20/08/2007
DIVERSITE CULTURELLE VERSUS LAXISME QUANT AUX DROITS; CONFERENCE; LA DECLARATION SUR LA LAÏCITE: DOCUMENT DE REFERENCE.
2° LA DIVERSITE CULTURELLE (le multiculturalisme) N’EST PAS LE LAXISME QUANT AUX DROITS FONDAMENTAUX
3°LA DECLARATION UNIVERSELLE SUR LA LAÏCITE : UN DOCUMENT DE REFERENCE
1° Une Conférence de Nadia Garnoussi et Jean Baubérot à la Ferme de Villefavard (Haute-Vienne), le samedi 25 août à 16 heures.
Sens de la vie et nouvelles spiritualités. Les défis du XXIè siècle.
Nous assistons au développement de nouvelles manières de poser des questions de type « existentiel ». Ce phénomène multiforme est en lien avec l’effondrement des grands récits collectifs de transformation du monde et le déclin des systèmes religieux et symboliques traditionnels. La question du sens reste posée mais elle donne lieu à des quêtes individuelles. Celles-ci s’opèrent dans différentes directions.
D’abord, en France, des savoirs vulgarisés issus de la philosophie et de la psychologie « pratiques » sont aujourd’hui en pleine expansion ; ils se diffusent au travers de publications, de magazines, de conférences, de stages s’adressant à un grand public cultivé. S’inscrivant hors des frontières de la religion classique, ils proposent un modèle existentiel – une « manière de vivre »- englobant aussi bien l’expérience ordinaire qu’une certaine spiritualité. Est mis ainsi en évidence la généralisation d’une double demande de « mieux-être » et d’un sens supérieur à éprouver dans ce monde-ci. On assiste alors à l’émergence d’un nouveau « croire » concurrençant le « croire religieux », en lui prenant parfois des éléments, notamment certains aspects de religions et sagesses orientales. Ces spiritualités s’adaptent aux impératifs de la culture individualiste, en premier lieu, à ce que les sociologues nomment la « construction de soi ».Ensuite, dans le contexte de la mondialisation, des formes émotionnelles et plus populaires de spiritualités se développent à distance des Eglises classiques. La mouvance pentecôtiste, en pleine expansion en Amérique latine, mais aussi en Afrique, Asie et Europe est également liée au processus d’individualisation de la religion. Mais elle aboutit à de nouveaux liens communautaires et à des mélanges de valeurs traditionnelles et modernes.
Dans quelles mesures ces différentes formes de spiritualités répondent-elles aux défis du XXIe siècle ? De quels changements sont-elles les signes annonciateurs ? Quelles représentations de la « dignité humaine » véhiculent-elles ? Quelle laïcité peut-elle assurer la liberté de tous dans une situation où coexistent des formes de croyances extrêmement différentes, allant de l’islam radical à des spiritualités informelles ? La conférence donnera des éléments de réponse à ces diverses questions.
Si vous habitez par le Limousin où passez par la N20 à votre retour de vacances, n’hésitez pas (c’est la sortie 23).
2° Le multiculturalisme (la diversité culturelle) n’est pas le laxisme quant aux droits fondamentaux.
Voici des extraits (je ne pense pas avoir le droit le publier le texte intégral) d’un récent édito du Monde :
« C'est une bien étrange décision que vient de rendre la Cour de cassation italienne. Les plus hauts magistrats transalpins ont en effet confirmé l'acquittement des parents et du frère d'une adolescente musulmane qui avaient battu et séquestré cette dernière pour mettre fin à son comportement, jugé trop occidentalisé. Selon les juges, les sévices subis par cette jeune fille ont été commis " non pas pour des motifs vexatoires ou par mépris ", mais " pour son bien ". Confirmant une décision de la cour d'appel, les juges ont estimé que Fatima avait eu tort d'avoir " un style de vie non conforme à leur culture ". (…)L'Italie n'est malheureusement pas un cas isolé. Aux Pays-Bas, les tribunaux ont longtemps considéré que, dans les cas avérés de crimes d'honneur, il fallait tenir compte du " contexte culturel " dans lequel les violences faites aux femmes survenaient. (…). Au Canada, il a fallu que l'opinion publique se mobilise, en 2004 et 2005, pour que la province de l'Ontario renonce à reconnaître la validité de décisions rendues par des tribunaux islamiques, qui entendaient régler les différends familiaux survenus dans leurs communautés. Là encore, comme en Italie, ce sont surtout les musulmanes qui ont tiré le signal d'alarme.
