29/05/2007
L'IDENTITE NATIONALE ET LES COUCHES NOUVELLES DE LA REPUBLIQUE
Je reprends et termine (car j’ai d’autres Notes –passionnantes, n’en doutez pas !- en tête) la petite série de Notes sur l’identité nationale. Donc accrochez-vous, cela risque d'être un peu long. Mais la question est importante.
Je rappelle que les 2 précédentes Notes sur ce sujet datent du 9 mai et du 21 mai. Pour les retrouver facilement, cliquer dans la rubrique « Catégorie » sur « Laïcité et crise de l’identité française » et vous aurez, en déroulé, d’abord la seconde Note et ensuite la première : le monde étant à l’envers, cul par-dessus tête, je le remets à l’engauche (plus qu’à « l’endroit », vu mes convictions politiques) par ce moyen subtil !Résumé des 2 chapitres précédents :
Donc j’avais expliqué (Note 1) que le conflit qui a historiquement construit la laïcité française a porté sur l’identité nationale (2 visions de la France : la France « fille aînée de l’Eglise » catholique, la France moderne, fille de la Révolution française, porteuse des valeurs de 1789) ; mais aussi (Note 2) qu’avec l’importance et l’attractivité du marxisme et du communisme en France au XXe siècle, cela s’était redoublé un conflit politique sur l’identité nationale : la France, partie prenante à sa manière du « monde libre » (c'est-à-dire anticommuniste) ou « République bourgeoise » à libérer du capitalisme.
A ce propos, remarquons qu’on a jeté le bébé avec l’eau du bain : on ne lit plus Marx, on ne se réfère plus à Marx, et c’est bien dommage car beaucoup de ces critiques gardent une certaine pertinence : il faudrait savoir lire Marx sans être marxiste, pouvoir s’y référer sans en faire le critère de sa pensée. Mais de cela nous reparlerons peut-être une autre fois.
Pour le moment l’important est la conclusion à laquelle ma 2ème Note était parvenue : la défaite des laïques dans la « querelle scolaire » (1982-1984), le déclin du marxisme et la chute du Mur de Berlin (1989) font, que (globalement) au même moment se termine le double conflit sur l’identité nationale.
Suite des 2 Notes précédentes :
Mais la fin de ces 2 conflits ne signifie pas que, miraculeusement, l’identité nationale soit devenue l’objet d’un solide consensus. Au contraire, car le présent de chaque société est imprégné d’histoire. Et la conclusion qui peut être tirée du récit qui vient d’être résumé est la tension qui existe, en France, entre l’Etat et la nation.
L’Etat est une réalité ancienne et il s’agit d’un Etat unifié, qui se veut fort, centralisé. On a parlé de « monarchie absolue » puis de « jacobinisme » pour signifier cette volonté de primauté de l’Etat (et le jacobinisme, on l’oublie trop souvent, s’est emboîté sur la conception absolutiste de la monarchie et l’a perpétré d’une certaine manière).
Mais, autre impensé, c’est l’autoritarisme napoléonien qui a trié dans les changements opérés par la Révolution et a stabilisé ceux qu’il a choisi de conserver (souvent en les orientant à sa manière). Bien des aspects que les néo-républicains exaltent sont en fait des constructions de Napoléon Bonaparte, proviennent du Consulat et de l’Empire. Il y aurait beaucoup à dire sur l’école dite « républicaine » à ce propos.
Enfin, la IIIe République, elle-même, voulant s’installer comme régime définitif de la France (les 2 1ères n’avaient duré que quelques années) a utilisé ce triple héritage (monarchique absolu, jacobin, napoléonien). Odile Rudelle a inventé une expression intéressante, celle de « République absolue », dans un savant ouvrage paru en 1989 aux éditions de la Sorbonne.
Donc l’Etat est une réalité ancienne et forte. . En revanche, nous l’avons vu, la nation française s’est beaucoup divisée quant à la conception de son identité. L’identité nationale a été (notamment) profondément ébranlée par le processus de laïcisation. Mais inversement, les tentatives de ‘retour en arrière’ ont été vécues comme des « menaces » Les blessures des deux camps ne se sont que progressivement (et peut-être incomplètement) cicatrisées au cours du XXe siècle.
