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30/07/2007

LA MORT ENTRE MEDECINE ET RELIGION (suite)

Merci à toutes/tous les internautes qui continuent avec constance de consulter ce Blog, malgré les « vacances ».

Puisque vous semblez ne pas vouloir bronzer idiot, je vais vous recommander un livre, certes un peu plus rude à lire que Voici ou Gala, mais tout à fait passionnant : Géohistoire de la mondialisation, le temps long du Monde, de Christian Grataloup, publié chez Armand Colin (non, je ne suis pas actionnaire ; ce n’est même pas un de mes éditeurs : vous voyez le conseil est absolutly désintéressé). Ce livre fait prendre un ‘sacré’ coup de vieux à Fernand Braudel et à ses thèses. Mais, so is life : le savoir est fait pour être dépassé. Je peux vous garantir que c’est écrit de façon très claire et même s’il y a beaucoup de personnages (des milliards et des milliards d’êtres humains), on s’y retrouve quand même car cela apporte du nouveau sur du connu (ou ce que l’on croit connaître).

Ce que j’apprécie particulièrement, c’est que la perspective géo-historique permet de désoccidentaliser l’histoire sans rien concéder au politiquement correct.  Bref, je ne le cache pas, j’ai été assez emballé.

 

 

Après, pour vous reposer un peu la bulbe, lisez Le Palais des courtisanes, le tome 3 des Nouvelles enquêtes du juge Ti de Frédéric Lenormand, qui est paru en poche cette année dans la collection Points. J’avoue que je n’avais qu’en moitié apprécié les 2 premières enquêtes ; il faut dire que succéder à Van Gulik est difficile. Mais celle là m’a bien plu.

 

 

Je reviens d’un colloque de sociologie qui a eu lieu à Leipzig. Je vous raconte cela (outre qu’à la rentrée de septembre, je vous livrerai une version « Blog » de ma communication qui portait sur « Violence, anticléricalisme et laïcité ») pour une raison précise : j’ai visité la « Thomas Kirche » où il y a le tombeau de Bach (Jean-sébastien pour les dames). Là, il y avait un petit prospectus indiquant que l’entretien de cette église luthérienne coûte 180000 € à la paroisse, et donc…à votre bon cœur Msieurs’dames. On trouve souvent, en France, horrible ce que l’on appelle « l’impôt ecclésiastique » allemand (prélevé par l’Etat auprès de celles et ceux qui se rattachent à l’Eglise protestante ou l’Eglise catholique), mais les réparations des églises, du coup, ne sont pas –comme dans notre sublime France laïque !- payée par les impôts de tout le monde, mais seulement par ceux qui acceptent de payer l’impôt ecclésiastique. Je ne dis pas que le système allemand est meilleur que le système français ; je dis que le système français décrit souvent encore comme une « laïcité stricte », une « séparation intégrale », etc… cache bien son jeu.

 

Un dernier mot avant de reprendre le feuilleton de l’été (cf. les Notes du 26 juin et du 20 juillet) : une internaute s’est étonnée de la pratique de bibles mises sous les oreillers des malades (ou des femmes enceintes d’ailleurs) dans un but thérapeutique (note 4 de la Note du 20 juillet). Cette pratique de religiosité populaire a été assez fréquente en Allemagne au XVIIe siècle, voie encore au XVIIIe, elle a disparu ensuite.

 

Bon, nous en étions au point suivant :

Exceptée la petite minorité de juifs (considérés comme des semi étrangers) et de protestants (pourchassés depuis la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685), personne ne mourait sans avoir reçu les « derniers sacrements ». En effet, un tel rite  était considéré, dans le catholicisme[1], comme pouvant éviter la damnation éternelle au futur mort.

