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21/04/2010

Debat (amical) avec la LIBRE-PENSEE:

 « Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »

 

Dernière minute:

Sarko Ier, à droite toute, après nous avoir sorti son 13245ème discours sur la sécurité ("vous allez voir, ce que vous allez voir"!) veut une loi qui interdit partout le "voile intégral"

 

 Reportez  vous aux Notes du 21.10; 28. 10; 25. 11; 24. 12; 2009 et 26. 1; 31. 3, 6. 4 2010 sur le problème (et ce n'est sans doute pas fini !!)
 

 

Dans le mensuel de la Libre pensée, La Raison (n° 550, avril 2010, Germinal CCXVIII), Jean-Marc Schiappa donne, dans la rubrique « Antidogmatique », un substantiel compte-rendu de la 7ème édition de mon « Que sais-je ? », sur l’Histoire du protestantisme

(un des livres dont j’avais, par ailleurs, complètement oublié de signaler la réédition aux Internautes. Il en est de même de 2 autres de mes ouvrages :

-         Un christianisme profane ?, paru aux PUF, et

-         La morale laïque contre l’ordre moral paru au Seuil,

Tous les 2 réédités, en 2009, par la maison d’édition Archives Karéline).

Comme l’occasion fait le larron, j’en profite honteusement !

 

Le compte rendu  de Schiappa commence de façon un peu polémique : « Jean Baubérot (qui n’est pas de nos amis, loin s’en faut) a publié… », et il continue de façon positive :

« Ouvrage heureux. Critiquable (mais quel ouvrage ne l’est pas ?) et heureux, parce que bien au-delà des critiques et des différences d’appréciation, un tableau certes schématique mais complet se fait jour. »

Effectivement :

Traiter en 118 pages (+ présentation, bibliographie et tables des matières, on en arrive aux fameuses 128 pages de la collection "Que sais-je ?") de 5 siècles d’histoire du protestantisme mondial, l’ambition est de donner un schéma, le plus pertinent possible, mais certes pas une œuvre érudite.

 

Suit un compte-rendu qui correspond tout à fait à ce que j’ai voulu indiquer dans ce Que sais-je :

-         d’une part le paradoxe de « l’esprit » du protestantisme, à la fois religion et par certains côtés destructeur de religion, aspect sur lequel JMS. insiste avec justesse ;

-         d’autre part le protestantisme dans son déroulement historique avec sa part d’ombre et de lumière :

« A quelques lignes de distance, Baubérot évoque l’apartheid raciste et l’antiraciste Martin Luther King, tous deux convoqués au titre du protestantisme (p. 111). »

Bien sûr puisque ces 2 réalités historiques importantes ont invoqué le protestantisme pour se légitimer.

Faire l’histoire du protestantisme n’est ni effectuer son apologie, ni le dénigrer.

 

L’article de Schiappa se termine en citant l’extrait d’une de mes phrases finales : « comment  se renouveler ? »

Pour lui, il s’agit de « l’angoisse existentielle du protestantisme » : «jusqu’où peut-il aller dans le renouvellement ? » et JMS ajoute 2 autres questions :

« Est-il possible d’être libre et de croire ? Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? » Il finit en déclarant : « De ce débat, les libres-penseurs veulent être totalement partie prenante. »

 

C’est cette invitation au débat que je voudrais reprendre.

Mais, auparavant, je voudrais donner la totalité de la citation : elle est longue et je comprends tout à fait que Schiappa en ait tirer un extrait, mais celui-ci tire l'auteur vers l'expression d'une une logique convictionnelle, où il se demanderait, avec « angoisse » comment renouveler sa propre religion-anti-religion.

 

Et, si j’ai bien compris JMS, il s’agirait de se demander jusqu’où peut-on aller dans la non-croyance en restant protestant

(si c’est cela, je précise tout de suite que ce n’est absolument pas mon problème : on verra pourquoi).

Or il me semble que la totalité de la citation montre qu’il s’agit bien davantage d’une question qu’un historien, quelle que soit ses convictions, pourrait poser au protestantisme, en tant que groupe social, après avoir étudié sa socio-histoire.

