26/06/2007
LA MEDECINE, UNE OBLIGATION MORALE REPUBLICAINE?
(mais on alternera parfois avec d’autres Notes)
Depuis longtemps, je suis très intéressé par le lien entre laïcité et médecine[1] Pourtant, autant un lien est effectué entre laïcité et école, autant cela semblait incongru quand je parlais de la relation entre laïcité et médecine. Or depuis 2003, au contraire, par le biais très important de l’hôpital, c’est une question à l’ordre du jour de l’actualité (cf le discours de Chirac du 17/12/03 et, nous l’avons vu, le rapport du Haut Conseil à I'Intégration sur la Charte de la laïcité).
Le problème considéré comme le plus épineux est le refus de certaines femmes dites musulmanes (on ajoute sur la pression de leurs maris, ce qui me semble à moitié vrai et à moitié faux) d’être examinée par des médecins (et notamment des obstétriciens ou des gynécologues hommes.
Plusieurs articles ont paru dans les médias, notamment un dans Elle, « Les gynécos face à l’intégrisme » (20 novembre 20006) qui rapporte l’affiche déposée à l’hôpital de Gonesse (dans le 93) : « Nous vous précisons qu’en tant que service public, nous garantissons un égal accès aux soins et traitements sans discrimination ni préférence. En contrepartie, vous ne pouvez pas exiger pour des raisons personnelles, culturelles ou religieuses, une prise en charge essentiellement féminine » (ce qui signifie que le service privé ferait de la discrimination et que le fait de ne pas en faire impliquerait une contrepartie !)
Or, quelle que soit l’opinion que l’on a sur cette question, il existe un biais idéologique : on fait comme si la question était nouvelle et ne se posait qu’à cause d’un problème et d’une religion, l’islam (= l’intégrisme permet de ne pas le désigner, mais tout le monde traduit et l’exemple donnée est celui d’une femme musulmane), cet empêcheur de tourner en rond de la laïcité !
Or dés 1982, c’est une problématique beaucoup plus large qu’amorçait Claude Nicolet dans son ouvrage devenu classique : L’idée républicaine en France publié chez Gallimard. Il vaut la peine de citer longuement les pages 310-311. Voici la citation (un peu longue, excusez moi; mais dense et à ruminer:« (…) Par rapport aux autres pays du même type, l’Angleterre, l’Amérique et l’Allemagne essentiellement, l’idéologie républicaine apporte quelque chose de plus : le sentiment affirmé d’être une forme d’organisation politique qui non seulement favorise la science, mais, en grande partie dépend d’elle.
Elle en dépend pour achever d’abord de se libérer des dernières prétentions du dogmatisme religieux à régler la vie civile et intellectuelle des citoyens.
Elle en dépend pour assurer d’un point de vue matériel et pratique, un certain nombre de conditions, médicales par exemple, qui lui semblent indispensables non seulement pour des raisons humanitaires ou utilitaires, mais encore pour sa propre réalisation en tant que régime.
J’insiste un peu sur ce point qui me paraît typique. Dans le principe, rien ne sépare apparemment le recours à l’hygiène et à la médecine dans la plupart des pays occidentaux au cours du XIXe siècle : les enquêtes sur l’état sanitaire des populations, sur l’insalubrité ou l’alcoolisme sont à peu prés contemporaines et à peu près convergentes dans tous les pays. Leur rapport avec la « démocratie » ou même avec le système politique -par exemple le representative government chez Stuart Mill- est même bien marqué en Angleterre. Mais nulle part ailleurs qu’en France il ne deviendra aussi nettement une obligation morale liée à la nature d’un régime politique précis.
Toute l’œuvre politique et scientifique d’un Raspail, mais aussi d’un Clemenceau, est centrée sur cette donnée. Or la tendance n’est pas nouvelle ni fortuite : un des premiers « catéchismes » républicains, celui de F. Lanthenas, connu aussi pour son projet sur l’enseignement, en 1795, accorde une part considérable, dans cette morale , à l’hygiène et à la médecine[2].