Les relations entre les Etats et les religions sont complexes. Les débats apparus dans plusieurs pays autour du foulard islamique le prouvent. Si le respect de la pluralité des convictions religieuses - mais aussi agnostiques - s'impose, " l'autonomie de l'Etat implique la dissociation de la loi civile et des normes religieuses ou philosophiques particulières ", rappelle la Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle, rédigée en 2005 par 212 universitaires venus de 29 pays. Selon ce document, officiellement présenté devant le Sénat français le 9 décembre 2005, " l'égalité doit se traduire dans la pratique politique par une vigilance constante pour qu'aucune discrimination ne soit exercée contre des êtres humains dans l'exercice de leurs droits ".Un principe que l'on aimerait voir appliquer dans l'Union européenne. Et au-delà. » Editorial : Le Monde 16 08 2007
Premier point. Il est nécessaire de souligner que tenir compte d’un « contexte culturel » ne signifie nullement renoncer à défendre les droits fondamentaux des personnes. Que par ailleurs le combat pour la diversité culturelle n’est pas le combat pour l’enfermement culturel. C’est effectuer une grave confusion que de faire coïncider ces 2 aspects.
Le théoricien canadien du multiculturalisme W. Kymlicka a parlé à propos de l’affaire de l’Ontario de « dévoiement du multiculturalisme » et la plupart de mes collègues universitaires canadiens pensent que, de toute façon, l’Ontario n’aurait pas pu reconnaître des décisions contraires à la Charte des droits qui a valeur constitutionnelle au Canada. Cela dit : « un tien vaut mieux que deux tu l’auras » et c’est très bien que des femmes et des hommes, des musulmanes/musulmans et d’autres se soient mobilisés pour être les garants concrets du fait que le multiculturalisme s’arrête quand commencent les droits fondamentaux
A propos de Will Kymlicka, il distingue deux sortes de revendications de la part des minorités culturelles (cf. La citoyenneté multiculturelle, Boréal, 2001, p. 59)
Les premières revendications visent à préserver des cultures minoritaires contre des décisions politiques et administratives qui ont des conséquences (voulues ou non) d’homogénéisation, d’uniformisation culturelle et sont destructrices de pans entiers de certaines cultures. Sauf nécessités forte imposées par le lien social, il souhaite que l’on fasse droit à ces demandes de protection culturelle. On pourrait dire, avec un humour un peu grinçant que l’on se soucie de plus en plus des espèces animales menacées ; on pourrait se soucier également des cultures humaines menacées !
Les secondes revendications visent, elles, à imposer à des personnes considérées comme membres de minorités culturelles des contraintes supplémentaires (ou des règles différentes) à celles qui découlent de l’ordre politique et administratif. A cela, Kymlicka oppose un refus net car, dans une démocratie libérale, chacun a le droit de se désengager de la culture d’origine, de se référer à différentes normes (ou logiques) culturelles. Dans l’affaire italienne, Fatima avait autant le droit que Carla ou Marianne d’adopter tout « style de vie » autorisé par la loi.
Les partisans d’une laïcité, ou simplement d’une démocratie, qui puisse faire droit à la diversité culturelle, tous ceux qui combattent les discriminations doivent le dire haut et fort : C’est en fait le même combat pour la liberté. La liberté est en effet à la fois la liberté de… et la liberté par rapport à…
Que la diversité culturelle ne signifie pas l’enfermement dans la culture, nous en avons (heureusement) de multiples exemples. Un vietnamien d’origine habitant en Bretagne pourra se passionner pour la culture bretonne et apprendre la langue. Et inversement.
