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06/04/2009

MULTI/INTERCULTURALISME, REPUBLICANISME ET LAÏCITE

Voici une longue Note (qui contrebalance le fait que le Blog n’ait pas été très régulier ces dernières semaines). Elle reproduit l’intervention que j’ai fait le 5 mars dernier au CENTRE CULTUREL CANADIEN pour présenter mon ouvrage :

Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (L’Aube)

(la Note annonçée: "Vive la République" paraîtra bientôt, ainsi qu'une autre Note sur un livre dérangeant et très intéressant de l'historien américain Todd Shepard 1962. Comment l'indépendance algérienne a transformé la France.

 

Après avoir indiqué pourquoi je pense qu’il existe une laïcité canadienne différente de la laïcité française et cependant consistante, je chercherai quelques pistes qui peuvent montrer que le multi ou l’interculturalisme canado-québécois d’une part et le républicanisme français de l’autre part peuvent donner lieu à une confrontation positive, apte à relever le double défi actuel :

 

  • celui de tenir compte du caractère pluriculturel de nos sociétés,
  • celui d’éviter ce qu’on pourrait appeler la fragmentation socio-symbolique (à distinguer de la fragmentation socio-économique) pouvant menacer la communauté politique.

 

I/ Sur l’existence d’une laïcité canadienne :

 

Briand, en 1905, dans son rapport sur la proposition de loi concernant la séparation, estime que la France encore concordataire est en régime de « semi-laïcité ». Au contraire, affirme-t-il, le Canada est un pays laïque et vit en régime de séparation.

Le Canada figure donc parmi les modèles mis en avant dans le rapport Briand (mais ce chapitre sur les laïcités hors de France a été supprimé quand l’Assemblée Nationale a publié, en 2005, le fac simile du rapport).

 

Un peu plus de cent ans après, Briand a-t-il toujours raison ?

Globalement oui, le Canada est dans la logique des deux premiers articles de la loi française de 1905.

 

Article 1 : liberté de conscience et liberté d’exercice des cultes

Liberté de conscience : le Canada n’a pas le problème des USA où cette liberté se trouve assurée juridiquement, mais est socialement et politiquement plus problématique.

Être athée n’est nullement un handicap au Canada (contrairement aux USA) pour pouvoir faire une carrière politique.

 

Liberté de culte : le Canada n’a pas le problème français de dissensus sur des mouvements qualifiés de « sectes ». Par exemple, en France, on trouve, d’un côté ; la position du Conseil d’État et du Bureau des cultes, de l’autre un groupe de pression parlementaire à propos des témoins de Jéhovah.

Le refus de transfusion sanguine pour les enfants : n’est pas accepté au Canada mais  sans stigmatisation des Témoins.  (les Témoins de Jéhovah existent en France depuis longtemps et leur stigmatisation date d’il y a 20, 25 ans).

 

Article 2 : non officialité d’aucune religion

Aucun pays n’a, à cet égard une laïcité absolue et il peut y avoir un débat démocratique, avec des avis divergents, sur le degré de laïcité qui présente le meilleur équilibre

Le Canada possède, à ce niveau, une laïcité à la fois plus et moins consistante que la France

 

Laïcité plus accentuée au Canada qu’en France:

1/ Pas l’ambiguïté de la loi de 1905 en matière de bâtiments affectés à l’exercice du culte et qui sont propriété publique. Cette disposition libérale, qui garantissait la liberté de culte, permet maintenant le maintien comme églises d’édifices dans des endroits où il n’y a pratiquement plus de « fidèles ».

Du coup, au Canada (et notamment au Québec) la désaffectation est plus grande. Quand il n’y a plus de « fidèle », une église peut avoir un autre usage ou être rachetée par une autre communauté religieuse qui, elle, a des « fidèles »

.

 2) Pas de cas correspondant à celui de l’Alsace-Moselle. Il n’y a pas de Concordat, ni de système de cultes reconnus, sur aucun point du territoire du Canada, contrairement aux 3 départements français de l’est où prêtres, pasteurs et rabbins sont pays par l’Etat.

