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06/08/2008

LES FAUX CULS DE LA LIBERTE D'EXPRESSION ET LA TURQUIE

Oui, je sais maintenant, l’actualité c’est la Chine, les Jeux Olympiques avec leur double aspect politique et sportif. La tentative, avortée pile poil, d’interdire le parti Justice et Développement par un coup d’Etat judiciaire, est devenue une vieille histoire. Et un blog se doit d’être réactif, son intérêt est de pouvoir suivre l’actu. pas à pas.

Eh bien non, ma conception d’un blog est qu’il est un lieu de liberté. Il est possible de réagir au quart de tour à un événement imprévu, mais qui prend sens dans un ensemble qui fait que l’analyse est déjà prête. Il est possible aussi de ruminer un événement, d’en parler alors que cela ne semble plus de saison, parce que l’on a à dire quelque chose qui ne semble pas avoir été dit.

Sur le Chine et le Tibet, pour le moment en tout cas, je n’ai à dire que vous ne pouvez pas lire ailleurs. Seulement vous recommander, si vous êtes alors quelque part entre Poitiers et Limoges, Angoulême et Guéret (ou, où que vous soyez, si l’envie vous prend) de venir assister, le samedi 23 août à 16 heures à la Conférence que donnera Raphaël Liogier sur Chine et Tibet: histoire, politique, spiritualité

à Villefavard (Haute-Vienne, canton de Magnac Laval, à 10 Km de la N20) et, pourquoi pas, rester le lendemain pour le concert avec l'ensemble de cuivres de Paris (tout renseignement complémentaire sur ces questions: 0555766992).

Directeur de l’Observatoire du religieux et prof à Sciences-Po Aix, Liogier est un spécialiste de ces questions. Je crois avoir déjà recommandé son ouvrage  A la rencontre du Dalaï-lama (Flammarion), qui fait suite à d’autres, notamment Etre bouddhiste en France aujourd’hui (Hachette Pluriel). Il donnera des clefs historiques, culturelles, religieuses et politiques permettant de comprendre l’antagonisme entre la Chine et le Tibet et chacun de ces 2 pays.

Par ailleurs, Villefavard est un des rares villages de France a posséder une salle de conférences et de concert qui peut contenir plus de monde que le nombre d’habitants de la commune : 300 places contre 180 habitants !

Et, avec son acoustique merveilleuse, son architecture originale (c’est une ancienne ferme modèle, transformée pour son nouvel usage), son exposition (cet été sur l’architecture), son jardin japonais, et le cadre bucolique du village, elle vaut le déplacement.

Venez, vous ne serez pas déçus.

 

Mais, pour le moment, petit retour sur la Turquie. Le parti AKP a été condamné par la Cour Constitutionnelle  à reverser à l’Etat 12,9 millions d’€. Il a évité l’interdiction (de peu, 6 juges sur 11 l’ont prononcée ; il fallait 7 voix). Le quotidien Le Monde (1er août 2008) nous a appris les griefs contre l’AKP accusée « d’activités anti laïques » (pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ?).

 

Je cite :

« L’acte d’accusation, plutôt disparate, était une longue liste d’extraits de discours ou de faits rapportés par la presse turque, plus ou moins vérifiés selon l’AKP. Chaque déclaration , favorable à la libéralisation du voile, une majorité des cas, est dûment répertoriée. »

Le Monde cite des exemples. Je les reproduis tous, pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir trié et mis les plus anodin. Il y en a 5.

Le premier : une des fondatrices du parti a répondu « peut-être » à la question : « les fonctionnaires doivent elle être autorisées à porter le foulard ? »

Pire qu’un blasphème n’est-ce pas ? Pire, certainement, puisque normalement les laïques sont contre les lois antiblasphèmes !

Un autre cadre aurait dit : « on empêche les gens qui veulent avoir une apparence pieuse de participer à la vie active ». Un troisième : « un psychiatre serait capable de leur expliquer convenablement que le régime n’est pas en danger parce qu’on se voile. » Un quatrième : « demander à une femme d’ôter son voile équivaut à lui demander d’enlever sa culotte. » Enfin, la der des der : « Certains ont pris le voile qui se trouve sur la tête de nos jeunes filles pour se le mettre sur les yeux »

(Là, je suis dévoilé comme un dangereux antilaïque car il m’est arrivé d’écrire des choses équivalente sur les gens qui ont un tchador dans la tête)

Je trouve cela extrêmement significatif. Rappelez-vous, lors des caricatures contre Mahomet ou des citations tronquées de Rodinson par Redeker, pour pouvoir insulter l’islam, comment les chevaliers héroïques de la liberté d’expression sont montés sur leurs blancs chevaux pour la défendre avec vaillance. Ils n’ont pas hésité à prendre des risques inouïs, comme celui de publier les dites caricatures

Le Monde nous apprend, à ce sujet, que le n° de Charlie Hebdo qui les a reproduites s’est vendu à 500000 exemplaires et a rapporté, en une semaine, au directeur de la publication, également actionnaire, plus d’argent que vous et moi en gagneront en plusieurs années de travail.