Philippe Lazar indique (Autrement dit laïque, Liana Lévy, 2003, 111ss.) qu’une distinction doit être faite entre un fait culturel et des groupes humains (à géométrie variable) qui sont à un moment donné porteurs de cette culture. Si l’attribution de la nationalité est régie par des règles qui déterminent de façon claire qui est Burkinabé, Canadien, Français,… « Tout fait de culture -la catholicité, la judéité, l’islamité, la corsitude, etc- peut être considéré comme un bien public global appartenant au patrimoine culturel de l’humanité ». Chacun doit pouvoir se « l’approprier au sens où l’on s’approprie une langue » sans être prédéterminé par le sang ou même l’histoire. Et si l’engagement culturel, au sens large doit être libre, il en est (a fortiori) de même pour le désengagement culturel. Chaque individu doit être libre de se désengager par rapport à sa culture, mais aussi de la réinterpréter, de la métisser en la mélangeant à d’autres, de la contester sur certains points et de la valider sur d’autres, etc. C’est d’ailleurs ainsi que les faits culturels sont eux-mêmes des faits vivants et non pas des pierres rigides
Second point. Revenons à Fatima. Le même numéro du Monde comporte une interview du président de la section italienne de la Ligue musulmane mondiale, M. Scialoja. Son propos est très net et vaut la peine d’être cité. Pour lui la justice italienne « semble avoir voulu tenir compte de la religion » alors que celle-ci « n’y est pour rien » : « Ce qui est arrivé à la jeune fille n’est que le résultat de pratiques ancestrales patriarcales étrangères à l’islam. » Et il ajoute « Vous ne trouverez pas un mot dans le Coran qui dise que l’on peut frapper des enfants pour leur montrer la voie à suivre. » Et il conclut : « Ce verdict nous rend un mauvais service puisqu’il pousse à considérer que ce genre de violences est justifié par de prétendues raisons religieuses. »
Voilà qui est on ne peut plus clair et il faut remercier le journaliste du Monde (Salvatore Aloïse) de cette mise au point. Sauf que…le titre de l’interview est le suivant : « M. Scialoja dénonce la « tolérance » de la justice italienne envers la charia »… ce qui est le contraire puisque justement l’interview dit que la « charia » (ou ce que l’on nomme ainsi en Occident) n’a rien à voir dans cette affaire.
Le titre remet l’islam dans le bain si je puis dire et conforte préjugés et idées reçues que l’interview combat. Pourquoi une telle contradiction que l’on rencontre de plus en plus dans les journaux, même « sérieux », entre le contenu de articles et leur titres ? Parce que les titres ne proviennent pas des journalistes mais sont choisis selon des critères de marketing. On rédige le titre le plus « vendeur » possible. Et c’est ainsi que l’on enfonce les gens dans des stéréotypes et des préjugés.
3° La Déclaration Universelle sur la laïcité est devenue un document de référence
L’Editorial du Monde se réfère à la Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle. Les « fana » du Blog se rappellent peut-être qu’en 2005, pour le Centenaire de la séparation française des Eglises et de l’Etat, une Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle avait été signé par environ 250 universitaires (quand on avait arrêté les signatures) de trente pays des différents continents. Elle avait été présentée le 9 décembre 2005 au Sénat, sous la présidence de M. le Ministre Hervé Hasquin, ancien doyen de l’Université Libre de Bruxelles[2] Quelques uns, en tout cas, s’en souviennent et m’ont demandé ce qui était advenu de cette Déclaration.La citation du Monde est une preuve parmi d’autres que ce document est devenu un document de référence. Certes, faute de moyens et de secrétariat, la Déclaration est devenue une sorte de bouteille à la mer[3]. Mais, régulièrement des échos nous parviennent qui montrent qu’elle vit sa vie propre
Ainsi elle a été éditée dans plusieurs pays. Diffusée au départ en 4 langues (anglais, espagnol, français, arabe), elle a été traduite (d’après les échos reçus) en totalité ou partiellement en plusieurs autres (iranien, japonais, vietnamien,…). Actuellement, elle est en train d’être traduite en chinois.
Par ailleurs, le continent où elle semble avoir le plus de succès semble être l’Amérique Latine. Elle a été étudiée en Bolivie, où la laïcité est d’actualité depuis la victoire du président Moralès, elle a été acclamée au Mexique, etc. Elle se trouve sur un Site très consulté et consacré à la laïcité édité par le Colegio mexiquense.
Et il est certain que nous sommes loin d’avoir toutes les informations.
Alors, nous convions toutes celles et tous ceux qui pourraient nous en donner à les transmettre à declarationlaicite@hotmail.fr (ou dans les Commentaires de ce Blog)
Je republie ci-après des extraits.
