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21/05/2007

IDENTITE NATIONALE, LAÏCITE, IMMIGRATION

Je reprends la suite de ma Note du 9 mai dernier : rappelez –vous c’était il y a un siècle, juste après la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. Depuis, nous avons notamment un ministre de l’immigration, de l’identité nationale et du co-développement. 

Certains amis me disent que l’essentiel de la création de ce ministère va être le regroupement sous une même autorité de tutelle d’administrations qui, jusqu’à présent, ont relevé de 4 ministères différents, se tiraient dans les pattes et avaient des politiques divergentes. D’autres me font remarquer qu’avoir ajouté « co-développement » à l’intitulé du ministère est une bonne chose.

OK, le pire n’est pas toujours sur. Reste que ce lien entre « identité nationale » et « immigration » est très ambiguë (en ayant une formulation modérée) car ce lien fait comme si les immigrés devaient s’adapter à une identité nationale fixe, statique, que les ‘anciens Français’, eux, possèderaient par nature.

Nous avons vu dans la Note du 9 mai à quel point l’identité nationale a été, depuis la Révolution française, un enjeu très conflictuel. Notre observatoire a été la laïcité, mais nous aurions pu prendre comme indicateur le clivage gauche-droite. De cet autre observatoire, nous aurions vu des choses semblables et d’autres différentes.

Des choses semblables : jusqu’aux années 1980, la laïcité a constitué un point fort de l’identité de la gauche : d’abord ce que l’on appelait le « parti républicain » contre les monarchistes, puis de la gauche socialiste et radicale contre les conservateurs et les modérés ; ensuite de la gauche communiste et socialiste contre la droite et le centre. La laïcité était moins un marqueur de l’identité un marqueur de l’identité nationale qu’un enjeu de légitimité au sein même de cette identité.

C’est la question de la laïcité (réduite alors au problème des subventions publiques à l’école privée puisque les Constitutions de 1946 et 1958 ont constitutionnalisé la laïcité de l’Etat et celle de l’école publique) qui a fait échouer une alliance entre la gauche et le centre en 1965, lors de la 1ère élection du président de la République au suffrage universel : Gaston Deferre, leader socialiste et futur artisan de la décentralisation sous Mitterrand, avait projeté de se présenter sous l’égide du parti socialiste et du MRP, parti démocrate-chrétien. Et cela n’a pas marché, principalement à cause du dissensus sur l’école privé et des deux traditions culturelles différentes. On reparlera peut-être un jour des mémoires très intéressantes de Michel Rocard (Si la gauche savait) car elles portent témoignage de la difficulté qu’a eu ce protestant à faire admettre que des catholiques puissent travailler avec le parti socialiste.

Mais, à partir du clivage droite-gauche, nous aurions vu aussi les problèmes concernant l’identité nationale sous un angle un peu différent : bien qu’au pouvoir en 1956-1957, le socialiste Guy Mollet ait mené une politique colonialiste, enfonçant la France dans la guerre d’Algérie, Mollet et son parti adoptaient volontiers une phraséologie marxiste, se voulait un parti de classe, presque au même titre que le parti communiste (dont il faut se rappeler qu’à l’époque il réunissait non pas 2% des voix comme M-G Buffet à la dernière présidentielle, mais 20 à 25% des suffrages). Parti communiste dont l’idéologie exerçait une forte attraction sur la couche moyenne des intellectuels, et notamment les profs de philo, pôle d’attractivité idéologique dans les lycées

La gauche dénonçait donc la République capitaliste et si son message s’était un peu essoufflé dans les années 1960, il fut radicalisé et rendu plus dynamique par le mouvement dit « gauchiste » qui a « fait » Mai 1968, et a imprégné le climat de la culture politique des années 1970. On dénonçait très fortement la « République bourgeoise ».

Là encore, il existait donc deux conceptions bien divergentes de l’identité nationale car pour la droite, la France faisait partie du « monde libre », opposé au « bloc soviétique ; même si le gaullisme a brouillé les cartes, en imposant notamment le départ des troupes américaines qui, il faut le rappeler, avaient des bases militaires en France. D’un côté on opposait les valeurs marxistes idéales au capitalisme réel, de l’autre les valeurs libérales idéales au communisme réel. A ce petit jeu, chacun était gagnant et croyait que sa France était l’authentique France, alors que la France d’en face était une mauvaise France, une France enlaidie et défigurée.

