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29/04/2009

PRECISIONS. POUR SABRINA (suite)

A propos de ma dernière Note (25.04) « Laïcité, citoyenneté et identité nationale », voici quelques précisions supplémentaires :

 

Un collègue m’a indiqué que la relation nationalité – citoyenneté en Algérie était (naturellement, ai-je envie d’ajouter) plus compliquée que le résumé que j’en ai fait, à partir de l’ouvrage de Shepard. Ainsi les dits « musulmans » avaient quelques « éléments de citoyenneté ». Donc acte, il n’en reste pas moins qu’ils n’étaient pas véritablement citoyens, et qu’ils subirent jusqu’en 1946, le Code de l’indigénat.

De même, les femmes dites « musulmanes » de 1946 à 1958, possédaient (théoriquement) le droit de vote, mais étaient privées de « l’exercice de ce droit » (ce qui, en pratique, revient au même !)

Enfin, je n’ai pas pu développer la situation des Juifs d’Algérie. Je renvoie pour cela à la contribution de Joëlle Allouche-Benayoun : « Les enjeux de la naturalisation des Juifs d’Algérie : du dhimmi au citoyen » dans l’ouvrage collectif dirigé par P-J Luizard : Le choc colonial et l’islam (La Découverte).

 

Maintenant, suite à ma Note du O9/04 : «Pétition de soutien à Sabrina », je pense que vous avez lu dans les journaux que son recours à été rejeté en première instance. Elle disposait d’une bourse d’allocataire de recherche pour faire sa thèse et le tribunal a considéré que cela faisait d’elle un « agent de l’Etat » !

En fait, d’une part, elle n’avait aucune fonction d’enseignement : l’allocation de recherche est une simple bourse

D’autre part, je rappelle que même les enseignants du supérieur sont dispensés par la loi du devoir de réserve.

Ce sont les seuls « agents de l’Etat » dans ce cas.

Je trouve la décision du tribunal scandaleuse. C’est pourquoi, je continue à m’impliquer dans cette affaire et je publie ci après un Message de son Comité de soutien, en espérant que vous serez nombreux à l’aider à pouvoir recourir à la justice et à finir sa thèse.

Voici ce message: 

 

Comme vous l’aurez compris, Sabrina Trojet est sans ressource depuis son licenciement pour faute professionnelle, en février dernier. Il lui faut pourtant continuer à payer ses frais quotidiens (logement, nourriture, transport,...) à quoi se sont ajoutés des frais judiciaires importants.

L’urgence de la situation, qui crée une précarité empêchant de fait à Sabrina de continuer sa thèse dans de bonnes conditions, a été plaidée par son avocat face au juge des référés. Malheureusement, celui-ci n’a pas considéré que la situation justifiait de suspendre la décision injuste de l’Université Paul Sabatier. Ce sont 8 ans d’études et 2 ans et demi de recherche qui sont mis en danger par cette décision.

Nous avons donc décidé de faire appel à tous les soutiens financiers, pour pouvoir décharger Sabrina du poids de la gestion financière de cette démarche juridique. Elle n’a pas souhaité être aidée financièrement au delà des frais judiciaires, mais considérant qu’elle a besoin d’avoir a minima la garantie d’un toit, nous avons insisté pour que soient pris en compte les frais de logement, en plus des frais d’avocats.

On ne pourra recueillir la somme nécessaire que si de nombreuses personnes participent, même modestement. Merci donc de relayer l’information à toutes les personnes dont vous savez qu’elles peuvent être touchées par cette situation injuste et difficile.

Les chèques sont à envoyer à l’ordre de Sabrina Trojet, à l’adresse suivante :
  Comité de soutien à Sabrina Trojet
 25 avenue du 14ème régiment d’infanterie
 31400 TOULOUSE

 

D'avance merci

 

21:37 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

25/04/2009

LAÏCITE, CITOYENNETE, IDENTITE NATIONALE, 1830-2009

Pour contribuer au débat actuel sur « l’identité française »

 

Ca y est, c’est reparti : le problème de l’identité nationale est remis en selle, notamment par un rapport du Haut Conseil à l’Intégration. Cela donne un surcroît d’actualité à l’ouvrage que j’avais commencé à commenter, pour vous, chers Internautes. Et cela en exclusivité mondiale, que dire, en exclusivité galactique.

Je rappelle le titre : 1962. COMMENT L’INDEPENDANCE ALGERIENNE A TRANSFORME LA FRANCE (Payot), et l’auteur Paul Shepard.

 

D’abord, un premier rappel. J’entends souvent dire que ceux que l’on qualifiait de « travailleurs immigrés » dans les années 1970 sont devenus progressivement des gens qualifiés de « musulmans ». Autrement dit, une appartenance religieuse (réelle ou supposée) a remplacé, dans le système de classement, la catégorisation socio-économique.

Disant cela on pense dans le cadre d’une temporalité très courte, et on croit alors que c’est un (pseudo) « retour du religieux » qui est la cause de ce changement

Mais la raison est autre et si cela s’est effectué aussi facilement, c’est parce qu’il ne s’agissait nullement d’une nouveauté. En fait, on reprenait la classification qui avait fonctionné du XIXe siècle à la fin de la guerre d’Algérie.

Shepard rappelle que cette classification juridique « ne s’appliquait pas nécessairement à des pratiquants de l’islam. » (p. 23) Elle connotait un « droit civil local », c'est-à-dire des « droits coutumiers coraniques et berbères » qui s’appliquaient pour le « statut civil » (p. 363).

Rappelons aussi (Shepard le fait p. 48) que de 1881 à 1944, le « Code indigène » s’est ajouté au Code pénal et a institué des « peine exorbitantes » pour des « infractions perpétuées par des ‘indigènes’ et eux seuls ».

Dans une étude d’Emmanuelle Saada (chercheuse pas assez connue, dont les travaux sont d’un grand intérêt) j’ai trouvé la mention d’un arrêt de la Cour d’appel d’Alger en 1903, comportant l’expression de « musulmans chrétiens » ! Derrière la religion, l’ethnicité !

Shepard indique que « pendant des décennies, le terme ‘Algérien’ a fait exclusivement référence aux Français d’origine et aux autres Européens » (p. 43).

 

Autre rappel essentiel et complémentaire : si l’Algérie formait « une extension de la France ; à savoir trois départements », la citoyenneté de la plupart de ses habitants (« dans sa quasi-totalité une population dite ‘indigène’ ») a été « continûment repoussée ».

La situation a été analogue à celle des femmes (on verra que les femmes algériennes ont cumulé les deux pseudos handicaps).

Et la raison invoquée a été identique : « la citoyenneté définissait quels individus avaient le droit de participer au gouvernement de la nation » parce qu’ils étaient (au contraire de ceux qui étaient exclus) « capables de prendre une décision rationnelle » (p. 37), c'est-à-dire qu’ils étaient (contrairement aux exclus) des "citoyens abstraits"

Cela ne signifiait pas une logique raciale totale et explicite. A la différence des femmes, alors toutes exclues, « certains critères » pouvaient faire « accéder à la citoyenneté » les dits "musulmans".

Mais on a mis en place des « obstacles bureaucratiques dissuasifs » qui ont permis de ne pas répondre positivement à des demandes qui répondaient aux critères posés (cf. les travaux de Patrick Weil, dont le tort est d’en faire une aberration, alors que la permanence de cette politique montre qu’il s’agit d’un double jeu structurel).

D’autre part « certains n’ont pas fait la demande pour ne pas être vus « comme des apostats ou des collaborateurs ».

Résultat : il y a eu, entre 1865 et 1899, 1309 hommes devenus citoyens français, pour une population dite « musulmane » de 4millions d’habitants (p. 44).

On voit bien l’ambiguïté : la logique n’est pas purement ethnique. Il n’y avait pas une infériorité structurelle et éternelle due à l’appartenance ethnique. Le but proclamé était l’assimilation : « grâce à celle-ci, tous les hommes d’Algérie deviendraient un jour des citoyens français » (p. 38).