 

Voilà donc comment ce petit ouvrage sur l’Histoire du protestantisme (mondial) s’achève  (p. 122):

« Plus généralement, il semble, du point de vue de l’historien, que la contribution active du protestantisme à la production historique de certains aspects des sociétés modernes pose deux problèmes fondamentaux à cet ensemble confessionnel :

-Quelles réponses apporter à l’agnosticisme social implicite véhiculé par la forme de rationalité instrumentale propre à la civilisation postindustrielle ?

-Comment, après avoir participer à l’émergence de l’Occident moderne, se renouveler pour être toujours présent et actif à une époque où des aspects importants de cette civilisation s’intègre dans un mouvement pluriculturel de globalisation ? »

 

Cela précisé, les 2 questions m’intéressent, à distance de la manière dont elles concernent le protestantisme en tant qu’ensemble diversifié de groupements car, comme Schiappa le relève, j’indique qu’ « il n’y a pas de « protestantisme » mais des « protestantismes » (p. 7). »

 

Mon point de vue comporte 3 points de départ :

 

Premier point de départ : « Etre libre » n’est pas une mince affaire, que l’on se dise « croyant » ou « non-croyant ». Etre libre, où plus exactement tenter de se libérer, est une entreprise constante où il faut soigneusement veiller à ne pas baisser la garde.

 

Second point de départ : il me semble effectivement plus intéressant de poser le problème en terme de « croyance » que de religion : les croyances ne sont pas seulement religieuses, loin s’en faut. Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un dont je puisse penser qu’il soit hors de toute croyance.

 

Troisième point de départ : pour ce qui me concerne, je ne suis ni englobé par mon protestantisme, ni un protestant un peu honteux de l’être, et qui (en quelque sorte) s’excuserait d’être protestant.

Je suis protestant et, en même temps, agnostique sur plein de questions où le monde actuel déborde de croyants et de croyances.

C’est pourquoi, d’ailleurs, je peux être protestant convaincu et membre de l’Union rationaliste, et être autant à l’aise et distancié, conservant mon « libre-examen », dans les 2 milieux.[1]

J’ose même penser qu’il ne m’est pas plus difficile « d’être libre et de croire » que quelqu’un qui a des convictions athées, ou qui est complètement indifférent en matière de croyances religieuses.

 

Abordons les 2 premiers points ensemble et ensuite le  3ème. En effet, la Libre-pensée est engagée dans un dialogue avec des « protestants libéraux » (La Raison, n° 547, janvier 2010 et n° 550, avril 2010).

Or, manque de pot, les protestants libéraux, je les aime bien, mais ce n’est pas ma « paroisse » pour dire les choses avec humour.

Et il me semble que c’est cela qui dérange un peu.

 

Le point fondamental est de savoir si les croyances sont réductibles à celles dont le contenu est explicitement religieux.

S’il n’existe de croyances que religieuses, les autres, ceux qui ne croient « ni à Dieu ni à Diable » peuvent se croire dans la pure connaissance et poser, de l’extérieur, la question : « Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »

 

Or, dés la construction de la sociologie en démarche scientifique, il a fallu avoir une conception plus large de la croyance. Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, le vieux Durkheim (que certains accusent pourtant de « scientisme ») notait :

 

« Une société ne peut ni se créer, ni se recréer sans, du même coup, créer de l’idéal. Cette création n’est pas pour elle une sorte d’acte surérogatoire, par lequel elle se complèterait une fois formée ; c’est l’acte par lequel elle se fait et se défait périodiquement. »

Il précise à ce sujet qu’il n’existe pour lui aucune « différence essentielle » entre « une assemblée de chrétiens (…) ou de juifs (…) et une réunion de citoyens commémorant l’institution d’une nouvelle charte morale ou quelque grand événement de la vie nationale »

  

Et il indique par ailleurs :

« La science, si loin qu’on la pousse reste toujours à distance de l’action. La science est fragmentaire, incomplète ; elle n’avance que lentement et n’est jamais achevée ; la vie elle, ne peut attendre. Des théories qui sont destinées à faire vivre, à faire agir, sont donc obligées de devancer la science et de la compléter prématurément. »

 

A mon avis, Durkheim pointe là, 2 types différents de croyances :

 

- Celles qui concernent des réalités supra empiriques, symboliques, transcendantes  (non pas que l’empirique soit absent, au contraire, il existe ne serait-ce que de façon indirecte, mais l’important est la signification que cela revêt pour l’individu, sa « foi »[2] dans sa croyance) :

C’est ce que l’on peut appeler les « convictions » qu’elles soient religieuses, philosophiques, morales dans leur contenu, Durkheim indique qu’elle fonctionnent de la même manière.

