25/08/2008
ESPERANCE DE VIE, ESPERANCE DE VIVRE
Dans son ouvrage de 2004(La République, les religions, l’espérance, Cerf) et dans son discours du Latran, Nicolas Sarkozy a eu deux intuitions :
-l’importance que revêt ce qu’on appelle « l’espérance »,
-le fait que nous avons quitté une modernité implicitement « matérialiste » pour un autre rapport à la modernité.
Mais, d’une part, il n’a pas compris la complexité du problème de l’espérance, de l’autre le caractère personnel de l’espérance convictionnelle. Comme président de la République, il doit garantir la liberté des espérances, sans jouer au prêcheur qui prône une espérance particulière
Quittons Sarkozy. De façon plus générale une distinction n’est pas faite. Pourtant, elle serait révélatrice du plan ou la modernité a vasouillé : la distinction entre
Espérance de vie et espérance de vivre.
L’espérance de vie est une notion statistique : à sa naissance, à tel âge, si on est un homme, une femme, un cadre supérieur, un instituteur, un maçon, si on est Français, Japonais, Brésilien, on « possède » une espérance de vie de tant d’années.
Cela ne correspond à aucune réalité concrète personnelle, puisque l’on peut aussi bien mourir le lendemain, d’un accident, d’une maladie ou parce que l’on se suicide, que vivre 25 ans de plus que l’espérance de vie que l’on avait, étant donné les différentes caractéristiques dans lesquelles on pouvait être classé.
Pourtant, comme moyenne statistique, cela constitue l’instrument de mesure d’une réalité sociale : on peut –et on ne se prive pas de le faire !- mesurer l’évolution de l’espérance de vie, l’augmentation de l’espérance de vie.
Cette augmentation a été considérée comme un progrès : court circuit entre un fait scientifiquement construit et un jugement de valeur. C’est ce que dénonçait déjà il y a un siècle Max Weber dans ses Essais sur la théorie de la science.
La légitimité de l’institution médicale s’est beaucoup fondée sur l’augmentation de l’espérance de vie, sans que l’on sache d’ailleurs, scientifiquement, la part exacte qui lui en revient. L’hygiène, l’élévation du niveau de vie, etc ont compté, même s’il est clair que la médecine a eu également une certaine efficacité, mais plus complexe qu’on ne le pense.
Ainsi, la forte diminution de la mortalité infantile est due d’abord à l’action de groupes de femmes qui ont bénévolement mis sur pied divers services pour apprendre l’hygiène à d’autres femmes, des services, notamment de distribution de lait sain pour contrer les diarrhées qui étaient une source importante de décès de nourrissons.
Mais, grâce à l’appui de l’Etat, dans les différents pays où ces initiatives ont eu lieu (notamment la France, selon les travaux d’histoire des femmes de Seth Koven et Sonya Michel), des médecins (tous hommes) vont prendre la direction des institutions que ces femmes avaient fondées.
Mais la Note d’aujourd’hui n’est pas centrée sur la domination que la médecine a exercé sur les femmes, sujet important sur lequel il y aura sans doute à revenir. Retenons donc que, pour diverses raisons, l’espérance de vie a notablement augmenté depuis un siècle. Il y a eu matière à se réjouir, et on n’a pas manqué de le faire.Mais 2 problèmes ont été sous estimés- l’augmentation de l’espérance de vie s’est accompagnée d’une baisse de la natalité d’où les problèmes sociaux en cascade dus au « vieillissement de la population ». Ces problèmes sont devenus maintenant explicites
- d’autres problèmes - beaucoup moins explicités encore aujourd’hui- sont dus à la différence (non encore nommée) entre espérance de vive et espérance de vivre. Et c’est de cela que je voudrais un peu parler.
L’espérance, au niveau du symbolique, n’est pas réductible à une croyance dans l’au-delà. L’espérance en l’au-delà est une croyance privatisée progressivement par la modernité occidentale et qui, devenue croyance privée, n’a plus (hormis une minorité) chez les croyants eux-mêmes la même intensité qu’autrefois.
