28/05/2010
ELOGE DU DOUTE ET D'UNE CERTAINE MANIERE DE CROIRE
Attention : Note réservée à un public averti : moins de 18 ans d’âge mental s’abstenir.
(Cette Note et la suite et la fin de mon dialogue avec J.-M. Schiappa, de la Libre pensée ? Cf. la Note du 20 mai)
Le doute peut conduire :
-Sur beaucoup de points, à de l’agnosticisme plus ou moins prononcé, notamment tout ce qui concerne des réalités vérifiables, mais que l’on a ni le temps ni la compétence de vérifier, et où son opinion serait dépendante du savoir ou du pseudo savoir (allez savoir !) d’autrui, donc d’une foi d’autorité.
Pour ma part, je suis douteur sur beaucoup de points qui semblent évidents, soit à mes contemporains, soit à la couche sociale des intellos, soit à mes diverses familles de pensée,...
-Sur d’autres points, l’agnosticisme est impossible dans la pratique, car existe la nécessité de prendre des décisions pratiques, et l’impossibilité de vérifier scientifiquement la validité des décisions prises.
Donc l’idée est d’accepter (en gros) les croyances reçues jusqu’à preuve du contraire, tout en tentant quand même de trier un peu pour tenter de prendre les moins bêtes, et d’être prêt à changer d’avis quand une qui semble plus intelligente se présente.
L’idée, aussi, est de savoir que l’on ne sait pas, donc de savoir que l’on est forcément dans la croyance plus ou moins stéréotypée, faute de mieux et peut-être temporairement. Bref, d’être ouvert à des idées neuves.
-Sur d’autres points encore, mais dans des champs forcément limités, étant donné le temps, l’énergie, la compétence, et également la solitude intellectuelle que cela demande, en vous coupant des croyances de vos contemporains (mais c’est aussi le cas de l’agnosticisme déjà décrit) d'entreprendre une démarche de connaissance.
Cette démarche vous fait prendre quelque distance avec des croyances stéréotypées, des croyances dominantes… et souvent aussi avec la bêtise ou la médiocrité ambiante.
L’essentiel est qu’il existe au moins un domaine où votre savoir ne soit pas dépendant d’autrui. Ne serait-ce que parce que cela vous apprend ce que c’est que le savoir (à quel point, "ce n’est pas de la tarte" d’acquérir un peu de savoir !).
Et donc, cela vous apprend aussi, pour tout le reste, à savoir que vous ne savez pas. Cela vous apprend le doute méthodologique, art de vivre fondamental.
-Mais, vivre avec le doute méthodologique chevillé au corps n’est guère facile, ni socialement tenable.
Parfois il faut accepter d’être un pratiquant (occasionnel) non croyant des stéréotypes sociaux, par compromis avec the famous « vivre-ensemble ».
Tel qu'on l'invoque aujourd'hui ce "vivre-ensemble" est, en fait, souvent, un compromis avec le conformisme moyen de la société ambiante en général, et aussi parfois de la bêtise satisfaite de ceux qui ont le pouvoir (économique, politique, culturel, etc) en particulier.
Bref, il est assez normal de ne pas avoir envie de se faire tout le temps jeter, de passer pour un asocial ou un fou. Même Galilée a accepté un compromis !
Alors, il faut vaguement reprendre à son compte quelques stéréotypes. Cela rassure autrui, et fait partie de l’éthique compassionnelle, de la nécessité d’être bienveillant envers les handicapés du bulbe.
Mais cela n’empêche pas de garder son quant à soi et d’entretenir soigneusement le doute intérieur au sein même de cette pratique sociale plus ou moins obligatoire :
un peu comme les Marranes espagnols ou les Nouveaux catholiques de la France de Louis XIV
(il s’agit des protestants qui faisaient semblant d’être catholiques, puisqu’on les obligeait à vivre selon le principe « Une foi, une loi, un roi. Et, vous savez quoi, les choses n’ont pas totalement changé depuis lors.)
-Mais, attention, point trop n’en faut et la vigilance s'impose : c’est que, vous leur donnez la main, ils veulent tout le bras, les cons !
Et quand ils ont le bras, ils vous réclament tout entier, corps et âme. Ils ne se contentent pas de cette conformité occasionnelle, ils voudraient que vous leur ressembliez, les petits salauds !
Ils ne sont pas complètement rassurés tant qu’ils ne vous ont pas réduit à leur propre bêtise. Il faut que vous soyez pareil à eux, avec les mêmes œillères, les mêmes angles morts. Ils vous veulent mouton de Panurge, pour pouvoir croire qu’il n’y a pas d’autre manière de vivre que le troupeau.
Ils n’assument pas la partialité de leur être.
C’est d’ailleurs précisément en cela qu’ils sont un peu bêtes (et méchants de surcroît) :
s’ils assumaient la partialité de leurs « idées », ils ne seraient plus dans des stéréotypes sociaux, mais s’aventureraient peu ou prou dans l’itinéraire d’une pensée personnelle.
C’est donc moins une affaire de contenu que de forme. Comme l’a très bien (presque) dit un grand philosophe contemporain : « On peut communier aux valeurs républicaines, mais pas avec n’importe qui »
-Alors, pour ne pas risquer l’accoutumance à la pire des drogue : la conformité sociale bête (et méchante envers tous les minoritaires, les non conformes), tout à coup, de temps à autre, une « saine » colère vous prend :
vous rompez la communion factice et ambiguë avec ceux qui instrumentalisent honteusement les dites valeurs, et/ou retournent leurs vestes avec une facile amnésie sur ce qu’ils ont dit et fait (qui vous déconcerte toujours !).