Et, depuis de nombreux travaux sociologiques ont confirmé cela.

 

- Celles qui sont immanentes et concernent au premier chef des réalités empiriques, des problèmes concrets.

Aussi bien dans la vie quotidienne que dans la vie politique et sociale, ces croyances  doivent remédier sans cesse à l’aspect « fragmentaire » et, on le sait maintenant plus que du temps de Durkheim, incertain des démarches scientifiques.

Durkheim indique déjà indirectement d’ailleurs cet aspect incertain : si la science « n’est jamais achevée », c’est qu’elle n’atteint jamais la certitude, la certitude globale, ce qui ne signifie pas (et c’est important) qu’il n’existe pas des quasi-certitudes locales.

 

Ces 2 types de croyances sont en rapport étroit chez tous ceux qui ont des convictions fortes.

Si vous avez des croyances morales, philosophiques, religieuses fortes, elles vont intervenir dans votre vie quotidienne.

Et longtemps, l’imposition de croyances transcendantes (il n’y a pas si longtemps dans l’Espagne de Franco, où le catholicisme était religion d’Etat ; et aujourd’hui en Iran par exemple) faisait qu’elles étaient des croyances sociétales et intervenaient directement dans les décisions de la vie politique et sociale.

 

Après des siècles de combats, pour le droit à être « hérétique », « mal pensant », « incroyant » de telle ou telle croyance politiquement imposée, etc, la laïcité a consisté à dire que l’individu ne pouvant, de toute façon, être contraint à croire dans croyances transcendantes dans son « fort interne »,

(c'était cela le problème dont la laïcité a été la solution)

 l'individu devait avoir le droit de manifester extérieurement ses croyances, sans les imposer aux autres.

Et, actuellement, d’ailleurs, nous nous retrouvons dans un combat commun, la Libre-pensée, et beaucoup d’autres dont moi-même, face à ceux qui voudraient transformer la laïcité en l’inverse, et refouler ce type de croyances dans le fort interne.

 

Mais, comme l’indique Emile Poulat, la « solution laïque » a « ses problèmes », elle n’est pas (naturellement) la venue du Paradis sur terre !

Elle n’a pu vraiment séparer du politique que les croyances dont le contenu était le plus transcendant, le plus éloigné des réalités empiriques : disons (pour faire bref) les religions et les philosophies de type plus ou moins spéculatif.

La séparation de 1905, c’est la séparation des Eglises et de l’Etat, mais aussi de la Libre-pensée et de l’Etat ; bref de l’ensemble des « religions et convictions » pour parler comme la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et la Convention  européenne de droits de l’Homme et des libertés.

 

(Ce fut tout l’enjeu du débat entre les 2 libres-penseurs Allard et Briand.

Et dans le très intéressant ouvrage de J.M. Schiappa a dirigé sur la loi de 1905 (1905 ! La loi de séparation des Eglises et de l’Etat, Ed. Syllepse2005) il est plusieurs fois indiqué que la séparation d’Allard était « antireligieuse ».

Et la Libre-pensée a proclamé, à plusieurs reprises, se situer dans la filiation de Briand.)

 

Reprenons le fil du propos :

Ce qui relève de la philosophie politique ou de la morale, bien que n’appartenant pas à l’ordre des connaissances de type scientifique a du rester dans l’ordre commun, justement parce qu’on a besoin, comme société, de « théories » (et c’est significatif que Durkheim emploie ce terme, alors qu’il est en train de nous parler de croyances) qui permettent les décisions politiques, l’action collective, la vie sociale.

Cela de façon rapide, voire immédiate, alors .que la science « n’avance que lentement » et reste toujours « fragmentaire ».

 

A suivre.

J’espère que vous arriverez à survivre à ce suspens insoutenable.

(pour le rendre un peu plus vivable je lance le terme de « démocratie » comme étant un élément de solution du problème, mais pas la recette miracle pour autant !)

Comme « l’espoir fait vivre », je vous indique que, dans la seconde partie de ce débat avec la Libre-pensée, je vous parlerai de choses passionnantes, comme les travaux Gérald Bronner sur la prolifération des croyances collectives dans les sociétés modernes.