Le rite des « derniers sacrements » consiste en  la conjonction de trois sacrements :

-         d’abord la confession des péchés (où le malade se repent de ses fautes) ;

-         ensuite la communion où le malade doit avaler l’hostie sans la vomir (d’où un risque si le sacrement est administré trop tardivement) ;

-         et enfin l’extrême onction faite avec de l’huile d’olive bénie par un évêque. En administrant l’onction, le prêtre prononce ces paroles : « que par cette saint onction et sa très pieuse miséricorde, Dieu te fasse grâce de tous les péchés que tu as commis par la vue ou l’odorat, le goût, le toucher, l’ouïe ».

La peine est l’enfer éternel si on meurt en état de « péché mortel » non remis par le sacrement (ou par une contrition parfaite) (orgueil, avarice, luxure, gourmandise, envie, colère, paresse) ou des « péchés véniels » commis à répétition ou dans certaines circonstances.

 

A propos de l’enfer,  puisque nous sommes en période de vacances, voici une histoire garantie authentique (bien sûr) : c’est un gus qui arrive dans l’au-delà et, chanceux, il a le droit de choisir entre l’enfer et le paradis. Pour l’aider dans son choix on lui passe un petit film sur un écran de télévision. Il commence par l’enfer. On y soit un mec vautré dans un big fauteuil, fumant un cigare, buvant du whisky 16 ans d’âge pendant que de splendissimes jeunes femmes le cajolent (et même plus, pour les internautes de plus de 18 ans). Tout émoustillé, il choisit illico d’aller en enfer. Là, à peine arrivé, il est mis dans une grande marmite d’eau bouillante. Brrrr… Il proteste. Et le diable d’éclater de rire : « Encore un qui croit à ce qui est montré à la télé ! »

Morale de l'histoire: à chaque époque ses croyances (naïves) et plutôt que de juger stupides celles de siècles passés, demandons nous comment les nôtres seront jugées dans 100 ou 200 ans. A mon (humble) avis, les grenouilles de bénitiers télévisuels ont remplacé les gernouilles de bénitiers de sacristie de manière encore plus prégnante sur la société globale. Voilà un nouveau cléricalisme à mettre en cause de façon urgente.

 Reprenons notre propos : le paradis ne se trouve pas garanti de façon mécanique par les « derniers sacrements ». Même délivrée de l’enfer, l’âme du défunt peut se rendre au purgatoire (dont J. Le Goff a raconté l’invention au Moyen-Age), lieu où selon le Catéchisme du Concile de Trente (1ère partie, article 5, 5) un feu purificateur tourmente temporairement cette âme afin d’en enlever les souillures qui subsistaient et ne peuvent entrer au paradis.

Cela induit une double réalité symbolique.

-         d’abord les derniers sacrements n’effacent pas la crainte de la mort. La peur de l’au-delà facilite l’emprise de l’institution religieuse sur les « fidèles ». Le christianisme[2] a longtemps en partie joué sur ce sentiment de crainte[3].

-         ensuite, le séjour au purgatoire peut être abrégé par l’intercession des vivants en faveur du défunt. Le système symbolique catholique maintient donc, par ce biais, un certain rapport entre les vivants et les morts, un lien mystérieux entre ceux qui sont morts et « ceux qui les aiment encore ». Cela contribue à donner un certain sens à la mort, à une appréhension de la réalité qui inclut des morts et ne se compose pas seulement des vivants[4]. Il existe, en France, encore au XIXe siècle un ensemble d’œuvres, une imagerie, des brochures et des journaux, comme l’Echo du purgatoire, qui par ce biais relient vivants et morts (pour les anticléricaux, le purgatoire constitue une source de profit évalué à 32 millions de francs or par an à la fin du XIXe siècle).

Dans la logique du système médical, au contraire, les morts n’existent plus, ou du moins on n’a plus à s’en préoccuper. Il y a une complète absence des morts, devenus irréels et -au sens strict- insignifiants.

