour parler comme la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et la Convention européenne de droits de l’Homme et des libertés.
(Ce fut tout l’enjeu du débat entre les 2 libres-penseurs Allard et Briand.
Et dans le très intéressant ouvrage de J.M. Schiappa a dirigé sur la loi de 1905 (1905 ! La loi de séparation des Eglises et de l’Etat, Ed. Syllepse2005) il est plusieurs fois indiqué que la séparation d’Allard était « antireligieuse ».
Et la Libre-pensée a proclamé, à plusieurs reprises, se situer dans la filiation de Briand.)
Reprenons le fil du propos :
Ce qui relève de la philosophie politique ou de la morale, bien que n’appartenant pas à l’ordre des connaissances de type scientifique a du rester dans l’ordre commun, justement parce qu’on a besoin, comme société, de « théories » (et c’est significatif que Durkheim emploie ce terme, alors qu’il est en train de nous parler de croyances) qui permettent les décisions politiques, l’action collective, la vie sociale.
Cela de façon rapide, voire immédiate, alors .que la science « n’avance que lentement » et reste toujours « fragmentaire ».
A suivre.
J’espère que vous arriverez à survivre à ce suspens insoutenable.
(pour le rendre un peu plus vivable je lance le terme de « démocratie » comme étant un élément de solution du problème, mais pas la recette miracle pour autant !)
Comme « l’espoir fait vivre », je vous indique que, dans la seconde partie de ce débat avec la Libre-pensée, je vous parlerai de choses passionnantes, comme les travaux Gérald Bronner sur la prolifération des croyances collectives dans les sociétés modernes.
Etc.
Bonne (fin de) semaine : si vous êtes en vacances (ailleurs qu’en Islande), soyez sur votre petit nuage !
Et grosses bises à celles qui surfent sur le Blog. Je vous embrasse toutes.
[1] Je précise que j’ai adhéré à l’UR quand les statuts ont été changé et n’impliquaient plus donc pour moi de renonciation à mes ‘convictions protestantes’. Comme j’estime important de prôner la rationalité. ;
[2] et la « foi » est intiment liée à la « confiance » : c’est d’ailleurs la même racine.
09:24 Publié dans PROBLEMATIQUE | Lien permanent | Commentaires (3)
15/04/2010
Eglise catholique : la sacralisation de l’institution
Quelques amis me demandent pourquoi je n’ai rien dit sur les « affaires de pédophilie » concernant l’Eglise catholique.
La réponse est simple, j’ai plusieurs fois indiqué dans ce blog que je n’avais pas vocation à parler de tous les sujets d’actualité concernant de près ou de loin de laïcité, mais seulement de ceux où j’estimais avoir quelque chose d’un peu original à dire.
Je suppose que les internautes ne vivent pas sur une île déserte, relié à notre merveilleuse civilisation uniquement en surfant sur mon magnifique, génial (j’en passe et des meilleurs) Blog.
Or, il y avait déjà tellement d'articles et de propos divers en la matière où je pouvais retrouver (en gros) ce que je pensais.
Oui, m’ont-il rétorqué, mais quand même, malgré tout, etc.
Bref, d'après eux, mon silence allait être mal interprété.
Certains penseraient que je minimisais la chose,
D’autres que j’étais gêné d’en parler
Gêné, moi, ai-je bondi : certes pas. Car ce qui arrive à l’Eglise catholique correspond exactement à la raison pour laquelle je ne peux pas être de cette religion là.
Une institution, comme l'Eglise catholique, qui se sacralise, qui croit pouvoir relier "ciel et terre", QUI SE PENSE COMME MEDIATRICE, fait forcément passer, consciemment ou à son insu, sa propre protection avant le respect de ceux qu’elle prétend servir.
« Nous sommes une institution humaine, composée de gens faillibles » prétendent aujourd’hui ses prélats pour répondre aux attaques.
OK, mais alors il ne faut jamais, au grand jamais l’oublier.
Il ne faut pas prétendre être « experte en humanité », ce qui conduit à faire la morale à tout le monde.
Cette prétention était déjà insupportable avant, maintenant elle devient particulièrement inadmissible.
Que le catholicisme, et d’autres religions, proposent des règles de vie à leurs membres, d’accord : cela fait partie de la structuration du symbolique.