 

3) Le Canada va parfois plus loin que la France dans la dissociation entre la légalité et des normes religieuses (on y reviendra). Ainsi il a instauré la possibilité du mariage entre personnes de même sexe

 

4) Il n’existe pas une Église historique, majoritaire ayant la prétention de dire la morale … au niveau du Canada du moins (différent pour le Québec).

En France, on a instauré un dialogue institutionnel  avec le catholicisme, depuis Jospin en 2002.Cela n’a pas d’équivalent au Canada.

(Ainsi, en France, un double cléricalisme des médecins et de l’Église catholique  bloque une loi sur l’euthanasie).

 

Laïcité moins accentuée au Canada qu’en France :

1) Au Canada il y a une sorte de coup de chapeau à Dieu qui a été mis au début de la Constitution lors du « rapatriement » de cette constitution, du Royaume Uni au Canada, en 1982. Historiens et sociologues canadiens affirment que cela n’a

pas de conséquence juridique. Mais, outre que l’aspect symbolique me semble indéniable, on peut alors s’interroger sur la raison de cette mention ? :

-          obligation pour pouvoir de rapatrier la constitution ?

-          relation civile minimale face au voisin US ?

 

2) Québec, la religion historique est catholique et comme la sécularisation a été vive et accélérée lors de la Révolution tranquille, on rencontre à la fois un anticléricalisme qui est le prétexte à des impensés (les curés auraient obligé les femmes à faire dix enfants jusqu’au milieu du XXe siècle, alors qu’à cette époque la moyenne était de 3 enfants par femme. L’impensé est que la natalité actuelle : 1,6, pose une gros problème démographique) et un transfert de sacralisation par invocation du patrimoine (le crucifix a été maintenu à l’Assemblée Nationale à l’unanimité au moment même où le Rapport Bouchard-Taylor demandait sa suppression)

Là, on peut dire avec humour que le Québec ressemble à la France : quand les députés sont unanimes : on peut dire qu’il est presque sûr qu’ils sont en train de commettre une grosse bêtise !

 

3) Les écoles ont eu longtemps une dimension confessionnelle. Ainsi au Québec la déconfessionnalisation ne s’est effectuée qu’en 2000. Mais là, retournement de situation : la tortue a dépassé le lièvre. En 2008, il y a eu mise en pratique au Québec d’un cours culturel sur les religions (dont on parle, en France, … depuis 20 ans !)

 

Donc première conclusion : il existe bien une laïcité à la canadienne, différente de la laïcité française, parfois plus accentuée, parfois moins ; cela même si (mis à part le Québec depuis quelques années) elle reste implicite (mais ni la loi Ferry de 1882, laïcisant l’école publique, ni la loi de séparation de 1905 ne comportent le terme de « laïcité »).

Cela signifie simplement qu’au Canada il n’existe pas de laïcité qui soit un marqueur de l’identité nationale (sauf plus ou moins, maintenant, au Québec). Mais une telle laïcité identitaire est ambivalente, car elle peut prendre des caractéristiques de « religion civile » (invocation incantatoire des « valeurs de la République », face aux nouveaux Français issus de l’immigration).

Il nous faut donc retrouver Briand et son chapitre supprimé ! –

 

 

II Les défis d’aujourd’hui pour la laïcité française

 

 

En 2005, pour le centenaire de la loi de 1905, il y a eu, en France, un sondage commandité par le Comité d’Action laïque qui posait la question suivante : «  selon vous la laïcité c’est d’abord…. ».

Le résultat est un match nul entre liberté de conscience et séparation : ces 2 items ont recueilli 28% chacun mais, ils sont arrivés 2ème ex-æquo – Médaille d’or : l’égalité entre religions : 32%.[1]

 

Surprise des sondeurs qui ne s’attendaient guère à ce résultat, mais il me semble constituer une perception assez lucide du problème essentiel de la laïcité aujourd’hui.

