15/03/2011
Pour le Japon et les Japonais
Vous aurez, à la fin de la semaine, la Note promise sur la loi de 1905 que l’UMP incorpore dans son fameux, et très controversé, « débat sur la laïcité » du 5 avril prochain.
(On va certainement y parler de l’application de cette loi à l’ensemble du territoire français ! Tremblez, Alsaciens-Mosellans, vous allez être stigmatisés !)
Malheureusement l’actualité, aujourd’hui c’est l’ensemble des catastrophes : terrible tremblement de terre, tsunami, grave menace nucléaire qui endeuille le Japon.
Les habitués du Blog savent que j’aime beaucoup ce pays où je suis allé de nombreuses fois et où j’ai rencontré beaucoup de gens merveilleux.
Certains ont bien aimé la Note sur Sympathie pour le fantôme, le roman de Michaël Ferrier, qui parle si merveilleusement de Tokyo.
C’est donc l’occasion de manifester ma solidarité avec tous mes amis japonais, et français ayant choisi d’habiter le Japon tenir quelques propos décalés par rapport à tout ce que les médias nous passent en boucle ces jours-ci.
La première fois que j’ai été invité au Japon, c’était en 1992 et ce pays avait alors mauvaise presse en France, notamment. Certains se souviennent des propos d’Edith Cresson comparant les Japonais à des « fourmis ».
Sans aller jusque-là, mes amis de gauche étaient largement influencés par les clichés ambiants et certains ont été estomaqués de constater que ce pays m’avais « conquis » en quelque sorte.
Comme tout pays, le Japon possède mille visages, et je ne prétends pas les connaître tous ; j’ai seulement, au cours de mes différents séjours, entrevus des aspects bien différents des clichés.
Cela n’est sans doute pas étonnant. Mais j’ai également compris quelque chose de plus surprenant : on affirme que les clichés sont partiellement vrais et partiellement faux, et sans doute on a plutôt raison.
Cependant, même justifié, le tort d’un cliché c’est d’ôter le sens de ce dont il prétend rendre compte. Et c’est pour cela, d’ailleurs, que son aspect partiel et très partial, très réducteur.
Ainsi, validant en partie le cliché, on est frappé par le « caractère discipliné » des Japonais : le respect des files d’attente pour les bus ou tout autre situation, le fait qu’à Tokyo ou Kyoto, on vous laissera toujours descendre du métro avant d’y monter, etc. On pourrait en dire autant de « l’esprit de groupe »
Mais, outre que c’est souvent bien agréable de bénéficier de la dite « discipline », il faut tout de suite ajouter 2 compléments :
Le premier complément, dont les dramatiques événements actuels donnent une confirmation forte, est que sans doute la survie de chaque Japonais peut être, un jour ou l’autre, à ce prix. Même quand les éléments sont moins terrifiants qu’aujourd’hui, ils constituent une perpétuelle menace.
J.-F. Sabouret, dans un petit livre qui constitue une excellente introduction au Japon (Japon, la fabrique des futurs, CNRS éditions, 2011) écrit : « malgré tous les progrès techniques accomplis dans le secteur du bâtiment, quoi que l’on fasse, il faut reconstruire sa propriété au moins une au cours de son existence : les milliers de séismes, parfois même imperceptibles sapent inlassablement les fondations des murs ».
On ne peut qu’admirer le dynamisme d’un pays (même s’il a eu sa période noire) qui vit dans la perpétuelle confrontation avec des éléments naturels, qui n’a pratiquement pas de matières premières dans son sous-sol et qui est surpeuplé (bien 2 fois la population de la France, sur une superficie des 2/3 de « notre » pays, avec certaines zones montagneuses peu habitables).
Plus de 40 millions de personnes vivent dans le grand Tokyo. Imaginez cela. Et la panique que vous auriez eue en France, si….
Le cliché transforme discipline et esprit de groupe en stéréotypes parce qu’il les essentialise et ne les voient dans un contexte d’interrelation. Il n’y a pas qu’à propos du Japon que les clichés opèrent ce genre de transformation réductrice.
Le second complément, plus important encore, et qui a été la véritable découverte que j’ai faite (comme des milliers d’autres séduits par ce pays), que cette discipline, cette insertion dans le groupe n’empêche pas l’individualité, au contraire, elle la promeut souvent.
Attention : je pas confondre individualité et individualisme. Cela même si, dans les 2 cas, cela implique que l’on sache être un individu.
Il existe un constat que peuvent faire même ceux qui ne sont jamais allés au Japon : il n’y a pas de « quartier japonais » à Paris, Chicago, etc., comme il y a des quartiers chinois par exemple. Certes, vous avez des boutiques japonaises un peu concentrées près de l’Opéra, vers la rue Saint Anne. Mais ce n’est pas là qu’habitent les Japonais qui vivent à Paris.