L’assimilation suppose la représentation d’une infériorité temporaire, et non figée.

Mais, double jeu : il y a eu « l’impunité » pour les bureaucrates opposés aux demandes « de naturalisation d’Algériens de statut civil local, parfaitement qualifiés par ailleurs » et, chez les élus européens, le succès de l’« obstruction au financement d’écoles pour enfants de statut civil local, en dépit des lois Ferry »  sur l’obligation de l’instruction (p.52).

En fait, l’ethnicité, sans être totale, imprégnait les politiques publiques et aboutissait au fait que certains (les hommes d’origine européenne) étaient rationnels a priori (sans « particularisme ») et donc citoyens ; et que d’autres avaient à devenir rationnels, et à sortir de leur « particularisme » pour cela.

En fait, écrit Shepard, « il n’était guère possible, pour un groupe où un individu, d’adopter un statut personnel par conversion ou par mariage (abjurer son appartenance religieuse ne permettait pas non plus de sortir de ce statut). C’était seulement par le droit du sang ou jus sanguinis, c'est-à-dire par la descendance, qu’un individu se trouvait soumis à un statut civil local » (p. 40).

C’est ce que j’appelle l’ETHNO-REPUBLICANISME.  

 

Projetons nous tout de suite en 2009, pour indiquer que nous ne sommes toujours pas sortis de cette logique ethno-républicaine : un dessin de Serguei dans Le Monde (22 avril) l’indique à sa manière : on y voit un Français moyen, Sarkozy qui déroule un texte (où implicitement, on comprend que se trouve marquées les conditions nécessaires pour l’identité nationale) et des migrants ou membres de ‘minorités visibles’.

Le Français moyen dit à Sarkozy : « Entre nous, je n’ai jamais partagé les valeurs républicaines » et ce dernier lui répond : « Ce n’est pas pareil. Vous, vous êtes un vrai Français. »

 

Et, dans mes ouvrages comme dans ce Blog, j’ai eu mainte fois l’occasion de dénoncer un double jeu sous couvert de laïcité : les Français ‘de souche’ ou issus de migrations européennes sont considérés comme laïques a priori, par essence ; les autres doivent passer une sorte d’examen de passage en matière de laïcité.

Une Alascien, farouche défenseur du Concordat et du système des "cultes reconnus" ne sera pas suspect d'être anti-laïque, de déroger aux dites "valeurs républicaines", mais... pas besoin d'écrire la suite: vous la connaissez déjà. 

 Autrement dit: on peut avoir une interprétation différente de la laïcité prédominante, sauf si...

 

Revenons à l'histoire de la France-Algérie: il existait aussi, à l’origine, un « droit coutumier mosaïque » pour les dits « israélites indigènes». Le célèbre décret Crémieux de 1870 les a déclarés « citoyen français » et a décidé de régler leur « statut personnel (…) par la loi française ». Mais « la III république n’a mis en place aucune disposition comparable au décret Crémieux pour les Algériens soumis au droit musulman ou au droit coutumier berbère » (p. 45).

Là aussi, cette séparation entre personnes appartenant (ou censées appartenir) à deux religions différentes (et, implicitement, à deux ethnicités) a eu des conséquences qui perdurent encore aujourd’hui.

De facto, cela perdure souvent sur un plan sociologique. Et même officiellement à un niveau juridique : j’ai une amie, originaire d’Algérie, qui s’est fait demander le certificat d’une cérémonie juive de sa mère quand elle a fait refaire sa carte d’identité.

Elle a été très choquée et a dit à l’employée (qui n’était naturellement pas en cause : elle ne faisait qu’appliquer la loi) : « Mais enfin, je croyais que l’on n’était plus sous Pétain ». En fait, elle interprétait mal la chose, tout en ayant raison de s’indigner.

 

Après la seconde guerre Mondiale, la Constitution de la République a voulu changer cette politique discriminatoire. Il est important de le souligner car un membre éminent du Conseil Constitutionnel continue à colporter sur les chaînes de télés et de radios, l’idée que la France est « une et indivisible ».

D’autres Rrrrépublicains propagent allègrement cette contre vérité. Les journalistes reprennent (de bonne foi en général) cette expression, la croyant typique d’un « modèle français » (opposé à l’anglo-saxon, naturellement !). J’ai du, dernièrement, envoyer un rectificatif à un quotidien.

En voici un extrait :

Si la Constitution de 1793 a proclamé "La République française est une et indivisible", ce qui a contribué aux dérives que l'on sait, les Constituants de 1946 et 1958 ont soigneusement enlevé le qualificatif "une". Ils ont déclaré que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale"

Qu'est-ce à dire? Précisément que la France est plurielle et que cette pluralité ne doit pas aboutir à faire éclater le corps politique. Il y a là un double refus dialectique et de l'uniformité et de la fragmentation.

Il y a tout un travail à faire, pour lutter contre le stéréotype (faux) de la « France une et indivisible ». Chaque fois que vous entendez (ou lisez l’expression) n’hésitez pas à reprendre votre interlocuteur ou, s’il s’agit d’un média, à envoyer un mel ou un sms.

 

Donc en 1946 la Constitution a « réaffirmé le principe d’égalité entre les différents Codes civils ; elle a également créé une citoyenneté de ‘Union française[1] (y compris les Algériens de statut civil local), ainsi qu’à tous les [ex] sujets coloniaux » (p.59).

Les Codes indigènes et les travaux forcés ont été supprimés. Mais, la loi du 20 septembre 1947 a autorisé « des restrictions limitant l’exercice des droits politiques » (p. 61), notamment la perpétuation du « double collège » qui fonctionnait depuis 1919 (sur ce système, cf p. 367).

Ce double collège avait comme conséquence que les « Français d’Algérie » (comme on les appelle alors) (cad les personnes d’origine européenne + les juifs algériens), qui formaient 10% de la population comptait plus que les dits « Français musulmans d’Algérie» et étaient politiquement dominants.

Cela aboutissait d’ailleurs à une apparente contradiction, à mon avis typique de l’ethno-républicanisme (pas totalement racialisé, mais quand même…) : La loi de septembre 1947 stipulait que « les musulmans qui résident en France métropolitaine y jouissent de tous les droits attachés à la qualité de citoyens français »

Bel aveu : les « musulmans » qui résident dans les départements français d’Algérie, eux….

 

En outre, les femmes Algériennes de statut civil ne purent pas voter et furent électrices seulement en 1958. On le voit, question « émancipation » des « femmes musulmanes », la France a été brillante…dans la discrimination.

 

Les « événements d’Algérie » = la guerre d’Algérie débuta, on le sait, en novembre 1954 par une série d’attentats à la bombe faisant 8 morts et 6 blessés. Le FLN, qui les revendiquait, réclamait l’indépendance de l’Algérie.

Commençait alors une guerre de 7 ans ½ jalonnés d’attentats, de massacres, de « corvées de bois », de tortures, d’atrocités diverses. La IVe République n’allait pas survivre à son incapacité à régler le problème. Les politiques affirmant que « L’Algérie c’est la France »

***

Pour toute cette époque, Shepard a effectué une synthèse de nombreux travaux d’historiens, sans effectuer lui-même de travail de première main. Sa recherche porte sur la suite, et particulièrement la fin de la guerre.

Il était nécessaire, cependant, que je résume un peu longuement cette partie historique, pour ne pas dénaturer son ouvrage et, aussi, parce que je pense que cela peut apprendre des choses à nombre d’internautes.

Moi-même je ne connaissais ni le détail de la loi de 1947, ni l’absence de droit de vote pour les dites femmes musulmanes jusqu’en 1958.

 

Par ailleurs, ce rappel d’histoire me semble instructif pour décrypter des impensés de la représentation dominante de la laïcité. Je l’ai fait, dans cette Note, à plusieurs reprises et chaque internaute peut compléter.