 

Quand Micheline Milot parle de la conception de la laïcité à la française, du républicanisme, elle insiste sur une conception très stricte de neutralité. Elle a raison si on observe le discours dominant actuel (qui ne correspond pas aux résultats du sondage ci-dessus !) en France sur la laïcité

 Mais cette conception on ne la trouve pas dans la loi de 1905. Cependant, cette loi, même si elle a été célébrée lors de son centenaire, n’est pas le seul élément (ou pilier) de la laïcité en France. Il en existe deux autres (à distinguer entre eux) :

-          un issu de la Révolution française : la conception du citoyen abstrait

-          un issus des débuts de la IIIème République (avant la séparation) école publique laïque : émancipation – liberté de penser (le verbe : l’acte de penser).

Cette liberté de penser entre en tension avec la  liberté de conscience dans l’annuler : cf la volonté de Jules Ferry de maintenir l’enseignement privé pour ne pas aboutir à une philosophie d’État

Il ne faut pas mélanger la représentation du citoyen abstrait et celle de la liberté de penser, comme souvent cela est effectué, notamment quand on peste contre le « communautarisme » dans le flou théorique le plus total sur ce que l’on entend par là. Cette confusion induit un brouillard théorique et des points aveugles.

 

Le citoyen abstrait est à la fois un idéal universaliste et dés le départ un double jeu où « qui veut faire l’ange fait la bête », comme l’affirme Blaise Pascal

 

  1. le citoyen abstrait est par définition asexué. En fait, c’est un homme cf Olympe de Gouges qui, lors de la Révolution, rédige une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qui montre que les droits de l’homme sont au profit d’un homme-masculin et non de l’homme-être humain, et n’est pas du tout entendue (elle sera guillotinée)

-          le prétendu suffrage universel où pendant un siècle seuls les homme ont voté (1848 ; les femmes ont voté seulement en 1945 dans la métropole et en 1958 dans les départements (alors) français d’Algérie), alors que dans les autres démocraties, le différentiel entre le vote des hommes et celui des femmes est d’environ 30 ans. les « républicains » devraient rougir de honte !

-          le refus du Conseil Constitutionnel d’une première loi au début des années 1980 qui aurait limité l’hégémonie masculine dans les conseils municipaux (pas plus des ¾ de même sexe), au nom du citoyen abstrait. Moyennant quoi, le vivier féminin qui aurait pu commencer alors à exercer des responsabilités politiques, n’a pas pu avoir lieu. Finalement, à la fin du siècle, il a fallu changer la Constitution en proclamant que celle-ci favorisait l’égal accès des homes et des femmes aux responsabilités politiques: Par un tel changement, on a rendu le citoyen sexué.

 

Les néo-républicains (comme E. Badinter) se sont écriés : le communautarisme va tout engloutir ! En fait, on est passé de 10% de femmes à l’Assemblée Nationale, à 18% ! Petit progrès, mais on reste loin du compte !

Si au Canada il existe un régime silencieux de laïcité, en France on effectue, pour promouvoir plus d’égalité entre hommes et femmes, une prise de distance silencieuse avec le citoyen abstrait.

 

 

  1. le citoyen abstrait est, par définition, dépourvu de caractéristique religieuse : en fait, dés le départ, il traite de façon différente certaines religions, et joue un double jeu à leur égard : lors de la Révolution on a demandé un serment collectif aux juifs et un serment individuel à tous les autres citoyens. On fit faire ces serments collectifs aux juifs alors même qu’on leur demandait de se dépouiller de caractéristiques communautaires pour être « émancipés ». Et, ensuite, jusqu’en 1958, on a qualifié de « musulmans » (puis « Français musulmans ») des nationaux français et cette qualification religieuse, a eu longtemps comme conséquence un refus de la citoyenneté, puis une citoyenneté de seconde zone (les « israélites » sont, eux, devenus citoyens français en 1870)

Aujourd’hui il existe une gestion de « l’islam » différente de celle des autres religion. L’Etat tentant d’organiser l’islam et se montrant interventionniste à son égard.