Préambule
Considérant les diversités religieuse et morale croissantes, au sein des sociétés actuelles, les défis que rencontrent les États modernes pour favoriser le vivre- ensemble; considérant la nécessité de respecter la pluralité des convictions religieuses, athées, agnostiques, philosophiques, et l’obligation de favoriser la délibération démocratique pacifique; considérant enfin que la sensibilité croissante des individus et des peuples aux libertés et aux droits fondamentaux invite les États à veiller à l’équilibre entre les principes essentiels qui favorisent le respect de la diversité et l’intégration de tous les citoyens à la sphère publique, nous, universitaires et citoyens de différents pays, proposons à la réflexion de chacun et au débat public, la déclaration suivante:
Principes fondamentaux
Article 1. Tous les êtres humains ont droit au respect de leur liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective. Ce respect implique la liberté d’adhérer à une religion ou à des convictions philosophiques (notamment l’athéisme et l’agnosticisme), la reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle, de la liberté personnelle des êtres humains des deux sexes et leur libre choix en matière de religion et de conviction. Il implique également le respect par l’État, dans les limites d’un ordre public démocratique et du respect des droits fondamentaux, de l’autonomie des religions et des convictions philosophiques.
Article 2. Pour que les États soient en mesure d’assurer un traitement égal des êtres humains et des différentes religions et convictions, l’ordre politique doit être libre d’élaborer des normes collectives sans qu’une religion ou conviction particulière domine le pouvoir et les institutions publiques. L’autonomie de l’État implique la dissociation de la loi civile et des normes religieuses ou philosophiques particulières. Les religions et les groupes de convictions peuvent librement participer aux débats de la société civile. En revanche, ils ne doivent en aucune façon, surplomber cette société et lui imposer a priori des doctrines ou des comportements.Article 3. L’égalité doit se traduire dans la pratique politique par une vigilance constante pour qu’aucune discrimination ne soit exercée contre des êtres humains, dans l’exercice de leurs droits, en particulier de leurs droits de citoyens, quelle que soit leur appartenance ou leur non-appartenance à une religion ou à une philosophie. Pour que soit respectée la liberté d’appartenance (ou de non appartenance) de chacun, des “ accommodements raisonnables ” peuvent s’avérer nécessaires entre les traditions nationales issues de groupes majoritaires et des groupes minoritaires.
La laïcité comme principe fondamental des États de droit
Article 4; Nous définissons la laïcité comme l’harmonisation, dans diverses conjonctures socio-historiques et géo-politiques, des trois principes indiqués : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective; autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières; non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains.(….)
Article 7. La laïcité n’est donc l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent. Elle peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été traditionnellement utilisé. Des processus de laïcisation ont eu lieu, ou peuvent avoir lieu, dans diverses cultures et civilisation, sans être forcément dénommés comme tels.
(…)
La laïcité et les défis du XXIe siècle
(…) Article 15. Religions et convictions philosophiques constituent socialement des lieux de ressources culturelles. La laïcité du XXIe siècle doit permettre d’articuler diversité culturelle et unité du lien politique et social, tout comme les laïcités historiques ont dû apprendre à concilier les diversités religieuses avec l’unité de ce lien
(…)
Article 18. Tout en veillant à ce que la laïcité ne prenne elle-même des aspects de religion civile où elle se sacraliserait plus ou moins, l’apprentissage des principes inhérents à la laïcité peut contribuer à une culture de paix civile. (…) C’est une conception laïque, dynamique et inventive qui donnera une réponse démocratique aux principaux défis du XXIe siècle. Cela lui permettra d’apparaître réellement comme un principe fondamental du vivre-ensemble dans des contextes où la pluralité des conceptions du monde ne doit pas apparaître comme une menace mais plutôt comme une véritable richesse.
Pour avoir le texte complet, il suffit de cliquer sur Archives, au mois d’octobre 2005 (c’est entre la Note du 10 et la Note du 3 octobre).
N’hésitez pas à la mettre sur vos Blogs, sur vos Sites. Elle est faite pour circuler.
[1] Sur l’affaire de l’Ontario, lire l’article de S. Charles dans Le Débat, n° 142, nov-dec 2006, p. 32-43.
[2] Fondée sur le « libre-examen », cette Université a été un des hauts lieux de l’élaboration de la pensée laïque et continue à organiser des colloques et à publier des ouvrages sur la laïcité.
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