Vous les voyez comme touristes, bien en groupe. Mais je voudrais vous y voir, si, au milieu des parisiens pressés et indifférents, vous vous affrontiez à des inscriptions écrites dans une langue dont vous ne connaissez pas les caractères.
Dans les grandes villes japonaises, au contraire, il y a des transcriptions. Et surtout une extrême amabilité qui fait que, vous avez devant vous une foule, vous prenez n’importe qui dans cette foule et vous lui faites un peu comprendre que vous êtes un peu perdu. Il va aussitôt s’individualiser, vous aider à retrouver votre chemin, voire vous conduire au lieu où vous allez et, s’il ne peut le faire, vous confier à un autre Japonais.
C’est une expérience mille fois faite par des personnes très différentes, dont certaines ont été très étonnées.
L’individualité : un Japonais m’a déclaré : « nous sommes conformistes pour les choses qui nous paraissent sans grande importance, car cela permet d’avoir le maximum d’efficacité et d’accaparer le minimum de notre temps, pour nous libérer pour les choses importantes. »
Et, du moins pour la classe moyenne plutôt intellectuelle au sens large (il faut savoir qu’au Japon, l’essentiel de la population fait partie de la classe moyenne. Le « rêve égalitaire » par l’éducation existe encore au Japon, beaucoup plus qu’en France) que j’ai fréquentée, la remarque est juste.
Et j’ai rencontré beaucoup de très fortes individualités, très diverses.
Les gens sont plus critiques envers leur pays que beaucoup d’intellectuels français envers la France.
La critique, l’individualité va parfois jusqu’à la transgression : le cinéma japonais en est un bon exemple.
L’individualité, c’est aussi la poésie ; le haïku, court poème qui rend compte d’une émotion, d’un instant fugitif, d’une scène de la vie quotidienne, d’un amour heureux ou d’amants désunis.
L’individualité, c’est également le résultat des investissements en Recherche et Développement : 3,8% du PIB contre un peu plus de 2% à la France en 2008.
Et je ne vous parle pas des soirées entre profs et étudiants, du karaoké où, même moi qui chante faux….
Bref, amis japonais, nous sommes de tout cœur avec vous. Nous pensons bien à vous et vous souhaitons de sortir très vite de ce cauchemar.
PS: Pour ceux qui ne le sauraient pas, au japon la religion et l'Etat sont séparés depuis 1946 et l'enseignement public est entièrement laïque.
15:42 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Les Japonais ont aussi une particularité que vous devez bien connaître : le refus de 'limmigration de masse alors que leur population est vieillissante, trés vieillissante. Etrange tout de même que les Japonais soient sur la même longueur d'ondes que les méchants identitaires. Comme aurait dit Pascal : racisme en deça des Pyrrhénées, vertu au-delà. Permettez que je trouve ce débat autour de "l'essentialisation" trop in pour être vraiment sérieux. Il est clair que la culture japonaise est différente de la culture française, ce qui n'empêche pas les Japonais d'être aussi modernes dans leur mode de vie. Pas de multiculturalité chez eux, ils sont trop attachés à leur identité. Telle est la leçon que désormais nous ne pouvons nous confronter au risque de briser un tabou. Les Japonais nous donnent une leçon de stoicisme et d'attachement à la patrie.
J'espère que vous nous commenterez la proposition d'une "citoyenneté musulmane émise par un think tank "Terra Nova" proche du PS, donc des gens biens. La multiculturalité avance à grands pas. On apprend également qu'un collectif de musulmans ont émis le souhait que les églises vides soient mises à la disposition des prieurs de rues. Il y a quelques temps, une vidéo montrait l'armée égyptienne démolissant un mur érigé par des moines coptes à coups de bulldozer. Il semblerait que la laicité soit en train d'évoluer pour s'adapter à l'islam. Le déni de cette réalité est de moins en moins tenable.
Écrit par : gigi-3 | 15/03/2011
@gigi 3
Cher Gigi 3,
« Pas d’immigration au japon », dites-vous doctement. Personnellement, je pense que Le corset du vocabulaire ne remplacera jamais la colonne vertébrale d'une pensée bien charpentée, aussi je ne saurais trop vous conseiller de voir, ce soir, sur France 5, vers 22h15, l'émission C dans l'air qui vous renseignera sur "l'absence d'immigration" au Japon…Sinon, je me ferais une joie de vous rappeler quelques réalités géographique et historique sur le japon.
Cordialement.
Écrit par : david weber | 15/03/2011
Avant tout, une pensée pour les victimes de, la catastrophe qui touche le Japon.