Notamment, l’usage constant, dans la longue durée, du terme de « musulman » par la France laïque, pour qualifier une partie de ses nationaux est un facteur d'explication du regard actuel de la France dite laïque sur "ses" citoyens dits "musulmans".

 

 Shepard a aussi choisi, dans le débat interprétatif entre Patrick Weil et Emmanuelle Saada, la même position que cette dernière (et je pense que c’est à raison)

Pour Weil, la politique républicaine en Algérie a été « dénaturée », ce qui (note Shepard) « conforte la conception normative et cohérente de la nationalité française égalitaire et a-raciale » (on aimerait bien qu’il en soit ainsi!)

Pour Saada, « la dissociation coloniale entre nationalité et citoyenneté est révélatrice (…) de tensions plus générales, internes à la définition de la nationalité dans le contexte français ».

 

Cependant, Shepard va se distinguer de Saada, en affirmant qu’en 1956 (timidement) et en 1958 (de façon plus systématique) « les dernières années de l’Algérie française ont ouvert de nouveaux horizons au recoupement de la nationalité et de la citoyenneté tel que le fait leur acception républicaine »

Et, corrélativement, il soutient la thèse « qu’avec l’indépendance algérienne, la France a adopté de nouvelles restrictions concernant l’appartenance à la nation, restrictions qui ont introduit dans les lois métropolitaines et les pratiques administratives une appréciation racialisée de l’origine des individus ».

 

C’est cette double thèse que je vais exposer dans la prochaine Note, puis j’indiquerai ce que j’en pense et les enjeux actuels qui se dégagent.

A bientôt.



[1] Remplaçant l’ancien Empire colonial et créant, selon certains historiens, u  « impérialisme déracialisé ».

15/04/2009

1962: DATE CLEF POUR LA LAÏCITE ET LA CITOYENNETE EN FRANCE

Ce blog s’intitule : « laïcité et regard critique sur la société ». Sa raison d’être consiste à lier ces 2 aspects, à combattre une représentation (actuellement dominante) de la laïcité. Cette représentation sert d’alibi pour s’abstenir de critiquer les structures sociales qui informent  notre vie quotidienne, pour détourner les regards vers celles et ceux qui se trouvent rejetés aux marges.

Ainsi, significativement, le livre dont je vais parler ne sera pas dans les devantures des libraires. Vous ne le trouverez pas à côté des petites merdes qui (sauf exceptions) sont exposées partout sous l’appellation « Meilleures ventes ».

Il est même difficile de le trouver et il n’y a pas du y avoir beaucoup de comptes-rendus (j’espère que des internautes pourront démentir) car plusieurs personnes, qui travaillent pourtant sur des sujets proches, ne le connaissaient pas avant que je le leur signale. Moi-même je l’ai acheté au Canada.

Cet ouvrage important s’intitule : 1962 Comment l’indépendance algérienne a transformé la France. Il est paru  à la fin de l’année dernière chez Payot. Son auteur est un jeune (moins de 40 ans) historien américain, Todd Shepard et il a obtenu 2 prix scientifiques qui, après lecture, me semblent tout à fait mérités.

 

Cet ouvrage m’a d’autant plus passionné que la guerre d’Algérie a été l’élément clef de mon éveil aux problèmes politiques quand j’étais lycéen. Ce fut, avec l’opposition à la loi Debré sur l’école privée, mes premiers engagements. Mon « premier regard critique » sur la société.

Bien sûr, je ne m’étais pas formé tout seul. Mes parents s’opposaient eux aussi à la guerre. Et je lisais Sartre, Ricoeur, le Bloc-notes de Mauriac, l’hebdomadaire France-Observateur, tous opposés à la guerre. Je lisais également La Question d’Henri Alleg, livre qui circulait clandestinement car son auteur racontait comment il avait été torturé.

Mais, par ailleurs, j’avais parfois quelques doutes : Je rencontrais, notamment dans ma paroisse protestante à Limoges, beaucoup d’adultes qui étaient « Algérie française ». C’étaient de « bons bourgeois », pour la plupart. Certains d’entre eux trouvaient même que de Gaulle en accordait trop aux « Musulmans » (c’est ainsi qu’on les désignait) par sa politique d’intégration.

Ces « grandes personnes » (c’est ainsi qu’on les appelait alors) m’expliquaient que je n’étais qu’un adolescent, que je ne comprenais rien à rien, que l’Algérie était française depuis plus longtemps que Nice et que, jamais, elle ne serait indépendante.

 

En1962, j’étais devenu étudiant parisien et, armé d’un fusil, je gardais la nuit, avec quelques camarades, des locaux (comme ceux du Mouvement de la Paix), menacés de plasticage par l’OAS (Organisation Armée Secrète) qui voulait maintenir à tout prix l’Algérie française alors que de Gaulle concluait un accord avec les chefs de ce que l’on appelait « la rébellion ».

L’accord, qui conduisait l’Algérie à l’indépendance, fut ratifié massivement par un referendum : environ 90% de « oui ». Un score quasi stalinien, paradoxe d’une consultation pourtant démocratique.

Ce résultat m’abasourdit. Il montrait clairement que la plupart des adultes qui m’avaient seriné, des années durant, que l’Algérie était française et le resterait toujours, avaient «voté « oui ».

Ils avaient retourné leur veste ! Et moi, quand je revenais à Limoges voir mes parents, je faisais des marches d’approche pour tenter de leur faire dire les raisons de ce retournement. Mais aucun d’entre eux ne s’en expliqua vraiment. Ils étaient comme frappés d’amnésie. C’est tout juste s’ils ne niaient pas les propos qu’ils avaient tenus.

 

Ce fait a été une des expériences décisives de ma vie, et sans doute, d’une manière ou d’une autre, de pas mal de gens de ma génération. Les adultes sûrs d’eux-mêmes, arrogants, débitant des évidences, non seulement avaient eu tort, mais ils ne l’assumaient pas, ne voulaient pas le reconnaître.

Cette déstabilisation de la légitimité des adultes rendait nécessaire d’élargir la contestation à l’ensemble de la société tout entière. La préparation (non consciente) de Mai 68 s’enracine dans la suite du refus de la guerre d’Algérie, de la nécessité de ne pas « rentrer dans le rang », comme si rien ne s’était passé.

Les dits « adultes… bourgeois» continuaient à pérorer, toujours aussi arrogants et sûrs d’avoir raison. Vu leur classe sociale, leur place dans la société, ils ne pouvaient qu’avoir raison ! Ils avaient toujours eu raison et ils auraient toujours raison.

Mais, en réalité, pensions nous, ils étaient incapables de penser vraiment. Ils racontaient n’importe quoi. Ce qui les avantageait au moment où ils parlaient. C’est pourquoi, ils pouvaient aussi facilement complètement retourner leur veste et, pire, oublier aussitôt ce virage à 180 degré.

L’un de ces adultes, plus fin que certains autres, et qui lui n’avait pas eu d’opinion tranchée sur la guerre d’Algérie, m’écouta. Il tenta de calmer ma révolte. De me dire de ne pas disqualifier trop vite l’ensemble de ceux, qu’avec Brassens, j’appelais ironiquement « les gens bien »

Il me fit comprendre que, moi aussi, je n’allais pas tarder à devenir adulte, à acquérir un statut dans la société. Et, qu’alors je risquais fort de changer d’avis. Pour lui c’était pratiquement inéluctable, car si c’était bien d’être jeune et en révolte, être plus tard un « jeune attardé », un révolté à statut social, risquait fort de tourner à la tricherie.

 

Ce propos (que je résume selon le souvenir que j’en ai gardé) me mis doublement en garde. Sur le moment, j’ai du privilégier le souhait de ne jamais ressembler à ces adultes bonne conscience, ces girouettes à l’amnésie commode.

