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10/07/2007

LE PARTI SOCIALISTE, SA RENOVATION ET LA LAÏCITE

Mardi 17 juillet: prochaine Note, vendredi 20 juillet.

En attendant vous pouvez lire mon article dans le quotidien Le Monde (n° daté du 18 juillet): "Laïcité, la loi de 1905 mise en cause." 

J’ai hésité à parler dans ce blog de la rénovation nécessaire du Parti socialiste : de nombreux articles de journaux, des émissions de radio ou de télévision ont abordé le sujet et, a priori, que dire de plus ou de neuf ? Mais pourtant comment ne pas aborder ce sujet ? Au-delà de celles et ceux qui se réclament de la gauche, la question importe à celles et ceux qui, quelque soit l’endroit où elles/ils se trouvent dans le monde, sont attaché(e) s au bon fonctionnement de la démocratie en France.

Par ailleurs, la crise que traverse la laïcité en France est (en partie) liée à la déliquescence intellectuelle de ce parti. L’importance historique du socialisme français en matière de laïcité n’est plus à démontrer.

Enfin, si je ne suis pas membre du parti socialiste (j’ai été membre de l’Union des Etudiants communistes quand elle était en délicatesse avec la direction du PC, je n’ai jamais été, stricto sensu, membre d’aucun parti), je suis ce que l’on peut appeler un « compagnon de route » et j’ai pu observer l’évolution de ce parti, parfois d’assez près, notamment dans son rapport à la laïcité.

 

Je me sens donc motivé pour apporter ma (petite) contribution à l’indispensable remue ménage d’idées pouvant permettre qu’émerge un dynamisme neuf dans un PS menacé actuellement de coma profond.

Je vais tenter de compléter un peu des analyses qui me semblent pertinentes. Je vais partir du connu et, au fur et à mesure de mon propos, ajouter quelques commentaires de plus en plus personnels. Cela pour aboutir à une réflexion sur le rapport entre le PS, les mutations de la société et la laïcité.

 

 

Je partage l’analyse rappelée par Paul Quinio dans Libération (16-17/6/2007) : « la bérézina actuelle est en germe depuis le « bug » de 1999 ». Cela est essentiel : ce n’est pas en 2002, mais AVANT que le PS a raté son tournant. Jospin n’a pas voulu le comprendre, et son livre étonnant de 2005 (Le monde tel que je le vois) où il semble n’avoir à peu près rien repensé des années où il a été au pouvoir, contenait en germe son retour raté lors de la campagne interne au PS pour la désignation du candidat à la présidence. Certes, son bilan était honorable et il ne faudrait pas être oublieux de ce qui a été réalisé. Au reste, être premier ministre est toujours un rude travail.

Par ailleurs Jospin a joué de malchance : supposons qu’au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002, il ait devancé Le Pen de très peu : Il a eu 16,18% des voix et Le Pen 16,86%. Supposons que Jospin ait obtenu 0,70% de plus, soit 16,88%. La gauche et le centre-gauche auraient senti souffler le vent du boulet, et se seraient unis et mobilisés pour le second tour. Il est alors fort probable que Jospin aurait gagné ce second tour, face à un Chirac déstabilisé par les « affaires » et 5 ans de cohabitation. L’espace entre déroute et victoire a été mince, environ 200000 voix.

 

Cependant, il faut expliciter les erreurs commises pour ne pas s’enliser. Or, au moins 4 erreurs ont préfiguré les impasses actuelles.

 

La première erreur est d’avoir différé la réforme des retraites. Le dossier était sensible, Jospin l’a estimé casse-gueule pour l’élection présidentielle de 2002 que légitimement il voulait emporter. Peut-être a-t-il eu raison tactiquement (bien que l’embellie économique d’alors lui donnait une marge de manœuvre). Mais, du coup, le problème n’a pas été affronté et le PS n’a eu ni à se poser ni à résoudre des questions difficiles qui réclamaient une réflexion d’ensemble sur la société française. Comme la droite a gagné en 2002 et a effectué la réforme à sa manière, le PS a pu se cantonner dans une attitude de refus, annonçant l’abolition de cette réforme s’il revenait au pouvoir. Il n’a pas expliqué comment il comptait résoudre une situation, dont Jospin était en partie responsable du pourrissement.

 

Réalisme, réflexion globale et inventivité ont manqué. Nous avons là une des raisons majeures de la défaite de Ségolène Royal. On l’a accusé d’être « floue ». Mais il est facile de se rendre compte qu’elle se montrait imprécise sur les points où elle se trouvait liée par le programme adopté par le PS, alors qu’il lui semblait que la position adoptée était irréalisable.