 Tant que le système symbolique médical se trouvait englobé par le système symbolique religieux, cette irréalité, cette insignifiance des morts n’apparaissait pas. Il pouvait exister une complémentarité entre clercs, une double cléricature, celle (dominante) du prêtre et celle (dominée) du médecin. Descartes avait tenté de formaliser cette complémentarité en donnant une définition métaphysique de l’âme et une définition physique de la vie. Dans cette perspective, les rôles du prêtre et du médecin s’harmonisent pour « normer » l’individu. Mais la réalité est plus conflictuelle puisque le médecin est, en fait, sous la dépendance du prêtre et doit tenir compte des prescriptions et des interdits religieux. Or, de son point de vue de médecin, ces normes  religieuses nuisent à sa pratique, au développement de son « art ».

Le désir d’autonomie des médecins face à la religion catholique  est ancien. Il s’est, notamment, manifesté par la volonté de pouvoir disséquer et étudier les cadavres. Ce fut longtemps interdit car, dans le système symbolique religieux, le mort appartient à Dieu et le disséquer est un sacrilège, c’est tuer le mort une seconde fois. C’est aussi, symboliquement, signifier aux proches du mort que leur défunt n’est plus une personne, mais est devenu une chose, un matériau pour la science.

Au XIXe siècle, les motifs de conflits se multiplient. Ainsi, en cas de dilemme entre la vie de la mère et celle de l’enfant lors d’accouchements dramatiques, les médecins auront de plus en plus tendance à choisir de « sauver » (ce verbe, à connotation religieuse, est significatif) la vie de la mère alors que dans le système symbolique catholique d’alors, il vaudrait mieux sauver la vie de l’enfant pour pouvoir le baptiser et assurer « la vie de son âme ».

 

Autre exemple : l’anesthésie est pratiquée par les médecins pour rendre l’acte médical plus efficace. Mais, à ses débuts, au milieu du XIXe siècle, les accidents ne sont pas rares  et ils entraînent une mort involontairement provoquée et naturellement non annoncée. Cette mort a lieu sans que le malade ait reçu les derniers sacrements. Et donc, pour le système catholique, le médecin a (involontairement) provoqué la damnation éternelle de son malade. Or si, de tout temps, le regret de la vie ici-bas, la peur de mourir ont existé, la mort soudaine survenue sans repentir, sans recevoir les derniers sacrements, était la mort la plus redoutée puisqu’elle risquait fort de vous conduire en enfer. Une mort précoce mais préparée  apparaissait moins grave qu’une mort différée mais se produisant soudainement. Cette dernière hypothéquait, en effet, l’au-delà et ce n’est pas parce qu’on vit un peu plus vieux que l’on est mort moins longtemps ! (Admirez la subtilité de mes réflexion philosophiques : Kant et Hegel peuvent aller se rhabiller)  

La peur de la mort subite constituait donc un des arguments qui permettait à l’institution religieuse d’avoir une emprise sur la vie entière des individus : il ne fallait pas attendre la vieillesse et la maladie pour se préoccuper de son salut mais il fallait sa vie durant être prêt à pouvoir mourir sans être « en état de péché mortel ». Cet adjectif : « mortel » est très significatif : il désigne la mort spirituelle de l’âme, privée de la grâce et de l’esprit de Dieu, et en proie à une peine éternelle. Cela indique bien que, dans ce système symbolique, la véritable mort est moins celle du corps -que l’on sait être un jour ou l’autre périssable- que celle de l’âme, qui -elle- peut-être promise à l’éternité, ou à la damnation.  

Ce système d’emprise commençait à décliner dans certaines classes sociales avant la Révolution, et certains bourgeois se préoccupaient au moins autant de régler leurs affaires terrestres que du salut de leur âme.  Auprès de la masse  du peuple il gardait son importance. Par ailleurs, si le prêtre avait sa place, dans la cérémonie rituelle, le « premier rôle revenait au mourant lui-même. Il présidait et savait comment se tenir, tant il avait été de fois témoin de scènes semblables » (Ph. Ariès, 1975, 169). Ajoutons que le souci et l’espoir de la guérison, naturellement également présents, faisaient souvent appel à des moyens religieux : prières envers les saints guérisseurs et la Vierge (« Notre Dame de Tout Remède »), recours à l’eau de source miraculeuse, pèlerinages. Enfin, certains prêtres avaient la réputation d’avoir des pouvoirs thérapeutiques.

