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15/04/2009

1962: DATE CLEF POUR LA LAÏCITE ET LA CITOYENNETE EN FRANCE

Ce blog s’intitule : « laïcité et regard critique sur la société ». Sa raison d’être consiste à lier ces 2 aspects, à combattre une représentation (actuellement dominante) de la laïcité. Cette représentation sert d’alibi pour s’abstenir de critiquer les structures sociales qui informent  notre vie quotidienne, pour détourner les regards vers celles et ceux qui se trouvent rejetés aux marges.

Ainsi, significativement, le livre dont je vais parler ne sera pas dans les devantures des libraires. Vous ne le trouverez pas à côté des petites merdes qui (sauf exceptions) sont exposées partout sous l’appellation « Meilleures ventes ».

Il est même difficile de le trouver et il n’y a pas du y avoir beaucoup de comptes-rendus (j’espère que des internautes pourront démentir) car plusieurs personnes, qui travaillent pourtant sur des sujets proches, ne le connaissaient pas avant que je le leur signale. Moi-même je l’ai acheté au Canada.

Cet ouvrage important s’intitule : 1962 Comment l’indépendance algérienne a transformé la France. Il est paru  à la fin de l’année dernière chez Payot. Son auteur est un jeune (moins de 40 ans) historien américain, Todd Shepard et il a obtenu 2 prix scientifiques qui, après lecture, me semblent tout à fait mérités.

 

Cet ouvrage m’a d’autant plus passionné que la guerre d’Algérie a été l’élément clef de mon éveil aux problèmes politiques quand j’étais lycéen. Ce fut, avec l’opposition à la loi Debré sur l’école privée, mes premiers engagements. Mon « premier regard critique » sur la société.

Bien sûr, je ne m’étais pas formé tout seul. Mes parents s’opposaient eux aussi à la guerre. Et je lisais Sartre, Ricoeur, le Bloc-notes de Mauriac, l’hebdomadaire France-Observateur, tous opposés à la guerre. Je lisais également La Question d’Henri Alleg, livre qui circulait clandestinement car son auteur racontait comment il avait été torturé.

Mais, par ailleurs, j’avais parfois quelques doutes : Je rencontrais, notamment dans ma paroisse protestante à Limoges, beaucoup d’adultes qui étaient « Algérie française ». C’étaient de « bons bourgeois », pour la plupart. Certains d’entre eux trouvaient même que de Gaulle en accordait trop aux « Musulmans » (c’est ainsi qu’on les désignait) par sa politique d’intégration.

Ces « grandes personnes » (c’est ainsi qu’on les appelait alors) m’expliquaient que je n’étais qu’un adolescent, que je ne comprenais rien à rien, que l’Algérie était française depuis plus longtemps que Nice et que, jamais, elle ne serait indépendante.

 

En1962, j’étais devenu étudiant parisien et, armé d’un fusil, je gardais la nuit, avec quelques camarades, des locaux (comme ceux du Mouvement de la Paix), menacés de plasticage par l’OAS (Organisation Armée Secrète) qui voulait maintenir à tout prix l’Algérie française alors que de Gaulle concluait un accord avec les chefs de ce que l’on appelait « la rébellion ».

L’accord, qui conduisait l’Algérie à l’indépendance, fut ratifié massivement par un referendum : environ 90% de « oui ». Un score quasi stalinien, paradoxe d’une consultation pourtant démocratique.

Ce résultat m’abasourdit. Il montrait clairement que la plupart des adultes qui m’avaient seriné, des années durant, que l’Algérie était française et le resterait toujours, avaient «voté « oui ».

Ils avaient retourné leur veste ! Et moi, quand je revenais à Limoges voir mes parents, je faisais des marches d’approche pour tenter de leur faire dire les raisons de ce retournement. Mais aucun d’entre eux ne s’en expliqua vraiment. Ils étaient comme frappés d’amnésie. C’est tout juste s’ils ne niaient pas les propos qu’ils avaient tenus.

 

Ce fait a été une des expériences décisives de ma vie, et sans doute, d’une manière ou d’une autre, de pas mal de gens de ma génération. Les adultes sûrs d’eux-mêmes, arrogants, débitant des évidences, non seulement avaient eu tort, mais ils ne l’assumaient pas, ne voulaient pas le reconnaître.