C’est une stratégie complètement contreproductive de verrouiller le ou la candidat (e) par l’adoption d’un  programme, tout en organisant une élection interne pour le/la choisir. Faute de pouvoir s’affronter sur des orientations clairement différentes, les prétendants socialistes à la candidature ont mis en cause la compétence de Ségolène Royal. Du petit lait pour la droite qui, elle, avait un candidat qui se préparait depuis longtemps (parfois de façon ludique, en plus, dans son entreprise de déstabilisation du clan Chirac).

 

Je ne m’attarderai pas trop sur la seconde erreur, la manière dont a été menée la réforme des 35 heures. Tellement de choses ont été écrites et dites sur le sujet. Je remarquerai brièvement l’ironie du sort : Sarkozy a pu gagner en proposant aux gens de travailler plus ! Plus fondamentalement, cette réforme, en partie ratée (là encore, ne tombons pas d’un extrême à l’autre), met le doigt sur la difficulté idéologique principale du PS : faute de savoir renouveler sa doctrine après l’effondrement du marxisme et d’avoir construit un véritable projet de société, il a « fait » dans le quantitatif. C’est encore pratiquement la seule manière pour lui de se distinguer de la droite. Proposer des améliorations quantitatives n’est pas mauvais en soit, bien sûr, mais cela devient vite proche du slogan « demain on rase gratis » !

 

Là encore, plutôt que reprocher à Ségolène Royal d’avoir critiqué certaines propositions (comme le SMIC à 1500 €), il faut affronter ce problème grave : fuir dans le quantitatif parce qu’on est incapable d’avoir un véritable projet s’avère une impasse.

D’abord parce qu’il y aura toujours des gens qui voudront en proposer plus (et pourront le faire, quand ils ne risquent pas  se retrouver au pouvoir). Tenez, très cher (e) s internautes : élisez moi président de la République et je vous promets de mettre le SMIC à 3000 € et (ne chipotons pas) de doubler vos salaires (« parce que vous le valez bien »).

Ensuite parce qu’il faut choisir dans le quantitatif, des mesures qui ne soient pas rapidement contre productives. Ce que l’on donne d’un côté est plus que repris de l’autre. Effectuer ce choix demande une analyse pertinente des différentes interactions dans la société mondialisée d’aujourd’hui. Ce n’est certes pas simple ! On ne réalise pas le changement par des promesses qu’un enfant de 7 ans serait capable de faire. Il est nécessaire de trouver des leviers stratégiques qui seront efficaces et permettront de changer véritablement les conditions de vie. C’est tout un art !

A ce niveau, n’oublions pas une proposition extrêmement intéressante (me semble-t-il) qu’avait faite Ségolène Royal : pluraliser l’indice des prix selon le principe qu’un jeune, un cadre supérieur ou un retraité modeste n’effectuent pas le même genre d’achat. Voila le genre de pistes à multiplier.

 Aller, toujours aussi mal pensant, je vais donner des verges aux dogmatiques pour me faire battre : on peut émettre beaucoup de critiques quant au projet de Tony Blair (outre l’Irak, à ce propos j’aimerais être absolument sûr que si la gauche avait été au pouvoir en 2002, elle n’y serait pas allée. Mais je suis loin d’en être certain). Il n’empêche, il a proposé quelque chose alors que le PS s’est contenté le plus souvent d’une posture de refus. Blair a lu et tenté de traduire politiquement (bien ou mal, peu importe pour mon propos, car je ne traite pas ici du Royaume Uni et l’évaluation à faire est complexe), des sociologues comme Antony Giddens. Ce dernier effectue une analyse de la modernité actuelle, pas de celle d’il y a un siècle ou plus.

Je crains que le mépris dans lequel les sciences humaines sont tenues en France, la prédominance, via l’Inspection générale, d’une philosophie dogmatique et médiocre, qui par corporatisme et mésintelligence, ignore les sciences humaines, voire les combat soit pour quelque chose dans cette paralysie doctrinale.

Quand on discute avec des responsables socialistes, on a assez souvent la désagréable impression qu’ils ne conçoivent pas vraiment ce qu’est une démarche de connaissance. Tout a tendance à se trouver réduit à l’opinion, opinion que l’on classe de façon sommaire selon sa signification politique supposée (là aussi, un enfant un peu doué saurait le faire). Et quand on met en avant des analyses rigoureuses mais idéologiquement désagréables, elles ont tendance à être disqualifiées à cause de cela.