Le renouveau du parti socialiste dans les années 1970 a permis la victoire de la gauche aux présidentielles de 1981. Parmi ses mots d’ordre : « Changer la vie », et la dénonciation de la « gauche américaine » (Rocard était visé) fustigée comme « réformiste » et soupçonnée de ne pas vouloir en finir avec l’odieux « capitalisme ». Fabius était au premier rang de ces dénonciateurs, qui faisaient facilement dans l’inflation idéologique. Donc on opposait une France de gauche, qui devait rompre avec le capitalisme, à une France de droite, celle du « Grand capital ». Le dissensus sur l’identité nationale ne portait donc pas seulement sur la laïcité mais aussi sur le régime politico-économique.

La victoire de 1981 s’est accompagnée de nationalisations à 100% (Rocard prônait 51%, ce qui assurait le contrôle tout en coûtant bien moins cher), et d’autres tentatives de ruptures. Mais en 1983, la situation devenant catastrophique sur le plan socio-économique, il a fallu opérer un virage à 180 degrés et demander aux Français de se boucler la ceinture. Ce qui a été fait (notamment par Fabius, premier ministre à partir de 1984) était 1000 fois pire que ce qu’avait proposé la prétendue « gauche américaine », dont le programme aurait peut-être pu éviter un tel revirement.

Peu importe, l’essentiel pour notre propos est qu’à partir de là le capitalisme, bientôt rebaptisé en « économie de marché » s’impose d’autant plus à tout le monde  qu’à partir de 1985, avec Gorbatchev, l’Union soviétique entame la démarche qui va conduire quatre ans plus tard à la chute du Mur de Berlin (1989), à la disparition du modèle communiste comme modèle attractif et de l’hégémonie culturelle du marxisme au sein de la gauche.

1984 est, nous l’avons vu, l’année où la gauche doit renoncer à imposer le SPULEN, c'est-à-dire la réunification laïque des systèmes scolaires public et privé.

Comme je l’ai indiqué à la fin de ma Note du 9 mai, la raison de ce (cuisant) échec est la suivante : suite à l’obligation de suivre le même programme que l’école publique, instaurées par la loi Debré en 1959 et aussi suite à l’évolution interne de l’Eglise catholique, marquée notamment par le Concile de Vatican II (1962-1965), l’école privée catholique n’apparaissait plus comme enseignant une autre France et socialisant à des valeurs divergentes de celle de la République laïque. La majorité de l’opinion publique a clairement indiqué, qu’à ces yeux, le conflit des « deux France » était terminé et que, désormais, la laïcité devait être un bien commun à ceux qui avaient fait partie des deux France. En matière de laïcité, le conflit sur l’identité nationale se termine donc aussi au milieu années 1980 (avec une queue de conflit en 1994, pour rééquilibrer symboliquement la chose).

Nous avons donc, de 1983 à 1989 (avec la chute du Mur), en passant par 1984, une double fin de conflit sur l’identité nationale. On ne peut plus opposer une France rêvée, rompant avec le capitalisme à la France réelle (Mitterrand l’a très bien compris et il se fait réélire en 1988 sur le slogan de « La France unie ») ; on ne peut plus, non plus, opposer deux France en matière de laïcité et, en 1993, significativement, ont lieu les accords Lang-Cloupet qui montre que la gauche à intériorisé la Loi Debré.

Le « Père » Cloupet était le directeur de l’enseignement privé catholique. Je l’ai rencontré une fois pour débattre de la laïcité  et je me suis rendu compte que la République à direction socialiste, très bonne fille, mettait à sa disposition une voiture officielle avec chauffeur et drapeau  tricolore. Or la loi Debré ne voulait reconnaître que de établissements privés, qu’ils soient ou non confessionnels (même si la plupart étaient catholiques) et ne voulait pas un vis-à-vis global et confessionnel.  

Cet accord Lang-Cloupet, passé par un gouvernement socialiste, va donc même plus loin que la loi Debré dans la reconnaissance publique de l’enseignement confessionnel (alors que de Gaulle avait été accusé de faire « pire que Vichy » avec la loi Debré ! Comme quoi, il ne faut pas être un gogo qui se laisse impressionner par l’inflation idéologique et les injonctions et dénonciations moralistes).

