25/10/2008
Obama sans Obamania. Paradis et Enfer.
Aller, il fallait bien finir par dire quelques mots de la présidentielle américaine. Et pour une fois que je suis d’accord avec 93% des Français (sondages publiés par la presse), je ne vais pas bouder mon plaisir.
Donc, naturlish, je souhaite la victoire d’Obama. Pas besoin de vous dire longuement pourquoi, il suffit de suivre un peu la campagne menée en face. Et puis cela m’étonnerait que vous fassiez partie des 7% d’irréductibles…
« J moins 10 » titre Libé (25 oct.) et je connais certaines personnes qui, effectivement, voudraient être plus vieilles de 11, 12 jours pour savoir si le monde est enfin débarrassé de Bush et de sa clique. Pourtant, j’ai du mal à rêver, à participer totalement à l’Obamania omniprésente en France.
D’abord, je ne peux m’empêcher de penser que si un Obama français se présentait en 2012, cela m’étonnerait fort qu’il approche les 93% d’intentions de vote et donc l’engouement me paraît un peu suspect.
On a reproché à Ségolène une pseudo « inexpérience » alors qu’elle a été conseillère de Mitterrand, 3 fois ministre et qu’elle est présidente de région. Que dire alors d’Obama qui, lui, n’a aucune expérience de l’exécutif ? « Il aura des conseillers » me rétorque-t-on. Oui, mais s’il ne les domine pas en leur montrant constamment qu’il possède le savoir faire adéquat, qu’il sait mieux qu’eux maîtriser la situation, cela peut aller à volo.
On croit que les conseiller sont là pour aider leur chef. Grave erreur. Un dirigeant face à ses conseillers, c’est Daniel dans la fosse aux lions. Pour qu’un conseiller soit utile, il faut le dompter. Sinon les conseillers vont vous bouffer tout cru.
Chacun trouvera tout un tas d’argument pour vous attirer dans la direction qu’il veut vous faire prendre, pendant qu’un autre cherchera à vous entraîner dans la direction inverse avec des arguments tout autant convaincants. Chaque conseiller, en fait, a dans la tête la politique qu’il veut voir adopter à son chef, et aspire à devenir le conseiller principal, sinon unique.
Donc, quelque soit l’intelligence d’Obama, son « charisme » et les qualités dont il a fait preuve durant sa campagne, son inexpérience dans des responsabilités exécutives est un handicap sérieux. C’est ainsi et ce n’est pas le dénigrer que de l’indiquer. Pourquoi les médias français cachent soigneusement le problème ?
Certes l’élection d’Obama aurait, sans conteste un grand impact symbolique (et ce n’est certes pas moi qui vais déprécier cet aspect), Ce sera la preuve que les Etats-Unis sont arrivés à vaincre leurs ‘démons. Que les politiques publiques et les nombreux débats qui ont accompagné la perspective de ‘l’affirmative action’ ont eu aussi des effets sur les représentations que les Américains ont de leur propre société.
Ce sera même un séisme à l’échelle mondiale, modifiant dans une certaine mesure le rapport des Etats-Unis avec le reste du monde. Mais, ne rêvons pas trop : la politique américaine ne va pas, miraculeusement, devenir vierge. Des contraintes de mille sortes, pour défendre des intérêts puissants, vont se maintenir. Contraintes augmentées par la crise. Crise qui va alourdir la difficulté pour qui veut gouverner autrement.
Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais j’aimerais que les médias m’informent sur la marge de manœuvre plausible que pourrait avoir Obama s’il devenait président (marge dans le meilleur des cas). Ce qui apparaît réalisable ou semble très difficile à concrétiser dans son programme. Les domaines où il faut s’attendre ce que la continuité l’emporte, etc.
Obama a bénéficié de soutiens financiers puissants. Plus que son adversaire, censé représenter des lobbies. Il a refusé de signer un engagement qui lui aurait permis de bénéficier de l’argent public mais qui aurait limité son plafond de dépenses. Les médias français se sont montrés très discrets sur ce sujet (on ne va pas risquer de déplaire à 93% du public, quand même !). Pourtant cet argent est certainement un investissement beaucoup plus qu’un don. Là encore, j’aimerais bien en savoir davantage.
Etc, etc. Eh oui, je suis incorrigible. Je n’arrive pas vraiment à communier avec la ferveur populaire. Je me dis que c’est un peu trop beau pour être vrai. Je ne peux taire quelques doutes. Je veux bien, dans 10 jours, sabler le champagne si…, j’espère vivement avoir l’occasion de pouvoir le faire. Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que, passée l’euphorie, une certaine gueule de bois subséquente est sans doute à prévoir.