Attention, en effet, à ce que la gentillesse ne vous rende pas prisonnier du conformisme ambiant.
La bêtise a toujours de solides barreaux. Il y a va de votre survie, il y va de votre liberté, même si la douceur totalitaire de l’extrême centre, de l’extrême stéréotype, de l’extrême évidence satisfaite, peut être bien tentante et induire reconnaissance sociale et notoriété.
-Mais ces moments de lucidité créent toujours peu ou prou de la gène sociale, il sont affectivement, physiquement, socialement très coûteux, alors disposez de votre arme secrète :
vivre un peu décalé, prendre les choses au troisième degré et non au second comme tous les intellos de mes deux.
Le second degré, c’est (pour les Français, les autres trouveront des équivalents) de préférer Arte à TF1, en écoutant Arte au 1er degré, en croyant qu’on a là des « bonnes émissions » de télévision, de l’information « sérieuse », et tout le baratin que peut vous faire très sérieusement l’intello lambda (c'est 10% exact et 90% faux).
Le 3ème degré, consisqte à préférer TF1, mais pas au 1er degré bien sûr. Le 3ème degré, c’est de bien rigoler en regardant les films que Télérama prend avec des pincettes, et auquel ce magazine (à lire par ailleurs) ne met pas le moindre T, sauf quand ces films ont 30 ans, ou 40 d’âge (eh oui, vérifiez !).
L’art de vivre au 3ème degré, c’est de savoir qu’on perd moins son temps à s’intéresser aux extravagance de Lady Gaga qu’à prendre au sérieux la prose d’Elisabeth Badinter. D’abord c’est plus fun, ensuite c’est moins nocif. Et, dans le genre, c’est plus réussi.
Entre une pseudo intello show-biz et une vraie star du show-biz, choisissez la seconde. Mais, bien sûr, sans être dupe : le troisième degré vous dis-je.
-Et en même temps, sachez ne pas sacraliser votre attitude : on est souvent plus intelligent à plusieurs que tout seul.
Laissez-vous contester, accepter que l’on vous rentre dans le chou, ruminez les propos de ceux qui trouvent que vous exagérez.
Et puis, triez : mettez dans la corbeille à papier tout ce qui, décidément, vous paraît refléter la pensée moyenne, et faites votre miel de tout ce qui a rééquilibré votre partialité, de tout ce qui vous permet d’être plus dialectique, d’avoir une vue plus large des choses.
Tout ce qui vous permet de récupérer les éléments que vous avez été plus ou moins obligé de laisser en plan pour vous concentrer sur les angles morts.
-Enfin le gâteau doit obligatoirement avoir sa cerise : cette cerise, c’est d'avoir un peu d’humour sur soi-même : que votre doute, votre non-conformité soit votre instrument mais ne devienne jamais votre maître.
Ne vous laissez pas prendre à votre propre jeu.
Ne CROYEZ ni à votre doute, ni à vos contestations. Ne les transformez pas en certitudes à quatre sous. Sachez vous distancier de vous-même, vous regarder d’ailleurs en vous trouvant parfois un peu grandiloquent ou ridicule.
Voilà, Cher Monsieur Schiappa, l’art du doute que je tente de cultiver, pour devenir, jour après jour, effectivement un peu libre, sans me CROIRE totalement libre pour autant.
Et, peut-être, sur le plan « spirituel », religieux ou philosophique, éthique ; bref sur les réalités supra-empirique, non vérifiables au niveau d’une démarche de connaissance[1], cette liberté se trouve liée à une croyance assumée, à une « profession de foi ».
Je vous le dis, puisque c’est là-dessus que vous m’avez interrogé.
Je suis protestant de naissance et dans mon adolescence, j’ai été tenté un temps me convertir au catholicisme, attiré par le judaïsme, pour lequel j’ai toujours beaucoup de sympathie.
Un peu plus tard, j’ai été agnostique, en gros de 1967 à 1975, puis suis redevenu protestant, autrement que par ma foi reçue.
C’est dire qu’il me semble être relativement au clair sur ce que je crois, et pourquoi.
Ce qui est idiot, c’est que (étant toujours au Japon, of course) j’ai oublié d’emporter avec moi, votre article de La Raison, point de départ de ces 3 Notes.
J’ai le souvenir, qu’à un moment donné, il était question du « Seigneur » (=Dieu), dans le sens où (si j’ai bien compris, je regrette de ne pas avoir le texte sous les yeux et je ne voudrais pas déformer) si on a un « seigneur », on ne peut pas être libre.
Là-dessus, il y a maldonne entre nous car je suis très proche de la théologie de la croix de Luther = le Seigneur, il meurt crucifié et abandonné, renié par Pierre (le symbole de l’Eglise !).
Avouez que, comme dominateur, on a trouvé beaucoup mieux, avant et après !
Ma religion ne m’interdit aucun doute, aucune mise en question, et en tout cas pas d’être le plus rigoureux possible quand je suis dans une démarche de connaissance.
Bien au contraire car en fait, le seul interdit c’est, pour employer un terme théologique, « l’idolâtrie », donc le fait de me prosterner (mentalement) devant une interprétation de la réalité, une puissance, etc.
Bref, de faire allégeance à quoi que ce soit.
C’est donc l’exigence de ne rien absolutiser, de conserver toujours un sens critique. Je CROIS donc qu’il s’agit d’une croyance libératrice, ou d’un ordre qui me libère.
J’ai fait allusion aux Nouveaux Catholiques.
Ces protestants qui faisaient en moitié semblant après la Révocation de l’Edit de Nantes.
Ce n’est certes pas une référence glorieuse.
