25/04/2009
LAÏCITE, CITOYENNETE, IDENTITE NATIONALE, 1830-2009
Pour contribuer au débat actuel sur « l’identité française »
Ca y est, c’est reparti : le problème de l’identité nationale est remis en selle, notamment par un rapport du Haut Conseil à l’Intégration. Cela donne un surcroît d’actualité à l’ouvrage que j’avais commencé à commenter, pour vous, chers Internautes. Et cela en exclusivité mondiale, que dire, en exclusivité galactique.
Je rappelle le titre : 1962. COMMENT L’INDEPENDANCE ALGERIENNE A TRANSFORME LA FRANCE (Payot), et l’auteur Paul Shepard.
D’abord, un premier rappel. J’entends souvent dire que ceux que l’on qualifiait de « travailleurs immigrés » dans les années 1970 sont devenus progressivement des gens qualifiés de « musulmans ». Autrement dit, une appartenance religieuse (réelle ou supposée) a remplacé, dans le système de classement, la catégorisation socio-économique.
Disant cela on pense dans le cadre d’une temporalité très courte, et on croit alors que c’est un (pseudo) « retour du religieux » qui est la cause de ce changement
Mais la raison est autre et si cela s’est effectué aussi facilement, c’est parce qu’il ne s’agissait nullement d’une nouveauté. En fait, on reprenait la classification qui avait fonctionné du XIXe siècle à la fin de la guerre d’Algérie.
Shepard rappelle que cette classification juridique « ne s’appliquait pas nécessairement à des pratiquants de l’islam. » (p. 23) Elle connotait un « droit civil local », c'est-à-dire des « droits coutumiers coraniques et berbères » qui s’appliquaient pour le « statut civil » (p. 363).
Rappelons aussi (Shepard le fait p. 48) que de 1881 à 1944, le « Code indigène » s’est ajouté au Code pénal et a institué des « peine exorbitantes » pour des « infractions perpétuées par des ‘indigènes’ et eux seuls ».
Dans une étude d’Emmanuelle Saada (chercheuse pas assez connue, dont les travaux sont d’un grand intérêt) j’ai trouvé la mention d’un arrêt de la Cour d’appel d’Alger en 1903, comportant l’expression de « musulmans chrétiens » ! Derrière la religion, l’ethnicité !
Shepard indique que « pendant des décennies, le terme ‘Algérien’ a fait exclusivement référence aux Français d’origine et aux autres Européens » (p. 43).
Autre rappel essentiel et complémentaire : si l’Algérie formait « une extension de la France ; à savoir trois départements », la citoyenneté de la plupart de ses habitants (« dans sa quasi-totalité une population dite ‘indigène’ ») a été « continûment repoussée ».
La situation a été analogue à celle des femmes (on verra que les femmes algériennes ont cumulé les deux pseudos handicaps).
Et la raison invoquée a été identique : « la citoyenneté définissait quels individus avaient le droit de participer au gouvernement de la nation » parce qu’ils étaient (au contraire de ceux qui étaient exclus) « capables de prendre une décision rationnelle » (p. 37), c'est-à-dire qu’ils étaient (contrairement aux exclus) des "citoyens abstraits"
Cela ne signifiait pas une logique raciale totale et explicite. A la différence des femmes, alors toutes exclues, « certains critères » pouvaient faire « accéder à la citoyenneté » les dits "musulmans".
Mais on a mis en place des « obstacles bureaucratiques dissuasifs » qui ont permis de ne pas répondre positivement à des demandes qui répondaient aux critères posés (cf. les travaux de Patrick Weil, dont le tort est d’en faire une aberration, alors que la permanence de cette politique montre qu’il s’agit d’un double jeu structurel).
D’autre part « certains n’ont pas fait la demande pour ne pas être vus « comme des apostats ou des collaborateurs ».
Résultat : il y a eu, entre 1865 et 1899, 1309 hommes devenus citoyens français, pour une population dite « musulmane » de 4millions d’habitants (p. 44).
