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06/05/2009

ALGERIE, LAÏCITE, CITOYENNETE

Très prochainement: un PS du livre: La laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy.

Ou j'expliquerai à Carla (c'est mon dernier recours, le président lui-même refuse de comprendre!) pourquoi il ne fallait pas faire un accord entre la République et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l'enseignement supérieur.

 

 

Dans 2 Notes précédentes (15 et 25 avril) et au début de ma dernière Note (29 avril), je vous ai parlé de l’ouvrage important de Todd Shepard  : 1962 Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, paru  à la fin de l’année dernière chez Payot. Je vous ai assez longuement résumé la partie où Shepard, synthétisant de nombreux travaux, effectue un récit de ce que fut l’Algérie, département français, en m'arrétant en 1958. Je terminais, en gros, ainsi :

 

Shepard a choisi, dans le débat interprétatif entre Patrick Weil et Emmanuelle Saada, la même position que cette dernière (et je pense que c’est à raison)

Pour Weil, la politique républicaine en Algérie a été « dénaturée », ce qui (note Shepard) « conforte la conception normative et cohérente de la nationalité française égalitaire et a-raciale » (on aimerait bien qu’il en soit ainsi!)

Pour Saada, « la dissociation coloniale entre nationalité et citoyenneté est révélatrice (…) de tensions plus générales, internes à la définition de la nationalité dans le contexte français ».

 

Cependant, Shepard se distingue de Saada, en affirmant que « les dernières années de l’Algérie française ont ouvert de nouveaux horizons au recoupement de la nationalité et de la citoyenneté tel que le fait leur acception républicaine »

Et, corrélativement, il soutient la thèse « qu’avec l’indépendance algérienne, la France a adopté de nouvelles restrictions concernant l’appartenance à la nation, restrictions qui ont introduit dans les lois métropolitaines et les pratiques administratives une appréciation racialisée de l’origine des individus ».

 

C’est de cela dont je vais parler maintenant. C’est l’essentiel du livre à la fois quantitativement (plus des ¾) et qualitativement (c’est un travail de recherche de « première main », c'est-à-dire à partir de très nombreux dépouillements d’archives).

Pourtant je vais être plus bref.

D’abord parce que, sinon, il me faudrait y consacrer encore 5 ou 6 Notes, tant l’analyse est fouillée et nuancée. Ensuite parce que l’objectif est quand même que le maximum d’internautes intéressés achètent l’ouvrage.

Il y a donc des passages dont je ne vais pas parler. Par exemple, le double refus de l’Algérie française par Sartre et R. Aron ou encore l’attitude du PCF (« galipettes staliniennes ou impasse dialectique » écrit l’auteur). Etc, etc

A noter quand même, au sujet du PCF que l’auteur estime que « le républicanisme très français des communistes est ce qui a rendu le processus si difficile –pas le bolchevisme « étranger » (p. 107)

 

D’autre part, j’ai un double souci :

-         d’un côté rester fidèle à l’optique scientifique de l’ouvrage, c'est-à-dire la recherche de la connaissance à l’écart des jugements de valeurs, le refus d’avoir des impensés pour être « politiquement correct »

-         de l’autre côté, sélectionner, malgré tout, ce qui me semble intéressant à retenir pour la situation française actuelle : c’est d’ailleurs l’idée centrale de Shepard : la France a été durablement transformée par ce qui s’est passé ; cette histoire la marque toujours. Et c’est pour cela aussi que j’ai choisi de parler de ce livre.

Pour pouvoir réaliser ce double souci, je garde pour la fin la réflexion personnelle que m’inspire l’ouvrage, me concentrant sur ce qu’écrit l’auteur.

 

La 1ère thèse est que dés 1955, avec Soustelle, et surtout plus systématiquement à partir de 1958 a été mise en œuvre une « politique dite d’intégration  (qui) a tenté de rompre les liens étroits qui unissaient l’oppression coloniale et l’universalisme autoproclamé de la France » (p. 66).