Cette identité nationale est donc fragile. D’où la tentation récurrente de créer une sorte de religion civile républicaine qui l’exalte, la magnifie, compense par de l’inflation idéologique sa fragilité historique. D’où également la volonté pour l’Etat (républicain) d’enseigner la nation par l’école.
Cela explique que les conflits les plus violents et les plus récurrents, concernant la laïcité, n’ont pas concerné le rapport religion-Etat, mais l’école, c'est-à-dire (en fait) le rapport (enseignant) de l’Etat à la nation.
Cela d’autant plus que l’identité nationale se relie, en France, assez directement au politique. Elle s’incarne, depuis 125 ans environ, à la fois par la République et la laïcité qui ne constituent pas seulement, dans ce pays, un régime politique et une gestion des rapports religion-Etat-nation dans la cité mais aussi, profondément des « valeurs », au sens sociologique du terme.
Longtemps conflictuelles, ces « valeurs » peuvent apparaître maintenant comme consensuelles, mais (nous venons de le voir) ce consensus est particulièrement fragile car il n’a que peu d’épaisseur historique.
Le rapport à la république et à la laïcité est donc un rapport facilement passionnel : derrière l’apaisement, le feu de la passion couve encore. Et il est nécessaire d’intégrer cet arrière fond de fragilité identitaire et de passion identitaire pour pouvoir analyser, de façon pertinente, la situation présente.
Cette situation est celle d’un troisième seuil de laïcisation. Elle a émergé des années 1960 à la fin des années 1980. Durand cette période, la France a subi, notamment, trois bouleversements que l’on peut typifier par trois dates : 1962, 1968, 1989.
La première date, 1962, est la fin de la guerre d’Algérie. Elle se termine par l’accession à l’indépendance de ce fleuron colonial de la France. La « Communauté », prévue par la Constitution de la Ve République, ne va pas exister ; c’est la fin de l’Empire colonial français. Car la République était aussi Empire et là à la citoyenneté correspondait la sujétition, à la laïcité une logique de communautés.
L’Etat républicain a socialisé les petits Français à la République en leur apprenant que celle-ci était aussi un grand Empire (plus grand encore que celui de Napoléon !) et, dans les ouvrages scolaires de géographie, il y avait des cartes du monde avec des tâches violettes qui montraient tous les territoire « français ». La « généreuse » France, nation universelle porteuse des droits de l’homme, était aussi la puissante France !
La seconde date, 1968, est celle de la révolte anti-institutionnelle des étudiants. Il se produit une mise en cause explicite des structures d’autorités (les sociologues constatent un changement implicite, un renversement des indicateurs à ce sujet à partir de 1965), notamment de l’autorité à l’école. Or puisque par l’école, telle qu’elle fonctionnait jusqu’alors, l’Etat enseignait la nation, cette contestation atteint (indirectement) l’Etat républicain, en son pouvoir d’enseigner, de socialiser la nation.
Ce n’est pas pour rien que Nicolas Sarkozy a terminé sa campagne par une diatribe contre Mai 68. Paradoxalement, c’était moins éloigné que cela en avait l’air de l’invocation de Jaurès et de Blum. Ou plutôt, c’était (de son point de vue) plus rassembleur : non seulement la droite déteste les contestations de Mai 68, mais la gauche néo-républicaine elle-même tourne le dos à Mai 68, alors même que certains de ses membres connus ont été parmi les artisans de Mai 68.
Quand ils étaient étudiants, ces personnes ont contesté l’autorité a priori, l’autorité par essence. Devenus des personnes établies, satisfaites, installées dans la société, pour tout dire conformistes, ils estiment que ces salauds de jeunes n’ont pas a contester leur autorité, l’Autorité !
Mais, en fait même si l’utopie de 1968 a en bonne partie disparu, de l’irréversible a été créé. Et, précisément, cet irréversible désutopisée induit une profonde déstabilisation de « l’école républicaine », et donc une déstabilisation du rapport Etat-nation.
En 1989, on peut repérer, sur le plan international, deux événements importants aux conséquences « françaises » significatives.