On voit bien l’ambiguïté : la logique n’est pas purement ethnique. Il n’y avait pas une infériorité structurelle et éternelle due à l’appartenance ethnique. Le but proclamé était l’assimilation : « grâce à celle-ci, tous les hommes d’Algérie deviendraient un jour des citoyens français » (p. 38).
L’assimilation suppose la représentation d’une infériorité temporaire, et non figée.
Mais, double jeu : il y a eu « l’impunité » pour les bureaucrates opposés aux demandes « de naturalisation d’Algériens de statut civil local, parfaitement qualifiés par ailleurs » et, chez les élus européens, le succès de l’« obstruction au financement d’écoles pour enfants de statut civil local, en dépit des lois Ferry » sur l’obligation de l’instruction (p.52).
En fait, l’ethnicité, sans être totale, imprégnait les politiques publiques et aboutissait au fait que certains (les hommes d’origine européenne) étaient rationnels a priori (sans « particularisme ») et donc citoyens ; et que d’autres avaient à devenir rationnels, et à sortir de leur « particularisme » pour cela.
En fait, écrit Shepard, « il n’était guère possible, pour un groupe où un individu, d’adopter un statut personnel par conversion ou par mariage (abjurer son appartenance religieuse ne permettait pas non plus de sortir de ce statut). C’était seulement par le droit du sang ou jus sanguinis, c'est-à-dire par la descendance, qu’un individu se trouvait soumis à un statut civil local » (p. 40).
C’est ce que j’appelle l’ETHNO-REPUBLICANISME.
Projetons nous tout de suite en 2009, pour indiquer que nous ne sommes toujours pas sortis de cette logique ethno-républicaine : un dessin de Serguei dans Le Monde (22 avril) l’indique à sa manière : on y voit un Français moyen, Sarkozy qui déroule un texte (où implicitement, on comprend que se trouve marquées les conditions nécessaires pour l’identité nationale) et des migrants ou membres de ‘minorités visibles’.
Le Français moyen dit à Sarkozy : « Entre nous, je n’ai jamais partagé les valeurs républicaines » et ce dernier lui répond : « Ce n’est pas pareil. Vous, vous êtes un vrai Français. »
Et, dans mes ouvrages comme dans ce Blog, j’ai eu mainte fois l’occasion de dénoncer un double jeu sous couvert de laïcité : les Français ‘de souche’ ou issus de migrations européennes sont considérés comme laïques a priori, par essence ; les autres doivent passer une sorte d’examen de passage en matière de laïcité.
Une Alascien, farouche défenseur du Concordat et du système des "cultes reconnus" ne sera pas suspect d'être anti-laïque, de déroger aux dites "valeurs républicaines", mais... pas besoin d'écrire la suite: vous la connaissez déjà.
Autrement dit: on peut avoir une interprétation différente de la laïcité prédominante, sauf si...
Revenons à l'histoire de la France-Algérie: il existait aussi, à l’origine, un « droit coutumier mosaïque » pour les dits « israélites indigènes». Le célèbre décret Crémieux de 1870 les a déclarés « citoyen français » et a décidé de régler leur « statut personnel (…) par la loi française ». Mais « la III république n’a mis en place aucune disposition comparable au décret Crémieux pour les Algériens soumis au droit musulman ou au droit coutumier berbère » (p. 45).
Là aussi, cette séparation entre personnes appartenant (ou censées appartenir) à deux religions différentes (et, implicitement, à deux ethnicités) a eu des conséquences qui perdurent encore aujourd’hui.
De facto, cela perdure souvent sur un plan sociologique. Et même officiellement à un niveau juridique : j’ai une amie, originaire d’Algérie, qui s’est fait demander le certificat d’une cérémonie juive de sa mère quand elle a fait refaire sa carte d’identité.
Elle a été très choquée et a dit à l’employée (qui n’était naturellement pas en cause : elle ne faisait qu’appliquer la loi) : « Mais enfin, je croyais que l’on n’était plus sous Pétain ». En fait, elle interprétait mal la chose, tout en ayant raison de s’indigner.
Après la seconde guerre Mondiale, la Constitution de la République a voulu changer cette politique discriminatoire. Il est important de le souligner car un membre éminent du Conseil Constitutionnel continue à colporter sur les chaînes de télés et de radios, l’idée que la France est « une et indivisible ».