 

  1. le citoyen abstrait est, par définition, incolore de peau. En fait, il est de couleur blanc-rose. Historiquement, la spécification de « musulman » dans les départements français d’Algérie comportait aussi une dimension racialisante : la Cour d’appel d’Alger invente ainsi, en 1903,  la catégorie de « musulman-chrétien ». En 1990, Régis Debray, opposant la République du citoyen abstrait et les démocraties, se vantait qu’il n’y ait pas, en France, de sénateur jaune ou noir. Il croyait dire que le représentant politique était incolore. A son insu, il décrivait la situation discriminatoire d’une France de plus en plus multicolore où le personnel politique restait blanc-rose ! La montée sociale très rapide, depuis quelques années, du terme de « diversité » (euphémisme). « Les candidats de la diversité ». montre une certaine prise de conscience du problème.

Création de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’Egalité) en 2005. Cela n’empêche pas des blocages et la partie continue de se jouer. C’est dans ce cadre que le  multi/interculturalisme constitue un enjeu social et politique.

 

Ma thèse consiste à: renoncer à une représentation du citoyen abstrait à priori, puisqu’elle masque en fait un double jeu discriminatoire à tous les niveaux. Le  citoyen abstrait  est un horizon.

Ainsi, on peut espérer que la loi sur la parité deviendra un jour inutile et que l’égalité des sexes, au niveau du politique, fonctionnera sans avoir besoin de loi qui la favorise. Mais renoncer à cet à priori du citoyen abstrait, ce n’est pas renoncer à un idéal de liberté de penser qui est différent, même si, à ce niveau, Micheline Milot pose de bonnes questions.

 

Différent : les luttes autour de l’école se sont référées à la liberté de penser. Elles se sont terminées en 1984 par la déroute du camp laïque et la pérennisation de la loi Debré (de 1959).

Mais cette déroute n’incluait pas forcément une défaite de la liberté de penser. Elle résultait plutôt de l’incapacité du camp laïque à adopter une pensée critique à l’égard de lui-même (c’est à dire… à être à l’égard de lui même dans la liberté de penser)

Car si l’opinion publique, majoritairement, n’a pas suivi c’est que le camp laïque s’est montré incapable d’intégrer 3 éléments majeurs à sa réflexion/

      1)  Le catholicisme français avait changé et le Vatican était le couronnement,  à un niveau institutionnel et international, d’un processus où une grande partie des catholiques français avaient intégré des éléments de laïcité

2)     La loi Debré était beaucoup plus ambivalente que les laïques le prétendaient : certes, le: contrat passé avec l’Etat permettait le « caractère propre », mais il comportait aussi des exigences de laïcité (identité des programmes, respect de la liberté de conscience)

3)     Un monopole étatique sur l’école n’est pas considéré comme souhaitable : Jules Ferry l’avait déjà indiqué, et depuis la défiance à l’égard du monopole s’était renforcée par la critique des institutions trop sûres d’elles même, faite notamment en Mai 68, et les problèmes de l’école démocratique de masse (réforme Haby en 1975)

Là aussi, on nous avait menacé des pires catastrophes : la loi Debré avait été attaquée comme loi « pire que celles de Vichy » (J. Cornec). Et la gauche est, ensuite, allée plus loin que la loi Debré dans la transaction avec l’enseignement catholique (accords Lang-Cloupet en 1992).

Moralité : l’inflation idéologique est, à terme, porteuse d’un renoncement. L’absence de débat sur la loi Debré quant il est question de laïcité aujourd’hui en France, montre une approche aussi unilatérale que l’ancienne (en inversant d’une critique que négative à une acceptation que positive), qui nie tout autant l’ambivalence de cette loi.

 

Donc, nous pouvons donner une double conclusion :

- C’est une erreur philosophique de penser l’universalisme comme étant déjà là.

- Il faut promouvoir la liberté de penser dans les conditions du 21ème siècle.

 

Sur ces deux  points le Canada (et sa variante québécoise) peut nous apprendre quelque chose (et peut-être inversement).

 

Il n’a pas eu à se servir du citoyen abstrait comme arme à double tranchant mais il se situe bien dans la logique d’un horizon universaliste de la lutte contre les discriminations pour les droits égaux quelques soient les caractéristiques concrètes. Le multiculturalisme reste libéral : il n’aboutit pas à une juxtaposition de régimes juridiques différents.

