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03/07/2007

JUSTICE ISLAMOPHOBE ?

Les tribunaux administratifs contre l’esprit et la pratique de la loi de séparation

MARDI 10 JUILLET : UNE NOUVELLE NOTE: LE PARTI SOCIALISTE, LA RENOVATION ET LA LAÏCITE.

Tout d’abord puisque les vacances arrivent ou approchent, je vous recommande les deux romans policiers historiques de Jacques Neirynck : Le crime du prince de Galles (10/18, collection : Grands détectives n°4046) ; La mort de Pierre Curie (idem, n° 4045).

Attention, malgré la numérotation, il vaut mieux les lire dans cet ordre : en effet Le crime du prince de Galles, dans l’histoire du héros détective créé par Neirynck (Raoul Thibaut de Mézières), est un épisode qui se passe AVANT  l’enquête sur la mort de Pierre Curie : il est probable que 10/18 a inversé l’ordre de la publication à cause de la notoriété de Pierre Curie qui est apparu un bon plan pour lancer l’auteur ; en tout cas c’est ainsi que cela fonctionne habituellement dans les maisons d’édition).

Les 2 livres sont de lecture agréable : d’une part les personnages s’avèrent bien campés et crédibles l’atmosphère de l’époque est bien rendue, le contexte politique, social, culturel évoqué juste ce qu’il faut ; la réalité historique et la fiction se trouvent mariés avec bonheur ; d’autre part l’écriture est alerte avec de fines pointe d’humour. Enfin le suspens, ingrédient indispensable de tout bon roman policier, est présent, même si ce n’est pas le plus important.

Passons maintenant à quelque chose de beaucoup moins réjouissant. Dernièrement, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le bail emphytéotique signé entre la mairie de Montreuil et une association musulmane et qui devait permettre la construction d’une mosquée. Une autre affaire semblable existe à Marseille et des décisions similaires ont déjà été prises. Rappelons qu’un bail emphytéotique est un bail qui peut avoir une durée de 99 ans ; il peut être consenti (et c’était le cas dans les affaires de construction de mosquées) pour un loyer d’1 € symbolique (autrefois 1 Franc).

Je ne suis pas professionnellement juriste et je ne me placerais donc sur un plan historique : l’histoire de la rédaction de la loi et de son application. Il me semble que les tribunaux devraient prendre en considération ces 2 aspects dans leur interprétation de la loi.

Certes la loi de 1905, dans son article 2, refuse que la République salarie ou  subventionne les « cultes » (terme juridique désignant les religions en France). Ces deux aspects sont une application concrète du fait que cet article met fin au régime de cultes ou de religions reconnues. Cela est précieux et doit être conservé : il n’y a aucune religion (si peu que ce soit) officielle en France.

Comme on le sait, cet article 2 est précédé de l’article 1 indiquant que la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte. Le verbe « garantir » est fort : la République ne fait pas qu’admettre ou respecter le libre exercice du culte. Non, elle est responsable de son bon fonctionnement : ce libre exercice fait parti des « valeurs de la République », si souvent invoquées ces dernières années.

Peut-il exister une contradiction entre la garantie du libre exercice du culte et le principe de non salariat et de non subventionnement ? Si oui, qui doit l’emporter ? Ces questions se sont posées dés le débat sur l’article 2. Et la réponse donnée a été claire : Oui, il peut y avoir une contradiction ; et là c’est l’article 1 (la garantie du libre exercice) qui doit l’emporter sur l’article 2 (le non subventionnement). Autrement dit : il peut y avoir des dérogations au principe de non salariat et de non subvention s’il s’agit, non pas d’officialiser une religion mais d’assurer son libre exercice qui ne fonctionnerait pas véritablement autrement.

En effet, l’article 2 lui-même après avoir posé le principe que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » indique : « Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels que lycées, collèges, écoles, hospices asiles et prisons ».  Cette phrase finale de l’article 2 est souvent (significativement) ‘oubliée’ quand on cite cet article. Elle en fait pourtant intégralement partie.