Ensuite, ruminant de telles paroles, j’ai effectivement pensé qu’un second danger consistait à nier sa situation sociale réelle par une contestation radicale qui ne serait qu’un alibi, un masque. Une façon facile de se donner également bonne conscience d’une autre manière.

Tant de gens friqués (bien plus que moi, bien sûr !), tant de vedettes du show-biz cultivent ce double jeu. Tant de pseudo défenses de la liberté d’expression, de la « laïcité républicaine »  et/ou de l’égalité homme-femme[1] sont dans cette hypocrisie structurelle.

 

Il suffit de lire le magazine Elle pour se rendre compte combien le conformisme le plus plat, l’attestation la plus complète de l’aliénation par la société marchande, devenue le critère suprême de comportement et de style de vie, peut voisiner avec la pseudo défense des nobles causes, et la certitude que l’on est parmi les chevaliers du bien combattant l’intégrisme, l’intolérance, le sexisme, etc, etc.

« Père garde toi à droite, garde toi à gauche » : de multiples périls. Etre mobile est peut-être une manière de ne pas s’installer complètement dans l’un d’entre eux.

 

Et surtout il s'agit d'éviter le MORALISME.

C’est quoi le moralisme ? Cela consiste à faire prévaloir le jugement moral (aussi fondé soit-il, et quelque soit l’excellence de la cause que l’on défend) sur la démarche de connaissance.

Cela consiste à se servir de ce jugement moral pour pouvoir être dans l’indignation au premier degré et éviter l’effort, la pénibilité même, d’une démarche de connaissance.

Une démarche de connaissance se doit d’affronter des « faits désagréables » (Weber dixit), c'est-à-dire les paradoxes, les effets non voulus et contre-productifs, le fait qu’on atteint pas son objectif le plus souvent par une ligne droite mais par des zigzags, comme au billard.

(ce qui signifie aussi que l'on ne pourra pas avoir d'opinion valide sur tout et que, sur certains sujets où son information est uniquement, ou principallement l'info-déformation médiatique, l'honneteté intellectuelle consistera à être dans le doute).

Le moralisme, c’est l’enfer pavé de bonnes intentions, et ignorant des conséquences réelles de ses actes et de ses paroles, en toute bonne conscience.

C’est réagir en chien de Pavlov : l’immédiateté et l’affectivité médiatiques nous incite, à chaque instant, à adopter une attitude moraliste.

***

Mais je m’égare complètement, chers zamis interanautes. Je voulais vous parler d’un livre important, et je vous inflige mes souvenirs d’ancien combattant !

Pourquoi une telle dérive ? Je voulais simplement vous expliquer : (1) pourquoi je me suis précipité sur cet ouvrage et (2) pourquoi sa lecture a été dérangeante et passionnante pour moi. Pourquoi il faut donc que je vous en parle un peu longuement (1 et 2)

 

Le (1) : tout ce livre est fondé sur le fait que, précisément, la France a, en 2-3 ans, complètement changé de politique à l’égard de l’Algérie. Cela de façon quasi-consensuelle et sans réfléchir, analyser ce qu’elle faisait et pourquoi elle le faisait. Et rapidement, elle est devenue amnésique à ce qui s’est passé.

Je le cite : « Comment se fait-il, notamment, que tant de personnes dans les années cinquante aient soutenu avec insistance que les Algériens étaient des Français ? Cela m’a conduit (écrit T. Schepard) à regarder de près comment s’est concrétisé, en 1962, l’affirmation qu’ils pouvaient ne pas l’être. » D’où l’examen en 410 pages serrées de ce « volte face ».

La thèse de l’auteur est la suivante: ce changement non élucidé, cette amnésie constituent de véritables boomerangs, les étudier s’avère fondamental pour comprendre l’histoire de la France depuis un demi siècle, la France d’aujourd’hui et les problèmes difficiles dans lesquels elle se dépatouille : « Pour moi, écrit-il, la fin de la guerre d’Algérie a changé la France »

(Il aurait pu, d’ailleurs, se dispenser d’écrire « la fin » ; mais son livre porte sur cette fin de guerre).

 

Schepard cible notamment 2 sujets essentiels :

- la manière dont des institutions de la Ve république gouvernent la France

(« Je montre comment de nombreuses règles d’abord mises en œuvre au nom du combat contre les violences du FLN sont devenues des lois qui s’appliquent aujourd’hui à tous les habitants de la France »)

- la crise de l’identité de la nation française ; celle de la citoyenneté, mais aussi les questions des rapatriés, de l’immigration, de la mémoire et de la réconciliation.

( « les non-Français ont été, selon le moment, les « musulmans », les défenseurs de l’indépendance algérienne, les juifs, les « pieds-noirs », les défenseurs de l’Algérie française ou les harkis »)

A ces sujets, j’ajouterai, bien sûr, aussi la crise de la laïcité française, sujet non abordé directement mais sur lequel Todd Shepard donne une contribution essentielle.

 

Le (2) est que l’auteur a un regard d’historien en non d’acteur, qui plus est, le regard d’un historien non Français, né après les « événements » (selon le terme employé à l’époque). Il veut se situer dans l’analyse et non l’engagement et les jugements de valeur.

Cela le conduit à n’avoir aucun respect qui limiterait l’analyse : les pages sur Pierre Nora sont, à cet égard, particulièrement désacralisantes.

Cela le conduit à des refus et à adopter des hypothèses fort dérangeantes. Là encore, je le cite :

- Il refuse d’adopter la thèse de « l’hypocrisie ».

« Quand, en 1962, les partisans de l’Algérie française –avec, parmi eux, les acteurs du terrorisme OAS- répètent qu’ils sont antiraciste et profondément républicains, je prends leur propos au sérieux, parce que leurs affirmations sont importantes au plan de l’analyse »

Et il ajoute : « ce livre propose une analyse de ce qui fut : de ce que les gens ont dit, et des effets produits par leurs paroles sur les faits et les événements ». Ce qui présente une valeur encore plus générale que le sujet qu’il traite.

 

- Il refuse également la thèse d’un « sens de l’Histoire » :

« Je n’hésite pas à affirmer que l’indépendance de l’Algérie n’était pas une fatalité. En effet, c’est précisément parce qu’elle n’était pas inévitable qu’un certain nombre d’Algériens qui la jugeaient nécessaire, se sont sentis obligés de s’engager pour elle, de faire en sorte qu’elle advienne ».

Débat important et ancien : je me souviens avoir lu que Marx a écrit, sous un pseudo, un article dans lequel il se critiquait, voire se moquait de lui-même : pourquoi s’engageait-il, avec les sacrifices que cela demandait, dans un combat pour obtenir quelque chose qui, selon ses propres dire, allait forcément arriver ?[2]

Bref Schepard, pour répondre en historien à la question qui m’avait taraudé (et d'autres aussi sans doute) comme acteur, met en cause les certitudes de la gauche (que j’ai, naturellement, tout à fait partagées), puis de la quasi-totalité des Français l’époque.

 

Quand j’ai lu, dans la 4ème de couverture, qu’il contestait que la décolonisation soit une « fatalité », cela m’a crispé. Mais c’était l’habituelle réaction au premier degré. Je devais donc la surmonter pour ne pas sombrer dans le moralisme que je dénonce par ailleurs.

J’ai donc acheté le livre, en sachant que je le trouverai moins cher en France. Mais il me faillait le lire sans plus attendre.

Et je n’ai pas été déçu.

Je vais donc vous résumer l’ouvrage et vous dire, in fine, mon point de vue.

(À suivre)

 

PS: Puisque j'ai donné mes souvenirs d'ancien combattant, je vous en livre un dernier pour la route: paix soit à l'"âme" de l'ex Immortel Maurice Druon. A l'automne 1997, comme je venais d'être recruté par Ségolène Royale pour faire partie de son Cabinet, la première Note qu'elle m'a demandé consistait à répondre à celui qui était alors le secrétaire Perpétuel de Aââcââdémie françoise.