 

La troisième erreur concerne le choix des alliances, révélatrices d’orientations privilégiées. Quinio insiste à juste titre sur ce point, Jospin « n’a pas su comprendre l’intérêt pour la gauche et le PS de donner de la place à son allié Vert, toujours sacrifié sur l’autel d’un PCF dont l’avenir était pourtant déjà derrière lui ». Peut-être le PCF, ou du moins ce qu’il représente, a-t-il encore un avenir (personnellement je l’espère) ; mais cela se fera (là aussi) au prix d’une profonde mutation, d’une rénovation substantielle et maintenir  le PCF (par exemple aux dernières élections, se désister à Montreuil et faire qu’au second tour J.-P. Brard soit le seul candidat en lice) à bout de bras, n’est certainement pas lui rendre service.

La sous-estimation, par une part du PS, des Verts et des problèmes écologiques fait partie de cet engluement dans une doctrine passéiste.

 

Je crains que le PC ait été privilégié parce qu’il représente des idéaux classiquement de gauche, le PS est en terrain archi connu, balisé. Point n’est besoin alors de se renouveler lui-même. On peut continuer sur sa lancée en morigénant (en plus) les hérétiques qui ne suivent pas les sentiers battus. Au contraire (là encore, bien ou mal, peu importe) Les Verts sont porteurs de questionnements nouveaux et le PS, s’il faisait convenablement son travail, devrait les incorporer dans une réflexion globale sur les changements récents, actuels et futurs de la société. Prendre au sérieux ces thèmes obligerait (notamment) à revisiter la notion de progrès.

Sur ce point, la campagne de Ségolène Royal en est restée à la revendication de la démocratisation du progrès (« le progrès pour tous »), alors qu’un des grands problèmes à affronter aujourd’hui (quelle que soit sa couleur politique) est l’ambivalence du progrès.

Le PS est d’autant plus fautif sur ce point que François Mitterrand avait ouvert la voie en créant, en 1983, le premier Conseil Consultatif National de (bio) éthique. Il avait compris que la réussite même du progrès technique et scientifique, loin d’apporter mécaniquement un progrès humain et social, aboutissait souvent à de nouveaux dilemmes. Cela fait des années que je m’escrime à faire comprendre de cela à des interlocuteurs socialistes. La réponse est (à peu près) toujours la même : « on est contre les Conseil d’experts qui empiète sur les pouvoirs du politique. »

Dire cela, c’est voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Pour deux raisons.

D’abord parce que le dit Conseil est consultatif, et rien n’empêche le politique de débattre à nouveau frais de ces questions. Encore faudrait-il que les parlementaires soient intellectuellement dignes d’estime. Quand on lit certains rapports de Commissions parlementaires et les grosses bêtises (pour ne pas dire plus) qui y sont écrites, on ne peut être que dans un mépris fonctionnel car démocratiquement salutaire. Si c’est cela le politique, nous sommes très mal barrés !

Ensuite, parce que ce ne sont pas les Conseils de ce type qui ont réellement le pouvoir idéologique, c’est le système médiatique, ses clowns et son simplisme manichéen. Ardisson ou Laurent Ruquier sont infiniment dangereux, pas Didier Sicard ! En juin, j’étais au Canada et sur la chaîne TV5 qui, normalement, sélectionne les meilleures émissions du (prétendu) service public, on pouvait voir et entendre une présentation en boucle de l’émission « On n’est pas couché »du dit Ruquier. C’était un extrait d’émission. Michel Pollack, avec un air mi scandalisé mi complice (donc complètement faux jeton) lui disait : « Avec vous, la politique devient de la merde ». Laurent Ruquier, absolument hilare et très fier de lui, répondait : « Je ne peux pas faire autrement et de toute façon, on me paye pour cela. ». Il aurait du ajouter : On me paye très grassement, sur la redevance imposée au cochon de téléspectateur/citoyen. En tout cas CQFD !

Il ne faut pas croire être indemne, nous sommes tous peu ou prou imprégnés de cet extrême centre médiatique (j’y reviendrai dans une Note ultérieure, car des internautes m’ont demandé des précisions). S’émanciper de la non pensée médiatique est une rude affaire ; cela demande une vigilance constante, quotidienne. Le PS devrait être dans ce combat là.

