06/10/2008
DES FILLES VOILEES PARLENT
Dans l’opinion publique, la loi du 15 mars 2004 a réglé le « problème » du foulard à l’école. Même des personnes qui se sont montrées réservées face à cette loi estiment maintenant qu’elle a « ramené le calme ».
J’ai entendu plusieurs fois émettre une telle remarque, due notamment au fait que les « affaires de foulards » (pas très nombreuses au demeurant, car en général le calme existait déjà), ces affaires étaient hypermédiatisées (rappelez-vous la seule affaire des 2 filles Lévy, à l’automne 2003, a fait la « une » pendant 15 jours, 3 semaines).
Au contraire, l’expulsion de quelques jeunes filles (4 si ma mémoire est bonne, vous voyez, même moi, je dépends de l’impact donné par les médias à un événement !), pour cause de foulard, en cette rentrée scolaire 2008 n’a donné que quelques lignes dans les quotidiens les plus sérieux, informations brève noyée dans l’ensemble des 1000 et une infos.
D’autre part, le processus logique induit par cette loi (pour que la France ne soit pas condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme) a commencé avec le contrat passé par l’Etat avec une école privée musulmane. Mais personne n’a établi le lien, alors qu’il est clair.
On peut (c’est mon cas) estimer (avec Jules Ferry qui a écrit un beau texte sur le sujet) que la liberté de l’enseignement est une liberté précieuse pour empêcher tout toute imposition d’une doctrine d’Etat (une liberté laïque en quelque sorte) et regretter que des parents et des jeunes filles qui avaient choisi l’école publique, soient « légalement » obligées de fréquenter l’école privée.
Et encore c’est, pour ces jeunes filles, la moins mauvaise solution. Car celles qui, pour des raisons pratiques, ne peuvent pas aller à l’école privée (parfois catholique d’ailleurs) sont contraintes, soit de suivre l’enseignement à distance (ce qui les désocialise et les parquent dans leur maison), soit d’abandonner l’école à 16 ans (elle n’est plus obligatoire, alors), soit d’enlever leur foulard contre leur gré.
Quelle que soit la position des internautes qui surfent sur ce blog par rapport au foulard (et les échos que j’en ai montrent qu’elle est fort plurielle), un constat sur le traitement médiatique du foulard devrait pouvoir nous réunir. Hypermédiatisées jusqu’en 2004, les jeunes filles qui portent le foulard se trouvent réduites au silence depuis lors. Les deux attitudes sont révélatrices du traitement médiatique de la réalité. Traitement médiatique, à mon sens dommageable pour la démocratie.
J’ai un souvenir fort de la matinée d’auditions de la Commission Stasi consacrée aux jeunes musulmanes. Elle se divisait en deux : une audition avec foulard ; une audition sans foulard. A la première audition (deux jeunes filles portant le foulard), il y avait davantage de cameramen et camerawomen que quand nous avions auditionné des ministres et des leaders politiques. A la seconde, celle de la jeune fille n’ayant pas de foulard… ils étaient tous, oui tous, partis.
Naturellement cette dernière jeune fille était furieuse de cette différence de traitement et elle a déclaré alors : « s’il faut que je porte une burka pour que l’on entende ce que j’ai à dire ; la prochaine fois, je viendrais en burka ».
Mais là où elle se trompait, c’est que les cameramen/women n’entendaient pas plus ce qu’avait à dire les 2 jeunes filles portant foulard que ce qu’elle avait à dire, elle qui n’en portait pas. Ce que ces 3 jeunes filles avaient à dire, ils s’en moquaient complètement. Seule l’image les intéressait.
Il ne s’agissait pas d’écouter, seulement de filmer un foulard. C’est seulement pour cela que, plus de foulard, plus de cameramen/women. Ce jour là, j’ai éprouvé du mépris. Oui ; j’ai trouvé méprisables ces cameramen/women, exécutant leur métier comme des chiens de Pavlov, se comportant comme les pires moutons de Panurge. Pas un n’est resté, pas un seul.