Chez les Huguenots, on préfère se référer aux Camisards, ces castreurs de porcs qui ont parfois exercé leur art sur les curés et les soldats.
On les invoque quitte, parfois, à les embrigader dans de mauvaises causes (comme cela vient d’être fait par un protestant à propos de la burqa), contre la liberté et pour le conformisme satisfait de la société dominante.
C'est pourquoi j'aime mieux ne pas trop invoquer les Camisards.
Les Nouveaux Catholiques sont une référence beaucoup moins glorieuse, en aucune manière emblématique.
Et pourtant je les aime bien (même si j’ai –aussi- de la sympathie pour les Camisards, je ne joue pas les uns contre les autres). Car ils ne faisaient semblant que jusqu’à un certain point.
Jusqu’à ce qu’on cherche à les obliger à être idolâtres. A communier selon le rite de la transsubstantiation, pour eux le comble de l’idolâtrie.
Alors là, ils crachaient l’hostie, avec dégoût.
On était obligé de les faire communier entre deux dragons, rendant visible la contradiction de la société ambiante
Et ils s’arrangeaient quand même pour ne pas avaler l’hostie, ou alors à la macher (ce qui était un sacrilège) en marmonnant une injure.
Eh bien oui, je fais plein de compromis, chaque jour je tiens compte de la mentalité moyenne, je passe même souvent mon temps à être tolérant, à supporter les inepties ambiantes.
J’en ai, parfois, jusque là de l'invocation des nécessités du « vivre-ensemble »,
d’avoir sois disant les mêmes « « valeurs » » que des hypocrites, des tricheurs, des profiteurs, et surtout des ceus pour qui l’invocation des dites « valeurs » n’est qu’un prétexte à ne pas réfléchir, à paresser dans les stéréotypes, parce que penser c’est bien trop fatiguant, qu’il vaut mieux bêler à l’unisson du troupeau.
Mais quand la coupe est pleine, quand on veut que j’idolâtre la religion civile rrrrépublicaine ou les racines chrétiennes de la France, alors je dis calmement, sereinement, mais fermement : NON.
Envoyez moi vos dragons si vous voulez, et si vous l’osez. Mais vous ne me ferez pas avaler votre pilule.
Je la crache par terre.
Grattez un peu le Nouveau Catholique, et vous ne tarderez pas à trouver l’Hérétique.
.
[1] Cela ne signifie naturellement pas que religion, philosophie, éthique, etc ne puissent pas être un objet d’étude, au contraire. Et là, bien sûr, on doit pratiquer l’agnosticisme méthodologique. C’est ce que j’explique au début de mon Librio sur la Petite histoire du christianisme. Et, (on dit d’habitude « sans vouloir me vanter », moi je dis : « en voulant me vanter »), comparez avec la concurrence et vous verrez que, tout « croyant » que je suis, mon approche est différente de celle des culs bénis !
18:52 Publié dans DIALOGUE AVEC UN AUTEUR | Lien permanent | Commentaires (6)
20/05/2010
Croyance et liberté (réponse à J.-M. Schiappa, II)
Allez, on va s’extraire un peu des débats franco-français (pas complètement, vous verrez), et reparler de la question que m’a posée J.-M. Schiappa, dans l’organe de la Libre-pensée, La Raison : « Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »
C’est bien plus intéressant que les ratiocinations gouvernementalo-sarkozystes sur la dite « burqa ».
Bien que, dans les cours que je donne actuellement à Tokyo, il y en a eu un (forcément) sur « Les débats autour du voile intégral en France », avec beaucoup de questions, tout à fait pertinentes des étudiants (et profs) japonais.
Les intellectuels japonais suivent cela de prés et l’ex image de la « France, pays des droits de l’homme » en pâtît une nouvelle fois.
Ainsi la résolution parlementaire a été très commentée par les journaux (du coup, cela fait plus de monde à mon cours : à petites causes, grandes conséquences !), alors que la presse française s’est intéressée aux présélectionnés de la Coupe du monde de foot (et moi, pauvre de moi, absent de mon pays, qui ne connais même pas le classement final du championnat de France, et la place d’Auxerre, mon équipe favorite !) ou à l’ouverture du festival de Cannes.
M’enfin, ici, au niveau des tenues, c’est plus Lady Gaga que « burqa ». D’ailleurs Lady Gaga, en fait, copie honteusement les jeunes Japonaises dont j’avais déjà constaté, à Shibuya et ailleurs, en 2008, les tenues extravagantes. Et depuis cela ne fait que croître et embellir. Elles sont d’ailleurs tout à fait nice et charmantes[1], et les yeux bridés, j’adorrre absolument !
La jeunesse japonaise a bien changé depuis 1992 (mes premiers cours). Mais j’éprouve toujours envers elle un peu d’amusement et beaucoup de tendresse.
Bon, et la croyance dans tout ça ?
J’avais indiqué dans ma Note (du 21 avril), qui commençait à répondre à J.-M. Schiappa, que mon point de vue sur la question comportait 3 points de départ :
-« Etre libre » n’est pas une mince affaire, que l’on se dise « croyant » ou « non-croyant ». Etre libre, plus exactement tenter de se libérer, est une entreprise constante où il faut soigneusement veiller à ne pas baisser la garde.
-Les croyances ne sont pas seulement religieuses, loin s’en faut. Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un dont je puisse penser qu’il soit hors de toute croyance.
-Pour ce qui me concerne, je ne suis ni englobé par mon protestantisme, ni un protestant honteux de l’être. Je suis protestant et, en même temps, agnostique sur plein de questions où la société actuelle déborde de croyants et de croyances (on va en reparler de façon plus précise, dans cette Note et surtout la prochaine).