Certes l’évolution des choses n’est pas linéaire : en 1994, alors que Bayrou était ministre de l’éducation nationale, la droite revenue au pouvoir tente de faire sauter les limites de la loi Falloux de 1850. La gauche vole au secours de cette loi Falloux et manifeste en masse, revanche symbolique des manifestations  contre le SPULEN de 1984. Mais d’une part, cela montre bien la déconfiture du combat laïque tel qu’il avait été mené : ce n’est pas le lieu ici de détailler la loi Falloux : il suffit de dire que les laïques militants la dénonçait régulièrement comme contraire à la laïcité pour saisir l’ironie du sort qui a mis ces militants dans la rue pour découvrir (un peu tard !) que la loi Falloux tant décriée n’était pas que mauvaise, et donc pour la défendre. D’autre part, la crise de 1994, comme celle de 1984 d’ailleurs ont été très vite oubliées, expulsées de la mémoire collective.

Des personnalités politiques qui ont été auditionnées par la Commission Stasi en 2003 à certains des (pseudo) intellectuels qui ont écrit des contributions pour l’ouvrage (tendancieux) L’école face à l’obscurantisme religieux (2006), on raconte une même histoire complètement fausse : la laïcité aurait été consensuelle et c’est le foulard et autres manifestations identitaires « musulmanes » qui aurait brisé cet âge d’or d’heureux consensus.

Qu’est-ce à dire sinon de prétendre une énormité historique, en faisant comme si la laïcité aurait été un élément consensuel de l’identité nationale que « l’islam » serait venu troublé. Et des gens qui colportent de telle sornettes, de telles contre vérités, de telles négation de tout savoir historique sont les même qui s’indignent parce que le darwinisme serait contesté par certains élèves à l’école. C’est vraiment l’hospice qui se moque de l’hôpital. Semez l’obscurantisme et vous le récolterez. Rappelons nous le rapport Obin est, très significativement, contre l’enseignement de l’histoire de la laïcité dans les IUFM…

Le tour de passe-passe du discours d’une pseudo laïcité consensuelle permet de construire une représentation de l’identité nationale directement excluante à l’égard de certains immigrés ; de mettre d’un côté des ‘anciens Français’ et de l’autre des musulmans. Cette escroquerie intellectuelle s’est construite progressivement à partir de la première affaire de foulard en 1989.

C’est d’ailleurs à ce moment là que l’on s’est mis, significativement, à parler de la « laïcité exception française »,  propos qui aurait été totalement incongru [1]quand le problème central de la laïcité était les subventions publiques aux écoles privées : là, les militants laïques ne se faisaient pas faute de remarquer que de telles subventions n’existaient pas aux Etats-Unis et que ce pays était donc beaucoup plus laïque que la France.

C’est à partir de ce moment là que l’on s’est mis à opposer République et démocratie, en jouant sur les deux sens du terme de République : res publica et République française, tout comme on avait joué sur les 2 sens du terme « homme » (être humain et être masculin) pour faire comme si les hommes masculins étaient les êtres humains par excellence, comme si le suffrage était « universel » alors que seul les hommes votaient, bref pour universaliser le particulier.

On a fait la même chose avec la notion de République : on a fait de la République française, la res publica par excellence : la République (française) est universelle, les démocraties particularistes !

On s’est gargarisé à qui mieux mieux, à partir de là des « Valeurs de la République », comme si la France possédait des valeurs structurellement différentes de ses voisines la Belgique, l’Espagne, monarchies constitutionnelles. Et même pire : quand on parle des « valeurs de la République » en levant bien haut le menton, il ne s’agit certes pas, dans notre petit hexagone, des valeurs de la république suisse ou de la république italienne. Parler des « valeurs de la République » est une façon détournée de parler des ‘valeurs de la France,  comme s’il y avait des valeurs qui n’étaient que françaises.

Et parmi ces valeurs qui seraient exclusivement française, la laïcité serait naturellement la première. Là encore, comme la laïcité serait (idéalement) une valeur universelle, cela signifie implicitement que la France est universelle à elle toute seule, le reste du monde n’étant que d’un déplorable et affligeant particularisme.

On se demande bien pourquoi, alors, la France a adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme ; on néglige le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné plusieurs fois la France pour atteinte à ces droits. On défend la liberté d’expression face à « l’islam », mais on oublie complètement de dire qu’au moment où se déroulait l’affaire des caricatures, la France a été condamnée deux fois pour atteinte à la liberté d’expression par la Cour européenne.