 

Vous attendez je suppose, la quatrième erreur, qui concerne la laïcité. Dans un premier temps, on peut prétendre qu’elle, n’est pas imputable à Jospin, mais date surtout du virage de 2003, quand Fabius a réussi à faire basculer le PS sur sa position d’orthodoxie laïque quant aux signes religieux à l’école publique.

En fait il s’agit de la même bêtise que celle que je dénonçais tout à l’heure : croire que la solution est dans le quantitatif. Et donc on serait plus laïque si on est contre le port du foulard ou de la kippa (etc) à l’école publique que si on les tolère dans certaines conditions (le Conseil d’Etat, il faut le rappeler, avait mis de sérieuses balises). Là encore, un enfant de 4 ans peut alors être un grand militant et penseur laïque. Pas besoin de se fatiguer les méninges ! Céline disait que l’amour est l’infini mis à la portée des caniches. La position dominante du PS met la laïcité à la portée de ceux qui ont usé leur cervelle à force de ne pas s’en servir.

 

On oublie d’ailleurs (pour ne prendre qu’un aspect) qu’en prenant cette position, on tourne totalement le dos (sans dire que l’on s’est trompé et expliquer le pourquoi du virage à 180 degrés, donc c’est de l’amnésie, pas du changement) à l’orthodoxie laïque d’hier (des années 1950 aux années 1980) qui consistait à combattre (officiellement) l’école privée confessionnelle.

En effet, la loi favorise le développement ou/et la création d’écoles privées juives et musulmanes. Les premières se trouvent déjà sous contrat, les secondes le demanderont logiquement. Les sikhs, qui n’y avaient jamais songé, projettent d’ouvrir (eux aussi) une école privée.

 

On peut accepter la liberté de l’enseignement (cela fait partie des droits fondamentaux), et (comme laïque) ne pas souhaiter favoriser les écoles privées, vouloir, qu’autant que faire se peut, l’école laïque soit une école pour tous. Ce n’est pas le choix qu’a fait le PS qui est passé d’un refus des comportements ostentatoires en milieu scolaire, à un refus des signes ostensibles. Ce glissement vers un essentialisme philosophique (là encore) n’a pas donné matière à réflexion. On a préféré prétendre que c’était cela LA position laïque.

Pourtant, une réflexion a été tentée. Jean Glavany a créé au PS une Commission laïcité où il a fait s’exprimer une pluralité de positions. Cela n’a nullement suffit et dans ses manifestations publiques, on voyait François Hollande arriver à la fin, n’ayant rien entendu de ce qui s’était dit, et prononçant un discours roublard, finaud, apte à rassurer les militants en leur signifiant que rien d’important n’était changé dans la doctrine.

Dommage : Hollande est plus intelligent que la réputation que certains lui font. Mais dix ans à être essentiellement en contact avec les militants et à devoir gérer l’appareil n’est pas la meilleure position pour comprendre les changements de la société et flairer les nouveautés importantes. Pour ma part, j’ai été frappé du décalage entre le public que réunissait le PS et ce qui se disait, se questionnait, s’ébauchait au même moment dans d’autres lieux, des lieux associatifs notamment. D’un côté, propos convenus entraînaient applaudissements prévisibles, des réactions style chien de Pavlov, de l’autre, de véritables interrogations prenant à bras le corps les nouveaux problèmes. Pourquoi, cela ne circule pas ?

 

Là encore, il faut malgré tout revenir aux années Jospin. Ce dernier (et personnellement, je lui en suis reconnaissant) a effectué 2 changements structurels dans la société française.

 

Le premier avec la loi sur la parité (femme – homme) a tourné le dos à l’universalisme républicain abstrait. En effet la signification de cette loi consiste à dire qu’en ne voulant voir que le citoyen abstrait, on cache de graves discriminations. Il faut relire les critiques récurrentes adressées alors à cette loi (dont je regrette, pour ma part, qu’on n’ait pas dit qu’elle était temporaire et que son but consistait à devenir, à terme, inutile) : « c’est du communautarisme » a-t-on crié sur tous les tons. Je ne développe pas car je traite cette question dans mon (excellent, of course) livre L’intégrisme républicain contre la laïcité. Non mais, vous ne croyez pas quand même que vous allez tout savoir sans rien payer !

