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20/10/2008

CRISE FINANCIERE = CRISE DU SYMBOLIQUE

La crise, mes amis, c’est un vaste écran de télé à l’échelle de la planète. Girls du Moulin rouge mis à part (encore que,…), cela débute comme l’émission de Patrick Sébastien, le samedi soir sur France 2, « Le plus grand cabaret du monde ».

Nous regardons, étonnés, voire stupéfaits, équilibristes et magiciens jongler avec quelques centaines de milliards, les faire disparaître, réapparaître, disparaître à nouveau. Un jour, il se produit un « rebond historique » (titre de Libé, le samedi 20 septembre). Trois jours plus tard, en un tour de main, il s’est complètement évanoui.

Une fois, entre 2 conférences sur la laïcité, au Mexique, j’avais été invité à une fête par le frère d’un ami. Celui-ci avait fait venir un saltimbanque pour l’anniversaire de son fils. Je m’étais placé juste en diagonale par rapport à l’artiste, et près de lui, pour pouvoir comprendre ses trucs.

Certes j’entendais un peu le roucoulement du pigeon quand il était censé ne plus exister. Il n’empêche, au moment de la disparition et de la réapparition, je n’arrivais pas à saisir le tour de main.

C’est pareil avec la crise, sauf de j’ai bien peur que ce soit exactement l’inverse : l’astuce du magicien consistait à dérober à nos regards un pigeon toujours là. Dans la crise, on fait (au contraire) apparaître à nos yeux, censés être éblouis, des milliards factices. Et c’est leur disparition qui est réelle. Pour le pigeon, pas besoin de vous expliquer de qui il s’agit…

 

La magie ordinaire consiste à escamoter le réel. En temps ordinaire, nos politiciens ont plus d’un tour dans leur sac pour réussir cet exercice. Avec la crise, ils montrent un nouveau savoir faire : nous faire contempler, le temps d’un tour de passe-passe, les centaines de milliards qui, s’ils existaient vraiment et se trouvaient utilisés de façon rationnelle, résoudre misère, famines, etc , etc ;

La presse ne se fait pas faute d’affirmer en tout cas, qu’il faudrait saisir au bond quelques uns de ces milliards quand ils sortent du chapeau magique : Jacques Diouf, dans Libé du 8 octobre, indiquait : « il ne faudrait investir que 30 milliards d’euros par an pour assurer la sécurité alimentaire d’une population qui atteindra 9 milliards [d’être humains, pas €, faut-il le préciser ?] en 2050. »

Et rebelote, une semaine plus tard (16 oct.) sous la plume de Christian Losson : « Alors que les pays développés prévoient d’injecter jusqu’à près de 3000 milliards d’euros dans le sauvetage du système bancaire et financier de la planète, 1% de ce pactole –décidé en moins d’un mois- suffirait à sortir l’humanité de la faim. »

OK, c’est Libé qui fut autrefois gauchiste, mais j’ai lu un peu la même chose dans Le Monde. Peut-être même d’ailleurs que Le Figaro… On ne sait jamais par le temps actuels.

 

J’aimerais croire, comme Diouf et Losson, qu’il suffirait de piquer 1% des milliards qui jonglent (et les jongleurs ne s’en apercevraient peut-être même pas). Je crains que les choses ne soient pas si simples. Car nos deux commentateurs ont oublié que la réalité empirique c’est moins les milliards eux même que le tour de magie.

Ordinairement, la magie, c’est quoi ? Cela consiste à nous faire prendre le réel empirique pour ce que l’on voit. Le pigeon existe ; non il n’existe plus ; si il existe de nouveau…selon que nos yeux le voient ou ne le voient pas. Mais visible ou invisible le pigeon existe toujours empiriquement. Je vous l’assure : je l’ai entendu roucouler !