Bref toute la phraséologie qui s’est développée depuis une bonne quinzaine d’années autour de la RRRééépublique est en fait une exaltation de l’identité nationale, une conception figée où il y aurait une identité nationale stable, qui existait sans gros problèmes avant la venue des actuels immigrés (ou descendants d’immigrés), identité à laquelle les nouveaux Français devraient s’identifier.

Certes il ne faut pas opposer à cette conception légendaire, une autre qui serait la légende inverse. Je n’ai jamais versé dans l’angélisme et je crois avoir été à peu prés le seul à faire remarquer, depuis longtemps, que la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie a joué un rôle dans la perception du foulard comme opposé à la laïcité par nombre d’enseignants. De même le développement d’un discours sur la République à la fin du XXe et au début du XXIe siècle a ses raisons. Nous allons parler de cela dans la troisième et dernière partie de cette Note la semaine prochaine. Mais, nous le verrons, si nous ne faisons pas preuve de vigilance, les immigrés risquent d’être les boucs émissaires de problèmes qui leur sont étrangers.

Suite et fin donc au début de la semaine prochaine.

En attendant, vous pouvez lire à propos de l’identité nationale (décryptée, analysée Eux et nous de Joël Roman (Hachette Littératures) et les Actes des Entretiens d’Auxerre : Douce France (L’Aube).

Et le Blog a beaucoup de projets pour juin-juillet : entre autres, le thème « laïcité et homosexualité », sur lequel je me suis guère exprimé jusqu’à présent ; sur la médecine française face aux femmes (sujet fort actuel avec la dénonciation des femmes dites musulmanes qui ne souhaitent pas être examinées par des médecins hommes) ; une réflexion à propos du dernier n° de La Revue Internationale et stratégique  (printemps 2007) « Est-il permis de critiquer l’islam ? » (j’ai donné une contribution à ce numéro):  et une comparaison entre mon « Que sais-je ? » : Les laïcités dans le monde et le petit (et pétulant d’intelligence) livre de Catherine Kintzler : Qu’est-ce que la laïcité ? (qui a le même nombre de pages qu’un « Que sais-je ? »);C’est de très loin le meilleur exposé de la position dite « républicaine » et je l’ai lu comme un passionnant roman policier.

Quand vous lisez un très bon roman policier, vous tentez de déjouer la façon dont l’auteur dissimule le coupable. Là, il faut découvrir les failles du raisonnement, qui est fort bien construit et comporte une excellente cohérence. Et arriver à comprendre pourquoi on est d’accord, pourquoi on n’est pas d’accord, et où commence le désaccord, permet d’approfondir plein de questions essentielles. Etc, etc.

A très bientôt donc.



[1]

Commentaires

...et jusqu'à présent, le ministre de l'intérieur était aussi chargé des cultes ; dans le nouveau gouvernement, c'est le ministre de "l'intégration et de l'identité nationale" qui en est chargé ; cela a-t-il une signification particulière ??? du genre, si on n'est pas chrétien on ne peut pas vraiment être français ????

Écrit par : Françoise Bleker | 22/05/2007

Intéressante analyse.

La complexité du sujet m'inspire une réflexion: quand Nicolas Sarkozy a lancé ce sujet, il ne savait pas exactement ce qu'il entendait par identité nationale. Et d'ailleurs il a dit des choses contradictoires après.
L'électorat frontiste a compris "national". Au fond,c 'est tout ce qui comptait.
Puis Nicolas Sarkozy a précisé que l'identité nationale n'était pas quelque chose de figé.
Mais le "mal" (ou plutôt le profit, pour Nicolas Sarkozy) était fait: un nombre suffisant d'électeurs duFront national ont décidé de voter pour lui.


Je me souviens, les semaines qui précédaient, j'avais publié sur mon blog un billet sur l'identité française (http://crisedanslesmedias.hautetfort.com/archive/2007/02/index.html). J'ai sans doute été un des premier blog à en parler, hormis les blogs nationalistes. Je sentais que, tôt ou tard, la question serait abordée. Et sous un angle douteux, dangereux.

Je continuerai à suivre vos réflexions, sur un sujet qui demande beaucoup de connaissances historiques que je ne possède pas.

Écrit par : Eric | 27/05/2007

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