Et, ensuite, j’avais rappelé (formation permanente assurée gratos!) les analyses classiques de Durkheim, et la façon dont il distingue, 2 types différents de croyances :
- Celles qui concernent des réalités supra empiriques, symboliques, transcendantes, les « convictions », religieuses, philosophiques, morales (Durkheim indique qu’elles fonctionnent de la même manière et, depuis de nombreux travaux sociologiques l’ont confirmé).
- Celles qui sont immanentes et concernent au premier chef des réalités empiriques, des problèmes concrets, et qui (cf. Durkheim) doivent remédier sans cesse à l’aspect « fragmentaire » et incertain des démarches scientifiques.
Distinction importante, mais pas si absolue que l’on ne l’imagine, car (on va le voir) même pour les réalités empiriques, le sens que l’on donne aux choses est important.
Voilà, en gros, l’endroit où j’ai envie de reprendre le propos.[2] Cela, en indiquant qu’en deçà de la croyance, la psychologie sociale, l’anthropologie, la sociologie parlent de représentations sociales.
Quand vous êtes tout petit, tout baby que vous soyez, on va vous apprendre que tel objet est une « table », tel autre un « livre ».
Mais si ces mots désignent des réalités empiriques tangibles, ils s’insèrent également dans un ensemble qui donne sens et même (peut-on dire, consistance) à ces objets.
Un livre, ce n’est finalement le même objet, suivant que vous savez lire ou pas, que vous comprenez ou non la langue dans laquelle il est écrit.
Longtemps, chez moi, un livre (particulièrement indigeste !) a servi d’excellent cale-pied !
Quand on désigne « une table », « un livre », ou d’autres objets empiriques, il existe toujours le risque de ne pas sortir du substantialisme. Cela arrive, même aux meilleurs !
Ainsi, Hannah Arendt avait CRU récuser les termes de « religion séculière » et de « religion politique » par une métaphore : le talon de ma chaussure n’est pas un marteau parce que je peux m’en servir pour planter des clous dans le mur (donc les « religions séculières ou politiques » ne sont pas des religions)
Excuse me, part’naire, mais c’est bien l’propos d’une philosophe un tantinet substantialiste ! En fait, au moment précis où je plante des clous avec, c’est, dans la réalité empirique hic et nunc, un marteau plus qu’une chaussure. C’est une « chaussure marteau »
Quitte à redevenir uniquement une chaussure trois minutes après.
Dans la durée, certes, cela reste principalement une chaussure qui a joué le rôle momentané d’un marteau (ou devenir une arme dans une autre circonstance, et être une chaussure arme).
Mais si, régulièrement, je passe mon temps à taper des clous avec la dite chaussure, à la fin, cet objet risque de ne se déformer, donc de plus être une chaussure confortable. Il pourra servir, par contre, habituellement de marteau efficace : j’aurai pris le bon coup de main pour m’en servir.
Ou, dés le départ, il peut s’agir d’une vieille chaussure hors d‘usage ou passée de mode, ou que j’ai assez vu comme chaussure, ou l’ex chaussure de ma fille qui a grandi et changé de pointure,…bref un objet dont je me sers maintenant régulièrement comme marteau.
Une chaussure peut donc se transformer en marteau et devenir un marteau chaussure (tout comme une politique peut se transformer en religion politique)
D’abord, tout le monde a droit à une seconde chance, même une chaussure. C’est l’idéal démocratique ! (Cet argument, c’est uniquement pour le fun, bien sûr !)
Ensuite, c’est cela même le changement social, M’dame l’éminente philosophe.
Enfin, c’est très écolo, le recyclage ! Et c’est traditionnel aussi ; car ma grand-mère (dont je crois vous avoir déjà parlé à l’occasion !), question recyclage, elle était championne.
Et si Hannah Arendt était venue dire à ma grand-mère qu’une chaussure ne pouvait pas être un marteau, cette dernière lui aurait vertement répliqué que, naturellement, une bourgeoise, ça ne sait pas grand-chose de la vie réelle du peuple.
La métaphore est donc très intéressante, très riche, à l’insu de son auteure !
Et pour en finir, avant que cette métaphore ne vous rende complètement marteau (tiens, voilà un « marteau » qui n’a pourtant empiriquement rien de tel !), on peut imaginer le dialogue suivant :
-« Tiens, tu as mis là une chaussure, mais elle n’est pas du tout à sa place et il n’y en a qu’une pourquoi donc ? »
-« Parce que ce n’est pas une chaussure, c’est un marteau. »
Mine de rien, avec mes propos complètement marteaux, je vous ai conduit au cœur du problème de la représentation sociale, et même de la croyance sociale [3]: nous avons des perceptions qui proviennent de l’habitude, du sens déjà là, déjà établi, du savoir sédimenté, devenu plus ou moins stéréotypé. Nos perceptions sont immédiatement INTERPRETATIVES et nous CROYONS qu’elles désignent la réalité.
Pour la brillante Hannah (mais cela arrive à tout le monde d’être dans la naïveté et le premier degré), une chaussure, c’est une chaussure, ce n’est pas un marteau. Na !
Elle CROIT tellement énoncer une évidence, qu’elle ne pousse pas sa réflexion plus loin.
Du coup, elle tient un propos de Monsieur Tout le monde et, ce jour là, dit une bêtise, puis n’en démord pas.
Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé dans le discours rrrépublicano-jacobin sur les filles à foulard.