 

 

La liste indiquée n’est pas exhaustive (« tels que ») : elle a été étendue ensuite à l’armée (en 1905 l’affaire Dreyfus n’était pas encore terminée et donc mentionner explicitement l’armée aurait été inopportun). Tout au plus peut-on remarquer qu’il s’agit de lieux clos (les collèges et lycées comportaient alors pratiquement tous un internat). Quand on est malade, prisonnier, interne, soldat, il peut être difficile, voire impossible de se déplacer pour aller assister à un office religieux. Les législateurs de 1905 ont donc considéré, dans le souci que la garantie de la liberté de culte ne soit pas simplement formelle, qu’alors la République se devait d’assurer, en quelque sorte, à domicile, le libre exercice du culte.

 

On a raisonné par analogie lors du développement de la radio et de la télévision : les religions, qui possèdent un nombre consistant d’adeptes, ont droit à des émissions sur France culture et France 2. Cela rentre dans le cahier des charges du service public. On me chicanera sur mon expression de « nombre consistant d’adeptes » : c’est l’habitude, quand on veut paralyser une situation de se placer dans une logique absolue du tout ou rien.

Ainsi on va dire qu’il peut exister un nombre infinie de religions et donc qu’il est impossible d’accorder telle choses ou telle autre. Mais on n’est jamais dans le tout ou rien ni dans l’égalité absolue en prenant un seul paramètre : tout est pondéré dans la vie sociale. Il n’est pas pensable de traiter concrètement exactement de la même manière une religion qui a quelques centaines ou quelques milliers d’adeptes et une religion comme l’islam qui en a plusieurs millions. L’important est alors de se servir de critères qui, comme le critère quantitatif, n’impliquent pas de jugement de valeur.

 

 

Bref, de la fin de l’article 2 et de son application extensive, il ressort que principe de non subventionnement et même de non salariat est limité par le principe de libre exercice. Quand ce principe ‘ni salaire ni subvention’ empêcherait la République de garantir réellement le libre exercice du culte, il peut légitimement être transgressé et il l’est effectivement de différentes manières.

D’ailleurs, lors des séances consacrées à la loi de 1905, quand la Chambre a débattu de la mise à disposition de lieux de cultes ), édifices publics (églises, temples, synagogues) aux associations qui devaient se constituer pour l’exercice du culte, certains députés ont fait remarquer que seul le paiement d’un loyer serait conforme, stricto sensu au principe de non subvention. La majorité de l’Assemblée ne les a pas suivis et a voté la gratuité de cette mise à disposition (article 13).

 

 

Enfin pour terminer avec le processus de séparation lui-même il faut dire que des lois complétant la loi de 1905 ont été votées en 1907 et 1908. La loi du 13 avril 1908 énonce que « l’Etat, les départements et les communes pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifies du culte dont la propriété leur est reconnu par la loi » (article 5) ; mesure que la loi du 25 décembre 1942 (et qui n’a été abrogée à la Libération) étend cette possibilité aux autres édifices du culte (article 2).

Ainsi non seulement la mise à disposition est gratuite, mais les réparations sont faites par la collectivité publique. « Cette obligation, écrit le juriste Claude Durand-Prinborgne, dans un contexte d’urbanisation de la population, entraîne pour de nombreuses communes rurales des charges financières très lourdes »[1]. En fait, il ne s’agit pas stricto sensu d’une obligation, mais d’une pratique très habituelle dont profite principalement l’Eglise catholique et ses milliers d’églises.