Cela me rappelle un peu 1981. J’avais, à mon niveau, participé à la campagne de Mitterrand, mais sans communier de façon complète. Et sans croire que la vie allait changer, malgré le slogan du candidat.
Excusez moi de prendre, une fois de plus, le rôle du désenchanteur, mais je dirai volontiers : OK, espérons vraiment qu’Obama va gagner, mais soyons réaliste, sachons que l’impossible ne se réalisera pas.
Aller, pour vous remonter le moral, je vais vous raconter une petite histoire. Celle d’un homme intègre qui, toute sa vie a fait du bien à son prochain. De plus, il ne s’est jamais saouler, n’a pas trompé sa femme, s’est montré un travailleur exemplaire, etc, etc (je ne développe pas, la description de la vertu n’est jamais très sexy, tout les auteurs de scripts vous le dirons).
Bref, à sa mort, il file tout droit au Paradis. C’est bien le moins qui pouvait lui arriver, non ? Et là, il commence à goûter avec délice la félicité éternelle. Mais justement, comme le fait remarquer Woody Allen, l’éternité, c’est long, surtout vers la fin. Et là, cela n’en finit pas. Notre homme était un super actif, il commence à s’ennuyer.
Il va trouver Saint Pierre, qui comme chacun le sait est le gardien du Paradis (si vous ne le savez pas, c’est que vraiment, le rapport de Régis Debray sur l’enseignement du fait religieux à l’école publique n’a pas eu les résultats escomptés, c’est absolument désolant !)° et il lui demande s’il est prévu quelques distractions paradisiaques.
Le bon saint Pierre lui répond que justement, dans trois jours, il y aura une visite de l’Enfer et…il reste encore quelques places. Cette visiste durera le week-end. Notre homme accepte derechef. Et le voila bientôt entrain de découvrir les contrées infernales.
Ah mes amis, que c’est chouette : des paysages magnifiques, un hôtel de luxe comportant, en annexe, une boite où tout un chacun s’éclate. Notre homme est d’abord un peu dérouté, ce n’est pas le genre de lieu qu’il fréquentait quand il était vivant et la musique est un peu tonitruante. Mais il vainc assez vite ses réticences : après tout, il n’a plus à gagner le Paradis. C’est déjà son lieu de résidence habituel !
Mais, malheur, le week-end passe à toute vitesse, et voilà notre homme de nouveau dans la routine paradisiaque, qui lui semble encore plus terne qu’avant. Il se raisonne, mais ne peut s’empêcher de ruminer ses souvenirs infernaux.
A la fin, il n’y tient plus et va revoir Saint Pierre, pour savoir si un autre voyage est possible. Justement, dans quarante huit heures, il y un groupe qui part pour une semaine. Il était complet, mais un de ces membres vient de se désister. Notre ami profite de l’aubaine.
Merveilleux, sublime. D’autres paysages enchanteurs et un boite de nuit encore plus fun que la précédente. Et là il rencontre une jeune femme, belle à se damner. Il engage, avec précaution, les marches d’approche. Il ne sait pas trop comment s’y prendre : n’ayant jamais dirigé le FMI, il manque d’expérience en la matière.
Mais la belle n’est pas très farouche, et se laisse volontiers séduire… le dernier soir. Eh oui, un semaine déjà, il faut rentrer. Il n’a pas vu le temps passé comme l’écrit si bien notre Le Clézio national.
Misère, du fond de son Paradis devenu un véritable enfer, tant il est un long fleuve très tranquille, notre homme est obsédé par sa belle. Retour chez Saint Pierre donc, qui lui dit : « OK, vous pouvez retourner en Enfer, cependant, cette fois il ne s’agira nullement d’un séjour temporaire, mais d’une option définitive. Réfléchissez donc bien avant de vous décider. »
Option définitive, notre homme ne demande que cela. Le Paradis ne l’intéresse plus du tout. Certes, il a le gîte et le couvert, mais les jours s’écoulent si tristement identiques. C’est tellement fade. En Enfer, on s’amuse comme des fous. Il y a pris goût. Bref, il signe le papier de changement de résidence que lui tend l’apôtre.
Et là, horreur : il se retrouve dans un Enfer qu’il ne connaissait pas. Aucun paysage d’aucune sorte. Des lieux absolument sordides, au contraire.¨Pas de jeune femme de rêve. Du travail de forçat avec des gardiens qui le fouettent dés qu’il diminue sa cadence. Une nourriture dégueulasse.