Humains décervelés. Robots humains. Et si la laïcité est menacée, c’est bien par des gens de cette sorte. Mais aussi par l’ensemble de la société qui accepte de fonctionner ainsi. De qualifier d’informations leurs turpitudes. Car la laïcité est liberté de penser comme elle est liberté de conscience. Et ces comportements, ce fonctionnement social = un étouffoir de la liberté de penser.
On dit qu’il faut mépriser les idées, pas les gens. Bernique ! Quand les gens adoptent un comportement aussi méprisable, il est urgent de les mépriser un peu pour ne pas se trouver soi-même (trop) contaminé par leur contagieux décervelage. Oui, il y a des fois où le mépris de la bêtise humaine est essentiel pour rester un peu libre, pour ne pas vivre complètement couché.
Et il faut savoir d’ailleurs qu’ils ne sont pas seulement bêtes, ils sont aussi méchants. Ils voudraient, en effet, que tous leur ressemblent. Les personnes possédant cervelle, celles et ceux qui ne se conduisent pas selon les stéréotypes sociaux sont leurs ennemis. Ils les traquent, ils les mordent. Et quand on a subi leurs blessures, reste le mépris comme élément vital de liberté intérieure.
Eh oui, vous pensiez qu’il était doux et bien gentil, le Baubérot. C’est parfois le cas, mais pas toujours. Il existe des moments de révolte, de colère, de refus. Quelqu’un qui me connaît bien dit que je n’ai pas tout à fait quitté mon adolescence. Peut-être. Encore que, j’ai appris aussi à avoir un pied dans le système. Je sais être « normal » quand je le veux. Et des fois, je porte « ostensiblement » mes décorations de (presque) maréchal soviétique pour le montrer. Pour prouver que le refus est un choix, et non une incapacité de vivre « intégré ».
Un pied dans le système, pas forcément deux. Vous savez, c’est à la fin d’un vieux film de Charlot : celui-ci est poursuivi par la police américaine et par des bandits mexicains : l’ordre insupportable d’un côté, le désordre-loi de la jungle de l’autre. Alors, Charlot chemine sur la frontière, un pied en territoire américain, un pied en territoire mexicain. C’est une très belle métaphore.
Bref, le silence actuel sur les jeunes filles à foulard est l’exacte continuation de l’hypermédiation passée. La même logique est à l’œuvre et aujourd’hui vous ne trouverez plus aucune émission de télévision, même les émissions dites « sérieuses » qui prendra comme sujet : que sont devenues les jeunes filles exclues de l’école publique pour cause de port de foulard ?
Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian (qui avait déjà analysé la construction médiatique des affaires de foulard) ont recueilli leurs témoignages et le publient dans un ouvrage très intéressant : Les filles voilées parlent, publié par les éditions La Fabrique (64, rue Rébeval, 75019 Paris, Diffusion : Harmonia Mundi).
(à suivre)
03:53 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
C'est tellement rare de lire ce genre de choses, ça fait du bien pour attaquer la semaine !
Comme souvent (comme toujours ai-je envie de dire avec la TV), le bon sens est confondu avec le lieu commun. Et les conséquences sur l'esprit et la démocratie sont les plus néfastes possibles. Combien de fois ai-je moi-même entendu que grâce à la Loi de 2004, il n'y avait plus de problèmes, alleluia. Mais faut les comprendre, il y a plus intéressant que de réfléchir à ces problèmes, il faut trouver qui est le père de l'enfant de Rachida, eh oui.
Écrit par : Achtungseb | 06/10/2008
cela faisait longtemps que je n'avais plus lu le fameux
"bête et méchant" ; cela m'arrive souvent d'y penser.
Ici à Amsterdam j'ai l'impression qu'il y a beaucoup moins
de foulards. Je me demande bien pourquoi.
Écrit par : anne lenders | 06/10/2008
Ce que vous dites est d'autant plus vrai qu'il est plus qu'évident (je travaille dans le 93) qu'il y a de plus en plus de jeunes filles et jeunes femmes qui portent le foulard. ce phénomène mériterait d'être étudié, ne croyez-vous pas ?
Écrit par : françois | 07/10/2008
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