 

La crise rappelle que l’économie, c’est un peu l’inverse. Keynes la comparait à un concours de beauté où les jeunes femmes sont classées suivant des fantasmes : la valeur « réelle », au sens du réel empirique, de l’actif compte moins que la représentation collective que les opérateurs du marché s’en font. Mais, ajouterais-je, cette représentation possède aussi son niveau de réalité, puisque le marché fonctionne réellement ainsi.

 

Il suffit d’ailleurs d’ouvrir le dictionnaire pour se rendre compte que des mots clefs de l’économie proviennent du langage symbolique. A « crédit » Le petit Robert vous rappelle que ce mot provient du latin creditum, de credere, croire. Le crédit est (d’abord) « la confiance qu’inspire quelque chose ou quelqu’un ». La confiance, terme qui lui-même vient de l’ancien français, fiance, c'est-à-dire foi.

Le petit Robert donne comme exemples d’emploi du terme « crédit » : « donner crédit à un bruit, une rumeur » = « y ajouter foi, y croire » (et on sait à quel point une rumeur crue peut faire effondrer la valeur d’une action). Autre exemple : « cette opinion acquiert du crédit dans le milieu patronal, parmi les dirigeants ».

Ce n’est qu’ensuite que le dictionnaire nous dit que le crédit c’est « la confiance dans la solvabilité de quelqu’un » et qu’arrivent tous les termes familiers de la finance.

Crédit renvoie à créance, qui est « le fait de croire en la vérité de quelque chose » et, nous dit toujours Le petit Robert, est synonyme de « croyance, foi ».

Autrement dit, il n’existe pas une infrastructure économique qui serait « le réel » et des superstructures symboliques illusoires. Le marché lui-même est investi par le symbolique, la représentation, la croyance. Le symbolique est un élément essentiel du réel humain.

 

Pour Le Monde (Marie-béatrice Baudet – Antoine Reverchon) du 10 octobre, la crise actuelle est fondamentalement « une crise de confiance comme le furent beaucoup d’autres crises systémiques avant elle ». Mais il s’agit d’une « crise de confiance inédite », liée à « deux particularités : la nouveauté et la complexité des actifs qui ont causé le mal ; et son spectre planétaire. »

Que se passe-t-il ? Avant tout que les différents acteurs du marché n’arrivent plus à avoir une croyance commune sur la valeur des produits qu’ils détiennent dans leurs portefeuilles. Toute la coordination internationale vise à redonner de la confiance, à retrouver la croyance commune seule capable de remettre le système en marche.

Et là, on est dans le brouillard. Car quand vous proposez d’étudier le symbolique, de faire de la sociologie du symbolique, vous n’obtenez pas aucun milliard, ni million. Les financiers potentiels ne savent même pas, le plus souvent, de quoi vous parlez !

Eh oui, quand on est en plein dans une croyance, on n’est jamais pressé de la voir étudiée par une démarche de connaissance. Pourtant, il faudra bien que les Athéniens s’atteignent, comme dirait l’autre, et qu’on investigue un peu systématiquement les rapports du symbolique et de l’économique. Il y a des choses à glaner dans Marx himself (qui avait amorcé une réflexion sur l’aspect symbolique de la monnaie), chez Weber (l’importance du charisme en économie), et d’autres.

En attendant, j’ai ma propre suggestion pour faire redémarrer la machine : créer un nouveau prix Nobel doté de, allez ne chipotons pas, 300 mille de milliards, de milliards d’€. Je vous en reparle bientôt.

Votre jean Baubérot

Digne de votre confiance !!!

 

 