Ecoeuré, il demande à rencontrer le Diable. Il lui explique qu’il ne comprend pas, il y a maldonne. « Ce n’est pas possible. Mes voyages précédents chez vous étaient si merveilleux… »
Alors Satan part d’un rire homérique, interminable. Et quand il se calme enfin, il lui dit : « Mon bon, vous avez confondu tourisme et immigration. »
La blague possède une variante. Dans cette variante, le héros ne va pas passer un week-end ou une semaine en Enfer, mais il découvre au sein du Parais, un poste de télévision. Et là, il regarde un reportage sur l’Enfer, où paysages magnifiques, belles femmes à gogo, soirées où on s’éclate, etc, etc.
Il obtient de saint Pierre d’aller en enfer et il lui arrive les horreurs précédemment décrites. Il va voir Satan qui lui déclare : « Mon pauvre, si vous croyez encore à la publicité…. »
PS: Pour H. Bouissa: je vous téléphone bientôt.
22:16 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (6)
20/10/2008
CRISE FINANCIERE = CRISE DU SYMBOLIQUE
La crise, mes amis, c’est un vaste écran de télé à l’échelle de la planète. Girls du Moulin rouge mis à part (encore que,…), cela débute comme l’émission de Patrick Sébastien, le samedi soir sur France 2, « Le plus grand cabaret du monde ».
Nous regardons, étonnés, voire stupéfaits, équilibristes et magiciens jongler avec quelques centaines de milliards, les faire disparaître, réapparaître, disparaître à nouveau. Un jour, il se produit un « rebond historique » (titre de Libé, le samedi 20 septembre). Trois jours plus tard, en un tour de main, il s’est complètement évanoui.
Une fois, entre 2 conférences sur la laïcité, au Mexique, j’avais été invité à une fête par le frère d’un ami. Celui-ci avait fait venir un saltimbanque pour l’anniversaire de son fils. Je m’étais placé juste en diagonale par rapport à l’artiste, et près de lui, pour pouvoir comprendre ses trucs.
Certes j’entendais un peu le roucoulement du pigeon quand il était censé ne plus exister. Il n’empêche, au moment de la disparition et de la réapparition, je n’arrivais pas à saisir le tour de main.
C’est pareil avec la crise, sauf de j’ai bien peur que ce soit exactement l’inverse : l’astuce du magicien consistait à dérober à nos regards un pigeon toujours là. Dans la crise, on fait (au contraire) apparaître à nos yeux, censés être éblouis, des milliards factices. Et c’est leur disparition qui est réelle. Pour le pigeon, pas besoin de vous expliquer de qui il s’agit…
La magie ordinaire consiste à escamoter le réel. En temps ordinaire, nos politiciens ont plus d’un tour dans leur sac pour réussir cet exercice. Avec la crise, ils montrent un nouveau savoir faire : nous faire contempler, le temps d’un tour de passe-passe, les centaines de milliards qui, s’ils existaient vraiment et se trouvaient utilisés de façon rationnelle, résoudre misère, famines, etc , etc ;
La presse ne se fait pas faute d’affirmer en tout cas, qu’il faudrait saisir au bond quelques uns de ces milliards quand ils sortent du chapeau magique : Jacques Diouf, dans Libé du 8 octobre, indiquait : « il ne faudrait investir que 30 milliards d’euros par an pour assurer la sécurité alimentaire d’une population qui atteindra 9 milliards [d’être humains, pas €, faut-il le préciser ?] en 2050. »
Et rebelote, une semaine plus tard (16 oct.) sous la plume de Christian Losson : « Alors que les pays développés prévoient d’injecter jusqu’à près de 3000 milliards d’euros dans le sauvetage du système bancaire et financier de la planète, 1% de ce pactole –décidé en moins d’un mois- suffirait à sortir l’humanité de la faim. »
OK, c’est Libé qui fut autrefois gauchiste, mais j’ai lu un peu la même chose dans Le Monde. Peut-être même d’ailleurs que Le Figaro… On ne sait jamais par le temps actuels.
J’aimerais croire, comme Diouf et Losson, qu’il suffirait de piquer 1% des milliards qui jonglent (et les jongleurs ne s’en apercevraient peut-être même pas). Je crains que les choses ne soient pas si simples. Car nos deux commentateurs ont oublié que la réalité empirique c’est moins les milliards eux même que le tour de magie.
Ordinairement, la magie, c’est quoi ? Cela consiste à nous faire prendre le réel empirique pour ce que l’on voit. Le pigeon existe ; non il n’existe plus ; si il existe de nouveau…selon que nos yeux le voient ou ne le voient pas. Mais visible ou invisible le pigeon existe toujours empiriquement. Je vous l’assure : je l’ai entendu roucouler !
