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02/02/2008

UNE LAÏCITE MEDIATISEE. MONOD, VERDIN, GUAINO, FOUREST,...

C’est le moment de dresser un petit bilan de cette seconde quinzaine de janvier où la laïcité s’est, de nouveau, retrouvée sous les projecteurs médiatiques. Cela ne lui était pas arrivée depuis 2005 et le centenaire de la loi de séparation (eh oui, cette fois, cela démarre sérieux. Vous n’aurez droit à un zeste de Carla qu’à la fin !).

Et encore, en 2005, faute d’un événement (un grand discours de Chirac ou Villepin, des propositions neuves du PS, une cérémonie d’ampleur nationale,….), des médias n’avaient parfois fait que le minimum syndical.

La laïcité avait été, ensuite, particulièrement absente lors de la campagne pour la présidence de la République. On pouvait penser que les débats avant et autour de la loi de 2004 sur les signes zostensibles avaient créé l’overdose.

 

Eh bien nous avons eu droit à ‘Laïcité II, le Retour’ comme dirait Rambo. Mais ce qui est significatif, c’est que ce retour de flamme ne s’est pas passé après le discours du Latran, le 20 décembre. Pour ma part je n’ai eu aucun coup de téléphone de journaliste français ou étranger, alors que j’en reçois périodiquement, dés que cela bouge en matière de laïcité.

Là, silence radio. Les articles de la presse ont été courts, quand ils ont été critiques ; plus longs, ils se montraient plutôt élogieux (ce fut une tendance minoritaire, mais qui a existé).

Les médias se sont déchaînés après le discours de Riyad. Là cela a été l’explosion. Les coups de fils et mels n’arrêtaient plus, et il était impossible de répondre à toute la demande. Même en se disant : « Bon, c’est temporaire. Cela vaut le coup de prendre du retard dans son travail normal et d’y consacrer du temps. C’est en effet l’occasion d’expliquer, de vulgariser certaines choses. »

Bref il s’est produit l’effet boule de neige : un média commence et tous les autres suivent, renchérissent. J’ai vaguement le souvenir d’un certain Panurge et de ses moutons….

C’est donc après Riyad que le discours du Latran a fait événement. Que les médias en ont véritablement parlé, ou parlé de façon plus critique. Comme si le fait de démolir un discours, prononcé dans le pays musulman par excellence, et abordant l’islam, constituait le sésame permettant aussi de critiquer un discours prononcé auparavant à Rome, et concernant catholicisme.

Cherchez l’erreur !

Or à lire finement les propos tenus, si on excepte le début du discours de Riyad, qui est de la même veine que celui du Latran, le reste est moins mauvais.

Je ne vais pas faire une longue exégèse. Mais globalement j’indiquerai ceci : le discours du Latran est uniquement positif à l’égard du christianisme en général et du catholicisme en particulier. Cela, même quand il s’agit de la société de chrétienté, de l’union étroite du religieux et du politique, etc. Silence complet est fait sur ce qu’a donné l’Etat chrétien et le cléricalisme.

Du coup, il n’est pas étonnant que quand la laïcité est abordée, Sarkozy ne puisse pas en parler de façon positive. On ne peut absolument pas comprendre, à l’entendre, pourquoi il a été nécessaire de construire la laïcité, et de réduire le pouvoir politique et social de l’Eglise catholique. Cela apparaît comme une cruauté gratuite, alors que ce fut nécessaire pour établir la liberté de conscience.

Amnésie significative en ce temps où on nous bassine du « devoir de mémoire » !

Du coup aussi, il n’est pas étonnant que le Président en appelle à « l’avènement d’une laïcité positive », comme si, jusqu’à présent, la laïcité était négative, était la négation du passé chrétien-catholique de la France, alors qu’églises et cathédrales sont entretenues sur fond public (pour ne prendre qu’un exemple).

 

Le discours de Riyad comporte, de façon explicite ou plus implicite, des propos critiques. Bien sûr ils sont exprimés en langage très diplomatique. Mais faut pas rêver et, pour Latran, personne ne demandait à Sarkozy d’attaquer bille en tête chrétienté ou cléricalisme. Simplement de la jouer un peu plus dialectique

Les critiques, à Riyad, sont donc exprimées par de fines nuances et loin de moi l’idée que c’est pour cette raison que les journalistes ne les ont pas remarquées ! Vous avez déjà vu un journaliste chaussé de gros sabots. Moi, jamais, main sur le cœur !

 

 

Voici quelques exemples que les Saoudiens, qui savent décrypter, ont du recevoir 5 sur 5 : Sarkozy donne une liste de personnes à respecter dans leur « convictions ». Il aurait pu commencer par les musulmans ou les chrétiens. Non il commence par les juifs. C’est naturellement fait exprès et c’est un message. Il inclus dans la liste « athées, francs-maçons, rationalistes ». Autre message.