Elle avait, ô blasphème (à l'époque), féminisé un nom de fonction (et dit, sans doute, "la ministre", comme on dit d'ailleurs, sans que cela gène nobody, "la secrétaire") et Druon l'avait vertement (c'est le cas de le dire) remise à ce qu'il croyait être sa place, en affirmant qu'en Français, "le masculin est d'un genre neutre".

Je me souviens d'ailleurs que cette féminisation faisait problème au sein du Cabinet où les avis étaient partagés.

J'avais écrit alors alors qu'avant Ségo, un sacré huluberlu, un zigoto, ne considérait déjà pas le masculin comme de "genre neutre". Il s'agissait du général de Gaulle qui commençait ses  discours par "Françaises, Français".

S. Royal avait ri et j'avais été du coup illico adopté par les femmes du Cabinet.

C'était la rubrique: Spécial frimeur! (mais c'est MON blog et je ne vais pas me géner!) 

 

 



[1] En relisant mon « journal intime » de mes années lycée, je me suis aperçu que je m’étais battu, à 16, 17 ans pour qu’il y ait des femmes dans le Conseil presbytéral de ma paroisse protestante (il y en avait une sur douzaine de conseillers, et je trouvais que cela faisait alibi). J’avais fait notamment une intervention dans l’Assemblée générale de la dite paroisse, écrit au pasteur et au Conseil, etc.

A chacun sa bonne conscience : c’est une chose dont je suis particulièrement fier car, vu mon age et l’époque, revendiquer la concrétisation de l’égalité homme-femme c’était particulièrement incongru.

D’une manière générale, j’ai beaucoup critiqué ma paroisse prot. de Limoges, dont beaucoup de pratiques me révoltaient. Elle le méritait certainement à bien des égards. Mais, rétrospectivement, j’ai quand même tendance à être plus dialectique.

Dès qu’on avait fait sa « première communion » (à 15 ans), on avait droit à s’exprimer à l’AG de la paroisse. Et je ne m’en privais pas !

Pour le Centenaire du temple (1958), il y avait eu une commission, avec 2 représentants élus des jeunes (j’avais été triomphalement élu par les autres jeunes). Avec quelques autres jeunes, nous avions fondé un journal Le trait d’Union (contestataire, naturellement !), que nous vendions à la sortie du  culte.

Ce que je raconte dans cette Note, montre que les « adultes » acceptaient de discuter avec des ados. Même si c’était pour dire de grosses bêtises, cela montre du moins qu’il les prenaient au sérieux !

Bref, relisez Tocqueville sur la participation des Eglises protestantes à la construction de la démocratie dans l’Amérique du XIXe siècle. Analogiquement, vous pouvez appliquer cela à la formation à la démocratie des jeunes, dans la paroisse protestante de Limoges à la fin des années 50. Et sans doute dans d’autres paroisses prot à d’autres époques.

[2] Un an de consultation gratuite du Blog à l’internaute qui me retrouvera la référence.

09/04/2009

PETITION DE SOUTIEN A SABRINA

ETUDIANTE EN THESE LICENCIEE POUR FAUTE PROFESSIONNELLE SOUS PRETEXTE DU PORT D´UN VOILE

 

Sabrina est en 3ème année de doctorat au laboratoire de microbiologie et de génétique moléculaire (LMGM) à Toulouse. Depuis son Master I elle porte le voile. Elle a passé le concours d'allocataire ministérielle de recherche en septembre 2006 et obtenu une bourse gérée par l´Université Toulouse III qui lui a permis de commencer sa thèse. A aucun moment il n'a été fait allusion au foulard qu'elle portait.

Pendant 2 ans et demi elle a mené une vie sociale normale.

Le 26 février 2009, à 7 mois de sa soutenance de thèse, Sabrina est licenciée pour faute professionnelle sans préavis ni indemnité, sans convocation préalable devant une commission disciplinaire. Pour port de voile, elle est accusée d'avoir troublé l'ordre public et porté atteinte à la liberté de conscience de ses collègues.

Depuis cette date, Sabrina est une étudiante sans ressources qui non seulement doit rédiger article et thèse avant le mois de septembre mais aussi se démener pour trouver des aides financières.
Est-il acceptable de faire subir cela à une étudiante à 7 mois de la fin d´un parcours universitaire ayant demandé tant de sacrifices et d´efforts ?

Cette mesure est injuste et sans fondements. Considérant que l'université doit être un lieu d'études ouvert à toutes et tous, quelque soit l'origine sociale ou culturelle, les convictions politiques ou religieuses, et considérant la façon dont Sabrina a été exclue de fait de ses études, nous exigeons de la présidence de l'Université Paul Sabatier l'annulation de cette mesure disciplinaire et qu'il ne soit dorénavant posé aucun obstacle au bon déroulement futur du travail de thèse de Sabrina.

Le Comité de Soutien et Le Collectif Génération Spontanée

contact:  06.66.85.56.38 - ou des pays hors de France: 33666855638; 

comitesoutiensabrina@gmail.com

Un tout petit commentaire:

-dans les travaux de la Commission Stasi, il a été clairement dit que le port de signes dit "ostensibles" devait être permis à l'université: les personnes qui la fréquentent sont majeures  Et la loi de mars 2004 ne concenre que les établissements du second degrès, il y a donc un détournement de la loi

- tous les internautes qui consultent le blog et qui seraient d'accord sont , bien sûr, conviés à signer la pétition ou/et à rejoindre le Comité de soutien, et spécialement les universitaires et doctorants français et non français qui veulent manifester ainsi leur solidarité.

18:56 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

06/04/2009

MULTI/INTERCULTURALISME, REPUBLICANISME ET LAÏCITE

Voici une longue Note (qui contrebalance le fait que le Blog n’ait pas été très régulier ces dernières semaines). Elle reproduit l’intervention que j’ai fait le 5 mars dernier au CENTRE CULTUREL CANADIEN pour présenter mon ouvrage :

Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (L’Aube)

(la Note annonçée: "Vive la République" paraîtra bientôt, ainsi qu'une autre Note sur un livre dérangeant et très intéressant de l'historien américain Todd Shepard 1962. Comment l'indépendance algérienne a transformé la France.

 

Après avoir indiqué pourquoi je pense qu’il existe une laïcité canadienne différente de la laïcité française et cependant consistante, je chercherai quelques pistes qui peuvent montrer que le multi ou l’interculturalisme canado-québécois d’une part et le républicanisme français de l’autre part peuvent donner lieu à une confrontation positive, apte à relever le double défi actuel :

 

  • celui de tenir compte du caractère pluriculturel de nos sociétés,
  • celui d’éviter ce qu’on pourrait appeler la fragmentation socio-symbolique (à distinguer de la fragmentation socio-économique) pouvant menacer la communauté politique.

 

I/ Sur l’existence d’une laïcité canadienne :

 

Briand, en 1905, dans son rapport sur la proposition de loi concernant la séparation, estime que la France encore concordataire est en régime de « semi-laïcité ». Au contraire, affirme-t-il, le Canada est un pays laïque et vit en régime de séparation.

Le Canada figure donc parmi les modèles mis en avant dans le rapport Briand (mais ce chapitre sur les laïcités hors de France a été supprimé quand l’Assemblée Nationale a publié, en 2005, le fac simile du rapport).

 

Un peu plus de cent ans après, Briand a-t-il toujours raison ?

Globalement oui, le Canada est dans la logique des deux premiers articles de la loi française de 1905.

 

Article 1 : liberté de conscience et liberté d’exercice des cultes

Liberté de conscience : le Canada n’a pas le problème des USA où cette liberté se trouve assurée juridiquement, mais est socialement et politiquement plus problématique.

Être athée n’est nullement un handicap au Canada (contrairement aux USA) pour pouvoir faire une carrière politique.

 

Liberté de culte : le Canada n’a pas le problème français de dissensus sur des mouvements qualifiés de « sectes ». Par exemple, en France, on trouve, d’un côté ; la position du Conseil d’État et du Bureau des cultes, de l’autre un groupe de pression parlementaire à propos des témoins de Jéhovah.