Sauf que, là, c’est plus vicelard et vicié encore. Au lieu de dire : « une chaussure est une chaussure », on a dit « une femme à foulard est une femme soumise ». Là, l’interprétation était pourtant, dés le départ manifeste ; et donc matière à discussion. Mais on a nié être dans l’interprétatif pour pouvoir être péremptoire.
On s’y est tenu à cette équivalence, sans en démordre, en dépit de tous les démentis empiriques et des nombreuses enquêtes sociologiques.
(sur ces dernières, cf. le remarquable article de Valérie Amiraux : « L’“affaire du foulard” en France. Épure d’un fait social ou, retour sur une affaire qui n’en est pas encore une », Sociologie et sociétés, XLI (2), 2009, 273-298)
Mais il faut dire qu’entre temps, ce fut la big big big décadence dans une certaine philosophie : la preuve on est passé d’Hannah Harenth à Elisabeth Badinter. C’est dire !
Heureusement que ma grand-mère n’est plus « de ce monde » ; elle a déjà assez vu, et entendu d’horreurs pendant la guerre, la pôvre !
Bref, je continue mon propos épistémologique et de haute scientificité. Ma brillantissime et très frappante démonstration ne signifie pas que représentation sociale et croyance soient kif-kif. Ce sont, en psychologie sociale notamment, deux notions distinctes.
Dans son ouvrage Vie et mort des croyances collectives (Paris, Hemann, 2006), Gérald Bronner dit (en gros) que 2 indicateurs sont communs aux 2 notions, et 2 autres spécifiques à celle de croyance.
Ce qui est commun :
1) Une représentation sociale, tout comme une croyance, possède ce qu’on appelle des « pouvoirs causaux », un « profil fonctionnel ». En termes plus simples, cela signifie qu’une représentation sociale constitue un élément opératoire pour prendre des décisions, choisir une option plutôt qu’une autre. Elle constitue une vision des choses implicitement orientée à une finalité.
2) D’autre part, le contenu d’une représentation sociale (et d’une croyance) a tendance à être « holistique » : elle a un contenu déterminé et pourtant elle tend à ne pas seulement impliquer un seul élément de la réalité mais à contenir implicitement une vision d’ensemble.
Une représentation sociale, comme une croyance, fait sens parce qu’elle inclut implicitement d’autres représentations sociales auxquelles elle est reliée, elle implique un ensemble de représentations.
Ce qui est spécifique aux croyances (pour Bronner) :
1) Les croyances ont des « contenus intentionnels ». Cela signifie que les individus ont des rapports « de validation volontaire à des énoncés qui peuvent faire sens pour autrui ».
Il y aurait donc un aspect plus actif dans les croyances que dans les autres représentations sociales.
2) D’autre part, les croyances sont des « états intentionnels de second ordre ». Cela signifie que même si toutes les croyances qui sont les nôtres ne sont pas « toutes présentes consciemment à notre esprit, elles pourraient le devenir, pour peu seulement que nous le voulions. »
Il y aurait donc un aspect plus explicite dans les croyances que dans les autres représentations sociales.
Mais la distinction n’est peut-être pas toujours aussi claire.
D’abord, bien des croyances sont passives, reflet d’une conformité sociale. L’historien, notamment, travaille beaucoup sur les croyances passives d’une époque passée, ce qui peut le mettre en alerte sur les croyances passives de la notre.
Ensuite, le « pour peu seulement que nous le voulions » serait à commenter longuement.
Là est tout le problème. Car, précisément, NOUS NE LE VOULONS PAS : un des éléments fondamentaux de la croyance sera de mettre énergie et ténacité à faire que nos croyances ne soient pas reconnues consciemment comme telles.
Tendanciellement, pour qu’une croyance soit assumée comme telle, il faut qu’elle ne soit déconstruite et, du coup, fragile, non dominante. Les croyances dominantes tendent à ne pas VOULOIR être des croyances, car alors, il serait possible, dans une société démocratique et pluraliste, de ne pas les partager, de les mettre en question, d’en débattre.
Je ne sais ce que Bronner met dans son « pour peu que nous le voulions », mais pour moi, il y a là, toute la question de la domination de l’être humain par l’être humain.
Tenez, prenons un exemple, absolument au hasard : demandez à, mettons, Elisabeth Badinter si elle estime que ses propos sur le visage (et, hier, contre la parité femme-homme, qui devait immanquablement produire le pire « communautarisme ») relèvent de la croyance.
Demandez au député moyen, français ou belge, qui aujourd’hui élève le élisabethbadintérisme en idéologie d’Etat qui doit s’imposer par la force, s’il estime être dans une croyance. Demandez, et vous ne serez pas déçu !
Ces M’sieurs-dames estiment que ce qu’ils disent est seul légitime. Et quand, vous le mettez en cause, c’est la colère ou l’arrogance, et non le débat.
(Vous avez remarqué que j’utilise le verbe « estimer », même si en fait je ne les estime guère. Mais je ne vais quand même pas employer le verbe « penser » !)
C’est pourquoi, j’aurais tendance à modifier un peu la question de Jean-Marc Schiappa pour la poser autrement :
Est-il possible d’être libre et de croire passivement ?
Est-il possible d’être libre et de croire aux croyances dominantes ?
Cela induit une autre question :
Est-il possible d’être libre et de refuser de douter ? Et cela de toute croyance, qu’elle soit convictionnelle (religieuse, philosophique, morale, politique) ou qu’elle se rapporte à des objets ou situations empiriques.
(à suivre : Promis, je ne vous ferez pas attendre un mois cette fois. Aceux et celles qui en douteraient, sachez que justement, ce sera sur doute et croyance, et (bien sûr) je veux vous donnez des raisons de « croire » en moi !!!)