Science et morale
Ainsi pour les républicains français, il n’y a pas de neutralité de la science, puisque la République est à la fois la condition nécessaire du développement du savoir le plus libre possible, et le régime qui fait des applications du savoir et de son intégration dans une morale la condition même de son existence et de son maintien. »
Fin de citation
(La sélection de mots en gras provient de J. B.)
C .Nicolet relie donc étroitement le rapport politique au religieux et le statut différent de la science et de la médecine en France et dans d’autres pays. :
L’expression qu'il utilise de « dogmatisme religieux » est (significativement) l’adoption de la terminologie des acteurs du XIXe siècle = il s’agit de la religion comme pouvant donner des normes de vie. Mais ce refus du « dogmatisme religieux », de l’imposition de normes religieuses concerne-t-il la vie sociale (il s’agit alors effectivement de laïcité) ou s’étend-il également à la vie personnelle (là on tend vers l’athéisme d’Etat) ?
Nicolet ne clarifie guère son propos (il parle des « citoyens » ce qui, certes, dissocie des personnes privées, mais en parlant des individus eux-mêmes et non de la vie sociale, des normes sociales, il laisse entendre que cela peut aller jusqu’à la vie individuelle, et c’est bien souvent ce qui étonne dans le regard étranger sur la France : la facilité avec laquelle ici des questions de vie quotidienne sont directement intégrées à la sphère politique).
Donc C. Nicolet n’est pas clair, peut-être parce que ce n’est effectivement pas clair dans les dossiers qu’il a étudiés et que l’idéologie républicaine se situe souvent entre laïcité et athéisme d’Etat.En tout cas, la comparaison avec l’Angleterre est, dans cette perspective ouverte par Nicolet, fort intéressante : on a la prédominance d’une laïcisation du côté français ; et la prééminence d’une sécularisation (qui a cependant une dimension laïcisatrice cf le representative governement) de l’autre.
Des 2 côtés, en devenant des sociétés modernes, on « favorise la science », et donc même en Angleterre cela signifie un certain détachement du politique par rapport à la religion. Et un lien (= valeurs de la modernité) existe entre médecine et démocratie. Mais ce lien est structurellement différent s’il s’agit d’une dominante sécularisatrice ou d’une dominante laïcisatrice.
Ceci indiqué, il faut préciser que les différences culturelles entre médecine anglaise et médecine française existent et sont antérieures au XIXe siècle et s’enracinent sans doute partiellement dans des différences de culture religieuse. Roselyne Rey, dans son Histoire de la douleur (La Découverte, 1993), indique qu’au XVIIe siècle, il existait un contraste entre médecins anglais qui tendaient à utiliser des médicaments comme le laudanum, à base d’opium, pour combattre la douleur (idem pour les médecins hollandais) et les médecins français qui tendaient à refuser cette utilisation et accordaient beaucoup moins d’importance au soulagement de la douleur (p. 100).
Roselyne Rey commente alors en disant que les arguments mis en avant ne sont pas « théologiques » mais renvoient "à des conceptions scientifiques différentes » (p. 103) et que les médecins français ne pensaient pas être mus par des options religieuses. Cependant « une idéologie scientifique aboutissant à reléguer au second plan le soulagement de la souffrance peut fort bien, sans en avoir tjrs conscience, se nourrir d’une idéologie religieuse » (p.104).
Mais revenons aux analyses de Nicolet. Pour lui la grande différence entre les 2 pays est la suivante : L’idéologie républicaine (française) non seulement « favorise » la science « mais en grande partie dépend d’elle » et notamment « pour sa propre réalisation en tant que régime (politique) » ; la médecine devient politiquement une « obligation morale » (cf. aussi : « les applications du savoir et de son intégration dans une morale » = la « condition même » de l’existence et du maintien de la République.) :
La laïcisation tend à rendre moralement facultatif les devoirs religieux, mais en effectuant un transfert qui tend à rendre moralement obligatoire les devoirs médicaux. Car de même que les devoirs religieux légitimaient politiquement la société de monarchie de droit divin, les devoirs médicaux légitiment politiquement la République de droit scientifique.