D’abord, à l’automne, le mur de Berlin s’écroule, créant les conditions d’une nouvelle donne mondialisée, mais impliquant aussi un transfert de la menace ressentie. En effet, autre événement, en février, dix ans après le succès de la Révolution iranienne, et après 8 années d’une guerre très meurtrière menée par Saddam Hussein, soutenu par les Occidentaux (et en 1er lieu la France, y compris quand les socialistes étaient au pouvoir) et qui a contribué à radicaliser le régime iranien (cela on l’oublie significativement), a éclaté « l’affaire Salman Rushdie ».
Il s’agit, rappelons le, de la fatwa de l’imam Khomeiny condamnant à mort l’écrivain à cause de la manière irrespectueuse dont il parle de Mahomet dans Les Versets sataniques. Cette affaire a un grand retentissement dans les milieux de l’intelligentsia en France. Elle apparaît comme une menace pour la liberté de penser. Or la formation à la liberté de penser constitue, au niveau du référentiel républicain, la raison d’être de l’école publique laïque. Autant le communisme, même stalinien, n’avait pas vraiment été considéré par la majorité des enseignants (notamment les profs de philo) comme une menace pour la liberté de penser (certains partageaient même ses idéaux), autant « l’islamisme », symbolisé alors par l’Iran, va paraître menaçant.
L’idéologie laïque néo-républicaine n’est pas étrangère à cet état de chose. La religion politique du communisme présente des analogies avec la religion civile, républicaine. En revanche, l’islamisme, en ses diverses manifestations, rappelle la confusion du religieux et du politique, la revendication d’une domination du second, ce qui a été, non sans raison, pendant un bon siècle la bête noire de la laïcisation française.
Or, à la rentrée de 1989, éclate un problème de discipline (un parmi d’autres !), dans un collège de la banlieue parisienne à Creil : trois jeunes filles refusent, au nom de leur religion, l’islam, d’obtempérer à l’ordre du principal qui leur demande d’enlever, à l’intérieur de l’école, le foulard dont elles couvrent leurs cheveux.
A la surprise générale, cela devient une affaire nationale qui divise l’ensemble des tendances politiques. Commence alors un engrenage sont personne n’aurai la maîtrise et qui montre la mutation qui s’opère. Le foulard a servi de catalyseur aux trois problèmes dont il vient d’être question :
Il est apparu comme le symbole de la nouvelle menace islamiste contre la liberté de penser. L’arrière fond de l’affaire Rushdie est essentiel pourquoi l’existence de foulards à l’école fut beaucoup moins tolérée en 1989 que les années précédentes et pourquoi le retentissement national fut pratiquement immédiat. A tort ou à raison, le port du « foulard islamique » fut relié à la Révolution iranienne et à ses suites (le port du foulard est obligatoire en Iran, niant la liberté des femmes de le porter ou de ne pas le porter), à une menace contre les idéaux républicains et laïques, anciens (liberté de penser) ou très récents (égalité homme-femme).
Il est aussi apparu comme un effet ‘pervers’ de Mai 68. Après l’arrivée au pouvoir de la gauche, en 1981, celle-ci s’est profondément divisée sur la mission de l’école. Deux courants se sont affrontés : ceux que l’on a qualifié de « démocrates » et : ou de partisans de nouvelles méthodes pédagogiques et ceux qui se son, significativement, qualifiés de « républicains » et que j’appelle, moi, « néo-républicains ». Ces derniers tournant le dos à Mai 68.
En juillet 1989, le ministre de l’éducation nationale, Lionel Jospin, semble être allé dans le sens de premiers (les « démocrates ») avec une loi d’orientation pour l’école qui, entre autres, donnait certains « droits » aux élèves (dans le cadre général, existant à un niveau international, où des droits sont reconnus à l’intérieur même des institutions. Ainsi en 1974, une Charte des droits du malade hospitalier a été élaborée et en 2002 il y aura la loi Kouchner sur les droits des malades).