La Constitution de 1958 a voulu réellement appliquer « la révolution juridique de 1944 [qui avait été bloqué en 1947] : tous les nationaux français d’Algérie –hommes et femmes- de statut civil local étaient désormais des citoyens à part entière » (idem)

Bref, on a tourné le dos à la politique dite d’assimilation « dont le but était d’éliminer les « particularismes » afin de créer des individus et des citoyens français ».

Cette politique d’assimilation non seulement n’avait pas réussi « à gommer les facteurs de différenciation séparant les « musulmans » des autres nationaux » mais elle avait « éloigné la plupart des « musulmans » d’Algérie du reste de la population française au lieu de les en rapprocher. » (p. 67).

 

 

La politique d’intégration  suivie pendant ces quelques années:

-         a « témoigné d’une volonté de regarder en face l’histoire de l’oppression coloniale raciste »

-         a « reposé sur la certitude que la France était capable de venir à bout de cet héritage et, ce faisant, de sauver l’Algérie française » (idem).

Et elle a signifié (ce qui avait été en théorie reconnu en 1944) : « la compatibilité de la citoyenneté française et de divers statuts civils » : « l’uniformité juridique n’était plus une condition nécessaire pour assurer l’égalité politique ».

Par ailleurs, elle a mis en route, pour « s’attaquer à la discrimination frappant les « musulmans » d’Algérie » des mesures que l’ « on peut sans se tromper qualifier d’’actions positives ou de ‘discrimination positives’ » (p. 69-70) (je suppose que le texte original parle d’affirmative action)

Ainsi a été mis en place une « réserve de postes dans la fonction publique, un contingent d’emplois par voie de concours exclusivement destiné aux FMA » (=Français Musulmans d’Algérie) (p . 71)

L’intégration a stipulé que « pour parvenir à l’égalité, il fallait reconnaître la différence. » (p. 74)

Entre 1958 et 1962 : « 10%  de tous les emplois dans les différents corps de la fonction publique en métropole, de plus hauts aux plus modestes, y compris des postes de préfet, de juge et bien d’autres de la hautes fonctions publique, ont été réservés à les FMA. »(idem).

Et par décision du 15 janvier 1960, le Conseil Constitutionnel a déclaré cela conforme à la Constitution, au principe d’égalité devant la loi (p ; 372).

 

La conclusion de Shepard sur ce sujet :

« Entre 1958 et 1962, la politique d’intégration de la Ve République a mis en œuvre le projet le plus cohérent et le plus ambitieux de toute l’histoire de la France dans le but de faire des « musulmans » algériens les égaux des autres Français. » (p. 103)

Mais cela s’est effectué alors que des forces sociales algériennes luttaient déjà pour l’indépendance.

Alors qu’ « historiquement, la gauche était passée à côté d’un certain nombre d’occasions qui auraient permis de rendre les « musulmans » d’Algérie plus égaux » (p. 90)

Outre le fait d’avoir céder à des pressions de « ceux qui, en Algérie, disposaient déjà du droit de vote : les « Européens » (idem), il y a eu une difficulté « historiquement liée à la bataille pour la laïcité, de proposer une réponse convaincante à l’argument « européen » selon lequel les « musulmans » algériens, profondément religieux, n’étaient pas encore prêts pour la citoyenneté » (p. 91)

 

La seconde thèse porte sur le retournement opéré en 1962 :

Les négociations avec le FLN, les accords d’Evian avec les nationalistes algériens (mars), le referendum d’avril donnant, à 91% le pouvoir à l’exécutif de prendre les mesures qu’il jugeait nécessaires pour appliquer ces accords, la proclamation de l’Indépendance de l’Algérie (1er-3-5 juillet).

Tout cela s’est effectué très vite, en quelques mois, même si le basculement de politique avait commencé quand de Gaulle avait reconnu la possibilité d’un vote d’autodétermination (sept 1959).

Mais ce n’est que « dans les derniers mois de 1961 (que) les hommes politiques français ont commencé de préparer, non sans hésitation, l’indépendance algérienne et ses lendemains ». Encore l’ont-ils fait alors « discrètement (…) ne cherchant guère à éveiller d’écho dans la sphère publique » (p. 114).