Nous avons déjà vu qu’en France, la notion juridique d’ « exercice illégal de la médecine » est établie par la loi dès 1803, c'est-à-dire à un moment où lee médecin ne possède pas une efficacité supérieure aux « empiriques » (c'est-à-dire aux personnes qui possédaient un « don » thérapeutique ou que l’habitude de soigner les bêtes conduisait à soigner les gens). Cette institutionnalisation de la médecine française, cette construction politique d’un rôle social autonome du médecin, s’effectue au départ contre la demande sociale.

Grâce à l’appui de l’Etat, les médecins gagneront les procès qu’ils intenteront à leurs concurrents  pour « exercice illégal de la médecine », en étant « hués par le public et moqués par les journaux » qui souhaitent le maintien d’une pluralité dans l’art de guérir  (J. Léonard, 1981, 76). Tout au long du siècle, l’ « exercice illégal de la médecine », est souvent le fait de membres du clergé ou de religieuses (les « bonnes sœurs »). Même quand prêtres et religieuses ne sont pas en cause,  cet exercice illégal « fait couramment référence à des pratiques religieuses ». Ainsi un « bon chrétien » est condamné, en 1870, à 40 jours de prison pour avoir soigné (sans demander d’argent) des malades en leur faisant réciter « des prières approuvées par l’Eglise » (P. Guillaume, 1990, 27). Et en 1892, lors de l’établissement du second seuil de laïcisation, une nouvelle loi renforce la protection des médecins face à tout « exercice illégal de la médecine ».

La lutte, feutrée ou ouverte entre médecine ou religion est donc une constante du XIXe siècle français. Cela est beaucoup moins le cas en Grande Bretagne. Dans ce pays de culture protestante, beaucoup de médecins sont des fils de pasteurs et ils mêlent parfois dans leur pratique arguments médicaux et arguments bibliques. Ainsi l’inventeur de l’accouchement  sans douleur affirme primo que Dieu est le premier anesthésiste (au début de la Bible , il endort Adam pour lui prélever une côte et créer Eve), secondo que le verset biblique où l’on prétend que Dieu a dit à Eve : « tu accoucheras dans la douleur » est mieux traduit de l’hébreu si on remplace cela par « tu accoucheras avec effort » (J. Baubérot – S. Mathieu, 2002, 116 s.).

 

Le XIXe siècle est le grand siècle d’institutionnalisation de la médecine, dans un double sens de développement de l’institution et de son autonomisation : ainsi, les médecins deviennent, par exemple, des experts en matière judiciaire (développement) et en 1830, la police perd le droit d’obliger les médecins à dénoncer les blessés recherchés par les forces de l’ordre et qui recourent à leurs soins  (autonomisation): cela ne joue donc pas seulement face à la religion, mais cela joue d’autant plus aussi face à elle qu’après la forte désintégration institutionnelle qu’a connue la religion catholique, celle-ci est remise en selle en tant qu’institution (certes juridiquement dans certaines limites, mais entre le juridique et la réalité sociale, il peut y avoir des écarts.) et reprend donc de la vigueur : elle a tendance à vouloir réoccuper tout l’espace qui était auparavant le sien.

 

Dans le cadre du conflit des deux France, on assiste donc à un conflit inter-institutionnel : la réalisation de ce que j’appelle la fragmentation institutionnelle du 1er seuil de laïcisation ne peut s’effectuer sans conflit : il faut bouter hors du champ sanitaire les clercs religieux.