Le refus de transfusion sanguine pour les enfants : n’est pas accepté au Canada mais  sans stigmatisation des Témoins.  (les Témoins de Jéhovah existent en France depuis longtemps et leur stigmatisation date d’il y a 20, 25 ans).

 

Article 2 : non officialité d’aucune religion

Aucun pays n’a, à cet égard une laïcité absolue et il peut y avoir un débat démocratique, avec des avis divergents, sur le degré de laïcité qui présente le meilleur équilibre

Le Canada possède, à ce niveau, une laïcité à la fois plus et moins consistante que la France

 

Laïcité plus accentuée au Canada qu’en France:

1/ Pas l’ambiguïté de la loi de 1905 en matière de bâtiments affectés à l’exercice du culte et qui sont propriété publique. Cette disposition libérale, qui garantissait la liberté de culte, permet maintenant le maintien comme églises d’édifices dans des endroits où il n’y a pratiquement plus de « fidèles ».

Du coup, au Canada (et notamment au Québec) la désaffectation est plus grande. Quand il n’y a plus de « fidèle », une église peut avoir un autre usage ou être rachetée par une autre communauté religieuse qui, elle, a des « fidèles »

.

 2) Pas de cas correspondant à celui de l’Alsace-Moselle. Il n’y a pas de Concordat, ni de système de cultes reconnus, sur aucun point du territoire du Canada, contrairement aux 3 départements français de l’est où prêtres, pasteurs et rabbins sont pays par l’Etat.

 

3) Le Canada va parfois plus loin que la France dans la dissociation entre la légalité et des normes religieuses (on y reviendra). Ainsi il a instauré la possibilité du mariage entre personnes de même sexe

 

4) Il n’existe pas une Église historique, majoritaire ayant la prétention de dire la morale … au niveau du Canada du moins (différent pour le Québec).

En France, on a instauré un dialogue institutionnel  avec le catholicisme, depuis Jospin en 2002.Cela n’a pas d’équivalent au Canada.

(Ainsi, en France, un double cléricalisme des médecins et de l’Église catholique  bloque une loi sur l’euthanasie).

 

Laïcité moins accentuée au Canada qu’en France :

1) Au Canada il y a une sorte de coup de chapeau à Dieu qui a été mis au début de la Constitution lors du « rapatriement » de cette constitution, du Royaume Uni au Canada, en 1982. Historiens et sociologues canadiens affirment que cela n’a

pas de conséquence juridique. Mais, outre que l’aspect symbolique me semble indéniable, on peut alors s’interroger sur la raison de cette mention ? :

-          obligation pour pouvoir de rapatrier la constitution ?

-          relation civile minimale face au voisin US ?

 

2) Québec, la religion historique est catholique et comme la sécularisation a été vive et accélérée lors de la Révolution tranquille, on rencontre à la fois un anticléricalisme qui est le prétexte à des impensés (les curés auraient obligé les femmes à faire dix enfants jusqu’au milieu du XXe siècle, alors qu’à cette époque la moyenne était de 3 enfants par femme. L’impensé est que la natalité actuelle : 1,6, pose une gros problème démographique) et un transfert de sacralisation par invocation du patrimoine (le crucifix a été maintenu à l’Assemblée Nationale à l’unanimité au moment même où le Rapport Bouchard-Taylor demandait sa suppression)

Là, on peut dire avec humour que le Québec ressemble à la France : quand les députés sont unanimes : on peut dire qu’il est presque sûr qu’ils sont en train de commettre une grosse bêtise !

 

3) Les écoles ont eu longtemps une dimension confessionnelle. Ainsi au Québec la déconfessionnalisation ne s’est effectuée qu’en 2000. Mais là, retournement de situation : la tortue a dépassé le lièvre. En 2008, il y a eu mise en pratique au Québec d’un cours culturel sur les religions (dont on parle, en France, … depuis 20 ans !)

 

Donc première conclusion : il existe bien une laïcité à la canadienne, différente de la laïcité française, parfois plus accentuée, parfois moins ; cela même si (mis à part le Québec depuis quelques années) elle reste implicite (mais ni la loi Ferry de 1882, laïcisant l’école publique, ni la loi de séparation de 1905 ne comportent le terme de « laïcité »).

Cela signifie simplement qu’au Canada il n’existe pas de laïcité qui soit un marqueur de l’identité nationale (sauf plus ou moins, maintenant, au Québec). Mais une telle laïcité identitaire est ambivalente, car elle peut prendre des caractéristiques de « religion civile » (invocation incantatoire des « valeurs de la République », face aux nouveaux Français issus de l’immigration).

Il nous faut donc retrouver Briand et son chapitre supprimé ! –

 

 

II Les défis d’aujourd’hui pour la laïcité française

 

 

En 2005, pour le centenaire de la loi de 1905, il y a eu, en France, un sondage commandité par le Comité d’Action laïque qui posait la question suivante : «  selon vous la laïcité c’est d’abord…. ».

Le résultat est un match nul entre liberté de conscience et séparation : ces 2 items ont recueilli 28% chacun mais, ils sont arrivés 2ème ex-æquo – Médaille d’or : l’égalité entre religions : 32%.[1]

 

Surprise des sondeurs qui ne s’attendaient guère à ce résultat, mais il me semble constituer une perception assez lucide du problème essentiel de la laïcité aujourd’hui.

 

Quand Micheline Milot parle de la conception de la laïcité à la française, du républicanisme, elle insiste sur une conception très stricte de neutralité. Elle a raison si on observe le discours dominant actuel (qui ne correspond pas aux résultats du sondage ci-dessus !) en France sur la laïcité

 Mais cette conception on ne la trouve pas dans la loi de 1905. Cependant, cette loi, même si elle a été célébrée lors de son centenaire, n’est pas le seul élément (ou pilier) de la laïcité en France. Il en existe deux autres (à distinguer entre eux) :

-          un issu de la Révolution française : la conception du citoyen abstrait

-          un issus des débuts de la IIIème République (avant la séparation) école publique laïque : émancipation – liberté de penser (le verbe : l’acte de penser).

Cette liberté de penser entre en tension avec la  liberté de conscience dans l’annuler : cf la volonté de Jules Ferry de maintenir l’enseignement privé pour ne pas aboutir à une philosophie d’État

Il ne faut pas mélanger la représentation du citoyen abstrait et celle de la liberté de penser, comme souvent cela est effectué, notamment quand on peste contre le « communautarisme » dans le flou théorique le plus total sur ce que l’on entend par là. Cette confusion induit un brouillard théorique et des points aveugles.

 

Le citoyen abstrait est à la fois un idéal universaliste et dés le départ un double jeu où « qui veut faire l’ange fait la bête », comme l’affirme Blaise Pascal

 

  1. le citoyen abstrait est par définition asexué. En fait, c’est un homme cf Olympe de Gouges qui, lors de la Révolution, rédige une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qui montre que les droits de l’homme sont au profit d’un homme-masculin et non de l’homme-être humain, et n’est pas du tout entendue (elle sera guillotinée)

-          le prétendu suffrage universel où pendant un siècle seuls les homme ont voté (1848 ; les femmes ont voté seulement en 1945 dans la métropole et en 1958 dans les départements (alors) français d’Algérie), alors que dans les autres démocraties, le différentiel entre le vote des hommes et celui des femmes est d’environ 30 ans. les « républicains » devraient rougir de honte !

-          le refus du Conseil Constitutionnel d’une première loi au début des années 1980 qui aurait limité l’hégémonie masculine dans les conseils municipaux (pas plus des ¾ de même sexe), au nom du citoyen abstrait. Moyennant quoi, le vivier féminin qui aurait pu commencer alors à exercer des responsabilités politiques, n’a pas pu avoir lieu. Finalement, à la fin du siècle, il a fallu changer la Constitution en proclamant que celle-ci favorisait l’égal accès des homes et des femmes aux responsabilités politiques: Par un tel changement, on a rendu le citoyen sexué.