D’ailleurs dans les mainchurches, on va insister sur le fait que l’espérance chrétienne ne concerne « pas seulement l’au-delà », etc Et l’Occident se trouve idéologiquement dépourvu face au aux espérances de certains courants islamistes sur le paradis et ses belles vierges promises aux valeureux champions de la foi (Messieurs, c’est vrai que c’est diablement attirant !)
Ce que j’appelle « l’espérance de vivre », différente de l’espérance de vie, c’est ce que tout un chacun peut espérer quant à sa vie propre (et c’est la seule dont il dispose !), ce qu’il va réaliser sur les plans sentimental, sexuel, familial, professionnel, artistique, de loisir, de passions, d’intérêts divers,…. Pouvoir, argent, séduction, performances, réalisation dans un altruisme toujours peu ou prou narcissique, etc.Bref les rêves que l’on espère réaliser plus ou moins et qui vous motivent. En changeant le lieu du bonheur de l’au-delà à l’ici bas, les Lumières ont amorcé un processus qui a rendu progressivement les individus plus exigeants au sujet de cet ici-bas.
En effet, progressivement, non seulement le bonheur dans l’espérance de l’au-delà, mais celui donné par l’espérance des « lendemain qui chantent » et le bonheur transfert (style : je suis heureuse d’être la femme d’un mari qui réussit ; ou je suis heureux de servir tel maître,…) ont décliné socialement. Inversement le fait de se « réaliser » comme individu, de concrétiser des constructions sociales d’espérance de vivre (par exemple : être performant et séducteur) est devenu de plus en plus une sorte d’obligation sociale.
L’espérance de vivre n’est pas une pure rêverie. Pour exister elle a besoin d’indices qui la rende un peu crédible. La mobilité sociale apportée par l’école de la IIIème République a été plus limitée qu’on ne l’a cru, certes. Mais il n’en reste pas moins que l’on a pu longtemps y croire, d’une croyance partagée entre maîtres et élèves, et que l’existence d’itinéraires personnels de promotion sociale permettait d’y croire.
En même temps, c’est aussi parce que l’on y croyait (maîtres et élèves, parents avec plus de réticence parfois) d’une croyance partagée (cf. l’efficacité plus grande des placebos en double aveugle) que ces itinéraires ont empiriquement bien eu lieu. Et aujourd’hui des décisions comme celles de Sciences-Po (créer une filière de recrutement pour des élèves de ZEP)sont extrêmement importantes, au-delà même de leurs effets empiriques, par l’espérance de vivre qu’elles génèrent et qui débordent ceux qui en bénéficieront effectivement.
Cette espérance de vivre fait partie de l’expérience commune, mais on en parle, la plupart du temps, que par métaphores, style : « il a 25 ans et il a l’impression que la vie lui appartient », « il croit en lui-même », « il veut être à la hauteur de ses rêves », etc, etc. Dialectique de la marche et de l’horizon (cf le livre La marche et l'horizon que j'avais commis en 1979); Et puis, le contenu des espérances de vivre se réalise ou non : certains sont « perdus dans leurs rêves », « poursuivent des rêves impossibles », etc D’autres arrivent à les ‘réaliser’. Et cette réalité là comporte et satisfaction et désenchantement. La réalité empirique est rarement à la hauteur du rêve, mais présente l’avantage d’être empiriquement réelle.
Souvent c’est au tout début d’ailleurs que la réalité empirique tient les promesses du rêve. Ensuite, elle ne tient pas la distance. Habitude, aspects contreproductifs non prévus, difficultés nouvelles, etc induisent des désenchantements. C’est vraie pour la réalité collective comme pour la réalité personnelle : « La République était belle sous l’empire » disait-on sous la IIIème République. De même l’euphorie de la victoire de la gauche en 1981 n’a pas survécue aux contraintes du pouvoir, qui ont induit le « recentrage » de 1983.