Il rappelle à ce pays qui se veut comme l’équivalent d’une grande mosquée que « toute civilisation est le produit d’un métissage ». Il ose dire aussi que les changements effectués en Arabie Saoudite ne s’effectuent que « lentement ».

Certes, tout cela est enrobé de compliments. Mais comme c’est la loi du genre, les critiques, même très feutrées ont plus de signification que les compliments convenus et prévisibles.

Dans mon article dans les Inrockuptibles, j’ai noté les discours. Latran a eu droit a un 3/20, Riyad à un 5/20. C’est presque le double. Et comme je suis l’Objectivité Même !

Que Sarkozy ait exprimé des convictions qui sont les siennes (et en même temps tenté de reconquérir un électorat conservateur, un peu dérouté), me parait plausible. Cet homme, au mode de vie « matérialiste » est fasciné par la virtuosité religieuse.

Rappelez-vous, l’erreur de com’ commise entre son élection et sa prise de fonction. Il avait fait annoncer qu’il se retirerait quelques jours pour méditer sur sa future tâche, dans un monastère. Je crois qu’il en avait vraiment l’intention. Et son ami Bolloré lui ayant offert d’aller méditer sur son yacht de milliardaire, il n’a pas pu résister (1)![1]

Accordons lui donc le crédit d’une certaine sincérité. Alors, le meilleur commentaire sur ses discours a été publié par Le Monde (et, un autre jour, le plus mauvais, nous allons en reparler). Le meilleur : c’est une tribune de Jean-Claude Monod (29 janvier 2008). Il a imaginé que les Français élisent président un athée convaincu et que celui-ci imite la pratique inaugurée par Sarkozy : donner es fonction son opinion personnelle.

Cela donnerait ceci (pure traduction en langue athée des propos sarkosyiens) : « Dieu n’est rien d’autre qu’une illusion sous laquelle l’homme s’humilie » ; « la République a besoin d’athées militants qui ne se laissent pas duper par des espérances illusoires et travaillent à l’amélioration réelle, ici-bas, des conditions d’existence » ; la République a besoin d’une « morale débarrassée des fausses transcendances et résolument humaine », la « vocation de prêtre, qui consacre sa vie à un être fantomatique, est de moindre valeur que la vocation d’instituteur. » Etc.

Les croyants seraient alors très choqués. Ils crieraient à l’athéisme d’Etat. Il est même probable que vous auriez des manifestations dans les rues des grandes villes. Bref, la paix civile se trouverait menacée. Eh bien, là ce n’est pas mieux.

Voilà ma réponse à celles et ceux qui se sont étonnés d’une « prise de position tranchée » (mel d’un ami)

« C’est votre dernier mot » me dit Foucault (pas l’auteur des Mots et des choses, le vrai !)

« Oui, Jean-Pierre ».

Je pense, en effet, l’argument imparable. C’est la meilleure réponse à faire à tous ceux qui disent qu’il est vieux jeu, « archaïque », de refuser au président le droit d’exposer ces convictions. C’est l’argument choc que j’ai entendu dans la bouche de Philippe Verdin, jeune dominicain, très télégénique dans son aube blanche (2).

J’ai fait sa connaissance lors d’un débat sur LCI et nous nous sommes retrouvé dans un autre débat sur France-culture. Je vous avais promis quelques confidences, en voici une : j’ai retiré une curieuse impression de ces 2 rencontres et des discussions off que nous avons pu avoir (en sachant qu’il s’agit forcément d’une connaissance superficielle).

Philippe Verdin me semble juxtaposer une culture savante de la pensée de la chrétienté latine, telle qu’elle s’est développée des Pères de l’Eglise (au IIe-IIIe siècle) à la scolastique moyenâgeuse (et Dieu sait si cette pensée est riche philosophiquement et théologiquement ; on pourrait y consacrer plusieurs vies) et un parler jeune, branché et relâché, qui « fait » moderne.

Autrement dit : très cultivé quant à une certaine tradition classique ; et déculturé quant à l’actuel. Le jugement est sans doute en grande partie tronqué car Verdin est certainement plus informé sur la culture moderne qu’il ne le laisse paraître.

Mais je me demande s’il a culturellement vraiment intégré les apports critiques de la modernité. Et j’en doute un peu. Son univers me semble beaucoup plus être Thomas d’Aquin que les « maîtres du soupçon ». Et c’est intéressant de constater, qu’en plus, il maîtrise parfaitement le « parler jeune ».