Ensuite, je trouve assez déplacé, au moment où le japon est frappée par un terrible drame, que certain en profite pour ramener sur le tapis les problèmes d'immigration. Évidement, il est plus facile de s'occuper des "problèmes de burqa" qui concernent entre 500 et 2000 femmes en France que de traiter les vrais problèmes. Une amnésie sélective est, pour la conscience de certain, le meilleur des tranquillisants.
Écrit par : david weber | 15/03/2011
Merci pour cette note, je retrouve beaucoup de mon propre ressenti dans ce que vous écrivez.Je suis de la fameuse "génération Dorothée" (mais si, vous savez, les crétins trentenaires décérébrés ^^), je me rappelle encore la première fois que j'ai vu le dessin animé "dragon ball" à la télé (j'étais en ce1!), ce fut le début d'une passion que je n'ai jamais abandonnée (et réciproquement).Ces "japoniaiseries" (nous français savons être si xénophobes avec une si bonne conscience parfois...) m'ont ouvert les portes d'un univers culturel et humain auquel, quoique n'ayant jamais mis un pied sur l'archipel, je me sens excessivement redevable.Tiens, d'ailleurs si vous avez l'audace de venir me visiter dans mon désert rural (comme je vous y invitais dans un précédent commentaire ^^ ) éh bien je vous ferai l'honneur de ma collection de mangas (je suis sûre que vous aimerez bien City hunter, vous!et cat'eye peut-être encore plus).
Écrit par : Mathilde | 15/03/2011
Bonjour D Weber
Merci pour vos infos sur la langue des prêches et le financement des lieux de culte.
Elles sont confirmées par Guéant dans l'interview de mercredi au Monde.
Sur la langue liturgique, c'est ce que ja supposais, et ça me rassure.
Sur le financement des lieux de culte, je prends acte, mais ca ne convient pas du tout.Vous connaissez mon point de vue sur les douceurs dont bénéficie malheureusement l'église catho.Merci Vichy !!!
Donc, la boîte de pandore était ouverte depuis longtemps.
Il est urgent de cesser d'ennuyer l'Islam.Et ttes les religions : témoins de Jéovah, mormons, évangélistes et bientôt la scientologie qui finira bien par être estampillée "religion " en France, puisqu'elle l'est déjà ailleurs.
Le cercle des escrocs s'élargit.Le citoyen-contribuable doit-il financer, c'est autre chose.
J'appelle escrocs ceux qui prêchent la résignation et proposent un paradis après la mort.C'est le fondement de la doctrine sociale de l'église catho.
Quant au Japon, je m'en tiens à la compassion, l'empathie, le respect et la solidarité.Ma connaissance de ce pays est minimaliste, et sans doute remplie de clichés.
Je pense que l'utilisation de ces catastrophes à des fins politiques ou partisanes est indécente, n'en déplaise à E Plenel dont le populisme commence à m'agacer. Je fais encore référence à un débat chez Tadéi. Hélas, aux dernières nouvelles, cette émission est menacée. Trop de liberté sans doute !
Cordialement
Écrit par : MULOT Roger | 17/03/2011
Mais non Mr David Weber, je n'ai pas dit "pas d'immigration au Japon", votre "pensée charpentée" vous aura trahi. J'ai écrit : que les japonais refusaient 'l'immigration massive" ! Il y a une nuance, non ?
Quant à l'instrumentalisation dont je me serais rendue coupable, je veux bien l'admettre, mais dans mon esprit il s'agissait plutôt de soulever une différence axiologique importante entre nos "élites" occidentales et celles du Japon. Comprenez, si toutefois vous voulez essayer en toute honnêteté, que j'ai saisi la triste occasion de l'actualité japonaise pour noter un point commun entre les "identitaires" ditsfrileux quand ils ne sont pas gracieusement taxés de racisme et de xénophobie et ce peuple courageux et stoique. Mais sans doute est-ce trop attendre de quelqu'un qui croit avoir la vérité et la morale de son côté. Sachez que vos jugements ne suffisent hélas pas pour me convaincre de mes "erreurs" et de ma "faute", bref de mon état de pécheresse par rapport à la doctrine officielle de l'Eglise, euh, je voulais dire de "l'élite".
Quant à la suppression envisagée de l'émission de Taddéi, n'est-ce pas parce que certaines "élites" de la mediacratie l'ont jugé populiste ? La dénonciation du populisme est l'alibi pour détourner la démocratie au profit de... l'oligarchie.
Écrit par : gigi-3 | 18/03/2011
Super !Merci pour ce post de votre site Internet !
Écrit par : complementaire santé | 05/10/2011
Une grosse pensée pour toutes les victimes! Merci pour votre article très complet!
Écrit par : Achat guitare électrique débutant | 22/10/2011
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