Ces changements étaient vigoureusement contestés par les dits « républicains » : pour eux, « l’affaire du foulard » constituait la conséquence logique, et inacceptable, de l’instauration d’un « droit des élèves ». Ils ont appliqué à ce problème leurs propos antérieurs (qui n’avaient rien à voir avec « l’islam »), mais, à partir du moment où « l’islam » était concerné, ont rencontré beaucoup plus d’impact auprès de l’opinion publique
Cet impact était non seulement du à la perception d’un « danger islamiste » mais aussi au choc en retour de 1962. La décolonisation s’est effectuée, en Algérie, de façon dramatique, violente (la guerre d’Algérie, avec les tortures que l’on sait). Beaucoup de Français n’ont pas véritablement compris ni assumé ce qui arrivait (après les avoir bassiné pendant des années sur « l’Algérie français », on leur a demandé de voter par référendum en faveur de l’indépendance de l’Algérie, ce qu’ils ont fait à une très grande majorité).
Certains ont eu une réaction sommaire envers les « Maghrébins » : ils ont maintenant leur indépendance, qu’ils ne nous ‘embêtent’ plus. D’autant plus que les mêmes cours de géographie de l’école apprenaient aux petits Français que l’Europe était le continent des blancs, l’Asie celui des jaunes, l’Afrique noire (comme son nom l’indique !) celui des noirs et l’Afrique du nord, la terre des Arabes. Donc la France républicaine était blanche (l’Empire seul était coloré : « perdant » l’Empire, on devait donc se retrouver entre blancs !).
Or l’affaire des foulards de Creil rend particulièrement visible que l’immigration provenant de pays dits « musulmans » a changé de nature. Elle n’est plus, comme cela fut longtemps le cas, une immigration temporaires d’hommes laissant leurs familles dans leur pays, y revenant périodiquement et ayant comme objectif d’y revenir un jour définitivement. Ces hommes pratiquaient, en général, un islam discret, socialement invisible et leur identité était celle de « travailleurs immigrés ».
Le mouvement migratoire signifie désormais (depuis le milieu des années 1970) l’installation permanente dans l’hexagone de populations (notamment) issues des anciennes colonies, subissant de plein fouet le développement du chômage, et qui commencent à avoir leurs propres revendications, y compris religieuses. Cela fut plus ou moins ressenti comme une « menace » contre l’identité française, contre cette « laïcité républicaine » dont après tant de vicissitudes, de conflits, d’efforts on avait réussi à faire un bien commun autour de valeurs (considérées comme) démocratiques.
Mais il n’a pas existé et, malgré la loi de mars 2004, interdisant les signes ostensibles (et en premier lieu le foulard) à l’école publique, on ne peut pas dire encore aujourd’hui qu’il existe un consensus sur ce sujet. Si les jeunes filles ont trouvé des défenseurs et si, depuis plus de quinze ans maintenant, les « affaires de foulard » ont gardé, en France, une importance qu’elles n’ont pas en général dans les autres pays démocratiques, c’est parce que les Français se sont profondément divisés (on cherche aujourd’hui, après la loi de 2004, à l’oublier).
Les partisans de la tolérance d’un foulard discret à l’école, entretenaient un autre rapport avec les 3 dates choisies comme points de repères. Du coup , ils considéraient que le port du foulard n’avait pas de signification univoque et ne se rattachaient forcément à un islamisme militant. Ils trouvaient également légitime que les élèves aient des droits. Ils privilégiaient, enfin, le combat contre un certain ‘retour du refoulé’ colonial, contre ce qui leur paraissait être un refus de considérer les enfants d’immigrés comme des Français à part entière.
Significativement, en 1990, deux manifestations réflexives sur la laïcité furent organisées par deux grandes organisations ayant joué un rôle historique dans l’établissement de la laïcité en France. La Ligue française de l’enseignement, qui prônait la tolérance envers le foulard, mettait en avant le mot d’ordre de « laïcité plurielle », alors que le Grand Orient de France, principale organisation maçonnique, parlait surtout de « laïcité républicaine ». Derrière le foulard, on voit donc, dés ce moment là, poindre un nouveau débat sur l’identité française : faut-il (option de la « laïcité républicaine ») continuer à prôner la conception « républicaine » de l’universel abstrait, du citoyen sensé être déconnecté de ses appartenances ou faut-il injecter (option de la « laïcité plurielle ») dans l’identité française une dose –et laquelle ?- de multiculturalisme. (ans un pays où ce multiculturalisme peut difficilement s'acclimater)
La Ligue a renoncé depuis au mot d’ordre de « laïcité plurielle », qui n’était pas dénué d’ambiguïté et provoquait des divisions internes. Mais la question qu’elle continue de poser avec obstination, voire courage, montre qu’elle interroge toujours l’universalisme républicain abstrait.