Vous l’avez compris, c’est moins Verdin comme individu que comme type d’une nouvelle génération de clercs cathos intellectuels qui m’intéresse. On est aux antipodes de la génération un peu tourmentée qui a donné le Concile de Vatican II ; les Congar, Chenu, de Lubac,… si ces noms vous disent quelque chose.

Verdin semble très à l’aise dans sa peau, alliant humour, expressions et attitudes d’aujourd’hui et schèmes de pensée très classique. Est-ce le profil de la nouvelle génération d’intellectuels cathos ?

Guaino, c’est autre chose et les jugements de mes amis (en général de gôche) après l’avoir entendu à l’émission Ce soir ou jamais de FR3 étaient contrastés. Certains ont trouvé qu’il enfilait des banalités avec une parfaite assurance. D’autres ont été impressionnés.

Moi, ce qui m’a frappé, c’est sa prétention à pouvoir parler de tout : économie, Europe, laïcité, Afrique, etc.

Et du coup, j’ai moi-même un jugement très ambivalent. D’un côté, Guaino me bluffe un peu par le fait qu’il arrive à faire cela sans être d’origine grande bourgeoise. Ce sont en général ce dernier type de personnes, énarques de surcroît, qui estiment tout savoir sur tout et sont habitués à ce que personne ne mette en cause leur légitimité omniencyclopédique.

Quant on est, comme Guaino, d’origine très modeste, c’est absolument galère. Non seulement personne ne vous fait de cadeau, au contraire ; mais vous-même vous devez débarrasser votre propre tête de l’intériorisation (beaucoup plus forte qu’on ne le croit) de ce schème de pensée (implicite mais très présent socialement) que le savoir légitime est avant tout réservé à une certaine couche sociale dont vous n’êtes pas de naissance.

D’un autre côté, savoir qu’on ne sait pas est pour moi très fondamental. Et j’ai vraiment un gros doute sur sa capacité à maîtriser autant de domaines différents ; d’avoir une véritable compétence et pas seulement des opinions.

En tout cas, il s’est bien planté dans certains passages de son discours de Dakar, ceux où il essentialise un « homme africain ». L’alter mondialiste qui était à côté de moi sur le plateau lui a dit des choses fort justes. Au début du moins. Et puis, elle a complètement décrédibilisé son discours. Un autre professeur africain, présent sur le plateau, avait un point de vue moins complètement négatif sur le discours. Au lieu d’argumenter, elle s’est énervée et lui a lancé : « Mais enfin, il (= Guaino) te paye ou quoi ? »

Grave ! Terrible même cette incapacité à accepter que l’autre ne soit pas du même avis que vous, sans qu’il soit un traître ou un vendu. Elle m’a fait froid dans le dos. Je me suis dis : une telle personne au pouvoir, c’est, une nouvelle fois l’émancipation qui conduit à l’emprisonnement des opposants, à la dictature du bien. Brrrrr….

J’ai indiqué que le Monde avait publié non seulement le meilleur commentaire, mais aussi le plus mauvais texte. Hélas, c’est celui de Caroline Fourest (1er février). J’écris hélas, car je n’ai rien contre elle, je crois qu’elle pourrait être intelligente et donc depuis longtemps j’espère lire quelque chose d’elle qui puisse me faire dire : « enfin »... Et, à chaque fois, c’est la big déception.

Ce n’est pas un désaccord de contenu qui me chagrine. Il y a des laïques très républicains pour qui j’ai une très grande estime : ils pensent de manière divergente de moi, mais incontestablement, ils pensent. C’est un plaisir renouvelé de lire Catherine Kintzler ou d’écouter, à Montréal - Ottawa, Danielle Letocha.

A chaque fois d’abord, je prends le risque d’être convaincu (frisson intellectuel délicieux garanti !). Ensuite, je dois travailler pour comprendre à partir d’où je ne suis pas d’accord et pourquoi. J’apprends donc des choses. Bref c’est très enrichissant intellectuellement.

 

 

Mais là, sous le titre « une laïcité de chanoine » l’article est une attaque en règle contre le fait que musulmans et protestants évangéliques puissent, peut-être, avec Sarkozy et Alliot-Marie, disposer facilement de lieux de cultes. D’après elle, ils en auraient déjà bien assez, alors que de réels problèmes existent, pointés par la Commission Machelon (3).

Elle croit donner quelques chiffres, mais c'est très sommaire et si on compare avec le travaille effectué par la Commission (dont elle ne tient aucun compte) cela ne tient vraiment pas la route.

Donc il existe un véritable problème de "liberté de culte" que la République doit "garantir" (article I de la loi de 1905), alors que, je l’ai rappelé, beaucoup d’argent public, est consacré à l’entretien des églises catholiques, de certains temples des Eglises protestantes historiques et d’une partie des synagogues.