D’autres Rrrrépublicains propagent allègrement cette contre vérité. Les journalistes reprennent (de bonne foi en général) cette expression, la croyant typique d’un « modèle français » (opposé à l’anglo-saxon, naturellement !). J’ai du, dernièrement, envoyer un rectificatif à un quotidien.
En voici un extrait :
Si la Constitution de 1793 a proclamé "La République française est une et indivisible", ce qui a contribué aux dérives que l'on sait, les Constituants de 1946 et 1958 ont soigneusement enlevé le qualificatif "une". Ils ont déclaré que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale"
Qu'est-ce à dire? Précisément que la France est plurielle et que cette pluralité ne doit pas aboutir à faire éclater le corps politique. Il y a là un double refus dialectique et de l'uniformité et de la fragmentation.
Il y a tout un travail à faire, pour lutter contre le stéréotype (faux) de la « France une et indivisible ». Chaque fois que vous entendez (ou lisez l’expression) n’hésitez pas à reprendre votre interlocuteur ou, s’il s’agit d’un média, à envoyer un mel ou un sms.
Donc en 1946 la Constitution a « réaffirmé le principe d’égalité entre les différents Codes civils ; elle a également créé une citoyenneté de ‘Union française[1] (y compris les Algériens de statut civil local), ainsi qu’à tous les [ex] sujets coloniaux » (p.59).
Les Codes indigènes et les travaux forcés ont été supprimés. Mais, la loi du 20 septembre 1947 a autorisé « des restrictions limitant l’exercice des droits politiques » (p. 61), notamment la perpétuation du « double collège » qui fonctionnait depuis 1919 (sur ce système, cf p. 367).
Ce double collège avait comme conséquence que les « Français d’Algérie » (comme on les appelle alors) (cad les personnes d’origine européenne + les juifs algériens), qui formaient 10% de la population comptait plus que les dits « Français musulmans d’Algérie» et étaient politiquement dominants.
Cela aboutissait d’ailleurs à une apparente contradiction, à mon avis typique de l’ethno-républicanisme (pas totalement racialisé, mais quand même…) : La loi de septembre 1947 stipulait que « les musulmans qui résident en France métropolitaine y jouissent de tous les droits attachés à la qualité de citoyens français »
Bel aveu : les « musulmans » qui résident dans les départements français d’Algérie, eux….
En outre, les femmes Algériennes de statut civil ne purent pas voter et furent électrices seulement en 1958. On le voit, question « émancipation » des « femmes musulmanes », la France a été brillante…dans la discrimination.
Les « événements d’Algérie » = la guerre d’Algérie débuta, on le sait, en novembre 1954 par une série d’attentats à la bombe faisant 8 morts et 6 blessés. Le FLN, qui les revendiquait, réclamait l’indépendance de l’Algérie.
Commençait alors une guerre de 7 ans ½ jalonnés d’attentats, de massacres, de « corvées de bois », de tortures, d’atrocités diverses. La IVe République n’allait pas survivre à son incapacité à régler le problème. Les politiques affirmant que « L’Algérie c’est la France »
***
Pour toute cette époque, Shepard a effectué une synthèse de nombreux travaux d’historiens, sans effectuer lui-même de travail de première main. Sa recherche porte sur la suite, et particulièrement la fin de la guerre.
Il était nécessaire, cependant, que je résume un peu longuement cette partie historique, pour ne pas dénaturer son ouvrage et, aussi, parce que je pense que cela peut apprendre des choses à nombre d’internautes.
Moi-même je ne connaissais ni le détail de la loi de 1947, ni l’absence de droit de vote pour les dites femmes musulmanes jusqu’en 1958.
Par ailleurs, ce rappel d’histoire me semble instructif pour décrypter des impensés de la représentation dominante de la laïcité. Je l’ai fait, dans cette Note, à plusieurs reprises et chaque internaute peut compléter.
Notamment, l’usage constant, dans la longue durée, du terme de « musulman » par la France laïque, pour qualifier une partie de ses nationaux est un facteur d'explication du regard actuel de la France dite laïque sur "ses" citoyens dits "musulmans".