Henri Bon, médecin catholique du XXe siècle (qui a donc le regard rétrospectif d’un clerc de l’institution médicale dont le monopole de légitimité en matière de santé est devenu une évidence sociale) écrit en 1935 : « Nous connaissons des médecins pieux qui ont abouti à un véritable anticléricalisme, du fait de l’empiètement incessant de religieuses ou de curés sur le domaine médical, empiètement souvent nuisible au malade, très souvent nuisible à la réputation du médecin par des critiques plus ou moins explicites et qui arrivent même parfois à compromettre ou à rendre intenable la situation matérielle du praticien ».

Précis de médecine catholique, 1935, 580.

 

Deux remarques sur ce texte très significatif :

1) le passage du « souvent » pour le malade au « très souvent » pour le médecin et le fait que les nuisances dues à l’empiètement du religieux sur le médical sont traitées en 5 mots pour le malade et en 32 mots pour le médecin.

 On voit bien alors, deux aspects :

-         en premier ce qui est d’abord en jeu, c’est le développement d’une institution médicale autonome par rapport à la religion ;

-         en second c’est l’indication de la difficulté de cette autonomisation par rapport à la religion : Henri Bon dit avoir reçu des témoignages (donc il s’agit de la seconde moitié du XIXe siècle et non de la première) de médecins dont la réputation a été mise en cause avec succès par des clercs religieux, et comme il s’agit de « médecins pieux » devenus anticléricaux à cause de ces « empiètements », il est fort plausible que cela n’a pas concerné leur catholicité (style : n’allez pas chez ce médecin, c’est un franc-maçon). Ces « empiétements » sont, de façon plausible, soit que le clerc religieux estimait avoir une véritable compétence médicale et contestait le diagnostic du médecin, soit (de façon beaucoup plus vraisemblable, pour la seconde moitié du XIXe) que ce clerc trouvait, lui, que le médecin « empiétait » sur son propre domaine, ne lui faisait pas assez de place.

2) En effet, le partage de pouvoir sur le malade mourant potentiel (dans l’intérêt soit de sa santé, soit de son salut : et quel est le + important, that is the question ?) n’a rien d’évident et la fragmentation institutionnelle signifie la construction de frontières entre les rôles institutionnels et le pouvoir (pouvoir et pouvoir sur) qui leur est lié.

Il ne faudrait pas, cependant, en déduire que les relations entre les religieux (au sens large) et les médecins sont explicitement conflictuelles : dans l’immense majorité des cas, la partie émergée de l’iceberg est beaucoup plus une collaboration et le conflit, si conflit il y a est plus une tension implicite qu’un conflit ouvert.

Cela pour plusieurs raisons :

 

D'abord, il peut y avoir une évolution culturelle globale qui fait que les « élites » qu’elles soient religieuses ou médicales évoluent, en gros, au même rythme et donc partagent une façon analogue de voir les choses : la vision d’une Eglise catholique globalement « ennemie du progrès » est une vision polémique anticléricale. Par exemple, au début du XIXe siècle, il va y avoir une lutte commune pour acclimater la vaccination.

Au XVIIIe siècle, alors que la variole est une maladie mortelle et que l’inoculation progresse, à partir de 1720-1730, en Grande-Bretagne, Allemagne et Amérique anglaise, l’inoculation variolique est considérée en France par des médecins comme dangereuse et immorale, puisqu’elle consiste à infliger un élément de maladie à quelqu’un qui n’en est pas atteint (la tradition médicale française d’alors : il faut suivre la Nature, là on la force): encore en 1785, la Société royale de médecine indique comme moyen de lutter contre la maladie la mise en quarantaine. D’autre part, pour des théologiens, c’est le Diable qui a donné à Job la petite vérole  et l’inoculer = commettre un acte diabolique.