Sans être partisan d’un financement public des lieux de culte, force est de constater cette disparité, et l’aspect scandaleux des décisions de tribunaux administratifs (à partir d’une plainte du MNR, mouvement de Bruno Mégret) contre les baux emphytéotiques consentis par des mairies pour céder à un prix symbolique des terrains en vue de construire des mosquées, alors que l’Eglise catholique a largement bénéficié de tels baux depuis 1905 (notamment sous le Front populaire !) pour construire de nouvelles églises.

Et puis Caroline Fourest croit avoir tout dit, tout démontré quand elle a utilisé l’expression « laïcité à l’anglo-saxonne ». Autrefois les staliniens parlaient de « science bourgeoise »…

Conclusion de Caroline Fourest : « il ne faut pas assouplir l’esprit de 1905, il faut le durcir. » Pourquoi : A cause de la « remontée des intégrismes ». C’est toujours pareil la dénonciation, sans analyse, des « intégrismes » est son sempiternel fond de commerce.

Aucune réflexion jamais sur ce qu’est la laïcité, invoquée de façon purement incantatoire. Aucune piste pour une solution (autre que la répression). Il est clair qu’avec une telle absence de pensée, « les intégrismes » ont de beaux jours devant eux. Mais c’est logique car si les intégrismes, et la peur qu’ils inspirent, diminuaient, le fond de commerce de Mme Fourest serait lui-même en danger, sa raison d’être médiatique disparaitrait.

Encore une fois, je crois cette femme virtuellement intelligente. Mais concrétiser cette intelligence supposerait pour elle de ne plus se situer uniquement dans la dénonciation. Cela supposerait d’analyser et de « comprendre » (au sens de Max Weber). Et là, manifestement elle a un énorme blocage. Une part d’elle ne le veut pas. Je ne sais pourquoi, et je ne vais pas faire de la psychanalyse de Monoprix ( 4). Je constate, seulement. Et j’en suis attristé.

Comme il faut positiver, cela me donne envie d’écrire une Note sur : « Comment lutter efficacement contre l’intégrisme par la laïcité ». Ce sera bientôt sur vos écrans (d’ordinateur).

Aller, il ne faut pas terminer sur quelque chose d’un peu tristounet. Vous savez que Nicolas chute dans les sondages. Mais le blog, lui, qui avait également un peu chuté (pour cause de non médiatisation de la laïcité ? Je ne sais) à la fin de 2007, passant à 5063 consultations en novembre et 4512 en décembre (avec les « Fêtes »), a retrouvé des couleurs et il a obtenu 4,9 milliards, non 6218 consultations pour janvier, franchissant donc de nouveau le cap des 6000.

Nicolas chute, le blog de Jean progresse. Et Carla qui n’aime pas les loosers ! Mais je lui ai répondu sèchement que je n’étais pas libre….

Et d’ailleurs comme Sarko est malin, il l’a épousé juste au moment où tombaient sur les téléscripteurs les chiffres de la remontée du Blog

Bonne semaine.



[1]Une journaliste m’a dit : « C’est Cécilia qui l’a obligé à changer d’avis ». C’est ça : cherchez la femme !

[2] Co-auteur du discours du Latran avec Emmanuelle Mignon. Ceci dit, comme ses prédécesseurs Sarko change ses discours à sa convenance. Verdin m’en a donné quelques exemples, mais je ne parlerai qu’en présence de mon avocate.

[3]  La Commission Machelon : même en désaccord avec ses conclusions, délégitimer par la seule idéologie son travail qui a été sérieux, c’est du pur obscurantisme

[4]  Magasin qui vend des choses fort utiles au demeurant. Non, ils ne me payent pas pour écrire cela !

20:40 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

La page est longue et peut-être ai-je zappé un paragraphe; pourquoi ne pas évoquer l'appel laïque (je n'ai pas vu votre nom sur la liste des signataires)?

P.S. La laïcité se réduit-elle aux rapposts entre Eglises et Etat? Pour moi non, le monde de l'entreprise pour ne citer qu'un exemple est aussi dangereux pour la liberté de conscience et la laïcité que les cléricalismes religieux!

Écrit par : gilbert | 09/02/2008

Réponse à Gilbert:
Quand l'appel de la Ligue a été rédigé, j'étais à Montréal et je ne l'ai pas eu. Je l'ai signé à mon retour.

Écrit par : Baubérot | 11/02/2008

Bonjour Jean,

Merci pour pour tes commentaires et tes éclaircissements.

Peux-tu corriger cette si légère faute d'orthographe :
"si on compare avec le travaille effectué par la Commission"

Écrit par : Poivey Jean-Paul | 11/02/2008

Les commentaires sont fermés.