[1] Comme vous le savez, cette distinction vient d’Husserl, a été reprise d’une autre manière par Heidegger, avant de sombrer, sous Sartre, dans l’être et le néant
[2] Je l’avais continuée, mais repartir de la fin de ma Note nécessiterait de disposer de ma documentation habituelle, or je n’ai pas tout transporté à Tokyo !
[3] Admirez mon art de la pédagogie, c’est d’ailleurs après m’avoir lu que, dégoutté par une telle maïeutique, Socrate a bu la ciguë en déclarant : « la relève est faite ».
09:47 Publié dans DIALOGUE AVEC UN AUTEUR | Lien permanent | Commentaires (3)
15/05/2010
Les 3 chantages du projet de loi sur la dite "burqa"
Chers Amis,
Je deviens un vrai politique : une vrai de vrai ! La preuve, je vous promets depuis Mathusalem la suite de mon dialogue sur la croyance,… et je ne réalise pas cette promesse.
Mais, il faut dire que l’actu-burqa me poursuit de ses assiduités, et que moi-même je cours après le temps.
Là, c’est le gouvernement qui a reçu un deuxième avis négatif du Conseil d’Etat et qui persiste à vouloir faire sa loi.
Avec 3 chantages à la clef.
Premier chantage : On veut nous mettre dans la situation : ou vous êtes pour la loi, ou vous êtes pour la dite burqa.
Stupide : croyez-vous que ces M’sieurs-dames du Conseil d’Etat, qui sont on ne peut plus bon-chic, bon-genre, et tous les juristes auditionnés par la Mission Parlementaire, soient favorables au port de la « burqa » ?
Croyez-vous que la Libre-pensée, qui a été l’organisation la plus offensive contre la loi de toutes les organisations auditionnées par la Mission parlementaire soit favorable au port de la burqa ?
Le problème n’est pas la dite burqa, le problème est la défense des libertés publiques et l’extension indue de la notion d’ordre public qui, dans un pays démocratique, doit être soigneusement limité.
Comme l’indique Le Figaro (14 mai), les « Sages » du Conseil d’Etat estiment que « la restriction des libertés au nom du « Vivre ensemble » « serait sans précédent ».
Donc, on nous abreuve de grands mots : « dignité », « égalité homme-femme », etc pour esquiver le vrai débat, celui de l’Etat de droit.
Il faut le dire et le redire sur tous les tons : on n’a pas besoin d’être d’accord avec ce que disent les femmes qui portent une burqa (ou un nicab) pour être contre la loi.
Second chantage : le Conseil Constitutionnel ne pourra pas nous désavouer en pleine campagne électorale.
Les députés socialistes présentent un contre-projet impliquant une interdiction partielle. Il n’est pas fameux, mais c’est un progrès par rapport à la position de départ de beaucoup d’entre eux.
Sauf quelques uns peut-être, très populistes, ils ne devraient pas voter la loi. .. qui passera quand même, puisque la majorité est…. Majoritaire.
Oui, mais le hic, c’est que mon petit doigt (qui est toujours très bien renseigné, il a travaillé pour le KGB, la CIA, les services secrets monégasques, et Monsieur X sur France-Inter, c’est dire) m’a dit à voix basse que les socialistes ne présenteront pas un recours devant le Conseil Constitutionnel.
Ils se contenteront d’admirer les merdouilles qui surgiront lors de l’application de la loi et de dire : « on vous l’avait bien dit ! »
Et de voir si on l’applique de la même manière aux Champs Elysées et dans le XVIIIe
Donc –dixit Le Figaro (décidément, j’utilise des sources très gauchistes)- « les premiers contentieux et une éventuelle question préalable de constitutionnalité » surgiront…. « juste avant les élections présidentielles ».
Or le dit Conseil, c’est 8 sur 9 personnes de droite + Charasse, nommé par Sarko, avec qui il est pote, et qui croit que la laïcité l’oblige à ne jamais entrer dans une église. Bref, un grand libéral !
Donc, le chantage implicite est : vous n’allez pas quand même pas retoquer une loi UMP, non voté par les socialos, en plein campagne électorale ! Rappelez-vous qui vous a fait roi !
Troisième chantage : la Cour européenne des droits de l’homme et la France pays des dits droits.
Alors là, c’est le chantage le plus vicelard !
La patate chaude va arriver, une fois toutes les juridictions internes épuisées, à Strasbourg, siège de la Cour européenne.
Et là, merveilleux chantage implicite, on va mettre la Cour devant un dilemme : ou vous acceptez une loi qui porte atteinte aux libertés publiques, ou vous désavouez la France, merveilleuse patrie éternelle des droits de l’homme et vous donnez une victoire à l’islamisme radical !
(que cela soit vrai ou faux, peu importe, cela se joue au niveau des représentations sociales, sur lesquelles je vous dirai des choses vachement intéressantes, dès que cette chienne de vie me laissera la possibilité de vous faire ma fameuse Note sur les croyances)
CQFD !
Les motifs du projet de loi sont, pour certains, ahurissants. C’est un virage complet dans la conception de l’Etat de droit.
- l’ordre public ne dépend plus des 3 composantes habituelles : tranquillité, sécurité, salubrité, mais de « comportements » (ici une façon de s’habiller et non un comportement qui soit une interaction sociale) « qui iraient indirectement à l’encontre de règles essentielles du contrat social républicain qui fonde notre société »
Admirez le conditionnel et le « indirectement ». Et l’invocation de la République, alors que les défenseurs de la loi nous donne l’exemple des députés belges (qui, eux, ont refusé de consulter leur Conseil d’Etat : énhaurme !!!) et que, jusqu’à plus ample dislocation, la Belgique est une monarchie
(Précisons que le Sénat belge n’a pas encore voter la loi, et pour qu’il la vote, il faut que le pays ne disparaisse pas, ce qui n’est pas gagné : les parlementaires flamands et wallons se tapant sur la figure dés que la burqa n’est plus en jeu.)