Sur le plan perso, devenir un être satisfait de lui-même quelqu’un qui s’installe dans une situation établie, qu’il va défendre bec et ongle ou rebondir vers de nouvelles espérances de vivre devient l’alternative. Il y a différentes façons de vieillir ou ne pas trop vieillir. Arrive cependant un moment où il faut recadrer ses espérances de vivre, les adapter de façon réaliste. Le champ des possibles est moins ouvert ; les souvenirs et l’acquis plus denses que la nouveauté future. On s’adapte.
Mais le big problème, c’est, maintenant, quand la vie se poursuit alors qu’il n’y a pratiquement plus d’espérance de vivre : toute la question de l’euthanasie, qui déborde le problème de la souffrance à partir du quel on la pose explicitement : Messieurs les médecins, rendez-nous notre mort, tel était le titre significatif de l’ouvrage de la mère d’un jeune cancéreux décédé (S. Fabien) en 1976. Et depuis, on le sait, le problème n’a fait que croître.
La demande aux médecins de « rendre la mort », c'est-à-dire de la laisser advenir, témoigne d’une mutation fondamentale par rapport à l’époque où la prolongation de l’espérance de vie était forcément vue comme quelque chose de positif.Et il faudrait parler aussi, plus largement de ces « vieux » parqués dans des maisons de retraite, mis devant la télé. Ces « vieux » qui sont là, à attendre le temps qui passe et la mort qui finira bien par les rattraper. On assure la prolongation de leur vie alors qu’elle a perdu la signification que lui donnait l’espérance de vivre, que cette dernière a disparu.
Alors, je n’ai pas aucune solution miracle à proposer. Je voulais juste attirer l’attention, peu avant l’arrivée de Benoît XVI en France, de ce qui risque être un impensé commun et du ‘camp’ Benoît XVI – Sarko (si du moins celui-ci continue à se situer dans le prolongement du discours du Latran) et de ses adversaires, qui vont critiquer cela, mais qui n’analysent pas les mutations récentes de la modernité, ce qui les rend peu ou prou out.
PS : Un ami, après mes Notes sur la burka, m’a envoyé une longue critique argumentée, où (pour faire vite, dans un premier temps, il me reprochait de prendre de plus en plus, dans ce blog, des positions (disons) intellectualo-gauchistes. Inversement Pierre Delmas trouve l’annonce de la conférence de Raphaël Liogier (Grand succès : 150 personne, rassemblées dans une commune de 180 habitants) de trop faire dans le consensus. Diverses personnes m’interroge sur le ton, les motivations et les objectifs du Blog : de tout cela il va falloir que je parles dans une Note un peu spécifique où je reprendrai certaines critiques de mon ami comme point de départ.
D’autre part, je verrai avec Raphaël Liogier s’il publie son texte. En attendant vous pouvez aller sur le site de l'hebdomadaire Marianne pour mieux connaître ses analyses, et surtout lire l’ouvrage brièvement présenté dans la dernière Note (A la rencontre du dalaï-lama, Flammarion) qui montre des visages du dalaï-lama, plus complexes que la médiatisation qui en est faite.