Il y a séparation opérée par le politique vis-à-vis du religieux d’un côté (= le religieux ne présente plus, sur le plan moral, d’utilité sociale), et de l’autre union étroite du politique et d’un ensemble science et morale, d’une science morale, d’une science obligation morale.
Il existe un impensé sous la plume de Nicolet : il parle d’un côté de « dogmatisme religieux » et, à bien d’autres moments de l’ouvrage, du Catholicisme ou même des « Eglises ». Donc, il n’ignore pas les institutions religieuses, ce sont même ces institutions qui font problème à la République (et pas une religiosité a-dogmatique parce que non institutionnelle). En revanche, reliant directement médecine et science (comme démarche intellectuelle), Nicolet fait l’impasse sur l’institution médicale, sur l’institutionnalisation de la médecine.
De même que la légitimation religieuse de la monarchie allait de pair avec des privilèges pour « l’Eglise », de même la légitimation médicale n’est pas sans conséquence pour l’institution médicale.Cette question est essentielle, et le lien mis entre science et morale, l’intégration dans une morale de l’application du savoir « l’obligation morale » du recours à la médecine fait de la médecine (encore plus en France qu’ailleurs) une institution de socialisation, et plus spécialement une institution de socialisation républicaine, de socialisation politique.
Donc, il y a bien pour soutenir et légitimer la République laïcisatrice, deux institutions de socialisation l’école (et cela, on le dit classiquement) et la médecine (et souvent quand je dis que la médecine est une institution de socialisation, on me regarde avec des yeux ronds, parfois de beaux yeux d’ailleurs).
A ce propos, il est très intéressant que C. Nicolet rappelle en passant que Lanthenas est à la fois l’auteur d’un projet sur l’enseignement et le rédacteur d’un catéchisme républicain qui prône une régénération morale et physique grâce à la médecine.
(A suivre)
Ah non, allez vous me dire : "la République, la Religion, la Médecine, la Science sont bien apparues dans votre propos, mais où est la Mort, où est la Sexualité, je vous le demande ? Or ce sont elles que l’on attendait. Vous nous avez aguichés puis vous nous avez livré un propos ardu. Si vous croyez être invité à « On n’est pas couché » (cad, pour les incultes : la grande émission culturelle de France 2, de notre magnifique service public!) en étant aussi rébarbatif, vous vous mettez le digitus in occulo."
Patience, patience, le meilleur viendra dans les prochains épisodes,….
[2] F. Lanthenas, Nouvelle déclaration de la morale républicaine et des devoirs de l’homme et du citoyen…, Paris 23 floréal an III, 1795, qui insiste sur la régénération physique et morale de l’homme. Le rôle des médecins –Raspail, Littré, Clemenceau, Paul Bert, Audiffrend, Robinet, Sénérié, Lanessan, Combes, et d’autres encore –dans le parti républicain est un trait frappant, souvent relevé. (Note de Nicolet)
19:25 Publié dans LAÏCITE, MEDECINE, ECOLE | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Un monde parfais, une république parfaite, tous égaux, tous pareils.
Mais l'homme est un papillon emporté par le vent, qui voit l'argent publique flamber dans les restaurants par quelques mandarins pendant que l'honnête homme subit la torture. Comment imaginer que l'on puisse effacer mon ou un passé pour quelques bas intérêts ?
La république n'existe plus, c'est la seule raison pour laquelle quelques sociétés archaïques occupent l'espace laissé libre.
Écrit par : temps | 26/06/2007
La science d'aujourd'hui est capable de remonter l'origine des religions jusqu'aux données atomiques universelles.
Il faut savoir que toutes les religions sont fondées ou passent par une croix à valeur d'équilibre.
La verticale = volume = vide = je reçois.
L'horizontale = masse = plein = je donne.
Toute personne équilibré participe à la valeur de la croix .
Je reçois et je donne tout aussi bien sur le plan physique que moral.
Cordialement
Écrit par : Rouzade | 27/06/2007
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