La crise rappelle que l’économie, c’est un peu l’inverse. Keynes la comparait à un concours de beauté où les jeunes femmes sont classées suivant des fantasmes : la valeur « réelle », au sens du réel empirique, de l’actif compte moins que la représentation collective que les opérateurs du marché s’en font. Mais, ajouterais-je, cette représentation possède aussi son niveau de réalité, puisque le marché fonctionne réellement ainsi.
Il suffit d’ailleurs d’ouvrir le dictionnaire pour se rendre compte que des mots clefs de l’économie proviennent du langage symbolique. A « crédit » Le petit Robert vous rappelle que ce mot provient du latin creditum, de credere, croire. Le crédit est (d’abord) « la confiance qu’inspire quelque chose ou quelqu’un ». La confiance, terme qui lui-même vient de l’ancien français, fiance, c'est-à-dire foi.
Le petit Robert donne comme exemples d’emploi du terme « crédit » : « donner crédit à un bruit, une rumeur » = « y ajouter foi, y croire » (et on sait à quel point une rumeur crue peut faire effondrer la valeur d’une action). Autre exemple : « cette opinion acquiert du crédit dans le milieu patronal, parmi les dirigeants ».
Ce n’est qu’ensuite que le dictionnaire nous dit que le crédit c’est « la confiance dans la solvabilité de quelqu’un » et qu’arrivent tous les termes familiers de la finance.
Crédit renvoie à créance, qui est « le fait de croire en la vérité de quelque chose » et, nous dit toujours Le petit Robert, est synonyme de « croyance, foi ».
Autrement dit, il n’existe pas une infrastructure économique qui serait « le réel » et des superstructures symboliques illusoires. Le marché lui-même est investi par le symbolique, la représentation, la croyance. Le symbolique est un élément essentiel du réel humain.
Pour Le Monde (Marie-béatrice Baudet – Antoine Reverchon) du 10 octobre, la crise actuelle est fondamentalement « une crise de confiance comme le furent beaucoup d’autres crises systémiques avant elle ». Mais il s’agit d’une « crise de confiance inédite », liée à « deux particularités : la nouveauté et la complexité des actifs qui ont causé le mal ; et son spectre planétaire. »
Que se passe-t-il ? Avant tout que les différents acteurs du marché n’arrivent plus à avoir une croyance commune sur la valeur des produits qu’ils détiennent dans leurs portefeuilles. Toute la coordination internationale vise à redonner de la confiance, à retrouver la croyance commune seule capable de remettre le système en marche.
Et là, on est dans le brouillard. Car quand vous proposez d’étudier le symbolique, de faire de la sociologie du symbolique, vous n’obtenez pas aucun milliard, ni million. Les financiers potentiels ne savent même pas, le plus souvent, de quoi vous parlez !
Eh oui, quand on est en plein dans une croyance, on n’est jamais pressé de la voir étudiée par une démarche de connaissance. Pourtant, il faudra bien que les Athéniens s’atteignent, comme dirait l’autre, et qu’on investigue un peu systématiquement les rapports du symbolique et de l’économique. Il y a des choses à glaner dans Marx himself (qui avait amorcé une réflexion sur l’aspect symbolique de la monnaie), chez Weber (l’importance du charisme en économie), et d’autres.
En attendant, j’ai ma propre suggestion pour faire redémarrer la machine : créer un nouveau prix Nobel doté de, allez ne chipotons pas, 300 mille de milliards, de milliards d’€. Je vous en reparle bientôt.
Votre jean Baubérot
Digne de votre confiance !!!
12:17 Publié dans LA DOUCEUR TOTALITAIRE | Lien permanent | Commentaires (2)
13/10/2008
DES FILLES VOILEES PARLENT (SUITE)
J’ai eu des problèmes récurrents de wifi et d’accès à internet toute la semaine dernière et j’ai profité de l’amabilité d’une collègue d’hôtel pour envoyer la première partie de la Note sur l’ouvrage Les filles voilées parlent, publié par les éditions La Fabrique (64, rue Rébeval, 75019 Paris, Diffusion : Harmonia Mundi).
Je vous livre donc la suite de cette Note (cf. Note du 6/10/2008, que vous pouvez trouver ci après, si vous ne l’avez pas lue ou si vous voulez vous la remettre rapido en mémoire)
L'ouvrage comporte, pour l’essentiel, 44 témoignage recueillis par Malika Latrèche, Ismahane Chouder, qui est un(e) des piliers de l’association « Islam et laïcité », et Pierre Tevanian, déjà auteur d’un excellent petit livre : Le voile médiatique (éd : Raison d’Agir). Leur entreprise a été soutenue par l’association Une école pour tous/toutes et par le Collectif des féministes pour l’égalité.