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18/08/2008
CHINE ET TIBET
Conférence de Raphaël Liogier
A la Ferme de Villefavard (Haute-Vienne), Samedi 23 août à 16 heures.à La Ferme de Villefavard (Haute-Vienne, canton de Magnac Laval, à 10 Km de la N20), sortie 23) et, pourquoi pas, rester le lendemain, dimanche 24 pour le concert avec l'ensemble de cuivres de Paris (tout renseignement complémentaire sur ces questions: 0555766992). A visiter également (au même endroit) l'exposition: Achitecture réelle, architecture révée.L’histoire de la Chine et celle du Tibet sont inextricablement liées. Le poids politique des deux pays était comparable durant tout le Moyen-Âge. Le Tibet avait cependant, dès le XIIème siècle, la réputation d’une terre spirituelle perchée aux confins des hauteurs himalayennes. Le lamaïsme, auréolé de mystères, acquit dès ces temps anciens une profonde originalité parmi les autres courants bouddhistes. Les Mongols et leurs khans sanguinaires nouèrent, à cette époque reculée, des relations privilégiées avec la pacifique spiritualité tibétaine, relations qui se politiseront peu à peu. L’avènement de la dynastie mongole des Yuan en Chine (1271-1368) marque le début de rapports étroits entre le Tibet et l’Empire du Milieu, qui se relâcheront cependant à partir du milieu du XIVème, et ce jusqu’au XVIème siècle, au moment où s’établira cette étrange relation de chapelin-protecteur entre les deux empires. C’est aussi à cette période qu’apparaît la dynastie politico-spirituelle des dalaï-lamas.
Les revendications politiques de Tenzin Gyatso, l’actuel dalaï-lama, quatorzième réincarnation de la lignée, se rattachent à cette histoire complexe, au même titre que les contre arguments chinois, mais avec bien sûr des interprétations différentes de part et d’autre. Le dalaï-lama actuel, personnage exceptionnel, à la fois moine de haute spiritualité, philosophe moderniste et fin stratège, a réussi en deux décennies de patiente lutte non-violente, à fragiliser, aux yeux de l’Occident, la position chinoise au Tibet.
Nous verrons lors de cette conférence, qu’à travers la question du Tibet, s’affrontent aujourd’hui deux modèles de mondialisation, deux modèles de ce que l’on peut appeler « l’hypermodernité » : celle du néo-libéralisme dont la Chine est devenu une des puissance émergente majeure, qui repose sur la globalisation économique, et celle d’une nouvelle culture individuelle doublée d’une responsabilité citoyenne émergente dont le dalaï-lama est devenu un emblème majeur, et qui, elle, repose sur l’universalisme humanitaire. Entre histoire ancienne et modernité immédiate, entre spiritualité et politique, intérêts économiques et développement durable, se joue peut-être l’avenir non seulement des lointaines montagnes de l’Himalaya mais aussi celui de notre monde le plus proche, notre avenir finalement...
Raphaël Liogier, jeune et très brillant professeur de sciences politiques à l’Université d’Aix-Marseille est le directeur du Laboratoire « Observatoire du religieux » à cette université. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Le bouddhisme mondialisé. Une perspective sociologique sur la globalisation du religieux (Ellipse, 2004), Etre bouddhiste en France aujourd’hui (avec B. Etienne, Hachette-Pluriel 2004) et tout dernièrement A la rencontre du DaLaï-Lama (Flammarion 2008).
Dans ce dernier ouvrage, il retrace l’itinéraire du Dalaï-Lama, figure plus célèbre que véritablement connue. Moine contemplatif dont l’autorité spirituelle est mondialement reconnue, intellectuel curieux et science et de technologie qui dialogue avec des savants, leader politique représentant un pays occupé, autant de visages pour cet homme qui n’hésite pas à pourfendre les archaïsmes féodaux de sa propre tradition, en défendant d’anciennes croyances.
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06/08/2008
LES FAUX CULS DE LA LIBERTE D'EXPRESSION ET LA TURQUIE
Oui, je sais maintenant, l’actualité c’est la Chine, les Jeux Olympiques avec leur double aspect politique et sportif. La tentative, avortée pile poil, d’interdire le parti Justice et Développement par un coup d’Etat judiciaire, est devenue une vieille histoire. Et un blog se doit d’être réactif, son intérêt est de pouvoir suivre l’actu. pas à pas.
Eh bien non, ma conception d’un blog est qu’il est un lieu de liberté. Il est possible de réagir au quart de tour à un événement imprévu, mais qui prend sens dans un ensemble qui fait que l’analyse est déjà prête. Il est possible aussi de ruminer un événement, d’en parler alors que cela ne semble plus de saison, parce que l’on a à dire quelque chose qui ne semble pas avoir été dit.