Dix sept ans après ces 2 colloques la conception dite « républicaine » l’a officiellement emporté avec la loi de 2004 dont les raisons ne sont pas essentiellement différentes de celles de 1989 (avec, en plus, le sentiment qu’il faut finir un conflit qui durait depuis quinze ans) :
- signifier un « coup d’arrêt » à l’islamisme qui, après la guerre civile d’Algérie (et ses répercutions en France) dans les années 1990, les attentats comme celui du 11 septembre 2001, apparaît menaçant à de plus larges couches de l’opinion encore qu’en 1989 ;
- intérioriser l’interprétation dominante du foulard comme dangereuse pour la liberté de penser et l’égalité homme-femme ;
- propager l’idée que les immigrés, leurs enfants, leurs petits enfants doivent s’adapter à la société française et non l’inverse (à ce niveau, le déclin social du catholicisme, et notamment le vieillissement de son encadrement clérical, renforce la peur de l’islam dans la mesure où la religion ‘indigène’ décline. Le thème de la « religion étrangère menaçante » est un grand classique que l’on retrouve dans beaucoup de sociétés à des époques très diverses, ce qui montre l’aspect identitaire de la religion).
A ces raisons, s’ajoute le fait que la « querelle des deux écoles » étant rapidement devenue de l’histoire ancienne mise aux oubliettes, la droite peut et veut désormais disputer à la gauche le rôle de meilleur défenseur de la laïcité (rapport Barouin en 2003).
Ces divers faits confirment la montée en puissance d’une conception identitaire de la laïcité, comme le montre également l’emploi, de plus en plus fréquent depuis l’affaire du foulard, de l’expression -non utilisée auparavant- de « laïcité exception française » ou encore l’inflation de l’expression « valeurs républicaines », comme si des monarchies constitutionnelles, voisines de la France (Espagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume Uni), membres, comme elle, de l’Union européenne, se référait à des valeurs structurellement divergentes (cf ma seconde Note). La montée d’une religion civile républicaine et s’affirmant laïque, réintégrant d’autant plus facilement le catholicisme comme « héritage » de l’identité nationale, que l’influence catholique s’est socialement affaiblie, est un fait peu analysé mais qui me semble sociologiquement incontestable.
Pourtant, cela ne signifie pas la fin d’un débat profond sur l’identité française, même si cela tend à le masquer. Ainsi la Commission Stasi qui proposa la loi de 2004, avait effectué d’autres propositions et, notamment, celle de modifier la répartition des jours fériés.
Actuellement, 5 ou 6 jours fériés sur dix ou onze (le statut du lundi de Pentecôte étant devenu incertain, nous venons encore de le voir hier) se rattachent à la tradition catholique (dont 3 ou 4 sont communs avec le protestantisme). La Commission proposait, quitte à réduire de 2 jours les grandes vacances, de rajouter à l’école, une fête juive et une fête musulmane. Pour les entreprises, elle proposait de créer un crédit de jours fériés où le choix des fêtes religieuses serait laissé à la disposition des salariés, après négociation avec leur entreprise.
Cette proposition n’a eu, pour le moment, aucune suite. Audacieuse, elle touchait à un point hautement symbolique de l’identité nationale française, que la séparation des Eglises et de l’Etat n’a pas remis en cause.
Sans doute, semblable mesure ne peut que couronner un processus plutôt que le précéder. Mais le seul fait que la Commission Stasi ait, à l’unanimité, effectué cette proposition, les débats récurrents (où Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs pris une position favorable) sur ce qu’on appelle, en France, la « discrimination positive » (traduction désobligeante, ce n’est sans doute pas un hasard, du terme anglo-américain « affirmative action »), montre que le débat sur l’injonction d’une certaine dose de multiculturalisme dans l’identité française est loin d’être clos. On peut dire qu’il n’en finit pas de commencer.