Témoignages, ai-je écrit, et donc ressenti de ces jeunes filles et jeunes femmes. Pour la plupart elles ont été soit démissionnaires ou expulsées de l’école publique pour cause de port de foulard, soit obligées d’enlever leur foulard contre leur gré pour pouvoir continuer leur scolarité (parfois à la demande pressante de leurs parents).
La diversité des situations rapportées est d’ailleurs une des richesses de ce livre, qui en compte plusieurs. Et l'amertume des jeunes filles qui ont enlevé leur foulard à l'école, celles que l'institution scolaire croit avoir gagné à sa "cause", apparait en fait la plus forte.
Témoignage ne signifie naturellement pas enquête sociologique, les auteurs le savent, mais leur but est de rompre l’omerta, la loi du silence qui fait croire que tout se trouve réglé. La télé qui est si friante de "témoignages" (au point, d'ailleurs, d'intituler souvent "témoignage" des propos qui sont des points de vue ou des analyses) ne leur a surtout pas demander de "témoigner". Pourtant le rapport de la Commission Stasi va bientôt avoir 5 ans. Ce serait l'occasion, non?
Par ailleurs, je peux personnellement ajouter que ce qu’elles décrivent correspond factuellement à des témoignages que j’ai eu d’autres acteurs, des enseignants, même si les points de vue peuvent être différents.
De plus j’ai retrouvé des éléments d’une expérience analogue (l’analogie étant la ressemblance et la différence) que j’ai moi-même vécu durant ma propre scolarité, dont je conserve une blessure jamais complètement refermée.
Enfin, ce qui s’est passé à la rentrée 2004 ne fut que le dernier acte d’une gestion calamiteuse par l’éducation nationale de la « question du foulard ». D’ailleurs, il existait un consensus, à la Commission Stasi, pour estimer que, dans cette affaire, l’éducation nationale, comme institution, comme administration, s’était montrée particulièrement incapable. Il y a même des membres de cette Commission qui ont voté la loi car, disaient-ils, l’éducation nationale est « incapable de se dépatouiller » du problème.
La proximité factuelle du témoignage des filles et de ceux de certains profs se manifeste notamment sur un sujet précis. A la suite de la réticence d’une des membres de la Commission Stasi à voter la proposition de loi contre les signes ostensibles, il a été rajouté au rapport de la Commission la nécessité, avant toute exclusion, d’une phase de dialogue entre le corps professoral et la direction des lycées/colèges concernés d’une part, et les jeunes filles de l’autre.
Selon ce que m’ont dit des profs concernés, et ce que montrent encore plus les témoignages recueillis, c’est que cette mesure, dictée par la bonne intention de ne pas exclure brutalement, du jour au lendemain, s'est avérée très largement contreproductive. Ce fut un peu l’enfer pavé de bonnes intentions.
Pourquoi? Parce que, pour que le dialogue s’établisse il faut qu’il y ait autorité, mais pas pouvoir, c'est-à-dire pas d’acte de répression comme objectif. La situation scolaire n'est guère, de toute façon, une situation de dialogue. Et le dit « dialogue », sauf exception, s’est résumé à la mise à l’écart des filles aux sein de l’établissement scolaire, parquées dans une salle spéciale, stigmatisées comme n’étant pas « normales », conformes à la norme scolaire et sociale.
A travers les témoignages, on s’aperçoit que ces semaines ont été les plus dures, les plus éprouvantes de ce qu’on vécu les jeunes filles. Leurs souvenirs, à ce sujet, sont particulièrement amers. Il faut les lire.
Mais des témoignages de profs montrent qu’eux aussi ont mal vécu ces interminables semaines. Certains se trouvaient fort mal à l’aise. Ils n’étaient pas toujours convaincus du bon droit de ce qu’ils exigeaient. Ils se justifiaient, à leurs propres yeux, en se disant qu’ils faisaient cela dans « l’intérêt des jeunes filles », pour qu’elles puissent continuer leur scolarité.
Plus d’un s’est montré cassant, a tenté de contraindre (psychologiquement), faute de pouvoir convaincre, en se disant qu’il fallait « sauver ces élèves malgré elles ». Mais bien sûr, et de nombreux récits du livre le montrent, ils ont été ressentis, ils ne pouvaient être ressentis que comme hostiles, répressifs, porteurs d’une normalité qui exclue.