Sur le Chine et le Tibet, pour le moment en tout cas, je n’ai à dire que vous ne pouvez pas lire ailleurs. Seulement vous recommander, si vous êtes alors quelque part entre Poitiers et Limoges, Angoulême et Guéret (ou, où que vous soyez, si l’envie vous prend) de venir assister, le samedi 23 août à 16 heures à la Conférence que donnera Raphaël Liogier sur Chine et Tibet: histoire, politique, spiritualité
à Villefavard (Haute-Vienne, canton de Magnac Laval, à 10 Km de la N20) et, pourquoi pas, rester le lendemain pour le concert avec l'ensemble de cuivres de Paris (tout renseignement complémentaire sur ces questions: 0555766992).
Directeur de l’Observatoire du religieux et prof à Sciences-Po Aix, Liogier est un spécialiste de ces questions. Je crois avoir déjà recommandé son ouvrage A la rencontre du Dalaï-lama (Flammarion), qui fait suite à d’autres, notamment Etre bouddhiste en France aujourd’hui (Hachette Pluriel). Il donnera des clefs historiques, culturelles, religieuses et politiques permettant de comprendre l’antagonisme entre la Chine et le Tibet et chacun de ces 2 pays.Par ailleurs, Villefavard est un des rares villages de France a posséder une salle de conférences et de concert qui peut contenir plus de monde que le nombre d’habitants de la commune : 300 places contre 180 habitants !
Et, avec son acoustique merveilleuse, son architecture originale (c’est une ancienne ferme modèle, transformée pour son nouvel usage), son exposition (cet été sur l’architecture), son jardin japonais, et le cadre bucolique du village, elle vaut le déplacement.
Venez, vous ne serez pas déçus.
Mais, pour le moment, petit retour sur la Turquie. Le parti AKP a été condamné par la Cour Constitutionnelle à reverser à l’Etat 12,9 millions d’€. Il a évité l’interdiction (de peu, 6 juges sur 11 l’ont prononcée ; il fallait 7 voix). Le quotidien Le Monde (1er août 2008) nous a appris les griefs contre l’AKP accusée « d’activités anti laïques » (pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ?).
Je cite :
« L’acte d’accusation, plutôt disparate, était une longue liste d’extraits de discours ou de faits rapportés par la presse turque, plus ou moins vérifiés selon l’AKP. Chaque déclaration , favorable à la libéralisation du voile, une majorité des cas, est dûment répertoriée. »
Le Monde cite des exemples. Je les reproduis tous, pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir trié et mis les plus anodin. Il y en a 5.
Le premier : une des fondatrices du parti a répondu « peut-être » à la question : « les fonctionnaires doivent elle être autorisées à porter le foulard ? »
Pire qu’un blasphème n’est-ce pas ? Pire, certainement, puisque normalement les laïques sont contre les lois antiblasphèmes !
Un autre cadre aurait dit : « on empêche les gens qui veulent avoir une apparence pieuse de participer à la vie active ». Un troisième : « un psychiatre serait capable de leur expliquer convenablement que le régime n’est pas en danger parce qu’on se voile. » Un quatrième : « demander à une femme d’ôter son voile équivaut à lui demander d’enlever sa culotte. » Enfin, la der des der : « Certains ont pris le voile qui se trouve sur la tête de nos jeunes filles pour se le mettre sur les yeux »
(Là, je suis dévoilé comme un dangereux antilaïque car il m’est arrivé d’écrire des choses équivalente sur les gens qui ont un tchador dans la tête)
Je trouve cela extrêmement significatif. Rappelez-vous, lors des caricatures contre Mahomet ou des citations tronquées de Rodinson par Redeker, pour pouvoir insulter l’islam, comment les chevaliers héroïques de la liberté d’expression sont montés sur leurs blancs chevaux pour la défendre avec vaillance. Ils n’ont pas hésité à prendre des risques inouïs, comme celui de publier les dites caricatures
Le Monde nous apprend, à ce sujet, que le n° de Charlie Hebdo qui les a reproduites s’est vendu à 500000 exemplaires et a rapporté, en une semaine, au directeur de la publication, également actionnaire, plus d’argent que vous et moi en gagneront en plusieurs années de travail.
