07/12/2007
LA SERIE "AVOCATS ET ASSOCIES" ET 2 LIVRES IMPORTANTS
Mais assez, quand même pour vous recommander chaleureusement 2 excellents ouvrages pour offrir à vos amis (et à vous-même, pourquoi pas) pour les fêtes de fin d’année. Et ensuite vous parler d’un DVD.
D’abord les deux livres. Ce ne sont pas des livres style conserves de grande surface, mais des ouvrages champagne ou fois gras, c'est-à-dire à déguster en prenant son temps et en appréciant. Ils viennent tout juste de paraître : Je vous donne les 4èmes de couverture, car elles sont bien faites et disent l’essentiel :
La naissance des religions, de la préhistoire aux religions universalistes par Yves Lambert (Armand Colin)
« Voici un livre d’un intérêt exceptionnel pour qui s’intéresse à l’histoire comparée des religions. L’ambition de son auteur était immense : essayer d’expliquer l’évolution des religions depuis les peuples chasseurs-cueilleurs jusqu’à l’époque moderne en la mettant en relation avec les principaux tournants de l’histoire. »
Rien de moins. Frédéric Lenoir, dans sa préface, situe toute la démesure apparente d’une ambition intellectuelle comme notre époque n’en ose plus guère depuis des décennies. Il est vrai que la tâche était immense, le savoir à maîtriser propre à nourrir plusieurs siècles de querelles d’érudits, le risque constant et « fou » en somme pour le chercheur confirmé qu’était Yves Lambert. Il fallait ne pas avoir peur pour tenter cette gageure, ou être de taille à surmonter les pires peurs. Ce qui fut le cas.
Ce livre sans équivalent possible nous plonge au cœur de l’histoire et des préoccupations religieuses de l’humanité. Même inachevé, hélas, il témoigne d’une cohérence et d’une acuité de vision qui donnent à penser que son auteur avait totalement raison, et que seule une ambition aussi exagérée que la sienne pouvait, sur ce sujet, atteindre la simplicité et l’évidence des vérités fondamentales.
Yves Lambert, né en 1946, décédé au terme d’une longue maladie en 2006, a fait une entrée remarquée dans le champ de la sociologie religieuse avec la publication en 1985 de Dieu change en Bretagne. Devenu chercheur puis directeur de recherches au Groupe Société, Religions, Laïcités (CNRS-EPHE), il conçoit dès le début des années 1990 le projet de cet ouvrage de synthèse auquel le reste de sa vie a été voué.
J'ajoute qu'effectivement, c'est l'oeuvre finale, inachevée mais très belle d'un grand sociologue des religions dont tous ses amis se souviennent avec beaucoup d'affection.
Des dieux et des fonctionnaires. Religions et Laïcités face au défi de la construction européenne, Rennes, PUR, Collection « Sciences des Religions » par Bérengère Massignon Préface de Jean-Paul Willaime
A l’heure où s’esquisse une Europe politique et où se profile l’adhésion de la Turquie , l’Union européenne n’échappe pas à la question religieuse. Quelle identité ? Quelle frontière pour l’Europe ? Comment faire sens et puissance dans une mondialisation qui exacerbe le sentiment religieux ? Quelle place réserver aux religions au sein de la société civile européenne en gestation ? Ces questions sont complexes et débattues, comme l’ont montré les polémiques autour de la mention des héritages religieux dans les préambules de la Charte des droits fondamentaux et du projet de Traité constitutionnel.
Les groupes religieux, ont pu être un temps rebutés par une construction trop économique et technicienne. Aujourd’hui, ils ne peuvent rester étrangers à la construction d’une l’Europe aux compétences élargies, pas plus que les politiques qui font l’Europe n’échappent au religieux. C’est cette rencontre nécessaire et féconde que présente ce livre à travers l’analyse les relations entre les cinq derniers présidents de la Commission européennes et leurs conseillers en matière religieuse avec les acteurs religieux européens : catholiques, protestants, et, ce qui est nouveau et peu traité, orthodoxes, juifs, musulmans et laïques.