 

III L’apport canadien possible à un renouveau de la laïcité en France

 

Hypothèse : le Canada a tiré les conséquences de trois faits nouveaux, on n’est plus dans un schéma binaire public/privé mais dans un schéma ternaire ;  il s’est produit une déconnection entre territoires et cultures ; on n’est plus dans la croyance en une connexion des progrès :

 

I/ Schéma ternaire :

 

  1. sphère du pouvoir politico-juridique avec ses deux aspects :
    • processus politique de décision
    • application, y compris coercitive si besoin, des lois
  2. sphère privée des choix personnels : droits de l’individu dont la garantie est un devoir de cette sphère du pouvoir politico-juridique (historiquement, il s’agit d’une conquête par rapport à ce pouvoir)
  3. espace (public) de la société civile pluraliste : lieu à la fois géographique et social de diversité, de confrontation, rencontre, etc…Il fonctionne selon une logique associative (c'est-à-dire volontaire et libre) et non pas institutionnelle (c'est-à-dire à l’obligation et/ou à la forte pression sociale). Cet espace est :

·        lieu d’expression publique des choix privés (lois libérales dés la III République instaurant les liberté de la presse, de réunion, d’association… et la loi de 1905 qui s’est située dans ce mouvement)

·        lieu de débats infrapolitiques

·        lieu de conduites plurielles

 

 

II/ Déconnection entre territoires et cultures

 

Lors des processus de laïcisation du XIX et du début du XXe siècle, à un territoire donné correspondait en gros une culture dominante avec des sous cultures englobées (en France la « grande patrie » et les « petites patries ») et surtout des transferts culturels.

Par exemple, l’allemand Kant a plus d’influence sur la morale laïque française de la IIIème République que les Lumières françaises.

 

Maintenant on est passé, schématiquement, des contacts et transferts entre cultures  à une situation pluriculturelle.

Il s’est donc produit une déconnection (relative mais réelle) entre territoire et culture et l’augmentation de personnes qui se situent dans des « cultures diasporiques ».

Et si la religion ne surplombe la société (acquis de la laïcisation), elle est devenue une des ressources culturelles dont dispose l’individu. Cela oblige à revisiter le rapport entre « culte » et « culture »

 

III/ Fin de la croyance unificatrice en la connexion des progrès

Le progrès scientifique engendrait un progrès technique qui engendrait un progrès du bien-être. Il y avait, dans la représentation dominante, une connexion des progrès. Maintenant, on assiste à une croissance de l’incertitude.

 

Première sécularisation : signification religion dépendante des choix des individus.

Maintenant que la sécularisation est établie : la religion permet à l’individu de disposer de significations. Religion, comme d’autres convictions, nous venons de le voir, est devenue d’un point de vue sociologique : ressource culturelle.

Dans ce contexte, la laïcité consiste dans le fait que les familles symboliques (religions organisées et autres familles de pensée) forment une partie de l’espace public de la société civile pluraliste.

 

Cela signifie que doivent être sauvegardées

- d’une part l’autonomie de la sphère politique (religion : autorité et non pouvoir)

- d’autre part l’autonomie de la sphère privée (religion : réalité collective livrée  à la liberté du choix individuel au niveau des croyances).

 

L’accommodement raisonnable canadien, comme outil pour éviter les discriminations indirectes est alors doublement un instrument de laïcité, cela comme principe de fonctionnement social, au-delà de sa technicité juridique : la commission Bouchard et Taylor a parlé, à ce niveau, de pratiques d’ajustements.

 

- Il est d’abord (et cela ne me semble pas dit) un facteur possible de laïcisation…de la sphère politique : plus facile de dissocier la loi par rapport aux normes religieuses quand on a le correctif d’un accommodement possible.

C’est si vrai que la dernière grande loi française en matière de laïcité, c'est-à-dire la loi Weil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (1975) prévoit l’objection de conscience du personnel soignant (elle est donc dans cette logique d’ajustement).

La France n’a pas adopté de loi autorisant le mariage de personnes de même sexe : alors qu’une pratique d’accommodement raisonnable, d’objection de conscience possible pour les maires qui en conscience ne pourraient célébrer de tels mariages, faciliterait une telle adoption.