Mais, à partir de là, deux « bémols » doivent s’imposer
D’une part les propositions morales qui sont faites n’ont de sens qu’à partir de l’ensemble théologico-religieux, de l’ensemble de l’univers symbolique (pour le dire de façon plus « sécularisée ») :
Autrement dit, cela ne saurait être peu ou prou imposé à celles et ceux qui ne croient pas à cet ensemble, qui ne partagent pas cet univers symbolique.
.
Que l’Eglise catholique, et d’autres religions, condamnent l’avortement (pour prendre un exemple également d'actualité), c’est leur droit. Cela peut même être utile à l’ensemble des gens, y compris agnostiques et athées, de savoir qu’il existe des institutions religieuses qui se situent dans cette otique :
Cela donne matière à réflexion aux personnes qui penseraient que l’avortement est anodin.
Mais que les institutions religieuses fassent pressions sur des Etats pour imposer une législation qui interdise l’avortement, c’est une toute autre histoire.
Si on échoue dans sa force de persuasion, le recours au « bras séculier » rappelle très fâcheusement, feu la société de chrétienté.
Et la société de chrétienté a produit des catastrophes
Cela conduit, par exemple dans les pays d’Amérique latine, à ce que l’avortement soit une cause importante de mortalité féminine.
Et, pur hasard sans aucun doute, ce ne sont pas les femmes de la bonne bourgeoisie qui meurent en avortant, ce sont les femmes pauvres…
Et je regrette profondément quand des protestants évangéliques, reniant leur tradition historique de séparation des Eglises et de l’Etat, se mettent à jouer un jeu semblable à celui de l’Eglise catholique.
Je dis non à tout oecuménisme d'ordre moral.
D’autre part, et ce que je viens de dire sur l’avortement en Amérique latine fait la transition, l’appartenance à une religion est à géométrie variable : parmi ces femmes qui avortent dans des conditions déplorables, il y a des femmes qui sont « croyantes »
(Je mets ce terme entre guillemets, car -pour ma part- je pense que les croyances ne sont pas que religieuses, loin s’en faut, et que tout le monde croit à plein de choses diverses)
Simplement si ces femmes sont convaincues de la validité du discours des Eglises sur plein de sujets, elles ne sont pas convaincues de ce qui est prêché à propos de l’avortement, ou sont dans une situation telle qu’elles ne peuvent l’assumer.
Or l’appartenance à une religion ne supprime en rien la liberté de conscience de chacun.
A chacun de croire, EN CONSCIENCE, à ce qu’il croit.
A chacun d’être AGNOSTIQUE, en conscience, à ce qu’il ne peut ou sauraitcroire.
Les religions peuvent, et doivent pouvoir puisqu’elles sont elles-mêmes au bénéfice de la liberté de conscience, avoir de l’AUTORITE, c'est-à-dire tenter de CONVAINCRE.
Elles ne doivent jamais avoir de POUVOIR, c'est-à-dire être dans la possibilité de CONTRAINDRE.
Les affaires de pédophilie rappellent de façon particulièrement horrible la faillibilité des institutions religieuses et de leurs agents.
Il s’agit là d’une leçon qui concerne l’Eglise catholique au premier chef, mais plus largement toute religion, toute organisation religieuse, qu’elle soit église, secte, etc.
Et, comme une sorte d’excuse, on nous dit : « Oui, mais nous ne sommes pas les seuls, d’autres institutions ont eu leurs pédophiles, et les ont cachés ».
Des institutions séculières notamment.
C’est vrai, mais on a envie de dire : « Et alors ». Cela n’induit aucune circonstance atténuante, plutôt une réflexion générale sur le rapport à l’institution.
Quand j’étais conseiller auprès de Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l’enseignement scolaire, celle-ci a trouvé une situation dans l’éducation nationale un peu analogue à celle de l’Eglise catholique.
Il y avait des profs et des instits pédophiles.
Et l’éducation nationale, quand cela devenait trop manifeste et risquait de déclancher une affaire, elle faisait ce qu’à fait la hiérarchie des Monseigneurs : elle déplaçait les enseignants.
Vous êtes prof pédophile à Saint Glin Glin. Des parents commencent à le savoir et à faire du tapage : qu’à cela ne tienne, on va vous nommer prof à Triffouilli les Oies.
C’est exactement cela qui se passait.
Ségolène, elle, n’a pas accepté une telle situation
(C’est une des raisons qui font d’ailleurs qu’il aurait été plus sympa qu’elle soit chanoine du Latran à la place de Sarko Ier… et j’espère dernier)
Elle a voulu virer les pédophiles de l’Education Nationale.