Pour Shepard, l’argument de la « décolonisation » (dont on avait dit auparavant qu’elle ne pouvait s’appliquer à l’Algérie, formée de 3 puis, après 1958, de 15 départements français), et l'argument de la « marche de l’Histoire »  et son « caractère inéluctable », etc ont permis d’éviter un véritable débat sur ce changement de politique normalement impossible dans le cadre des « principes républicains ».

 

Pour autant, Shepard montre que ce renversement du discours officiel (car une partie de la gauche militait déjà pour cette « décolonisation » mais, et c’est moi qui l’ajoute, elle se faisait qualifier d’ « anti France ») est d’autant mieux passé dans l’opinion métropolitaine française qu’il y a eu, pour elle, un renversement de la menace terroriste.

Pendant des années les médias dominants avaient mis en avant les attentats du FLN, mais désormais c’était l’OAS (=Organisation Armée secrète, voulant garder l’Algérie française) qui commettait des attentats, y compris en France.

 

Shepard souligne le fait que se sont alors les personnes appartenant au « camp de l’Algérie française » qui se sont réclamées de la République, en affirmant défendre

-         « les principes républicains (l’inviolabilité territoriale de la République, le caractère irrévocable de la citoyenneté) »

-         « les idéaux républicains (la politique d’assimilation, la laïcité) »

-         « les méthodes républicaines (le respect de la Constitution et des lois) »

(p. 122).

Il montre qu’elles ont invoqué la Révolution française, la Commune (certains d’ailleurs descendaient de Communeux J.B.), la Résistance.

Il affirme que, même s’il y avait de « l’hypocrisie » dans ces références, les réduire à cela (comme l’ont fait leurs adversaires) permettait de ne pas affronter le problème central : la nécessité de quitter les dites références républicaines pour pouvoir reconnaître l’indépendance de l’Algérie.

Surtout que s’est construite la fiction que c’était la France (républicaine) qui accordait l’indépendance à l’Algérie. Et de Gaulle a su très bien mettre en scène cette fiction.

 

Par ailleurs, Shepard montre aussi, qu’à ce moment, l’OAS, et (par raccourci) plus généralement les Français d’origine européenne d’Algérie, les « pieds noirs », ont été stigmatisés comme des hommes déviants : « l’Européen est convaincu qu’il est, par nature, le mâle de l’Arabe » écrivait un représentant de la nouvelle gauche.

Et Shepard commente : « le combat pour l’Algérie française devait par conséquent être compris comme ayant pour but le maintien d’une position de domination dans une économie homosexuelle » (p. 261). Cela à une époque où les homosexuels étaient particulièrement stigmatisés.

P. Nora, notamment, a synthétisé un discours anti pieds-noirs moraliste.

 

Le fait de sexuer le conflit a permis à la nouvelle gauche d’alors de recentrer son combat antifasciste. Auparavant, il visait de Gaulle (arrivé au pouvoir après le quasi coup d’Etat du 13 mai1958), et l’impérialisme français et occidental mais l’établissement de la Ve République et la politique gaulliste en Algérie nécessitaient un virage.

La construction nouvelle des intellectuels français a proposé une « certitude rassurante » : ce qui avait mal tourné en Algérie résultait non pas des contradictions inhérentes à la missions civilisatrice de la France, mais d’un déficit de civilisation » (p. 266).

 

Ce recentrage a eu de graves conséquences, notamment :

1° Shepard explique longuement comment les pouvoirs spéciaux confiés par le référendum a permis d’imposer la « prédominance présidentielle » : la fin de la guerre d’Algérie sera d’ailleurs suivie par la tenue d’un referendum établissant l’élection du président de la République au suffrage universel.

 

2° La répression contre l’OAS a pérennisé (et rendue implicitement consensuelles) les pratiques dites « exceptionnelles » de répression, jusqu’alors utilisées contre le FLN et ceux qui le soutenaient, et contre lesquelles la nouvelle gauche s’étaient, jusqu’alors, très vivement insurgée

Cela a pérennisé notamment l’emprise de l’exécutif sur les décisions de justice et l’extension des pouvoirs de la police.

 

La plupart des gens ont pensé que les « Algériens musulmans » de la métropoles retourneraient en Algérie. Les entreprises ont d’un côté redouté des départs massifs qui les désorganiseraient, de l’autre ne sont plus sentis dans « l’obligation morale » d’employer des « musulmans français » de préférence à des étrangers.