Un « ouvrage de référence » (Jean-Paul Willaime) à propos d’un sujet crucial, mais qui a donné lieu à peu d’études universitaires. S’appuyant sur une documentation souvent inédite, Bérengère Massignon propose une analyse originale et stimulante pour toute personne s’intéressant à l’Europe et aux religions.
Diplômée de Sciences Po (Paris) et Docteure en sociologie de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Bérengère Massignon est rattachée au Groupe Sociétés, Religions et Laïcités (CNRS-EPHE). Elle enseigne la géopolitique des religions et participe à un projet, financé par la Commission européenne, sur l’enseignement du fait religieux en Europe (REDCo). Elle a travaillé auprès du Conseiller pour les Affaires religieuses du Ministère français des Affaires étrangères et fait un rapport sur les signes religieux en Europe pour la Commission Stasi.
Le premier livre doit se trouver dans toutes les bonnes librairies ou être facile à commander ; le second peut être commandé aux Presses Universitaires de Rennes, UHB Rennes 2 –campus de La Harpe, 2 rue du Doyen Denis-Leroy, 35044 Rennes Cedex ; www.pur –editions.fr
Passons au DVD. Pour comprendre pourquoi j’en parle, j’indique que le fait que je défends le droit des femmes (dites « musulmanes » pour la société qui pose le problème à leur encontre, mais pour moi le droit des femmes quelle que soit leur religion, conviction, areligion, etc) me vaut régulièrement des critiques, voire des attaques comme si je prônais une société où existerait une séparation entre sexes. « Alors vous allez demander qu’il y ait des guichets de poste pour hommes et des guichets de poste pour femmes » m’a-t-on dit dernièrement à une conférence. On m’a dit aussi qu’il était « absurde » de s’opposer au Haut Conseil à l’Intégration et à sa Charte de la laïcité sur ce point, etc. Le moindre regard critique sur la médecine est vu comme une sorte de sacrilège. J’ai donc été très intéressé par une séquence de la série télévisée « Avocats et associés » dont je vais vous parler maintenant :
Série : « Avocats et associés » DVD 4, Saison 2 : Le prix des SensUne des associés, Michèle (jouée par Micky Sebastian) a rendez-vous avec sa docteure. Celle-ci s’est fracturée la jambe et on a collé d’office la dite Michèle au médecin homme qui fait partie du même cabinet médical. Elle dit à la secrétaire qu’elle ne veut pas de médecin homme, mais à peine l’a-t-elle dit que le dit médecin arrive et appelle son nom. Elle n’ose pas partir et entre dans la salle de consultation.
Le médecin lui pose quelques questions pour établir son dossier. Quand il veut l’examiner, elle a une réaction de réticence. Il insiste et lui rétorque: « Je suis médecin ». Mais quand il lui demande de passer dans la pièce à côté et de se déshabiller pour qu’il lui fasse un frotti vaginal ; elle hésite encore puis finalement se décide et lui dit que non, qu’elle ne peut pas se faire examiner par un homme. Le médecin dit alors qu’il comprend et lui annonce qu’il va faire faire une analyse de sang (ou qque chose comme cela) sans examen. Il lui donne une ordonnance pour cette analyse et il la laisse partir.
Plus tard dans le film, le médecin la fait convoquer par sa secrétaire à un nouveau rendez-vous urgent. La dite secrétaire ne peut lui donner la raison de cette convocation, mais lui dit de ne pas s’en faire. Loin de la rassurer, cette dernière phrase jointe au fait qu’on ne lui donne pas le diagnostic qui induit la convocation, l’inquiète. Michèle se demande si elle n’a pas un cancer. Elle est angoissée pendant les 2 jours qui la séparent du rendez-vous. En fait, le médecin la fait convoquer à 19 heures 30, à la fin de ses rendez-vous car il veut l’inviter à dîner (et lui faire la cour).
Intérêt de cette séquence qui est passée à France 2 (à 2 reprises et qui maintenant est donc vendue en DVD)
Personne n’a crié à l’atteinte à la laïcité ! Je note brièvement les différents aspects de cette séquence, très intéressante à condition de savoir la regarder.