 

Les néo-républicains (comme E. Badinter) se sont écriés : le communautarisme va tout engloutir ! En fait, on est passé de 10% de femmes à l’Assemblée Nationale, à 18% ! Petit progrès, mais on reste loin du compte !

Si au Canada il existe un régime silencieux de laïcité, en France on effectue, pour promouvoir plus d’égalité entre hommes et femmes, une prise de distance silencieuse avec le citoyen abstrait.

 

 

  1. le citoyen abstrait est, par définition, dépourvu de caractéristique religieuse : en fait, dés le départ, il traite de façon différente certaines religions, et joue un double jeu à leur égard : lors de la Révolution on a demandé un serment collectif aux juifs et un serment individuel à tous les autres citoyens. On fit faire ces serments collectifs aux juifs alors même qu’on leur demandait de se dépouiller de caractéristiques communautaires pour être « émancipés ». Et, ensuite, jusqu’en 1958, on a qualifié de « musulmans » (puis « Français musulmans ») des nationaux français et cette qualification religieuse, a eu longtemps comme conséquence un refus de la citoyenneté, puis une citoyenneté de seconde zone (les « israélites » sont, eux, devenus citoyens français en 1870)

Aujourd’hui il existe une gestion de « l’islam » différente de celle des autres religion. L’Etat tentant d’organiser l’islam et se montrant interventionniste à son égard.

 

  1. le citoyen abstrait est, par définition, incolore de peau. En fait, il est de couleur blanc-rose. Historiquement, la spécification de « musulman » dans les départements français d’Algérie comportait aussi une dimension racialisante : la Cour d’appel d’Alger invente ainsi, en 1903,  la catégorie de « musulman-chrétien ». En 1990, Régis Debray, opposant la République du citoyen abstrait et les démocraties, se vantait qu’il n’y ait pas, en France, de sénateur jaune ou noir. Il croyait dire que le représentant politique était incolore. A son insu, il décrivait la situation discriminatoire d’une France de plus en plus multicolore où le personnel politique restait blanc-rose ! La montée sociale très rapide, depuis quelques années, du terme de « diversité » (euphémisme). « Les candidats de la diversité ». montre une certaine prise de conscience du problème.

Création de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’Egalité) en 2005. Cela n’empêche pas des blocages et la partie continue de se jouer. C’est dans ce cadre que le  multi/interculturalisme constitue un enjeu social et politique.

 

Ma thèse consiste à: renoncer à une représentation du citoyen abstrait à priori, puisqu’elle masque en fait un double jeu discriminatoire à tous les niveaux. Le  citoyen abstrait  est un horizon.

Ainsi, on peut espérer que la loi sur la parité deviendra un jour inutile et que l’égalité des sexes, au niveau du politique, fonctionnera sans avoir besoin de loi qui la favorise. Mais renoncer à cet à priori du citoyen abstrait, ce n’est pas renoncer à un idéal de liberté de penser qui est différent, même si, à ce niveau, Micheline Milot pose de bonnes questions.

 

Différent : les luttes autour de l’école se sont référées à la liberté de penser. Elles se sont terminées en 1984 par la déroute du camp laïque et la pérennisation de la loi Debré (de 1959).

Mais cette déroute n’incluait pas forcément une défaite de la liberté de penser. Elle résultait plutôt de l’incapacité du camp laïque à adopter une pensée critique à l’égard de lui-même (c’est à dire… à être à l’égard de lui même dans la liberté de penser)

Car si l’opinion publique, majoritairement, n’a pas suivi c’est que le camp laïque s’est montré incapable d’intégrer 3 éléments majeurs à sa réflexion/

      1)  Le catholicisme français avait changé et le Vatican était le couronnement,  à un niveau institutionnel et international, d’un processus où une grande partie des catholiques français avaient intégré des éléments de laïcité

2)     La loi Debré était beaucoup plus ambivalente que les laïques le prétendaient : certes, le: contrat passé avec l’Etat permettait le « caractère propre », mais il comportait aussi des exigences de laïcité (identité des programmes, respect de la liberté de conscience)

3)     Un monopole étatique sur l’école n’est pas considéré comme souhaitable : Jules Ferry l’avait déjà indiqué, et depuis la défiance à l’égard du monopole s’était renforcée par la critique des institutions trop sûres d’elles même, faite notamment en Mai 68, et les problèmes de l’école démocratique de masse (réforme Haby en 1975)

Là aussi, on nous avait menacé des pires catastrophes : la loi Debré avait été attaquée comme loi « pire que celles de Vichy » (J. Cornec). Et la gauche est, ensuite, allée plus loin que la loi Debré dans la transaction avec l’enseignement catholique (accords Lang-Cloupet en 1992).

Moralité : l’inflation idéologique est, à terme, porteuse d’un renoncement. L’absence de débat sur la loi Debré quant il est question de laïcité aujourd’hui en France, montre une approche aussi unilatérale que l’ancienne (en inversant d’une critique que négative à une acceptation que positive), qui nie tout autant l’ambivalence de cette loi.

 

Donc, nous pouvons donner une double conclusion :

- C’est une erreur philosophique de penser l’universalisme comme étant déjà là.

- Il faut promouvoir la liberté de penser dans les conditions du 21ème siècle.

 

Sur ces deux  points le Canada (et sa variante québécoise) peut nous apprendre quelque chose (et peut-être inversement).

 

Il n’a pas eu à se servir du citoyen abstrait comme arme à double tranchant mais il se situe bien dans la logique d’un horizon universaliste de la lutte contre les discriminations pour les droits égaux quelques soient les caractéristiques concrètes. Le multiculturalisme reste libéral : il n’aboutit pas à une juxtaposition de régimes juridiques différents.

 

III L’apport canadien possible à un renouveau de la laïcité en France

 

Hypothèse : le Canada a tiré les conséquences de trois faits nouveaux, on n’est plus dans un schéma binaire public/privé mais dans un schéma ternaire ;  il s’est produit une déconnection entre territoires et cultures ; on n’est plus dans la croyance en une connexion des progrès :

 

I/ Schéma ternaire :

 

  1. sphère du pouvoir politico-juridique avec ses deux aspects :
    • processus politique de décision
    • application, y compris coercitive si besoin, des lois
  2. sphère privée des choix personnels : droits de l’individu dont la garantie est un devoir de cette sphère du pouvoir politico-juridique (historiquement, il s’agit d’une conquête par rapport à ce pouvoir)
  3. espace (public) de la société civile pluraliste : lieu à la fois géographique et social de diversité, de confrontation, rencontre, etc…Il fonctionne selon une logique associative (c'est-à-dire volontaire et libre) et non pas institutionnelle (c'est-à-dire à l’obligation et/ou à la forte pression sociale). Cet espace est :

·        lieu d’expression publique des choix privés (lois libérales dés la III République instaurant les liberté de la presse, de réunion, d’association… et la loi de 1905 qui s’est située dans ce mouvement)

·        lieu de débats infrapolitiques

·        lieu de conduites plurielles

 

 

II/ Déconnection entre territoires et cultures

 

Lors des processus de laïcisation du XIX et du début du XXe siècle, à un territoire donné correspondait en gros une culture dominante avec des sous cultures englobées (en France la « grande patrie » et les « petites patries ») et surtout des transferts culturels.

Par exemple, l’allemand Kant a plus d’influence sur la morale laïque française de la IIIème République que les Lumières françaises.

 

Maintenant on est passé, schématiquement, des contacts et transferts entre cultures  à une situation pluriculturelle.

Il s’est donc produit une déconnection (relative mais réelle) entre territoire et culture et l’augmentation de personnes qui se situent dans des « cultures diasporiques ».