Cela ne signifie nullement que ce directeur ne soit pas « sincère », mais les sociologues vous diront que, par le plus grand des hasards naturellement, on est souvent sincère dans un sens qui va en faveur de ses propres intérêts ! Le non conscient sociologique, cela existe.
Bref, pour les caricatures comme pour Redeker, que ce soit Charlie, France-Soir, le mari d’Ariel (BHL, pour les incultes du show biz), d’autres intellos de mes deux, la LICRA (dont le responsable s’était fendu d’un ouvrage intitulé Contre l’obscurantisme), tous ces modernes Zola n’avaient pas de mots trop forts, de paroles trop enflammées, pour défendre la liberté d’expression outragée.
Peu importe, selon eux, ce que Redeker avait pu écrire, peu importe le contenu des caricatures, la liberté d’expression, nous ont-ils rappelé, est un principe absolu, qui ne se divise pas, avec lequel on ne transige pas et que l'on défend, même pour des paroles qui expriment le contraire de sa propre opinion, etc, etc.
Magnifique posture. Belles envolées. Ah comme cela faisait chaud au cœur d’appartenir à un Occident aussi lumineux, aussi ferme sur les « valeurs universelles ». Avec des défenseurs aussi sublimes, la liberté d’expression avait devant elle des lendemains qui chantent. Et même des lendemains enchantés.
Certes, il y avait bien eu une minuscule fausse note : dans une tribune du Monde, un pseudo spécialiste de la laïcité, un ignoble traître à toutes nos belles valeurs, un sans foi ni loi républicaines, bref un moins que rien, avait rappelé que, dans l’adage attribué à Voltaire, celui-ci commençait par prévenir qu’il n’était pas d’accord avec les idées dont, ensuite, il défendait le droit à l’expression.
Et qu’ayant refusé d’émettre semblable réserve, les signataires du manifeste en faveur de Redeker n’étaient peut-être pas aussi voltairien qu’ils ne le prétendaient.
Mais qu’importe une goutte d’eau pernicieuse dans le bleu azur de l’Océan.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Et tout à coup patratra… Où sont ils aujourd’hui nos preux chevaliers ? Nos princes de la liberté d’expression ? On les a, certes, entendus dénoncer les limitations par la Chine de l’accès à Internet. Mais, sur la Turquie, silence absolu dans les rangs.
Des laïques ont voulu interdire un parti politique qui, à 2 reprises, a gagné démocratiquement des élections. Ces laïques ont raté de peu cette interdiction, mais ils ont réussi à faire condamner l’AKP par la Cour Constitutionnelle.
Imaginez 2 secondes que l’inverse se produise: un parti au pouvoir menacé d’interdiction et fortement limité dans sa liberté d’expression, parce que certains de ses cadres auraient tenus des propos considérés trop critiques envers l’islam, ce serait à qui crierait le plus fort !
L’AKP a été condamné, a failli être interdit à cause des propos que j’ai rapportés. Propos avec lesquels on peut être en désaccord, ce n’est pas le problème. Le problème est que les pénaliser est une atteinte manifeste, incontestable à la liberté d’expression.
En condamnant effectivement le parti à une lourde amende (même si elle n’a pas été jusqu’à l’interdire), la Cour a donné un signal ; continuez à tenir de tels propos, et nous vous interdirons. Censure préventive.