Cela ne signifie nullement que ce directeur ne soit pas « sincère », mais les sociologues vous diront que, par le plus grand des hasards naturellement, on est souvent sincère dans un sens qui va en faveur de ses propres intérêts ! Le non conscient sociologique, cela existe.

Bref, pour les caricatures comme pour Redeker, que ce soit Charlie, France-Soir, le mari d’Ariel (BHL, pour les incultes du show biz), d’autres intellos de mes deux, la LICRA (dont le responsable s’était fendu d’un ouvrage intitulé Contre l’obscurantisme), tous ces modernes Zola n’avaient pas de mots trop forts, de paroles trop enflammées, pour défendre la liberté d’expression outragée.

Peu importe, selon eux, ce que Redeker avait pu écrire, peu importe le contenu des caricatures, la liberté d’expression, nous ont-ils rappelé, est un principe absolu, qui ne se divise pas, avec lequel on ne transige pas et que l'on défend, même pour des paroles qui expriment le contraire de sa propre opinion, etc, etc.

Magnifique posture. Belles envolées. Ah comme cela faisait chaud au cœur d’appartenir à un Occident aussi lumineux, aussi ferme sur les « valeurs universelles ». Avec des défenseurs aussi sublimes, la liberté d’expression avait devant elle des lendemains qui chantent. Et même des lendemains enchantés.

Certes, il y avait bien eu une minuscule fausse note : dans une tribune du Monde, un pseudo spécialiste de la laïcité, un ignoble traître à toutes nos belles valeurs, un sans foi ni loi républicaines, bref un moins que rien, avait rappelé que, dans l’adage attribué à Voltaire, celui-ci commençait par prévenir qu’il n’était pas d’accord avec les idées dont, ensuite, il défendait le droit à l’expression.

Et qu’ayant refusé d’émettre semblable réserve, les signataires du manifeste en faveur de Redeker n’étaient peut-être pas aussi voltairien qu’ils ne le prétendaient.

Mais qu’importe une goutte d’eau pernicieuse dans le bleu azur de l’Océan.

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Et tout à coup patratra  Où sont ils aujourd’hui nos preux chevaliers ? Nos princes de la liberté d’expression ? On les a, certes, entendus dénoncer les limitations par la Chine de l’accès à Internet. Mais, sur la Turquie, silence absolu dans les rangs.

Des laïques ont voulu interdire un parti politique qui, à 2 reprises, a gagné démocratiquement des élections. Ces laïques ont raté de peu cette interdiction, mais ils ont réussi à faire condamner l’AKP par la Cour Constitutionnelle.

Imaginez 2 secondes que l’inverse se produise: un parti au pouvoir menacé d’interdiction et fortement limité dans sa liberté d’expression, parce que certains de ses cadres auraient tenus des propos considérés  trop critiques envers l’islam, ce serait à qui crierait le plus fort !

L’AKP a été condamné, a failli être interdit à cause des propos que j’ai rapportés. Propos avec lesquels on peut être en désaccord, ce n’est pas le problème. Le problème est que les pénaliser est une atteinte manifeste, incontestable à la liberté d’expression.

En condamnant effectivement le parti à une lourde amende (même si elle n’a pas été jusqu’à l’interdire), la Cour a donné un signal ; continuez à tenir de tels propos, et nous vous interdirons. Censure préventive.

.C’est vraiment le moment de reprendre l’adage voltairien : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je dépendrai votre droit de le dire. »

Les merveilleux défenseurs de la liberté d’expression sont à la plage, sans doute. Ayant coupé tout contact avec l’information, ils ne savent pas l’ignominie subie par leur belle dame, et combien elle se trouve maculée par leur propre camp.

Sinon, vous pensez bien que leur réaction aurait été immédiate et, à la mesure de l’événement, terrible, grandiose. France Soir, Charlie Hebdo auraient immédiatement reproduit les propos incriminés en se déclarant solidaires. Certes, cela n’aurait sans doute pas induit une vente de 500000 exemplaires pour l’hebdomadaire.

Mais, précisément, quelle belle occasion de démontrer que la défense de la liberté d’expression n’a rien, mais vraiment rien à voir, avec une opération commerciale!

La liberté d’expression ne se divise pas, ce sont eux-mêmes qui le proclament haut et fort.

C’est une cause sacrée !Or, pas un seul de ces charlatans de la liberté d’expression n’a protesté. Non, pas un seul.

 

Et le pire, c’est que non seulement ils sont ignobles, ces médaillés olympiques du double jeu, du double discours, ces souilleurs de la liberté d’expression dont ils se servent au lieu de la servir, mais en plus ils s’avèrent d’une bêtise extrême.