Indice parmi d’autre de la domination de la religion sur la médecine qui existe encore à l’époque des Lumières, un décret du Parlement de Paris de 1763, à un moment où l’épidémie fait rage, impose que toute inoculation soit soumise à l’accord préalable de la Faculté de théologie (catholique de la Sorbonne)

(J.-P. Peter, « Les médecins français face au problème de l’inoculation variolique et de sa diffusion (1750-1790) », Annales de Bretagne, 1979, 251-264)

A la fin du siècle Jenner inocule de la vaccine au lieu du pus humain et en 1800 Pierre Coze prof de clinique médicale à Strasbourg (point de contact avec l’Europe protestante) opère la 1ère vaccination réussie en France.

Quand Pie VII vient à Paris pour sacrer Napoléon, les membres du Comité central de la vaccine obtiennent que le pape approuve publiquement la découverte de Jenner. Dans la lancée, une douzaine de prélats font lire au prône du dimanche, par les curés, des lettres d’encouragement en faveur de la vaccination. Et Chantal Beauchamp (Forme et sens de la lutte sanitaire au XIXe siècle. Epidémies et endémies dans trois départements du Centre-Ouest, thèse EHESS, 1988) indique que des prêtres sont actifs dans les comités de vaccination de ces départements ;

Donc congruence qui fait que là on est dans une optique de sécularisation religieuse.

 

Autre cas où il semble y avoir une collaboration  explicite (malgré ce que dit Bon des « empiètements »): les religieuses.

Les congrégations hospitalières avaient été officiellement supprimées en août 1792. Mais les ci-devant religieuses étaient, assez souvent, restées en place et, dans un costume civil, avaient continué leur office.. Cependant, elles ne pouvaient plus recruter. Cela désorganisait l’administration des hospice et, désireuse de retrouver du personnel, elle avait fait prendre par le ministre de l’Intérieur Chaptal, une Circulaire (1 nivose an IX ; 22 décembre 1800) autorisant « la citoyenne Duleau, ci devant supérieur des Filles de la Charité (…) à former des élèves [= novices] pour le service des hôpitaux.

D’autres congrégations hospitalières  (not. les Filles de la Sagesse) obtiennent une autorisation semblable en 1801-1802.

Cependant, Portalis (le ministre des cultes de Napoléon) veut agir au cas par cas, sur le fondement de l’utilité sociale : la vie conventuelle n’est pas bien considérée, les vœux sont mal vus, mais la religion peut s’avérer socialement utile pour l’éducation, les hôpitaux, etc. (indice que la légitimité par l’utilité sociale peut faire tendre la religion vers une fragmentation institutionnelle…élargie).

Après 1815, le climat leur est assez longtemps favorable.

Cf. sur ce sujet : Claude Langlois, Le catholicisme au féminin, Le cerf, 1984, p. 115 notamment. Langlois montre que le fait d’être religieuse, pendant une partie du XIXe siècle donne la possibilité, pour des femmes qui possèdent une forte personnalité, d’avoir un certain degré d’autonomie sociale et d’activités dans la société.

 

Certaines de ces religieuses sont de milieux cultivés et sont instruites. Elles peuvent être filles, nièces, sœurs, cousines de médecins dont elles admirent le savoir, et dont elles voudront suivre l’exemple. Des livres de médecine sont écrits pour elles ; par exemple à Nantes, en 1836, Le manuel de médecine et de chirurgie à l’usage des sœurs hospitalières.

Elles assurent les soins les plus « répugnants » (comme la toilette et l’ensevelissement du cadavre) et le soutien des malades dans la souffrance et  l’agonie.. A noter qu’elles n’assurent pas seulement un service dans les hôpitaux, mais aussi « des visites à domicile et une pharmacie qui dessert la population locale en même temps que les malades alités » indique O. Faure (1993, 30). A partir du milieux du XIXe siècle certaines congrégations se spécialisent dans la garde des malades en milieu urbain (sœurs du Bon Secours, notamment). Et, dans les campagnes : petites communautés polyvalentes : mettons que 4 sœurs soient installées dans un village, 2 font l’école (aux filles), la 3ème visite les malades, la 4ème s’occupe des tâches matérielle.