Cette déstabilisation de la légitimité des adultes rendait nécessaire d’élargir la contestation à l’ensemble de la société tout entière. La préparation (non consciente) de Mai 68 s’enracine dans la suite du refus de la guerre d’Algérie, de la nécessité de ne pas « rentrer dans le rang », comme si rien ne s’était passé.

Les dits « adultes… bourgeois» continuaient à pérorer, toujours aussi arrogants et sûrs d’avoir raison. Vu leur classe sociale, leur place dans la société, ils ne pouvaient qu’avoir raison ! Ils avaient toujours eu raison et ils auraient toujours raison.

Mais, en réalité, pensions nous, ils étaient incapables de penser vraiment. Ils racontaient n’importe quoi. Ce qui les avantageait au moment où ils parlaient. C’est pourquoi, ils pouvaient aussi facilement complètement retourner leur veste et, pire, oublier aussitôt ce virage à 180 degré.

L’un de ces adultes, plus fin que certains autres, et qui lui n’avait pas eu d’opinion tranchée sur la guerre d’Algérie, m’écouta. Il tenta de calmer ma révolte. De me dire de ne pas disqualifier trop vite l’ensemble de ceux, qu’avec Brassens, j’appelais ironiquement « les gens bien »

Il me fit comprendre que, moi aussi, je n’allais pas tarder à devenir adulte, à acquérir un statut dans la société. Et, qu’alors je risquais fort de changer d’avis. Pour lui c’était pratiquement inéluctable, car si c’était bien d’être jeune et en révolte, être plus tard un « jeune attardé », un révolté à statut social, risquait fort de tourner à la tricherie.

 

Ce propos (que je résume selon le souvenir que j’en ai gardé) me mis doublement en garde. Sur le moment, j’ai du privilégier le souhait de ne jamais ressembler à ces adultes bonne conscience, ces girouettes à l’amnésie commode.

Ensuite, ruminant de telles paroles, j’ai effectivement pensé qu’un second danger consistait à nier sa situation sociale réelle par une contestation radicale qui ne serait qu’un alibi, un masque. Une façon facile de se donner également bonne conscience d’une autre manière.

Tant de gens friqués (bien plus que moi, bien sûr !), tant de vedettes du show-biz cultivent ce double jeu. Tant de pseudo défenses de la liberté d’expression, de la « laïcité républicaine »  et/ou de l’égalité homme-femme[1] sont dans cette hypocrisie structurelle.

 

Il suffit de lire le magazine Elle pour se rendre compte combien le conformisme le plus plat, l’attestation la plus complète de l’aliénation par la société marchande, devenue le critère suprême de comportement et de style de vie, peut voisiner avec la pseudo défense des nobles causes, et la certitude que l’on est parmi les chevaliers du bien combattant l’intégrisme, l’intolérance, le sexisme, etc, etc.

« Père garde toi à droite, garde toi à gauche » : de multiples périls. Etre mobile est peut-être une manière de ne pas s’installer complètement dans l’un d’entre eux.

 

Et surtout il s'agit d'éviter le MORALISME.

C’est quoi le moralisme ? Cela consiste à faire prévaloir le jugement moral (aussi fondé soit-il, et quelque soit l’excellence de la cause que l’on défend) sur la démarche de connaissance.

Cela consiste à se servir de ce jugement moral pour pouvoir être dans l’indignation au premier degré et éviter l’effort, la pénibilité même, d’une démarche de connaissance.

Une démarche de connaissance se doit d’affronter des « faits désagréables » (Weber dixit), c'est-à-dire les paradoxes, les effets non voulus et contre-productifs, le fait qu’on atteint pas son objectif le plus souvent par une ligne droite mais par des zigzags, comme au billard.

(ce qui signifie aussi que l'on ne pourra pas avoir d'opinion valide sur tout et que, sur certains sujets où son information est uniquement, ou principallement l'info-déformation médiatique, l'honneteté intellectuelle consistera à être dans le doute).

Le moralisme, c’est l’enfer pavé de bonnes intentions, et ignorant des conséquences réelles de ses actes et de ses paroles, en toute bonne conscience.

C’est réagir en chien de Pavlov : l’immédiateté et l’affectivité médiatiques nous incite, à chaque instant, à adopter une attitude moraliste.