Etc.

Bonne (fin de) semaine : si vous êtes en vacances (ailleurs qu’en Islande), soyez sur votre petit nuage !

Et grosses bises à celles qui surfent sur le Blog. Je vous embrasse toutes.



[1]  Je précise que j’ai adhéré à l’UR quand les statuts ont été changé et n’impliquaient plus donc pour moi de renonciation à mes ‘convictions protestantes’. Comme j’estime important de prôner la rationalité. ;

[2] et la « foi » est intiment liée à la « confiance » : c’est d’ailleurs la même racine.

Commentaires

Les vraies notions qui ne sont pas hypocrites, comme le libre examen et la laïcité, sont celles d'examen libre et de Séparation, et mon article "laïcité et séparation" est toujours valable.

Inutile donc de nous raconter le libre examen qui est une idée religieuse et célricales des remonstrants de Jacobius Arminius contre les calvinistres ayant mené à une guerre civile sanglante.

Écrit par : Sarlat | 22/04/2010

mais non, justement, en ce qui concerne les vacances, c'est en Islande qu'on serait le plus tranquilles : c'est seulement au bout d'une semaine que les aéroports islandais ont dû fermer, après tous les autres aéroports européens : ils sont malins, les Islandais ...ils ont envoyé leur fumée chez les "autres" ...

plus sérieusement : je suis contre la notion même de religion d'état, principalement pour des motifs théologiques, mais dans certains pays, il y a à la fois une religion d'état ET la liberté religieuse : tiens, en Islande, justement, le protestantisme luthérien est religion d'état, de même qu'au Danemark ..... il ne me semble pas qu'on puisse comparer ces pays ( quoique .. en ce moment .. pour l'Islande ... juste pour nous "venger" du nuage de cendres lol ) avec l'Espagne de Franco ou l'Iran actuel ...
en Suède, la séparation entre l'Eglise ( luthérienne, qui était aussi religion d'état ) et l'Etat n'a eu lieu qu'en 2000, et il ne me semble pas que les Suédois ait vécu sous une dictature cléricale .. on pourrait dire la même chose pour l'Angleterre, qui a aussi une religion d'état .... en même temps, il y a une très grande liberté religieuse ...
Pour moi , ça ne "justifie" pas l'existence même d'une religion d'état, mais on a l'impression que la religion n'a pas un rôle politique aussi important au Royaume-Uni, par exemple, qu'aux Etats-Unis où il n'y a pas de religion d'état, mais une confusion quand même assez surprenante ( pour moi en tout cas ) entre le politique et le religieux ....comme quoi, la religion peut être envahissante même dans un pays où, officiellement, il y a séparation entre l'Eglise et l'état .... curieux .....

Écrit par : Françoise | 25/04/2010

Si l’on résume et si l’on comprend bien le raisonnement de Mr Baubérot, il y aurait deux types de croyances:
Celles qui sont immanentes liées aux incertitudes inhérentes à la démarche scientifique et celles qui sont transcendantes résultant d’une « foi » et de « convictions ».
Les secondes devaient être protégées dans leur expression par l’exercice de la laïcité sous prétexte qu’elles sont du même type que les premières.
Si les croyances de premier type sont tout à fait « défendables » du fait qu’elles viennent combler un vide de la connaissance a un moment donné dans la progression de la science, qu’en est-il des secondes qui ont toutes les peines du monde à accepter leur mise en cause par les avancées de la science et de la connaissance ?
Est-il contestable que la multiplication à l’infini de ses croyances dans les différentes parties du monde et dans les différentes époques, montre a coup sur que cela correspond à un besoin fondamental des hommes, et que cette même multiplication décrédibilise chacune d’elles ?
La mission de la laïcité qui a d’abord été d’empêcher que l’on impose l’une de ces croyances, puis que l’on protège l’expression de chacune d’elles, est-elle de protéger à tout prix les « croyances non crédibles » d’un point de scientifique et rationnel ??????
Quand à la liberté qui peux prétendre être libre lorsque notre façon de penser dépend tellement de notre environnement présent et passé. Mr Bauberot aurait-il des sympathies protestantes s’il était né à Bombay ?

Écrit par : Roger | 25/04/2010

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