Eh bien, c’était on ne peut plus compliqué, et cela a créer un nombre incroyable de résistances.
Les profs se serraient les coudes, et ceux qui se veulent RRRRRépublicains, qui sacralisent l’institution scolaire, qui font la chasse aux filles à foulard, n’étaient pas les derniers à pousser des cris de putois !
La sacralisation de l’institution, l’idée que l’institution doit être « SANCTUARISEE », c'est-à-dire ne pas fonctionner selon les règles qui s’appliquent au commun des mortels, cette idée là, elle fait partout des ravages dévastateurs.
Elle est dévoreuse d’humanité.
Et Ségolène devait s’occuper elle-même de la chose, subir courageusement nombre d’attaque, voir avec Elisabeth Guigou, alors Ministre de la Justice, comment faire pour arrêter la ronde infernale des déplacements qui permettait aux prédateurs d’agir en toute impunité à XXX, après l’avoir fait à YYYY.
Et le dernier méfait de cette sacralisation de l’institution, c’est de se défausser quand on est pris la main dans le sac.
Il y a eu la comparaison ignoble entre les critiques faites, face aux silences passés, à la stratégie de « défendre l’institution d’abord » du cardinal Ratzinger, et…. l’antisémitisme
Et puis il y a maintenant les propos du N° 2, reliant la pédophilie à l’homosexualité. Alors là, je trouve ça franchement dégueulasse.
Je le dis comme je le pense.
Moralité : les institutions sont nécessaires à l’ordonnancement humain, mais elles courent toujours le risque d’être destructrices d’humanité.
Qu’elles soient religieuses ou séculières, ne soyez pas déférents à l’égard de l’institution
Conserver votre libre-examen
N’imposez pas à autrui un fardeau institutionnel
Et, surtout, ne croyez pas ceux qui prétendent que l’institution qui est l’objet de leurs croyance doit être « sanctuarisée »
On peut être sûr qu’une institution sanctuarisée, c’est un masque pour permettre la destruction de l’homme par l’homme.
09:59 | Lien permanent | Commentaires (18)
06/04/2010
la partialité du Rapport de la Mission Parlementaire sur le voile intégral....dévoilée!
Quand on étudie le rapport présenté par la Mission parlementaire sur le voile intégral et les différentes auditions, on fait une surprenante découverte dont je voudrais vous faire part, amis blogueurs.
Cela d’autant plus qu’une loi d’interdiction est toujours à l’ordre du jour.
La Mission indique que « le principe de laïcité est en lisière du débat ». Il s’agit d’un « principe moteur dans la construction de notre vivre-ensemble » Il « oblige l’Etat mais aussi les citoyens ».
André Rossinot, maire de Nancy, auteur d’un précédent rapport est cité : « la laïcité est d’abord un idéal avant d’être une norme juridique ». Cela permet à la Mission d’effectuer une distinction.
En effet, reconnaît-elle, à « l’unanimité des professeurs de droit auditionnés » ont affirmé que « le port du voile intégral dans l’espace public n’est pas, en soi, une atteinte au principe de laïcité juridiquement parlant ».
Cette formulation alambiquée, permet de dégager de la laïcité juridique non mise en cause par le port du voile intégral (les « individus sont libres de manifester leurs convictions religieuses ou spirituelles à partir du moment où ils respectent autrui ainsi que l’ordre public »), une autre laïcité, « la laïcité au sens philosophique du terme », « l’esprit du principe de laïcité » qui serait, selon la Mission, « manifestement malmené ».
Car la Mission interprète la laïcité avant tout comme « la neutralité de l’espace public » alors qu’elle est aussi la séparation, la liberté de conscience et l’égalité entre citoyens.
Cependant, pour promouvoir son point de vue, la Mission dite « d’information » ne cite que les personnes auditionnées qui ont défendu l’interdiction, sans rien rapporter des auditions de représentants d’associations laïques importantes et de personnalités qui ont soutenu la position inverse.
Ce choix partial est d’autant plus significatif qu’une parlementaire de la Mission, Sandrine Mazetier a déclaré lors d’une audition : « Je trouve intéressant que les associations laïques aient des approches aussi claires et aussi divergentes sur [la] question » du voile intégral.
Mais la Mission fait silence sur ces divergences et, à lire le rapport, on peut croire qu’un point de vue unanime s’est dégagé.
Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’à part le Grand Orient, les associations laïques pour l’interdictions sont récentes :
à une exception près, elles ont été créées après 1989 et donc dans l’optique d’un conflit entre la laïcité et un certain islam. Elles ont d’ailleurs relativement peu de membres chacune, mais leur nombre peut faire illusion.
Les associations laïques « historiques », quantitativement nettement plus importantes refusent une interdiction faite au nom de la laïcité.
Les citations faites par la Mission pour affirmer que la « laïcité philosophique » est « malmenée » sont parfois vagues : « L’interdiction du port du voile intégral (…) doit être prononcée au nom de notre ordre public laïc (sic), qui garantit les libertés individuelles et préserve les opinions d’autrui » déclare Hubert Sage[1]
Elles connotent une conception de la laïcité « exception française » et une interprétation à la rigueur de la loi de 1905.
« C’est notre République, notre Etat de droit, notre laïcité qui se trouvent attaqués. Or le principe de laïcité est inscrit dans la Constitution (…). Nous devons être fiers de ce principe de laïcité qui est propre à la France », affirme Yvette Roudy, ancienne ministre socialiste, tandis que le journaliste[2] Antoine Sfeir renchérit : « la loi de 1905 est parfaitement claire et sépare de façon tranchée, la sphère publique et la sphère privée », tout en indiquant que la laïcité « doit être généreuse, ouverte, partagée. »
(il y a là une confusion entre l’espace public et la sphère publique, qui se rapporte aux institutions)
Quant à Patrick Billaud, vice président du Grand Orient de France, il se situe dans l’optique d’une laïcité de foi civile : « dans l’espace public, la liberté individuelle doit s’exprimer dans les limites culturelles de la communauté nationale à une période donnée. »
Tout ce que je viens de citer est extrait du rapport.
D’une manière générale, les partisans d’une interdiction insistent
- sur la conception française de la « citoyenneté », « la montée des communautarismes », l’importance de mettre l’accent sur ce qui « rassemble (…) plutôt que sur ce qui, en accentuant les divergences, détruit le contenu même de la citoyenneté » (Philippe Foussier, Comité laïcité République) ;
- sur « l’invasion de la sphère publique par des signes religieux » alors qu’il faut « pouvoir continuer à penser librement sans publicité religieuse agressive » (Yves Pras, Europe et laïcité). Jean-Michel Quillardet (Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires) affirme, de son côté : «la vision d’une burqa dans la rue porte atteinte à ma propre liberté de conscience. »
L’exposé le plus radical est celui de Pascal Hilout, de Riposte laïque, qui affirme que « des pratiques sociales, dites islamiques, issues des enseignements du Coran et de Mahomet, ont peu de respect pour les êtres » et ajoute: « il faut tout refuser aux musulmans en tant que groupe communautaire et tout garantir aux musulmans en tant qu’individus et citoyens ».
Il s’agit une paraphrase du propos de Clermont-Tonnerre sur les juifs en 1791[3]. Comme il est très souvent cité, cela vaut la peine de donner quelques précisions.
On peut noter qu’en 1791 cette conception ne s’appliquait nullement aux catholiques (Constitution civile du clergé) et qu’elle s’est accompagnée à l’égard des juifs d’un double jeu caractéristique de l’attitude dite « républicaine » envers les minorités.
Elle réclame que leurs membres se comportent en individu abstrait, tout en ayant (implicitement) souvent une attitude « communautariste » à leur égard : contrairement aux autres, les juifs ne furent pas autorisés à prêter le serment de citoyenneté comme individu mais seulement à titre collectif représenté par une délégation composée du rabbin et des dirigeants.
De plus, les juifs ont dû s’organiser collectivement pour arracher leurs droits.
Plusieurs groupements laïques « historiques », tout en se montrant hostiles au port du voile intégral, ont estimé impossible de l’interdire au nom de la laïcité.
Pour l’Union des familles laïques[4] « le principe de laïcité doit rester cantonné à la sphère de l’autorité publique : l’étendre à la société civile serait un contresens et reviendrait à l’affaiblir » (Marie Perret)[5].