 

- Il est aussi un facteur de laïcisation de la sphère privée. Il permet d’être hérétique à l’égard de son appartenance religieuse puisqu’il s’agit d’un droit individuel.

Il permet à l’individu d’être pluriidentitaire, d’avoir de multiples facettes. Chaque individu se situe dans majorité sur beaucoup de plans, il peut être minoritaire sur tel ou tel point. Cela est logique avec l’idéal du « semblables et différents » (par exemple : un blanc-rose homosexuel ; un hétérosexuel noir sont, à la fois, majoritaires et minoritaires).

 

Dans l’espace diversifié de la société civile, il est logique que se produisent des frottements culturels. Comment éviter que cela ne se traduise en conflit ? AU Canada :

 

·        Les représentants de la sphère politique : police, administration, juristes, etc reçoivent :

a.      une formation interculturelle

b.      une formation à prévention des discriminations

cf la ville d’Ottawa qui possède, en plus, un comité police-citoyens capable d’effectuer certaines médiations.

 

·        Acceptation de l’hétérogénéité des conduites avec présomption d’innocence : savoir que l’on ne connaît pas la signification que donne l’autre à son comportement, sa conduite, sa tenue. Il ne faut pas calquer sur l’autre ce que j’appellerai la pire interprétation (une fille qui porte un foulard est contre l’égalité homme-femme ; une fille qui a une tenue sexy a des « mauvaises mœurs »)

Intéressant de comparer, sur ce sujet, Toronto et Paris,

-          Toronto : il peut y avoir  filles à foulard en salle de classe et femmes aux seins nus dans les jardins publics d’été

-          A Paris : loi du 15 Mars interdit le port du foulard à l’école publique et il y a, également, l’interdiction des seins nus l’été à Paris –plage.

Il y a une logique dans cette réunion de deux faits sociaux. L’acceptation de l’hétérogénéité culturelle est plus forte à Toronto qu’à Paris

 

·        La plupart des interactions pluriculturelles s’effectuent de façon pacifique.

Quelques unes donnent lieu à des incidents. En général, ils sont nettement moins graves que les conséquences de la circulation automobile. Ne pas transformer les incidents  en « affaire » dont les médias parlent en boucle. Dans ce contexte de frottements culturels, il y a la nécessité d’une retenue médiatique.

Dans mon ouvrage, je montre la différence d’attitude entre la commission Bouchard – Taylor et commission Stasi par rapport aux médias.

 

En conclusion, je dirai qu’il faut articuler trois niveaux différents:

 

  1. Celui du Multiculturalisme : non comme juxtaposition des cultures mais comme possibilité pour ces cultures de continuer à être vivantes (c'est-à-dire à la fois transmises et réinterprétées) en situation diasporique.

 

  1. Celui de l’Interculturalisme :

·        Contacts, échanges : réduction de la « menace » de l’altérité : comprendre les divers systèmes de représentations en présence sur la scène sociale

·        Transversalité : développements d’apports réciproques de synergie

 

Cela signifie-t-il un abandon du « républicanisme » ? Non : un niveau républicain doit être également présent.

-          pour éviter que les rapports de force de l’espace public de la société civile porte atteinte à l’autonomie des sphères politique et privée (cf affaire dite des « tribunaux islamiques » de l’Ontario).

-          pour éviter les tentatives de groupes d’englober l’identité des individus, d’instrumentaliser les « pratiques d’ajustement » qui ont pour objet des individus et non des groupes.

-           pour tirer le culturel de l’ethnicité vers l’universalité.

 

Le républicanisme joue, là, la fonction d’

  1. Universalisme en devenir et chaque culture est considérée comme une part d’universel.

 

Laïcité interculturelle comme laïcité roseau, plus résistante aux tempêtes sociale que la laïcité chêne de la fable de Jean de La Fontaine.

Apte à assumer le frottement entre cultures tout en évitant le conflit de civilisations.



[1] Notons qu’une conception plus restrictive de la laïcité, l’identifiant à un refus de la religion dans l’espace public n’a recueilli que 8%.

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