.C’est vraiment le moment de reprendre l’adage voltairien : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je dépendrai votre droit de le dire. »
Les merveilleux défenseurs de la liberté d’expression sont à la plage, sans doute. Ayant coupé tout contact avec l’information, ils ne savent pas l’ignominie subie par leur belle dame, et combien elle se trouve maculée par leur propre camp.
Sinon, vous pensez bien que leur réaction aurait été immédiate et, à la mesure de l’événement, terrible, grandiose. France Soir, Charlie Hebdo auraient immédiatement reproduit les propos incriminés en se déclarant solidaires. Certes, cela n’aurait sans doute pas induit une vente de 500000 exemplaires pour l’hebdomadaire.
Mais, précisément, quelle belle occasion de démontrer que la défense de la liberté d’expression n’a rien, mais vraiment rien à voir, avec une opération commerciale!
La liberté d’expression ne se divise pas, ce sont eux-mêmes qui le proclament haut et fort.
C’est une cause sacrée !Or, pas un seul de ces charlatans de la liberté d’expression n’a protesté. Non, pas un seul.
Et le pire, c’est que non seulement ils sont ignobles, ces médaillés olympiques du double jeu, du double discours, ces souilleurs de la liberté d’expression dont ils se servent au lieu de la servir, mais en plus ils s’avèrent d’une bêtise extrême.
Car je suis persuadé qu’ils ne se sont même pas rendus compte que hier, sois disant d’une sensibilité extrême à la liberté d’expression, ils s’en foutent plus que royalement aujourd’hui. Au contraire, ils approuvent, par leur silence, la censure contenue dans la condamnation. Peut-être même certains auraient trouvé l’interdiction justifiée. En tout cas aucun n’a protesté face à son éventualité.Leur bêtise crasse, leur cerveau vide de pensée et pleins de stéréotypes leur permet de n’avoir absolument aucune mauvaise conscience. Et bientôt vous allez les retrouver, encore et toujours, fiers d’eux mêmes et de leur belle âme, chevaliers blancs de la liberté d’expression, dés il s’agira d’un contenu qui leur plait.
Et une fois de plus les gogos, les gogols de l’intellect applaudiront, ravis. Et tout ce petit monde communiera dans le « refus de l’obscurantisme ».Pour un sociologue, c’est absolument fascinant. Pour un citoyen, c’est à pleurer de honte.
Attention, la bêtise crasse, est une maladie très contagieuse. Le stéréotype social est un virus qui traîne dans toutes les poubelles. Il peut détruire l’intelligence de façon quasiment irréversible. Il a déjà atteint de nombreuses personnes sans qu’elles ne présentent le moindre symptôme apparent. La contagion peut se faire par la bouche, les oreilles, les yeux, les mains…. Bref, tout ce qui permet de communiquer.
En revanche, on peut se prémunir de ce très dangereux virus par un remède de cheval (légitime puisque sa survie comme être véritablement humain est en jeu). Oui, il est possible de se prémunir EN CRACHANT SON MEPRIS.PS : Cela fait plusieurs semaines que je souhaite présenter l’ouvrage Les filles voilées parlent (La Fabrique), d’autant plus qu’en France et à l’étranger (encore avant-hier lors d’une Université d’été d'une Université de Madrid) on me pose des questions sur les suites de la loi de 2004.
Mais l’actualité (Conseil d’Etat versus femme en burka ; Turquie) a fait différer cette présentation. Et, comme en août, il est un peu difficile de ce procurer les livres qui ne sont pas de purs produits de consommation, je ferai une Note sur cet ouvrage à la rentrée.
Prochaine Note (sauf imprévu) : Espérance de vivre contre espérance de vie.
RAPPEL : les 2 prochains numéros du Nouvel Observateur comprendront un supplément gratuit de 96 pages : 7-13 août : l’islam de M. Amir Moezzi et P. Lory et 14-20 août : le christianisme de J. Baubérot.
21:15 Publié dans Le Grand Bétisier de la Laïcité | Lien permanent | Commentaires (2)