Certes, il existait des profs ou proviseurs militants antifoulards qui ont réprimé, voir provoqué ou même injurié sans état d’âme. Il s’est produit, comme l’indique une des élèves « une alliance un peu contre nature des « laïcards », des féministes et des fachos »
D’autres ont su faire passer quelque chose, pour montrer aux filles qu’ils n’étaient pas leurs ennemis (l’une d’entre elles rapporte qu’une proviseure qu’elle a pensé alors être « contre » elle; maintenant, ajoute-t-elle, « avec le recul, je la comprends et je la remercie »). Certains ont même fait ce qu’ils pouvaient pour soutenir les jeunes filles. La majorité ne savait pas trop comment appliquer la loi, ni gérer ces fameuses semaines de pseudo dialogue.
Un des aspects les plus calamiteux de ces semaines a été, cela est manifeste quand on lit les divers récits comme quand on écoute certains profs, une idéologisation du conflit. Au lieu de dire, il y a une loi, en tant que citoyennes ou bientôt citoyennes, vous avez le droit de la trouver injuste et de lutter pour son abolition, mais tant quelle existe, vous et moi devons l’appliquer, le dialogue a consisté, le plus souvent, dans un discours très idéologique. Ce discours figeait les positions, les oppositions.
Est revenu comme un mauvais refrain, le reproche (ressenti comme une injure par les jeunes filles) d’être des femmes soumises.
Deux paradoxes dans cette accusation.
Le premier paradoxe est qu’on leur demandait, précisément,… de se soumettre. Pour démontrer qu’elles n’étaient pas des femmes soumises, il fallait…qu’elles se soumettent à quelque chose qu’elles considéraient comme injuste.
Le second est que le vieux thème de la femme soumise à l’emprise cléricale n’a rien de féministe. C’est au contraire, depuis des lunes, un thème récurrent de l’antiféminisme laïque, ou plus exactement de l’antiféminisme qui se dit laïque pour masquer sa bêtise.
On le trouve déjà au XIXe siècle. Il a continué au cours du XXe. Il a été le ‘meilleur’ ( !) prétexte pour ne pas donner le droit de vote aux femmes. C’est à cause de ce stéréotype que les femmes, en France, ont voté un siècle après les hommes.
Dans les autres pays démocratiques, la différence est d’un quart ou d’un tiers de siècle. Autrement dit, on trouve une marche en avant où l'on passe d’un vote censitaire à un vote masculin, puis au suffrage universel. En France, on a un blocage sur le vote masculin, qualifié (significativement) de ‘suffrage universel’, alors que les femmes ne votent pas de 1848 à 1944-45.
Cette exclusion des femmes est justifiée alors au nom du stéréotype (qui se veut laïque) de la femme soumise.
Que certaines femmes, encore aujourd'hui, aient fortement intériorisé le dit stéréotype ne change rien à l’affaire. Quand on fait l’histoire des stéréotypes, on est frappé de leur puissance, de leur permanence, de leur possibilité de resurgir.
Et l’on constate qu’une nouvelle fois cela fonctionne à merveille, justifiant de nouveau l’exclusion.
Les auteurs montrent, à partir d'exemples précis que "pour une fille exclue ou démissionnaire, il faut ajouter au moins deux "exclusions invisibles" par abandon avant la rentrée" (p. 109). Les témoignages des jeunes filles qui ont été désocialisées et déscolarisées et ont tenté de continuer par l'enseignement à distance (comme si elle étaient obligé"es par une maladie de rester chez elles), ou même ont renoncé, sont particulièrement significatifs.
Un autre enseignement important ressort des témoignages : c’est l’interdiction du bandana qui a été surtout ressenti comme une injustice profonde. Surtout que des filles portaient le bandana sans s’appeler Leila, Sabrina, Habiba ou Khadija. L’interdiction du bandana pour les jeunes filles musulmanes a été ressentie comme une discrimination ethnico-religieuse.
Cela donne parfois lieu à des scènes cocasses, et révélatrices : une prof qui demande à une jeune fille de mettre son floulard façon bandana, en précisant qu'il ne doit être ni blanc, ni noir, ne pas faire "oriental" (sic), mais être bleu, latino-américain.
J’avais prévu cela et, à la Commission Stasi, j’avais fait deux propositions. La première consistait à mettre en loi, à solenniser l’avis du Conseil d’Etat, faisant la distinction entre foulard discret et foulard ostentatoire.
La seconde proposition était un compromis, interdisant les « tenues religieuses » mais pas les signes ; le bandana ne pouvait être considéré comme une tenue religieuse.
A mon sens, cette seconde proposition avait ses chances. En tout cas le résultat aurait été serré. Le staff refusa de la mettre aux voix et, comme des petits garçons soumis et des petites filles soumises, les membres de la Commission ne réclamèrent pas qu’elle fut mise au vote. Mais le film de la séance a du en garder la mémoire.