Shepard a aussi choisi, dans le débat interprétatif entre Patrick Weil et Emmanuelle Saada, la même position que cette dernière (et je pense que c’est à raison)
Pour Weil, la politique républicaine en Algérie a été « dénaturée », ce qui (note Shepard) « conforte la conception normative et cohérente de la nationalité française égalitaire et a-raciale » (on aimerait bien qu’il en soit ainsi!)
Pour Saada, « la dissociation coloniale entre nationalité et citoyenneté est révélatrice (…) de tensions plus générales, internes à la définition de la nationalité dans le contexte français ».
Cependant, Shepard va se distinguer de Saada, en affirmant qu’en 1956 (timidement) et en 1958 (de façon plus systématique) « les dernières années de l’Algérie française ont ouvert de nouveaux horizons au recoupement de la nationalité et de la citoyenneté tel que le fait leur acception républicaine »
Et, corrélativement, il soutient la thèse « qu’avec l’indépendance algérienne, la France a adopté de nouvelles restrictions concernant l’appartenance à la nation, restrictions qui ont introduit dans les lois métropolitaines et les pratiques administratives une appréciation racialisée de l’origine des individus ».
C’est cette double thèse que je vais exposer dans la prochaine Note, puis j’indiquerai ce que j’en pense et les enjeux actuels qui se dégagent.
A bientôt.
[1] Remplaçant l’ancien Empire colonial et créant, selon certains historiens, u « impérialisme déracialisé ».
16:14 Publié dans Laïcité et crise de l'identité française | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Bonjour Monsieur,
Je viens de lire votre message du 25 courant et je le trouve intéressant, endépit de qques désaccords.
Je vais l'envoyer à ma belle fille de Paris qui vient d'être détachée au secrétariat à l'outre mer pour s'occuper de Mayotte sur le plan emploi, formation, éducation.Elle y trouvera sûrement des infos intéressantes.
je voudrais revenir sur mon désaccord avec vous. D'après ce que j'ai compris, vous voyez dans la laicité un moyen de faciliterl'insertion des immigrés.
Ma conception de la laicité est plus simple : l'état chez lui, la religion chez elle.
La laicité n'est pas un instrument socio je ne sais quoi.
Remarquez, votre position est plus sympathique que celle de Sarko (et d'autres en d'autres temps ou d'autres lieux)
qui y voit un auxiliaire du maintient de l'ordre.
Autre chose. Je vous trouve un peu roublard quand vous faites semblant de vous étonner et même de vous indignerdevant les panneaux publicitaires en amérique du sud.Vous déplorez leur inadéquation avec les populations "natives".Effectivement, une maya est assez éloignée du top model occidental.
Mais c'est pariel en FRANCE : croyez vous que la ménégère de moins de 50 ans ressemble à untop model.En outre, ces images sont bidonnées.
Et puis croyez vous que les gens qui voient ces affiches achètent les produits vantés, généralement haut de gamme.Pensez vous aussi que le lecteur moyen du NObs, de l'express ou du point va s'acheter la paire de tongs à 1000 euros de la rubrique " les bricoles pas cher".
Salutations distinguées Roger Mulot
Écrit par : MULOT Roger | 28/04/2009
Il s'agit d'une denomination ethnique. Il y a effectivement des Arabes chretiens, en particulier en Israel, lire l'article. Arabe prend une majuscule lorsque c'est un nom, une minuscule lorsque c'est un adjectif (comme pour tous les noms/adj de nationalite, ethnie, etc, bien sur).--Josce 30 juillet 2006 à 15:42 (CEST)
pourquoi 20% d'arabes sur l'article en anglais et 15% sur l'article français?
un conseil, lisez la version anglaise, cette version française et totalement tronquée
Écrit par : Generic Viagra | 07/12/2009
Excellente lecture, merci beaucoup ! ! !
Écrit par : pari sportif | 27/05/2014
Il est exceptionnelle votre blogue, prompte, pratique, nous l'aime bien, est ce que la fabrication d'un tel blog est gratuite ?
Écrit par : pari france honduras | 12/06/2014
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