- Michèle est, dans cette série télé, une jeune femme a la vie sexuelle « libre », sans croyance religieuse : hypermoderne, et qui n’a pas de problème particulier avec son corps, sa sexualité, son rapport avec les autres, etc. Elle est très compétente dans son métier, ambitieuse, elle ne va pas voire une psy (contrairement à une autre avocate, qui a toujours des histoires malheureuses) elle est plutôt parmi les personnage sympathiques (contrairement à Gladys, autre avocate ambitieuse, plus dans une certaine perversité). Donc c'est une figure "positive", non "coïncée" qui ne veut pas être examinée par un homme.
- Ses hésitations sont révélatrices de la difficulté de s’émanciper de la domination du médecin : dans un premier temps, elle n’ose pas refuser la consultation et elle a failli être examinée contre son grè. Ce n'est qu'au dernier moment qu'elle réussit à revendiquer sa liberté.
- Il faut que son refus de l’examen par un homme soit quelque chose d’important pour elle et non pas un fait accessoire pour qu’en dépit de son embarras, de sa difficulté à oser, elle refuse finalement l’examen
- Le médecin, lui aussi, semble hypermoderne, puis qu’après avoir revendiqué son autorité de médecin, il accepte son refus d’examen sans trop insister. Mais il a d’abord tenté de faire pression.
- La médecine elle-même est vue comme ultramoderne puis qu’en fait une analyse de laboratoire remplace l’examen, le contact direct, la domination directe sur le corps et permet d'éviter l'atteinte à la volonté profonde de cette femme qu'aurait constituer l'examen
- Mais le rapport médecin-patient reste toujours problématique : dans la suite de la séquence il existe un refus potentiel de dire les choses (« de dire la vérité au malade ») qui créé une angoisse chez le patient
- Implicitement la série pointe quand même la possibilité d’un changement du rapport de force : une femme et une patiente sont classiquement en infériorité par rapport à un homme et un médecin, et là c’est l’inverse
- Cela va toutefois de pair avec le maintien d’une certaine domination médicale : le médecin peut vous convoquer à un rendez-vous sans explication ; et en fait il abuse de ce pouvoir puisqu’il n’a pas de raison médicale mais veut pouvoir dîner avec elle sans le lui dire franchement
Etc
Une série télévisée véhicule une représentation culturelle de masse. Il est extrêmement intéressant que, sans du tout vouloir faire une œuvre provocante ou contestataire, cette séquence soit venue à l’esprit du scénariste qui écrit des scripts pour des millions de téléspectateurs, et que son scénario ait été accepté, et que tout cela soit passé inaperçu.
On peut dire qu'il s'agit d'un implicite, un malaise latent que l’auteur fait passer dans le réel télévisuel grâce à la fiction. Mais cela ne marche que parce que ce fictionnel peut être reconnu par les téléspectateurs (et les téléspectatrices !) comme correspondant soit à leur propre vécu, soit à un vécu plausible, une situation qui, elle-même, peut être décalée par rapport au réel, donc plus ou moins vraisemblable au premier degré, mais qui correspond à du ressenti, à (pourrait-on dire) du réel profond, de la face émergé de l’iceberg. Du ressenti de la vie quotidienne, et la question de la liberté ne se joue pas seulement dans ce qui est pénalisable, mais dans ces mille et une situations où l'on a à subir des pressions, soit disant pour votre bien, mais qui manifestent aussi des rapports de force.
Autrement dit : il n’est pas nécessaire que dans la réalité un nombre très important de femmes osent passer à l’acte du refus d’examen, cela arrive peut-être même que très rarement. Mais il faut que l'envie de refus corresponde à un certain ressenti de beaucoup d'entre elles, que cela n’apparaisse ni incongru ni stupide comme attitude, que la situation soit immédiatement compréhensible pour des millions de téléspectateurs-trices.
Les séries sont extrêmement intéressantes, à condition de les décrypter et ce petit exercice est aussi une invitation à être un téléspectateur actif.
La semaine prochaine : la suite de la Note de la semaine dernière.
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