Marc Blondel, de la Fédération de la libre-pensée, partage cet avis, et ajoute une vigoureuse défense des libertés publiques : « Les dictatures ont toujours voulu imposer des modes vestimentaires. » L’interdiction du voile intégral (sauf dans des lieux comme l’école publique et pour les agents du service public) « est attentatoire aux libertés individuelles et démocratiques. »
Pour Blondel, la laïcité n’est pas « un art de vivre -elle s’apparenterait alors à une religion- mais un mode d’organisation politique des institutions. Elle vise, par la séparation des Eglises et de l’Etat, à distinguer institutionnellement le domaine de l’administration et des services publics de celui de la vie privée des citoyens. (…)
Il appartient aux femmes et à elles seules de déterminer leur comportement. »
Selon Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’enseignement, il ne faut pas recourir à une loi, texte «d’exorcisme (…) à la rédaction improbable et à l’application incertaine ».
« Bien plus ajoute- t-il, il ne s’agit pas d’une question de laïcité. »
Ducomte précise : « la Turquie kémaliste a édicté de nombreuses interdictions, notamment sur le terrain vestimentaire. Je ne suis pas sûr qu’une logique d’interdiction portée au bout des canons ait été de nature à faire changer la société turque. » « Oh que si ! », l’interrompt le député Jacques Myard.
Ducompte conclut alors : « Dans l’histoire, quand la laïcité a été altérée, c’est souvent que l’armée est intervenue. J’avoue que, dans ma conception, la laïcité va avec la démocratie. Une démarche laïque ne saurait être liberticide. »
Cet intervenant a précisé qu’en fait le port du voile intégral ne relève pas de la laïcité, « c’est une question de sécularisation ». Et il s’interroge sur « l’aptitude de la société française à ‘digérer’ certaines situations ».
Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, reprend la perspective de la sécularisation : « le phénomène du voile intégral reflète-t-il la montée de l’intégrisme ou est-il plutôt l’expression d’un sursaut désespéré face à une large sécularisation des sociétés de culture islamiques ? »
En France, pour ce qui concerne les « jeunes filles issues de l’immigration » « le pourcentage de filles qui font des études longue augmente, de même que le pourcentage de femmes qui sont autonomes financièrement. Enfin la fécondité des femmes diminue. Ces données sont incompatibles avec la thèse de l’augmentation de la mainmise de l’intégrisme islamiste ».
Le port du voile intégral témoignerait alors avant tout « d’un mouvement de crispation face à la sécularisation ».
Des personnalités qui sont considérées comme le fer de lance de la « laïcité républicaine » se sont montrées réservées ou hostiles à une loi.
Henri Pena-Ruiz se demande « quelle loi, et avec quels attendus ? La question est difficile au regard du régime des libertés publiques et la laïcité ne peut être invoquée sinon par l’affirmation du primat de la loi commune à tous sur les lois particulières à des communautés, en ce que ces lois peuvent consacrer des formes d’assujettissement. »
Pena Ruiz conclut qu’il faut « étudier la possibilité d’un dispositif soigneusement pesé ».
Caroline Fourest, après avoir dressé un tableau de « l’islam politique » estime « qu’adopter une loi interdisant le port du voile intégral serait faire un cadeau à la propagande intégriste. L’argument de la liberté ne doit pas être utilisé, au risque de la faire passer pour un instrument de lutte contre les libertés individuelles. »
On irait alors « vers une laïcité autoritaire qui produirait plus d’effets pervers que d’effets positifs ».
Rien de ce que je viens de citer ne se trouve dans le rapport
(je ne vous ai pas mis de citation de ma propre intervention, je l'ai déjà publiée en intégralité dans ce Blog)
***
Il s’est donc manifesté diverses conceptions de la laïcité dite « philosophiques », aboutissant à des positions divergentes sur la nécessité d’établir une loi. C’est ce que cache le rapport de la Mission.
La situation n’est pas sans analogie avec la période 1899-1904 dont il a déjà été question dans ce Blog.
Des arguments analogues à ceux de cette époque sont invoqués pour durcir la laïcité française contre une partie de la population. Un engrenage risque de s’instaurer. Mais le cercle de celles et ceux qui, pour des raisons diverses, s’inquiètent ou s’opposent à ce durcissement s’est élargi.
[1] Au nom de l’Association des Libres penseurs de France, petite association dissidente de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, créée en 1995.
[2] Et vice président de l’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires
[3] « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tous leur accorder comme individus. »
[4] Cette dernière association disant « clairement non » à une interdiction au nom de la laïcité, tout en se prononçant pour une loi d’interdiction car « le voile intégral est le symbole intolérable de la soumission des femmes ».
11:54 Publié dans Laïcité et crise de l'identité française | Lien permanent | Commentaires (12)