Pourquoi Jospin, au moment même où il a fait voté la loi sur la parité, a refusé de faire droit aux 2 rapports qui conseillaient de créer une Haute Autorité de Lutte contre les Discrimination (cf. mon livre précité) ? Outre que cela montre que le politique fait ce qu’il veut des rapports d’experts (et que ceux-ci peuvent, pourtant, avoir de bonnes idées !), la grave erreur de Jospin a consisté à refuser de relier parité de genre et diversité ethnico culturelle. Il a refusé de considérer que les discriminations ne portaient pas seulement sur le genre (le sexe), mais aussi sur des caractéristiques ethniques et culturelles. Et qu’il fallait lutter contre ces 2 sortes de discriminations.

 Là aussi, j’ai eu de pénibles débats avec des militants socialistes. « La couleur de la peau ne compte pas plus que la couleur des cheveux » me rétorquait-on. « La couleur des cheveux n’empêche personne de trouver un logement ou un emploi, la couleur de la peau, le prénom et le nom si » indiquais-je alors. Là, pas de réponse, mais aucune réelle prise en compte non plus.

Conséquence logique: lors du remaniement opéré en 2000, on a retrouvé Lang et Fabius, mais il n’y avait aucun ‘non blanc’ dans une France qui, pourtant, se diversifiait.

Résultat : ce que la gauche n’a pas fait, la droite l’a réalisé. Chirac a créé la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) en 2005 et Sarkozy a nommé 3 ministres ‘non blancs’ dont une à un ministère régalien (ce que les Britanniques n’ont jamais fait à ma connaissance). On peut crier au calcul politique, le fait est là. Le PS ne peut même pas dénoncer l’insuffisance de ces mesures. Indiquer par exemple que tous les Cabinets ministériels sont d’une blancheur à pâlir d’ennui. Non il ne peut le faire, puisqu’il n’a même pas  fait ce que la droite a accompli.

Or, aujourd’hui, la diversité culturelle est un défi essentiel pour la laïcité, comme l’a été le pluralisme religieux au XIXe siècle. L’articulation entre unité du lien social, nécessité de règles communes et diversité des cultures, et même (problème redoutable) des manières de vivre est la question sur laquelle il faut rapidement progresser si on veut ne pas être entraîné dans un choc des civilisations.

 

Le second changement structurel réalisé par Jospin a été la création du PACS, ce qui a tourné le dos à la représentation d’un ordre symbolique immuable. Là aussi, le débat a été vif et il continue de l’être, non sur le PACS lui-même qui est devenu un acquis, mais sur le passage au mariage entre personnes de même sexe, réalisé notamment au Canada et en Espagne.

Là encore il faudrait développer, je me bornerai à un constat que je trouve fait nulle part, et qui me semble pourtant capital : de toute façon, il se produit depuis quelques décennies, une mutation de grande ampleur dans l’ordre symbolique puisque le mariage (hétérosexuel) est largement déserté, que le fait de vivre en couple sans se marier n’est plus du tout socialement contestataire. Le paradoxe est là : les personnes de même sexe demandent à pouvoir se marier au moment même où (à part des prêtres) des personnes de sexe différent ne souhaitent plus tellement le faire.

Existe-t-il une morale naturelle valable pour tous les temps, tous les lieux, et quelle que soit sa croyance?  L’Eglise catholique répond oui. Le divorce, la contraception, la possibilité de l’IVG, la création du PACS sont autant d’éléments d’une réponse socialement négative (ce qui n’empêche personne de répondre oui, à titre personnel ; mais effectivement réduit cela à une opinion personnelle).

Le dissensus entre la société laïque et le catholicisme officiel est là, beaucoup plus que dans les « dogmes » du catholicisme, malgré ce qu’a cru Voltaire et (à sa suite) l’anticléricalisme dominant en France.

Le PACS est un aspect essentiel de ce que Danièle Hervieu-Leger appelle (d’un nom savant) l’ « exculturation » du catholicisme (Catholicisme, la fin d’un monde, Bayard, 2003). Mais, au-delà du problème explicite de la morale naturelle, cela signifie qu’il n’existe pas de représentation immuable de l’ordre symbolique social, c'est-à-dire de la façon dont se structure les éléments de référence d’une société. La représentation du mariage fait partie de ces éléments de référence, mais aussi la représentation du public et du privé.

 

Quand il a été affirmé historiquement que la laïcité mettait la religion dans la sphère privée, cela signifiait qu’elle n’était plus imposée d’en haut, par le pouvoir politique, par l’ordre institutionnel mais qu’elle devenait un choix privé, une option personnelle. La religion ne faisait pas d’ailleurs (elle s’en est aperçue ensuite) une si mauvaise affaire : la sphère privée était en train de se développer et apparaissait symbole de liberté : l’individu ordinaire, étroitement encadré par des notables et diverses autorités dans la société traditionnelle, était en train de devenir un individu moderne (partiellement) maître et responsable de ses choix.