 

La pratique libérale de la loi de séparation s’est aussi notamment traduite par des baux emphytéotiques consentis par des communes à des associations cultuelles et portant sur des terrains destinés à la construction de nouveaux édifices du culte. Cette pratique s’est développée dans les années 1930 sans que le gouvernement de Front Populaire dirigé par Léon Blum y trouve à redire, au contraire : « les instructions alors données par le ministre de l’Intérieur (sur les directives du président du Conseil) au préfet de la Seine ont été de ne pas faire opposition aux délibérations d’approbation des baux prises par les conseils municipaux soucieux de permettre l’exercice des cultes dans les agglomérations nouvelles »[2]

 

En 2004, le Rapport du Conseil d’Etat mentionne d’ailleurs ce précédent et indique que la pratique du « bail emphytéotique conclu pour un coût symbolique (…) est aujourd’hui encore d’application courante pour des églises, mais aussi des mosquées, des temples et des synagogues ».  Il précise, cependant que, « cet instrument efficace et précieux » se développe « dans un contexte juridique incertain »[3].

 

Briand avait indiqué qu’ « en cas de silence des textes (de la loi de séparation) ou de doute sur leur portée, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur ». Très curieusement les tribunaux administratifs tournent actuellement le dos à cette solution libérale, rendant impossible la continuation de pratiques qui ont cours depuis des décennies et ont permis de construire plusieurs centaines d’édifices religieux.

 

Les plaintes déposées ne le sont nullement par des organisations laïques. En effet celles-ci, légitimement vigilantes sur des subventions qui, de manière explicites ou sournoises, réintroduiraient une certaine « reconnaissance » des cultes, sont tout autant soucieuses que la République garantisse effectivement le libre exercice du culte. A juste titre, selon moi, elles préfèrent une application libérale de la loi de 1905 à sa modification.

Les plaintes émanent du parti d’extrême droite de Bruno Mégret, le Mouvement National Républicain, qui prétend lutter contre « l’islamisation de notre pays » en luttant contre un libre exercice réel du culte musulman. Il ne s’agit donc absolument pas de défense de la laïcité, mais bien plus d’islamophobie.

Il est donc étonnant que le tribunal administratif , au contraire du Conseil d’Etat, choisisse une interprétation de la loi de 1905 en contradiction complète avec son esprit, tel qu’il s’est manifesté et par les débats de l’époque et par la pratique subséquente et fasse droit à de telles plaintes.

Si l’application de la loi devient ainsi contraire à ce que la loi a voulu être, à ce qu’elle effectivement été pendant un siècle, il n’y aura plus d’autre solution que de rétablir « la pensée du législateur » en prenant les dispositions législatives nécessaires. Cela ne nécessite pas forcement une modification de la loi de 1905. Un simple complément suffit.

Pour respecter l’égalité entre ‘croyants’ et ‘non croyants’, je suggère que ce complément aille dans deux directions.

D’une part, après avoir rappelé que les associations cultuelles ne peuvent recevoir de subventions de l’Etat, des départements et des communes la disposition législative devrait indiquer que les baux emphytéotiques conclus pour un coût symbolique pour des édifices affectés au culte public ne sont pas considérés comme des subventions.

D’autre part  cette disposition devrait étendre, comme cela se fait déjà en Belgique, à des « conseillers humanistes » les dispositions de l’article 2 sur les aumôneries. Il serait normal que des malades où des prisonniers qui veulent réfléchir au sens de la vie, à des questions existentielles, en dehors des traditions religieuses puissent le faire au même titre que les « fidèles » des grandes religions.

Ainsi, sur un point essentiel, on pourrait mettre fin au débat sur la loi de 1905 que la décision du tribunal administratif a fait malencontreusement rebondir.

 

PS du 5 juillet : Merci à M. Lherbier-Levy pour son substantiel et intéressant commentaire. Je conseille à tous les internautes qui liront cette Note de lire aussi ce commentaire qui apporte le complément juridique indispensable. Je leur conseille aussi de cliquer sur le nom de l'auteur pour aller sur son Blog de droit des religions.

 



[1] Cl. Durand-Prinborgne, La laïcité, Paris, Dalloz, 1996, 108.

[2] Collectif, Liberté religieuse et régimes des cultes en droit français. Nouvelle édition, 2005, Paris, Cerf, 1077.

[3] Conseil d’Etat, Rapport public 2004. Un siècle de laïcité, Paris, La Documentation française, 2004, 391.