Car je suis persuadé qu’ils ne se sont même pas rendus compte que hier, sois disant d’une sensibilité extrême à la liberté d’expression, ils s’en foutent plus que royalement aujourd’hui. Au contraire, ils approuvent, par leur silence, la censure contenue dans la condamnation. Peut-être même certains auraient trouvé l’interdiction justifiée. En tout cas aucun n’a protesté face à son éventualité.

Leur bêtise crasse, leur cerveau vide de pensée et pleins de stéréotypes leur permet de n’avoir absolument aucune mauvaise conscience. Et bientôt vous allez les retrouver, encore et toujours, fiers d’eux mêmes et de leur belle âme, chevaliers blancs de la liberté d’expression, dés il s’agira d’un contenu qui leur plait.

Et une fois de plus les gogos, les gogols de l’intellect applaudiront, ravis. Et tout ce petit monde communiera dans le « refus de l’obscurantisme ».

Pour un sociologue, c’est absolument  fascinant. Pour un citoyen, c’est à pleurer de honte.

Attention, la bêtise crasse, est une maladie très contagieuse. Le stéréotype social est un virus qui traîne dans toutes les poubelles. Il peut détruire l’intelligence de façon quasiment irréversible. Il a déjà atteint de nombreuses personnes sans qu’elles ne présentent le moindre symptôme apparent. La contagion peut se faire par la bouche, les oreilles, les yeux, les mains…. Bref, tout ce qui permet de communiquer.

En revanche, on peut se prémunir de ce très dangereux virus par un remède de cheval (légitime puisque sa survie comme être véritablement humain est en jeu). Oui, il est possible de se prémunir EN CRACHANT SON MEPRIS.

PS : Cela fait plusieurs semaines que je souhaite présenter l’ouvrage Les filles voilées parlent (La Fabrique), d’autant plus qu’en France et à l’étranger (encore avant-hier lors d’une Université d’été d'une Université de Madrid) on me pose des questions sur les suites de la loi de 2004.

Mais l’actualité (Conseil d’Etat versus femme en burka ; Turquie) a fait différer cette présentation. Et, comme en août, il est un peu difficile de ce procurer les livres qui ne sont pas de purs produits de consommation, je ferai une Note sur cet ouvrage à la rentrée.

Prochaine Note (sauf imprévu) : Espérance de vivre contre espérance de vie.

 

RAPPEL : les 2 prochains numéros du Nouvel Observateur  comprendront un supplément gratuit de 96 pages : 7-13 août : l’islam de M. Amir Moezzi et P. Lory et 14-20 août : le christianisme de J. Baubérot.

Commentaires

Merci pour ce rappel. On bâillonne les décideurs : "allez, coco, terminé, redonne la bride, espèce de cornichon, tu ne vois pas qu'Atatürk se retourne dans sa tombe !".
Les démocrates sont contents; une autre ineptie : on les a condamnés à l'immobilisme, ils sont tout sourire : "on a é-cha-ppé à la peine de mort, euh...". Le républicanisme l'a emporté, les démocrates font la fête. Désormais, c'est fini, plus d'avancée possible dans la conception éculée de la laïcité turque; la liberté d'expression était déjà étourdie, on l'assomme. Mais on continue de faire fête à la démocratie, mesdames, messieurs.
Les Turcs le disent eux-même dans leur moment de sagesse: "güler misin ? aglar misin ?"; "on en rit ou on en pleure ?". On voudrait bien jeter les mouchoirs aux démocrates mais ils sont ailleurs; ils écoutent les juges constitutionnels, lesquels leur dispensent, dans leur grande érudition juridique, les bornes à ne pas franchir.
Etaient-ils vraiment démocrates ? Pas certain : ils ont sauvé leur "peau", "ouais le parti n'est pas interdit", hosanna...
Merci "Monsieur le Professeur" (les juristes aiment bien les titulatures graves). Ils se cachent où ces paladins, je n'ai toujours pas compris... Quand on en trouve ! Pardonnez notre transport...

Écrit par : sami | 07/08/2008

Quelques échanges musclés avec les laïcistes de "Respublica" ou de "Riposte laïque" (anonymes bien sûr sous des pseudonymes grotesques) m'ont appris depuis longtemps que la liberté d'expression était, pour eux, une notion à géométrie variable. Pour celle de Redecker (dont les propos sur l'éducation relèvent du sous-Finkielkraut, c'est dire et qui démontre que sous la direction de Coq, Esprit ne mérite plus son titre), contre celle de l'auteur de ce blog, quand il défend le droit pour le prof de philo de dire n'importe quoi et qu'il montre que ce qu'il dit est du n'importe quoi.
Mais, au delà de ces laïcistes, la communauté européenne a fait part de son inquiètude estrème face à ce risque de coup d'état "juridique" et cette prise de position a sans doute bloqué une décision lourde de dangers.

Écrit par : J. F. Launay | 10/08/2008

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