En effet, la nouveauté de la mondialisation actuelle sur les précédentes, c’est qu’elle n’est pas une extension de l’Occident mais une globalisation qui provoque la rencontre des civilisations et cultures.
Comme le terme de « multiculturalisme » évoque (en France, et à tort, nous l’avons vu dans les Notes sur le Canada, ce qui ne signifie nullement que le dit multiculturalisme soit une solution miracle, loin s’en faut !) le « communautarisme », c’est l’expression (euphémisée) de « diversité culturelle » qui est utilisée. Et elle l’est de plus en plus.
On nous parle actuellement de « candidats de la diversité », expression ‘pudique’ pour parler des quelques candidats ‘non blancs’ que présentent les partis aux législatives (comme si le fait d’être ‘blanc’ n’était pas un aspect de la diversité, comme si le blanc n’était pas une couleur). Tout cela montre que la France rechigne, avance en reculant, etc, mais ne peut plus évacuer le problème et recherche en tâtonnant la solution. Solution qui, naturellement, sera différente de celle des pays anglo-saxons, tiendra compte des spécificités de son histoire, mais ne devra pas non plus être prisonnière de cette histoire.
Le dit ministère de l’identité nationale peut-il aider à cela ? Le fait qu’il soit lié à l’immigration, je l’ai dit, apparaît inquiétant car doit émerger une réflexion globale sur l’identité nationale française dans un contexte de mutation du rôle de l’Etat et de profonde transformation des rapports Etat-nation : la nation ne peut plus être considérée comme une éternelle mineure qu’un Etat-père devrait enseigner.
Mais ce ministère existe, il faut bien s’en accommoder et, je préfère à tout prendre, qu’il s’agisse de « l’identité nationale » plutôt que de « l’identité républicaine », vu l’usage très idéologique qui, depuis près de 20 ans, est fait des termes de la famille sémantique de « République ».
D’autre part, dire que la société civile, la nation est majeure, cela signifie que la réflexion sur l’identité nationale doit émerger à partir de la société civile. Des initiatives se préparent en ce sens et cela est heureux.
Une piste pour terminer : au début de la IIIème République, un de ses fondateurs, Gambetta, parlait des « couches nouvelles » qui devait désormais prendre leur place dans l’encadrement républicain, à côté des dirigeants plus classiques et qui allait constituer un enrichissement culturel et social pour la France. Les ‘nouveaux Français’ issus de l’immigration ne sont-ils pas, aujourd’hui, les « couches nouvelles » de la République ?
12:00 Publié dans Laïcité et crise de l'identité française | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Voilà 3 notes qui font un point bien utile. Je crois que l'une des choses qui m'a le plus frappé dans cette campagne (et la constitution du gouvernement), mais finalement depuis le référendum de 2005, c'est cette partie de la gauche qui tourne effectivement le dos à Mai 68. C'était quelque chose de tout à fait incompréhensible pour moi au départ... mais finalement, cela s'explique plutôt bien.
Lors d'un débat avec quelqu'un de gauche néo-républicaine, celui-ci s'étonnait que les plus nationalistes aient été ceux qui ont le mieux défendu (à ses yeux) la laïcité. Je lui ai rétorqué que c'était tout à fait logique puisque la laïcité est désormais considérée comme patrimoine national. Je trouve ça assez triste que la gauche néo-républicaine l'emporte de cette façon. Ce débat avait été initié par l'initiative citoyenne en Suisse pour interdire les minarets (vous vous rendez-compte à quel point ça gacherait le paysage, et puis entendre le muezzin, non c'est décidément trop insupportable !!!!)... mais comment peut-on en arriver là ? Et ce n'est pas tout, un peu plus loin, il s'agissait d'interdire l'islam en cas d'attentats... C'est ça la défense de la laïcité ? Bin mince alors !!
Il faut faire entendre une autre voix !
Écrit par : Achtungseb | 30/05/2007
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