Il s’est produit une privatisation de l’institution religieuse. Mais cela n’a jamais signifié que la religion était confinée dans un espace privé (un espace domestique). Au contraire, avec la loi de séparation de 1905, la religion, comme réalité associative (c'est-à-dire sur une base volontaire et libre), a été beaucoup plus libre de se mouvoir dans l’espace public que sous le Concordat et les Articles Organiques. Avant 1905, les évêques français ne pouvaient s’exprimer librement, ils ne pouvaient pas se réunir. Après si, pour peu que le pape ne les empêche pas de le faire ! Et Eglises et religions prennent des positions publiques de façon récurrente.

Donc en général, quand on dit que la religion doit se cantonner au privé, on méconnaît la pratique constante de la laïcité Comme d’habitude, croire à un ordre symbolique immuable, abouti en fait à une représentation rétrécie (donc fausse) de cet ordre.

  

Ceci dit, il s’est produit d’importants changements ces dernières décennies. Historiquement, les institutions séculières (école, médecine,…) se sont vu transférer une partie de l’encadrement normatif qu’opérait les institutions religieuses (cf la longue citation de Nicolet faite dans ma Note du 26 juin). Et ces institutions séculières sont atteintes aujourd’hui par un (relatif mais réel) processus de privatisation qui change la donne et complique le rapport du religieux au privé et au public. Voila le second défi fondamental de la laïcité au XXIe siècle.

 

Cela vaut la peine de développer cet aspect, totalement non pris en compte par la gauche, et le PS en particulier, et qui s’avère une des causes les plus importantes de son déficit de réflexion en matière de laïcité. C’est pourquoi j’ai commencé, il y a quinze jours, une série de Notes sur les mutations de la médecine et (en particulier) du rapport médecine-religion quant à la mort. A partir de la semaine prochaine, ces Notes vont continuer et permettre de comprendre pourquoi il n’existe pas plus d’ordre symbolique immuable quant au public/privé que quant au mariage.

Je vous souhaite chaleureusement (en France, ces jours ci, on en a bien besoin !), un très bel et passionnant été.

Votre Jean Baubérot

12:25 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Je n'apporte pas un commentaire à votre texte, par manque de temps pour la réflexion, aujourd'hui.
Cependant - vous ne m'en voudrez pas, j'espère - je vais utiliser cet espace pour vous dire mes interrogations au sujet de la décision prise en son temps par Jack Lang d'accorder une meilleure place à l'enseignement des religions dans le cadre de l'Education Nationale. Rien à redire sur le principe.
Mais je viens de découvrir dans ma grande naiveté que des instituts subventionnés par l'Etat, partenaires d' Universités confessionnelles, prennent en charge la formation d'enseignants pour expliquer le fait religieux et font appel à des organismes privés pour construire du matériel pédagogique. Un de leur responsables déclare que la grande majorité de ses stagiaires
est rattaché à l'enseignement privé.
Soucieuse de tolérance et d'ouverture d'esprit, j'ai toujours enseigné les différentes religions dans le respect des programmes comme l'avaient fait pour ma génération les maîtres des collèges. Ces programmes contrairement aux critiques qui pleuvent de plus en plus dans les médias ont, depuis des lustres, accordé une part tout à fait décente aux religions hormis peut -être pour le bouddhisme qui était au programme de 5e dans les années 70 et qui en a disparu, et les chamanismes. Mais ce ne sont pas leurs thuriféraires qui s'en plaignent,que je sache. Nous ne pouvons aborder aucune civilisation sans prendre en compte l'aspect religieux.Les cours fondés sur l'étude de documents iconographiques entre autres s'ajoutent aux leçons spécifiques pour compléter la connaissance de diverses religions. Les manuels sont très bien faits. Le problème serait plutôt la lourdeur des programmes.
Alors, je m'interroge sur le bon emploi de l'argent de l'Etat
dans ce domaine. Il ne faudrait pas que cette mesure soit contre-productive. J'espère que vous pourrez, si vous le souhaitez, m'indiquer les sources pour dresser un panorama de la situation.
Et merci encore pour votre blog.

Écrit par : hibis 91 | 11/07/2007

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