 

L’historien Olivier Faure insiste sur la « complémentarité » et le fait que « dans les textes au moins, la religieuse est l’auxiliaire du médecin, pas sa concurrente » : « la religieuse doit se conformer à leur prescriptions, leur communiquer ses observations, préparer les remèdes sur leurs indications » (p. 33, 32). Effectivement, cela a du correspondre non seulement aux textes mais à bcp de situations empiriques.

Mais, tout en admirant les médecins, et en sachant tenir leur rang (le rôle subordonné de la femme !!) elles n’ont pas forcément toutes envies d’être soumises et obéissantes (cf les « empiètements » d’Henri Bon). Puis qu’être ‘bonne sœur’ est parfois un moyen détourné pour une personnalité féminine d’avoir un rôle social, ce n’est pas alors pour être l’auxiliaire toujours docile que voudraient les médecins : elles prétendent à une certaine légitimité, à un pouvoir sur la base de leur personnalité, de leur savoir autodidacte et surtout du fait que pour elles donner des soins est une manière d’accomplir leur ministère. L’historien Jacques Léonard (dans Médecins, malades et société dans la France du XIXe siècle, Sciences en situation, 1992,  33-61), au contraire de Faure, parle de « contentieux » entre les sœurs et les médecins

 

Les religieuses ont tendance (également) à mêler pratiques religieuses et pratiques médicales. D’abord, certaines font un tri moral entre des malades « dignes » de soins et d’autres qui en seraient moins dignes (les vénériens que les règles de certaines congrégations interdisent de soigner ; certaines « filles mères », prostituées, vénériennes qu’elles mettaient dans des dépôts de mendicité ou infirmerie de prison, et comme c’est au contraire ces catégories de femmes qu’auraient examiné les étudiants en médecine de province, liés aux cliniques hospitalières, cet enseignement est ainsi entravé). Les religieuses peuvent aussi donner un caractère rédempteur à la souffrance.

 

De façon plus générale (comme O. Faure l’indique lui-même), pour les religieuses, « la maladie est aussi un moment privilégié pour ramener les brebis égarées dans le droit chemin : les sœurs doivent empêcher les malades de prononcer des paroles blasphématoires, indécentes ou impies, instruire les ignorants dans la (bonne !) doctrine, ramener à la pratique les infidèles, faire distribuer l’extrême onction aux mourants.» A mon sens, O. Faure minimise un peu  l’aspect doublement conflictuel (virtuellement) de ces pratiques.

D’abord parce qu’il fait comme si c’était logique or cela va contre le pluralisme du 1er seuil où non seulement tous les Français ne sont pas considérés comme catholiques : protestants et juifs appartiennent à des cultes reconnus ; et d’autre part, de façon moins claire dans la logique du 1er seuil, mais quand même, il peut légitimement exister plusieurs manières d’être catholique, allant de la dévotion à l’indifférence en matière de religion. 

Ensuite….

(à suivre)

[1] Un sociologue à Leipzig ayant avoué son ignorance en la matière, je précise que les « derniers sacrements » n’existent pas dans le protestantisme

[2] Dans le protestantisme, la doctrine du « salut par la grâce », la disparition des « derniers sacrements » a, en partie dédramatisé l’angoisse de l’au delà, il en a été de même de l’esprit humaniste de la Renaissance. Mais ces changements ont d’abord concerné des élites. Sur ces évolutions de mentalité, cf. notamment M. Vovelle, 1983.

[3] Cf. les ouvrages déjà cités de J. Delumeau.

[4] Les messes pour les morts et, plus généralement, le rôle du bâtiment église (et du cimetière qui lui est lié) dans la perception d’une réalité symbolique composée de vivants et de morts du être pris en compte par la majorité républicaine du « Bloc des gauche » lors des débats parlementaires sur la séparation des Eglises et de l’Etat.

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