10:00 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Le contenu de ce billet, plus que son titre délibérément provocateur j’imagine, a retenu l’attention du juriste.

Arrêtons-nous quelques instants sur la portée du jugement rendu par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, n° 0306171, 12 juin 2007, Mme V.).

Le Tribunal administratif a annulé le bail emphytéotique signé entre la commune de Montreuil et l'association musulmane porteuse d'un projet de construction d'une mosquée, en considérant ce contrat concédé pour un euro symbolique par an comme une subvention déguisée.

Dans son jugement, le Tribunal énonce : « Considérant que selon ses statuts la fédération culturelle des associations musulmanes de Montreuil a en particulier pour objet " d'acquérir, louer, construire, aménager, gérer et entretenir des édifices servant au culte " ; que par une délibération du 25 septembre 2003 le conseil municipal de Montreuil a décidé d'attribuer par bail emphytéotique en contrepartie d'une redevance symbolique d'un euro, un terrain d'une superficie de 1693 m² en vue d'y édifier une mosquée ; que la facilité ainsi consentie consiste à reporter dans le temps la contrepartie de la mise à disposition à titre gratuit du terrain par la ville jusqu'à l'expiration du bail de 99 ans date à laquelle la fédération culturelle des associations musulmanes de Montreuil aura la possibilité d'acquérir ces biens ; que cette facilité apparaît manifestement assimilable de par ses caractéristiques financières, à l'octroi d'une subvention ; qu'ainsi la délibération attaquée méconnaît les dispositions de l'article 2 précité de la loi du 29 décembre 2005 ; que par suite Mme V. est fondée à en demander l'annulation ; ».

On regrettera tout d’abord une rédaction du jugement un peu trop rapide, la coquille « loi du 29 décembre 2005 » en témoigne.

Ensuite, le raisonnement du Tribunal est fondé exclusivement sur les dispositions de l’alinéa 1er l’article 2 de la loi de 1905 interdisant le versement de subventions aux cultes auxquelles le juge administratif donne une portée très générale.

Toutefois, le projet litigieux ne nous semblait pas contrevenir à ces dispositions mais plutôt à celles de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales qui énoncent : « Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet, en faveur d'une personne privée, d'un bail emphytéotique (…) en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence(…) ».

L'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques est venue « régulariser » la possibilité offerte aux collectivités territoriales de faire usage du régime des baux emphytéotiques dans le but de permettre la construction d’édifices dédiés au culte par une association cultuelle. L'article 3 de cette ordonnance prévoit désormais la possibilité de conclure des baux en vue de « l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ».

En avril 2007, le Tribunal administratif de Marseille (TA Marseille, n°0605998, 17 avril 2007, M. Hubert S. et M. Bruno M. c/ Ville de Marseille) a considéré que « les dispositions nouvelles de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales qui ont pour objet de faciliter la construction et l'affectation des immeubles à l'exercice des cultes en permettant aux collectivités territoriales de conclure des baux emphytéotiques avec des associations cultuelles ne portent pas atteinte, par elles-mêmes à l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ».

Toutefois et toujours selon le Tribunal, « la conclusion par une collectivité territoriale d'un bail emphytéotique au sens de l'article L. 1311-2 du code précité en vue de l'affectation à une association ayant une activité cultuelle d'un édifice de culte ouvert au public ne peut avoir légalement pour objet ou pour effet de procurer à cette association une subvention directe ou indirecte ; qu'ainsi, la détermination du montant du loyer annuel prévu par un tel bail doit résulter de la prise en compte d'une part, notamment, de la valeur du bien donnée à bail, valeur diminuée par la nature même du bail emphytéotique administratif conclu pour l'affectation d'un édifice du culte ouvert au public et, le cas échéant, par les clauses limitant l'étendue des droits réels consentis et d'autre part, notamment, de la valeur du bien de retour à l'échéance du contrat ; »

Autrement dit, le recours à la technique du bail emphytéotique pour la construction d'un édifice cultuel risque d’être rendu très difficile.

Écrit par : Lherbier-Levy | 04/07/2007

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