- la burqa est interdite comme étant une « réclusion publique ». Eh oui, bien sûr, car sinon les couvents, les délicieuses carmélites, etc. On ne va pas chagriner Benoît XVI, il paraît qu’il a déjà quelques menus soucis actuellement.
- « nos concitoyens », prétend l’exposé des motifs, « y voient, s’agissant du voile intégral porté par des femmes, le revendication ostensible d’un refus de l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Génial : d’abord qu’est-ce qui permet d’affirmer cela : existe-t-il une étude un tant soit peu scientifique qui le prouve ?
Et, même si cela était mille fois prouvé, au nom de quoi l’opinion de la majorité sur la minorité fait loi ?
Mon petit doigt m’a également dit que « nos concitoyens », au bistrot du coin, quand ils ont fini de causer sur Habermas, et de déposer leur bulletin de PMU, déclarent péremptoirement, que les députés sont « nuls de chez nul. »
Mon petit doigt prétend qu’en plus, au niveau de la Mission parlementaire, on en a une preuve manifeste :
Le 8 juillet, la Mission a démarré, bille en tête, sur la laïcité : on va faire une loi Stasi II, le retour. Etc. La lecture du compte rendu de séance est éloquente là-dessus.
Et puis, patatra, les grandes associations laïques ont dit : non, pas possible d’interdire le voile intégral au nom de la laïcité. Qu’importe, le rapporteur tronque son rapport, et l’affaire est faite.
Manque de pot, le chœur des juristes auditionnés dit la même chose. Et là, le rapport de force est quand même un peu différent.
Le grand défenseur des libertés publiques, Jacques Myard, déclare que, « sous la menace », les juristes prennent la décision que veut le politique lors de l’audition de Rémy Schwartz, et celui-ci répond (en gros) : chiche (exactement : « je doute que vous puissiez menacer le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir une décision favorable » (c’est page 387 du Rapport : intéressant, non ?)
Brefs les juristes leur disent tous : non surtout pas au nom de la laïcité : vous vous plantez.
Et du coup, les membres de la Mission reculent.
Moralité : Les députés de la Mission d’information ne savaient pas ce qu’est la laïcité quand ils ont commencé leurs travaux.
Bravo, bravissimo !
Mon petit doigt conclut que les députés, vu l’image déplorable qu’ils donnent de la démocratie à « nos concitoyens », vont s’autodissoudre.
Mais, rassurez-vous mon petit doigt va être, lui aussi, interdit : c’est un impertinent, qui ne respecte pas les « exigences fondamentales du « vivre-ensemble » dans la société française et donc (contrevient) à l’ordre public. »
Mon petit doigt ne salue pas les députés, chapeau bas !
Et, enfin, mon petit doigt me souffle : que fait Badinter, Robert pour les dames ?
Là, les libertés publiques ne semblent plus l’intéresser. Il se tait. Il regarde OSTENSIBLEMENT ailleurs.
17:58 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (30)
12/05/2010
EXCLUSIF: UN SONDAGE SIGNIFICATIF
VOICI (en attendant la Note sur les croyances, qui débutera par un commentaire de la chronique de T. Legrand, ce matin sur France-Inter et consacrée au vote d'une résolution parlementaire sur la dite "burqa"), LE RESULTAT EXCLUSIF D'UN SONDAGE:
Ce sondage a été réalisé, par téléphone portable, entre minuit et 3 heures du matin, auprès d'un échantillon de 1234,5 personnes, âgées de 3 à 127 ans d'âge mental, et vachement représentatif de la population nationale (il y avait même un député dans l'échantillon, c'est dire si on a été libéral).
De plus, c'était fait en suivant très très scrupuleusement la méthode des quotas (laitiers, of course).
Question: QUEL A ETE L'EVENEMENT DE LA JOURNEE DU MARDI 11 MAI 2010?
REPONSES:
-l'annonce de la présélection par R. Domenech des Bleus pour la coupe du monde de foot?: 66,66665 %
-le vote d'une résolution condamnant le "voile intégral" par l'Assemblée Nationale?: 0,00001 %
-ni l'un ni l'autre? : 33,333333 %.
12:17 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (4)
07/05/2010
DISCRIMINATIONS
Deux infos importantes :
D’abord la présentation d’une étude sur les discriminations subies par les musulmans
Ensuite la présentation du Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations.
1) Mediapart :
Une première étude évalue la discrimination massive qui frappe les Français musulmans
Par Jade Lindgaard
Les Français musulmans sont-ils plus discriminés que les autres? La question est quasiment taboue. Il n'existe aujourd'hui qu'une poignée de données parcellaires sur la discrimination en France en raison de la religion. C'est une page qui est en train de se tourner grâce au travail d'un chercheur américain, David Laitin, professeur de sciences politiques à l'université de Stanford.
Dans le cadre du programme «Egalité des chances» de Sciences-po et de la French American Foundation, il publie avec deux chercheuses une étude sur le marché du travail français (à lire ici) qui se demande si «les Français musulmans sont discriminés dans leur propre pays».
L'enquête est expérimentale. C'est un testing, c'est-à-dire que les chercheurs ont envoyé à des employeurs potentiels les candidatures fictives de personnages inventés par eux-mêmes, leur permettant de comparer le sort réservé aux uns et aux autres.