***

Mais je m’égare complètement, chers zamis interanautes. Je voulais vous parler d’un livre important, et je vous inflige mes souvenirs d’ancien combattant !

Pourquoi une telle dérive ? Je voulais simplement vous expliquer : (1) pourquoi je me suis précipité sur cet ouvrage et (2) pourquoi sa lecture a été dérangeante et passionnante pour moi. Pourquoi il faut donc que je vous en parle un peu longuement (1 et 2)

 

Le (1) : tout ce livre est fondé sur le fait que, précisément, la France a, en 2-3 ans, complètement changé de politique à l’égard de l’Algérie. Cela de façon quasi-consensuelle et sans réfléchir, analyser ce qu’elle faisait et pourquoi elle le faisait. Et rapidement, elle est devenue amnésique à ce qui s’est passé.

Je le cite : « Comment se fait-il, notamment, que tant de personnes dans les années cinquante aient soutenu avec insistance que les Algériens étaient des Français ? Cela m’a conduit (écrit T. Schepard) à regarder de près comment s’est concrétisé, en 1962, l’affirmation qu’ils pouvaient ne pas l’être. » D’où l’examen en 410 pages serrées de ce « volte face ».

La thèse de l’auteur est la suivante: ce changement non élucidé, cette amnésie constituent de véritables boomerangs, les étudier s’avère fondamental pour comprendre l’histoire de la France depuis un demi siècle, la France d’aujourd’hui et les problèmes difficiles dans lesquels elle se dépatouille : « Pour moi, écrit-il, la fin de la guerre d’Algérie a changé la France »

(Il aurait pu, d’ailleurs, se dispenser d’écrire « la fin » ; mais son livre porte sur cette fin de guerre).

 

Schepard cible notamment 2 sujets essentiels :

- la manière dont des institutions de la Ve république gouvernent la France

(« Je montre comment de nombreuses règles d’abord mises en œuvre au nom du combat contre les violences du FLN sont devenues des lois qui s’appliquent aujourd’hui à tous les habitants de la France »)

- la crise de l’identité de la nation française ; celle de la citoyenneté, mais aussi les questions des rapatriés, de l’immigration, de la mémoire et de la réconciliation.

( « les non-Français ont été, selon le moment, les « musulmans », les défenseurs de l’indépendance algérienne, les juifs, les « pieds-noirs », les défenseurs de l’Algérie française ou les harkis »)

A ces sujets, j’ajouterai, bien sûr, aussi la crise de la laïcité française, sujet non abordé directement mais sur lequel Todd Shepard donne une contribution essentielle.

 

Le (2) est que l’auteur a un regard d’historien en non d’acteur, qui plus est, le regard d’un historien non Français, né après les « événements » (selon le terme employé à l’époque). Il veut se situer dans l’analyse et non l’engagement et les jugements de valeur.

Cela le conduit à n’avoir aucun respect qui limiterait l’analyse : les pages sur Pierre Nora sont, à cet égard, particulièrement désacralisantes.

Cela le conduit à des refus et à adopter des hypothèses fort dérangeantes. Là encore, je le cite :

- Il refuse d’adopter la thèse de « l’hypocrisie ».

« Quand, en 1962, les partisans de l’Algérie française –avec, parmi eux, les acteurs du terrorisme OAS- répètent qu’ils sont antiraciste et profondément républicains, je prends leur propos au sérieux, parce que leurs affirmations sont importantes au plan de l’analyse »

Et il ajoute : « ce livre propose une analyse de ce qui fut : de ce que les gens ont dit, et des effets produits par leurs paroles sur les faits et les événements ». Ce qui présente une valeur encore plus générale que le sujet qu’il traite.

 

- Il refuse également la thèse d’un « sens de l’Histoire » :

« Je n’hésite pas à affirmer que l’indépendance de l’Algérie n’était pas une fatalité. En effet, c’est précisément parce qu’elle n’était pas inévitable qu’un certain nombre d’Algériens qui la jugeaient nécessaire, se sont sentis obligés de s’engager pour elle, de faire en sorte qu’elle advienne ».