Et si la religion ne surplombe la société (acquis de la laïcisation), elle est devenue une des ressources culturelles dont dispose l’individu. Cela oblige à revisiter le rapport entre « culte » et « culture »

 

III/ Fin de la croyance unificatrice en la connexion des progrès

Le progrès scientifique engendrait un progrès technique qui engendrait un progrès du bien-être. Il y avait, dans la représentation dominante, une connexion des progrès. Maintenant, on assiste à une croissance de l’incertitude.

 

Première sécularisation : signification religion dépendante des choix des individus.

Maintenant que la sécularisation est établie : la religion permet à l’individu de disposer de significations. Religion, comme d’autres convictions, nous venons de le voir, est devenue d’un point de vue sociologique : ressource culturelle.

Dans ce contexte, la laïcité consiste dans le fait que les familles symboliques (religions organisées et autres familles de pensée) forment une partie de l’espace public de la société civile pluraliste.

 

Cela signifie que doivent être sauvegardées

- d’une part l’autonomie de la sphère politique (religion : autorité et non pouvoir)

- d’autre part l’autonomie de la sphère privée (religion : réalité collective livrée  à la liberté du choix individuel au niveau des croyances).

 

L’accommodement raisonnable canadien, comme outil pour éviter les discriminations indirectes est alors doublement un instrument de laïcité, cela comme principe de fonctionnement social, au-delà de sa technicité juridique : la commission Bouchard et Taylor a parlé, à ce niveau, de pratiques d’ajustements.

 

- Il est d’abord (et cela ne me semble pas dit) un facteur possible de laïcisation…de la sphère politique : plus facile de dissocier la loi par rapport aux normes religieuses quand on a le correctif d’un accommodement possible.

C’est si vrai que la dernière grande loi française en matière de laïcité, c'est-à-dire la loi Weil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (1975) prévoit l’objection de conscience du personnel soignant (elle est donc dans cette logique d’ajustement).

La France n’a pas adopté de loi autorisant le mariage de personnes de même sexe : alors qu’une pratique d’accommodement raisonnable, d’objection de conscience possible pour les maires qui en conscience ne pourraient célébrer de tels mariages, faciliterait une telle adoption.

 

- Il est aussi un facteur de laïcisation de la sphère privée. Il permet d’être hérétique à l’égard de son appartenance religieuse puisqu’il s’agit d’un droit individuel.

Il permet à l’individu d’être pluriidentitaire, d’avoir de multiples facettes. Chaque individu se situe dans majorité sur beaucoup de plans, il peut être minoritaire sur tel ou tel point. Cela est logique avec l’idéal du « semblables et différents » (par exemple : un blanc-rose homosexuel ; un hétérosexuel noir sont, à la fois, majoritaires et minoritaires).

 

Dans l’espace diversifié de la société civile, il est logique que se produisent des frottements culturels. Comment éviter que cela ne se traduise en conflit ? AU Canada :

 

·        Les représentants de la sphère politique : police, administration, juristes, etc reçoivent :

a.      une formation interculturelle

b.      une formation à prévention des discriminations

cf la ville d’Ottawa qui possède, en plus, un comité police-citoyens capable d’effectuer certaines médiations.

 

·        Acceptation de l’hétérogénéité des conduites avec présomption d’innocence : savoir que l’on ne connaît pas la signification que donne l’autre à son comportement, sa conduite, sa tenue. Il ne faut pas calquer sur l’autre ce que j’appellerai la pire interprétation (une fille qui porte un foulard est contre l’égalité homme-femme ; une fille qui a une tenue sexy a des « mauvaises mœurs »)

Intéressant de comparer, sur ce sujet, Toronto et Paris,

-          Toronto : il peut y avoir  filles à foulard en salle de classe et femmes aux seins nus dans les jardins publics d’été

-          A Paris : loi du 15 Mars interdit le port du foulard à l’école publique et il y a, également, l’interdiction des seins nus l’été à Paris –plage.

Il y a une logique dans cette réunion de deux faits sociaux. L’acceptation de l’hétérogénéité culturelle est plus forte à Toronto qu’à Paris

 

·        La plupart des interactions pluriculturelles s’effectuent de façon pacifique.

Quelques unes donnent lieu à des incidents. En général, ils sont nettement moins graves que les conséquences de la circulation automobile. Ne pas transformer les incidents  en « affaire » dont les médias parlent en boucle. Dans ce contexte de frottements culturels, il y a la nécessité d’une retenue médiatique.

Dans mon ouvrage, je montre la différence d’attitude entre la commission Bouchard – Taylor et commission Stasi par rapport aux médias.

 

En conclusion, je dirai qu’il faut articuler trois niveaux différents:

 

  1. Celui du Multiculturalisme : non comme juxtaposition des cultures mais comme possibilité pour ces cultures de continuer à être vivantes (c'est-à-dire à la fois transmises et réinterprétées) en situation diasporique.

 

  1. Celui de l’Interculturalisme :

·        Contacts, échanges : réduction de la « menace » de l’altérité : comprendre les divers systèmes de représentations en présence sur la scène sociale

·        Transversalité : développements d’apports réciproques de synergie

 

Cela signifie-t-il un abandon du « républicanisme » ? Non : un niveau républicain doit être également présent.

-          pour éviter que les rapports de force de l’espace public de la société civile porte atteinte à l’autonomie des sphères politique et privée (cf affaire dite des « tribunaux islamiques » de l’Ontario).

-          pour éviter les tentatives de groupes d’englober l’identité des individus, d’instrumentaliser les « pratiques d’ajustement » qui ont pour objet des individus et non des groupes.

-           pour tirer le culturel de l’ethnicité vers l’universalité.

 

Le républicanisme joue, là, la fonction d’

  1. Universalisme en devenir et chaque culture est considérée comme une part d’universel.

 

Laïcité interculturelle comme laïcité roseau, plus résistante aux tempêtes sociale que la laïcité chêne de la fable de Jean de La Fontaine.

Apte à assumer le frottement entre cultures tout en évitant le conflit de civilisations.



[1] Notons qu’une conception plus restrictive de la laïcité, l’identifiant à un refus de la religion dans l’espace public n’a recueilli que 8%.

04/04/2009

CHANGEMENT DE LIEU

JUSTE POUR SIGNALER UN CHANGEMENT DE LIEU DE LA MANIFESTATION ANNONCEE PAR LA PRECEDENTE NOTE:

CELA AVANT UNE NOTE TRES PROCHAINE QUI SERA (MYSTERIEUSEMENT!) INTITULEE:

VIVE LA REPUBLIQUE

Attention: changement de lieu pour la séance de clôture du 7 avril!

Chers amis,

Comme annoncé précédemment, le colloque "Israël-Palestine. Etat des lieux" se tiendra les 6 et 7 avril (programme et inscription sur : www.parisduvivreensemble.org).

En journée, les débats se dérouleront comme prévu à l'amphithéâtre du CNAM, 41 rue Gay-Lussac, 75005 Paris.

Seul changement: le 7 avril, à 19h, la séance de clôture: Après Gaza, quelles perspectives? ne se tiendra pas en Sorbonne (occupée), mais à l'amphithéâtre Jules-Ferry de l'Ecole normale supérieure, 29 rue d'Ulm, 75005 Paris.

18:24 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (0)

01/04/2009

ISRAËL-PALESTINE

ISRAËL-PALESTINE

Etat des lieux

Les 6 et 7 avril, à partir de 9h30:

Dans le cadre de l'édition 2009 du Paris(s) du Vivre-Ensemble,

deux grandes journées de colloque et de rencontres

sur "Israël-Palestine. Etat des lieux".

Avec notamment, parmi une trentaine d'intervenants, Régis Debray, Alain Dieckhoff, Gilles Paris, Leïla Shahid, Avi Shlaim, Denis Sieffert et Dominique Vidal.

Pour mieux comprendre le conflit israélo-palestinien après Gaza et ses répercussions en France. Programme complet, renseignements pratiques et inscription sur: www.parisduvivreensemble.org.

02:19 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)