Résultat: les CV à «caractère musulman» reçoivent 2,5 fois moins de réponses que les CV «manifestement chrétiens».
Pour les auteurs, c'est «une discrimination considérable à l'égard des musulmans» qui révèle une «vérité dérangeante»: «Dans la République française théoriquement laïque, les citoyens musulmans issus de l'immigration rencontrent, toutes choses égales par ailleurs, des obstacles à l'intégration par l'accès à l'emploi bien plus élevés que leurs homologues chrétiens.»
Mais qu'est-ce qu'un CV musulman? Hors de question d'écrire en toutes lettres la religion du personnage, cela aurait été parfaitement incongru. Les enquêteurs ont joué sur les prénoms de leurs candidates: «Marie», de tradition chrétienne, et « Khadija », nom de la première épouse de Mahomet. Et indiqué des signaux plus précis encore d'appartenance confessionnelle: Marie a travaillé au Secours catholique et fut bénévole aux Scouts et Guides de France tandis que Khadija est une ancienne employée du Secours islamique et fit du bénévolat pour les Scouts musulmans de France.
Pour le reste, les deux femmes sont identiques: célibataires, 24 ans, de nationalité française, habitantes de quartiers socio-économiquement équivalents (à Lyon), dotées d'un BTS de comptabilité et gestion, et de trois ans d'expérience professionnelle. Pour que la comparaison entre les candidats soit valable, il fallait qu'ils se correspondent en tous points sauf pour leur religion.
Elles sont noires, et selon le scénario élaboré par les chercheurs sans jamais que cela ne figure dans les CV, proviennent toutes deux de l'immigration sénégalaise. Pourquoi ce choix? Parce que vivent en France une dizaine de milliers de personnes originaires de deux communautés du Sénégal, les Joola et les Serer, qui comprennent une minorité chrétienne suffisamment nombreuse pour être comparée aux musulmans de même origine. Les deux groupes sont présents en France depuis environ le même nombre d'années. «Marie» et «Khadija» s'appellent donc toutes deux «Diouf», un patronyme typiquement sénégalais.
Un troisième personnage, «Aurélie Ménard», fut créé pour faire diversion. Les CV de Marie et Khadija ne furent pas transmis aux mêmes entreprises, mais toujours en couple avec celui d'Aurélie. C'est un cabinet associatif, ISM-CORUM, spécialisé dans l'étude des discriminations, qui a posé les candidatures. Le temps de réponse des employeurs a varié entre une journée et un mois. La période d'envoi s'est étalée sur quatre mois. Au total, un peu moins de 550 CV ont été envoyés.
- Comme l'Alsace-Lorraine sous la IIIe République
Que s'est-il donc passé une fois les documents envoyés? Alors que Marie Diouf a obtenu 21% de réponses positives (un rendez-vous pour un entretien d'embauche), Khadija Diouf n'a pu compter que sur 8% d'issues favorables. Pour 100 réponses positives, Khadija n'en reçoit que 38, soit près de 2,5 fois moins.
Spécialiste de discrimination positive et animateur d'un séminaire à Sciences-po sur les politiques antidiscriminatoire
Cette enquête est une première; elle n'est pas dénuée de faiblesses. La double insistance sur les activités à caractère confessionnel des candidates est peut-être outrée, et a pu braquer des employeurs qui n'auraient pas réagi de la même manière autrement. Ont-ils rejeté la musulmane ou la militante? Autre limite: ce sont des femmes noires qui ont fait l'objet du testing, et non des hommes arabes, pourtant soumis à des préjugés potentiellement plus dégradants.
L'étude ne risque-t-elle pas de sous-estimer et de biaiser la compréhension du rejet supposé à l'égard des musulmans? Non, conteste David Laitin: «Nos résultats sous-estiment l'ampleur de la discrimination, puisque peu de Français associent l'islam radical aux Sénégalais. Pourtant, nous constatons une discrimination significative. Nos résultats sont d'autant plus intéressants.»
Ce projet est né du constat de «plusieurs signes de malaise dans la société française vis-à-vis des musulmans, surtout depuis le 11 Septembre: la controverse autour de l'entrée de la Turquie en Europe, du port du voile, de la construction de mosquées...», explique Marie-Anne Valfort, maître de conférences en sciences économiques à Paris I, et co-auteure de l'enquête. Peut-on conclure à l'existence d'une discrimination des musulmans en France? «Ce n'est qu'une première étape, il fallait commencer par caractériser cette discrimination», explique la chercheuse, qui poursuit le travail avec ses collègues. Parallèlement au testing, une enquête a été menée, sous la forme de jeux comportementaux, pour comprendre comment se produisent les décisions conduisant à de la discrimination. Les premiers résultats en sont attendus d'ici la fin de l'été.
2) La librairie Le Divan et les éditions Larousse, à l'occasion de la parution du
Dictionnaire des racismes, de l'exclusion et des discriminations
vous invitent à une rencontre-débat, le mardi 11 mai à 19h30,
avec Esther Benbassa, directrice de l’ouvrage, historienne,
directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études,
et 3 des 40 contributeurs:
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE,
Pascal Blanchard, co-directeur du Groupe de recherche Achac et chercheur associé au laboratoire Communication et Politique (CNRS),
et Georges Sidéris, maître de conférences à l’IUFM de Paris-Université Paris 4 Sorbonne.
La discussion se poursuivra autour d’un verre.
Librairie Le Divan , 203, rue de la Convention, 75015 Paris. Accès : M° Convention.
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Dans quelques jours : la suite de la Note sur la croyance.
Peut-on vivre sans croire ?
Quelles sont les divers types de croyances ?
Croyance et liberté ?
19:43 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (2)