Stricto sensu, la loi et la circulaire auraient pu amener tolérer le bandana. Mais à partir du moment où la distinction n’avait pas été explicitement faite, les consignes étaient de ne pas l’admettre.
Il semble que maintenant il soit toléré dans plusieurs écoles, pas dans toutes. Le fameux « cas par cas » que les partisans de la loi récusaient fonctionne donc. Mais de manière arbitraire. De toute façon, on ne peut empêcher du cas par cas. Ne serait-ce que parce qu’il des personnes qui savent faire preuve d’intelligence, de finesse, et d’autres, aller redisons l’expression, chère Anne, « bêtes et méchantes ».
Cela se manifeste aussi sur d’autres sujets, et nous en reparlerons.
PS : Je m’aperçois que je n’ai pas parlé de mon expérience perso (de rebelle !) avec l’école, comme je l’avais annonçé. Dans la mesure où elle montre, hélas, une continuité de l’institution scolaire, de la prétendue « école républicaine » (en fait très bonapartiste), à imposer des normes qui ne se justifient pas, je vous en reparlerai ; qui sait peut-être dans une semaine.
2ème PS : ce blog n’a pas l’objectif de faire de la critique de films, mais comme Libé (8/10/2008) s’est fendue d’une critique particulièrement coincée et mauvaise du dernier Woody Allen : Vicky, Christina, Barcelona, je vous recommande chaleureusement ce film.
Comme le dis un copain-collègue, ce film « a l’art de parler légèrement de choses graves ». L’art de filmer et de faire parler et vivre les personnages. Je pense que pour les dames (et les messieurs qui aiment ça), Javier Bardem est pas mal, et (moi-même, personnellement) je trouve Rebecca Hall absolument craquante.
Oui, elle est sublime Vicky-Rebecca. Mais comme no body is perfect, elle a un vilain défaut (un seul) : elle fait une thèse sur « l’identité catalane », alors qu’elle devrait travailler, toutes affaires cessantes, sur la laïcité.
Je suis absolument, totalement débordé, mais je crois, oh miracle laïque, pouvoir trouver du temps à lui consacrer, only sur le plan scientifique, of course. Woody, soit sympa, transmets le message de toute urgence…
16:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)
06/10/2008
DES FILLES VOILEES PARLENT
Dans l’opinion publique, la loi du 15 mars 2004 a réglé le « problème » du foulard à l’école. Même des personnes qui se sont montrées réservées face à cette loi estiment maintenant qu’elle a « ramené le calme ».
J’ai entendu plusieurs fois émettre une telle remarque, due notamment au fait que les « affaires de foulards » (pas très nombreuses au demeurant, car en général le calme existait déjà), ces affaires étaient hypermédiatisées (rappelez-vous la seule affaire des 2 filles Lévy, à l’automne 2003, a fait la « une » pendant 15 jours, 3 semaines).
Au contraire, l’expulsion de quelques jeunes filles (4 si ma mémoire est bonne, vous voyez, même moi, je dépends de l’impact donné par les médias à un événement !), pour cause de foulard, en cette rentrée scolaire 2008 n’a donné que quelques lignes dans les quotidiens les plus sérieux, informations brève noyée dans l’ensemble des 1000 et une infos.
D’autre part, le processus logique induit par cette loi (pour que la France ne soit pas condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme) a commencé avec le contrat passé par l’Etat avec une école privée musulmane. Mais personne n’a établi le lien, alors qu’il est clair.
On peut (c’est mon cas) estimer (avec Jules Ferry qui a écrit un beau texte sur le sujet) que la liberté de l’enseignement est une liberté précieuse pour empêcher tout toute imposition d’une doctrine d’Etat (une liberté laïque en quelque sorte) et regretter que des parents et des jeunes filles qui avaient choisi l’école publique, soient « légalement » obligées de fréquenter l’école privée.
Et encore c’est, pour ces jeunes filles, la moins mauvaise solution. Car celles qui, pour des raisons pratiques, ne peuvent pas aller à l’école privée (parfois catholique d’ailleurs) sont contraintes, soit de suivre l’enseignement à distance (ce qui les désocialise et les parquent dans leur maison), soit d’abandonner l’école à 16 ans (elle n’est plus obligatoire, alors), soit d’enlever leur foulard contre leur gré.