Débat important et ancien : je me souviens avoir lu que Marx a écrit, sous un pseudo, un article dans lequel il se critiquait, voire se moquait de lui-même : pourquoi s’engageait-il, avec les sacrifices que cela demandait, dans un combat pour obtenir quelque chose qui, selon ses propres dire, allait forcément arriver ?[2]

Bref Schepard, pour répondre en historien à la question qui m’avait taraudé (et d'autres aussi sans doute) comme acteur, met en cause les certitudes de la gauche (que j’ai, naturellement, tout à fait partagées), puis de la quasi-totalité des Français l’époque.

 

Quand j’ai lu, dans la 4ème de couverture, qu’il contestait que la décolonisation soit une « fatalité », cela m’a crispé. Mais c’était l’habituelle réaction au premier degré. Je devais donc la surmonter pour ne pas sombrer dans le moralisme que je dénonce par ailleurs.

J’ai donc acheté le livre, en sachant que je le trouverai moins cher en France. Mais il me faillait le lire sans plus attendre.

Et je n’ai pas été déçu.

Je vais donc vous résumer l’ouvrage et vous dire, in fine, mon point de vue.

(À suivre)

 

PS: Puisque j'ai donné mes souvenirs d'ancien combattant, je vous en livre un dernier pour la route: paix soit à l'"âme" de l'ex Immortel Maurice Druon. A l'automne 1997, comme je venais d'être recruté par Ségolène Royale pour faire partie de son Cabinet, la première Note qu'elle m'a demandé consistait à répondre à celui qui était alors le secrétaire Perpétuel de Aââcââdémie françoise.

Elle avait, ô blasphème (à l'époque), féminisé un nom de fonction (et dit, sans doute, "la ministre", comme on dit d'ailleurs, sans que cela gène nobody, "la secrétaire") et Druon l'avait vertement (c'est le cas de le dire) remise à ce qu'il croyait être sa place, en affirmant qu'en Français, "le masculin est d'un genre neutre".

Je me souviens d'ailleurs que cette féminisation faisait problème au sein du Cabinet où les avis étaient partagés.

J'avais écrit alors alors qu'avant Ségo, un sacré huluberlu, un zigoto, ne considérait déjà pas le masculin comme de "genre neutre". Il s'agissait du général de Gaulle qui commençait ses  discours par "Françaises, Français".

S. Royal avait ri et j'avais été du coup illico adopté par les femmes du Cabinet.

C'était la rubrique: Spécial frimeur! (mais c'est MON blog et je ne vais pas me géner!) 

 

 



[1] En relisant mon « journal intime » de mes années lycée, je me suis aperçu que je m’étais battu, à 16, 17 ans pour qu’il y ait des femmes dans le Conseil presbytéral de ma paroisse protestante (il y en avait une sur douzaine de conseillers, et je trouvais que cela faisait alibi). J’avais fait notamment une intervention dans l’Assemblée générale de la dite paroisse, écrit au pasteur et au Conseil, etc.

A chacun sa bonne conscience : c’est une chose dont je suis particulièrement fier car, vu mon age et l’époque, revendiquer la concrétisation de l’égalité homme-femme c’était particulièrement incongru.

D’une manière générale, j’ai beaucoup critiqué ma paroisse prot. de Limoges, dont beaucoup de pratiques me révoltaient. Elle le méritait certainement à bien des égards. Mais, rétrospectivement, j’ai quand même tendance à être plus dialectique.

Dès qu’on avait fait sa « première communion » (à 15 ans), on avait droit à s’exprimer à l’AG de la paroisse. Et je ne m’en privais pas !

Pour le Centenaire du temple (1958), il y avait eu une commission, avec 2 représentants élus des jeunes (j’avais été triomphalement élu par les autres jeunes). Avec quelques autres jeunes, nous avions fondé un journal Le trait d’Union (contestataire, naturellement !), que nous vendions à la sortie du  culte.

Ce que je raconte dans cette Note, montre que les « adultes » acceptaient de discuter avec des ados. Même si c’était pour dire de grosses bêtises, cela montre du moins qu’il les prenaient au sérieux !

Bref, relisez Tocqueville sur la participation des Eglises protestantes à la construction de la démocratie dans l’Amérique du XIXe siècle. Analogiquement, vous pouvez appliquer cela à la formation à la démocratie des jeunes, dans la paroisse protestante de Limoges à la fin des années 50. Et sans doute dans d’autres paroisses prot à d’autres époques.

[2] Un an de consultation gratuite du Blog à l’internaute qui me retrouvera la référence.

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