Commentaires

Bonjour,
il serait temps que je reremercie J.B. non seulement pour ses nores mais aussi pour sa lettre à Nicolas le Petit ( relire V.Hugo!!!).
Je me permets de signaler l'excellent film d'animation , ludique et pédagogique,qui nous vient du Canada, si j'ai bien compris, sur les "Banksters" . A diffuser librement l'explique son réalisateur
" L"argent-dette" de P.Grignon ( alias al-fred, alias bankster") soit par dailymotion soit par "vimeo"...et le blog-site du même. Par google ou autre moteur derecherche!
Montesquieu déjà faisait dire à son persan Usbeck que le roi de France était un grand magicien...transformant du papier en or, et le pape encore un plus grand magicien à faire croire que 1=3 et...( lettre 24 ) ce qui obligeait les profs de lettres à faire des cours de théologie , d'histoire du capitalisme ( avec collègues ...SES !)et de grande crise financière, économique et sociale provoquée par Law...et même à conseiller de (re)lire Le bossu, ( horreur: lttérature populiste et pour les enfants) et passer la cassette (ou, mieux perdre du temps à aller au ciné, le mettre au programme du ciné-club encore géré par élèves ) de "Que la fête commence" de Tavernier..., excellente introduction suscitant bien des curiosités et questions sur le siècle des Lumières....!!!
Je ne pense pas que ni Nicolas, ni ses ministres de l'EN, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de la Culture approuveraient ces pédagogies et cette utilisation du temps scolaire...Et ce serait le moment de reproposer des télés publiques sans pub avec tant de films qui faisaient le bonheur de "grand public."..et de repasser la magistrale adaptation de UBU par J.C.Averty...à des heures convenant à tous, toutes...
Au revoir et merci.
anne-marie lepagnol





De quoi

Écrit par : lepagnol | 25/10/2008

P.S. L'essai de comprendre "l'actualité" à la vitesse où elle va m'avait fait ignorer d'une part que le film d'animation battait des records sur la toile, d'autre part que sur le site " Rue 89" il était violemment contesté ...Bref , j'ai à moduler mon précédent commentaire sans nuances après avoir lu les éléments de la controverse devenue médiatique !
1/ Je ne suis pas experte en économie, finances . Je ne demande qu'à apprendre des "experts" ce que trouvent discutable dans ce film puisque , certes, en 52 minutes il ne peut pas se substituer à bien des cours "complexes" d'économie . Le parti-pris du "vidéaste" Grignon étant d'ailleurs clairement ( cf son site-blog) de tirer le plus grand parti des critiques qui lui sont faites, de ne pas nous laisser impressionner par les dits experts dont les analyses fort divergentes envahissent les medias. C'est la faute à qui si manque cruellement une formation critique de tous les citoyen(ne)s en "sciences" économiques ?
2/ En revanche si j'avais été gênée, moi aussi, en ecoutant-regardant ce film par des "montages" un peu trop "choc", la récurrence de thème du "complot" sans "arguments" , "explications" ...il me parait malhonnête intellectuellement de porter un jugement aussi violent et négatif sur le film à partir de ce très maladroit usage du fantasme du "complot" . Après tout le bon sens populaire a bien des raisons de se poser des questions sur tous les tours de magie de nos gouvernances qui se réunissent, font x déclarations en bien des mises en scènes sans qu'on connaisse "les dessous des cartes".
3/ Beaucoup plus grave est l'accusation faite par "Rue 89" d'odeurs nauséabondes des images qui reprendraient l'imaginaire ou le symbolique des pires idéologies, rumeurs d'extrêmes droites . J'ai donc fortement apprécié les analyses du chercheur EHES en "histoire visuelle" ( un oeil noir teregarde) et de quelques blogueurs qui, contrairement au journaliste de RUE 89 savent lire les images et écouter les sons.
Morale de l'histoire: ça doit déranger qu'un vidéaste, de surcroît un canadien ose se mêler de ce qui ne devrait rester que du domaine des experts économistes et des territoires des "journalistes" , "fasse un tabac" .Et si Grignon ne cache pas ses parti-pris ( film de 2006!)pour un autre système à inventer vu le "grand Crac" qui s'annonçait et bien tout reste à discuter en ne laissant pas les "banksters" et les "storytellers"seuls à décider du présent et de l'avenir de notre terre humaine .
Veuillez m'excuser de ce PS ...Que chacun(e) fasse son jugement sans avoir besoin de maîtres à penser ...ni de poupées vaudou à épingler !!!

Écrit par : a.marie lepagnol | 26/10/2008

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