Quelle que soit la position des internautes qui surfent sur ce blog par rapport au foulard (et les échos que j’en ai montrent qu’elle est fort plurielle), un constat sur le traitement médiatique du foulard devrait pouvoir nous réunir. Hypermédiatisées jusqu’en 2004, les jeunes filles qui portent le foulard se trouvent réduites au silence depuis lors. Les deux attitudes sont révélatrices du traitement médiatique de la réalité. Traitement médiatique, à mon sens dommageable pour la démocratie.
J’ai un souvenir fort de la matinée d’auditions de la Commission Stasi consacrée aux jeunes musulmanes. Elle se divisait en deux : une audition avec foulard ; une audition sans foulard. A la première audition (deux jeunes filles portant le foulard), il y avait davantage de cameramen et camerawomen que quand nous avions auditionné des ministres et des leaders politiques. A la seconde, celle de la jeune fille n’ayant pas de foulard… ils étaient tous, oui tous, partis.
Naturellement cette dernière jeune fille était furieuse de cette différence de traitement et elle a déclaré alors : « s’il faut que je porte une burka pour que l’on entende ce que j’ai à dire ; la prochaine fois, je viendrais en burka ».
Mais là où elle se trompait, c’est que les cameramen/women n’entendaient pas plus ce qu’avait à dire les 2 jeunes filles portant foulard que ce qu’elle avait à dire, elle qui n’en portait pas. Ce que ces 3 jeunes filles avaient à dire, ils s’en moquaient complètement. Seule l’image les intéressait.
Il ne s’agissait pas d’écouter, seulement de filmer un foulard. C’est seulement pour cela que, plus de foulard, plus de cameramen/women. Ce jour là, j’ai éprouvé du mépris. Oui ; j’ai trouvé méprisables ces cameramen/women, exécutant leur métier comme des chiens de Pavlov, se comportant comme les pires moutons de Panurge. Pas un n’est resté, pas un seul.
Humains décervelés. Robots humains. Et si la laïcité est menacée, c’est bien par des gens de cette sorte. Mais aussi par l’ensemble de la société qui accepte de fonctionner ainsi. De qualifier d’informations leurs turpitudes. Car la laïcité est liberté de penser comme elle est liberté de conscience. Et ces comportements, ce fonctionnement social = un étouffoir de la liberté de penser.
On dit qu’il faut mépriser les idées, pas les gens. Bernique ! Quand les gens adoptent un comportement aussi méprisable, il est urgent de les mépriser un peu pour ne pas se trouver soi-même (trop) contaminé par leur contagieux décervelage. Oui, il y a des fois où le mépris de la bêtise humaine est essentiel pour rester un peu libre, pour ne pas vivre complètement couché.
Et il faut savoir d’ailleurs qu’ils ne sont pas seulement bêtes, ils sont aussi méchants. Ils voudraient, en effet, que tous leur ressemblent. Les personnes possédant cervelle, celles et ceux qui ne se conduisent pas selon les stéréotypes sociaux sont leurs ennemis. Ils les traquent, ils les mordent. Et quand on a subi leurs blessures, reste le mépris comme élément vital de liberté intérieure.
Eh oui, vous pensiez qu’il était doux et bien gentil, le Baubérot. C’est parfois le cas, mais pas toujours. Il existe des moments de révolte, de colère, de refus. Quelqu’un qui me connaît bien dit que je n’ai pas tout à fait quitté mon adolescence. Peut-être. Encore que, j’ai appris aussi à avoir un pied dans le système. Je sais être « normal » quand je le veux. Et des fois, je porte « ostensiblement » mes décorations de (presque) maréchal soviétique pour le montrer. Pour prouver que le refus est un choix, et non une incapacité de vivre « intégré ».
Un pied dans le système, pas forcément deux. Vous savez, c’est à la fin d’un vieux film de Charlot : celui-ci est poursuivi par la police américaine et par des bandits mexicains : l’ordre insupportable d’un côté, le désordre-loi de la jungle de l’autre. Alors, Charlot chemine sur la frontière, un pied en territoire américain, un pied en territoire mexicain. C’est une très belle métaphore.
Bref, le silence actuel sur les jeunes filles à foulard est l’exacte continuation de l’hypermédiation passée. La même logique est à l’œuvre et aujourd’hui vous ne trouverez plus aucune émission de télévision, même les émissions dites « sérieuses » qui prendra comme sujet : que sont devenues les jeunes filles exclues de l’école publique pour cause de port de foulard ?
Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian (qui avait déjà analysé la construction médiatique des affaires de foulard) ont recueilli leurs témoignages et le publient dans un ouvrage très intéressant : Les filles voilées parlent, publié par les éditions La Fabrique (64, rue Rébeval, 75019 Paris, Diffusion : Harmonia Mundi).
(à suivre)
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