Le « musulman » originaire d’Algérie a eu tendance à être désormais considéré comme un étranger.

 

4) La « faillite algérienne » = une perte de confiance dans le « jus soli » (le droit du sol). La confiance fut restaurée par « une vision ethnicisée » de la nation où la France, bien que gardant sa prétention universelle, a réservé, de fait, la qualité de citoyens français aux Algériens d’origine européenne et aux juifs (dans une rhétorique assimilationniste).

Il y avait (selon une Note officielle) ceux qui, de droit, faisaient partie de la « minorité européenne » et « les musulmans (…) qui voudront conserver la nationalité française » et qui auront seulement la possibilité de « s’agréger à la minorité européenne. »

Les dits européens ont été considérés comme des « rapatriés » et les dits musulmans comme des « réfugiés » (p. 287)

 

5°) Quand les dits « pieds noirs » ont massivement immigré en France, on a inversé le stigmate de sa  prétendue « perversion homosexuelle » par l’insistance (notamment iconographique) sur les familles (donc l’hétérosexualité, la normalité familiale).

Cette vision familialiste en a donné une image positive, dans la presse (alors que des réticences persistaient dans la population).

Les pieds-noirs étaient devenus « nos compatriotes ». Mais ce n’était pas « leur qualité de citoyen qui servait à tous de dénominateur commun (…) mais l’origine « européenne » qu’ils partageaient avec le peuple français » (p. 291).

 

Dans quelques jours, je vais parler du décret entre la France et le Vatican. En efet, Sarko a profité du fait que j'avais le dos tourné (j'étais au Canada) pour le prendre!!

Mais il ne perd rien pour attendre.

Ensuite, il y aura une Note sur les 2 derniers chapitres du livre de Shepard : « le refoulement des musulmans » et « la République post algérienne », et je donnerai quelques commentaires personnels.

Puis, sauf imprévu, nous reviendrons à quelques Notes, peut-être plus polémiques, sur « Ce qu’est, ce que n’est pas la laïcité » : la présentation de mon livre sur La laïcité interculturelle, au Québec et en France, des cours hors de France et 2 débats, l’un avec l’ex député socialiste André Bellon (au Grand Orient), l’autre avec Pena-Ruiz (à Sciences Po) m’ont remis en tête quelques clarifications nécessaires.

Très bonne fin de semaine…. Et début du la troisième année du règne de sa Majesté Sarko Ier !

 

 

Commentaires

Bonjour,
quelques mots :
1/ Contente que Jean Baubérot puisse à nouveau travailler sans trop maltraiter son dos et nous transmettre le meilleur.
2/ Je suis plongée dans le bouquin de Shepard. Absolument passionnant. Je pensais pourtantpar bien des vécus , échanges, lectures..des plus motivés par histoires familiales, amicales , intellectuelles et militantes en savoir un peu ! Mais ce n'est pas un hasard si c'est un jeune historien, pas "français, qui nous apporte cet éclairage indispensable et nouveau. comme autrefois le bouquin de Paxton sur la France de Vichy. ou...ou...ou...
En tout cas vu les derniers exploits commémoratifs de Nicolas le petit , 8 mai 45, et la situation des plus tendue actuelle, les contorsions des divers programmes électoraux "européens" avec x instrumentalisations de la "diversité', de la citoyenneté, de...de...ce livre tombe à point pour clarifier toutes les ambiguités de "républicanisme" .
Reste à savoir si ce livre va être bien reçu en particulier par les historiens "français" qui m'ont souvent paru si pris dans les polémiques et territoires franco-français que ça ne leur plaisait guère qu'un collègue "étranger" mette son grain de sel ! par ex. le bouquin de C.Ross sur Mai 68 qui m'avait fort intéressée semblait les déranger assez pour que s'ensuivent des jugements des plus négatifs!
Merci...
bien entendu il faut continuer à faire connaître et soutenir...la doctorante dans cette nouvelle histoire de "voile"...

Écrit par : lepagnol | 09/05/2009

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