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25/05/2006

PARITE ET DIVERSITE, MÊME COMBAT

D'ici la fin de la semaine, une nouvelle Note:

Menace sur la liberté de penser.

Les prochaines élections présidentielles en France et le fait que, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, une femme peut être élue présidente de la République font que la lutte contre la discrimination que subissent les femmes dans le domaine politique redevient d’actualité. Il se trouve que je connais personnellement Ségolène Royal puisque j’ai été membre de son Cabinet en 1997-1998, quand elle était ministre de l’enseignement scolaire (je m’occupais de la formation à la citoyenneté)… et je souhaite fort qu’elle réussisse. Cette situation fait que beaucoup de personnes m’interrogent  à son sujet. Et je suis frappé par le genre (sans jeu de mots !) de questions posées, venant de personnes qui devraient être sans problème dans une culture où l’égalité homme-femme est chose normale : ces questions tournent autour sa « capacité » à gouverner. Elle a fait partie du Cabinet présidentiel pendant le premier septennat de Fr. Mitterrand, elle a été 3 fois ministre, elle est présidente de région…  Bref on trouve là un exemple typique d’une inflation d’exigences que nous n’aurions pas s’il s’agissait d’un homme.

Quand je témoigne de mon étonnement à certains collègues universitaires, la réponse la plus fréquente, c’est : « que voulez-vous nous sommes un pays culturellement catholique ». Or l’Irlande, nation catholique s’il en est, a élu en 1990 Mary Robinson comme présidente de la République, et le Chili en ce début d’année 2006, a suivi cet exemple. D’ailleurs, ces références à géométrie variable m’amusent (et me chagrinent un peu) : l’islam serait en délicatesse avec certaines  valeurs de la « République laïque », et tout à coup, bonne excuse, la France se retrouve culturellement catholique et cela expliquerait, sans véritablement poser problème, qu’elle ne vit nullement les valeurs qu’elle proclame !

Nous l’avons vu avec Olympe de Gouges et aussi avec le rappel que le refus du droit de vote des femmes a été justifié par le mythe de la « femme soumise » au « cléricalisme » : il a existé historiquement en France un antiféminisme républicain et laïque qui n’a pas disparu par enchantement. Le parti socialiste n’a pas normalement) une culture catholique forte ! Or, j’entendais il y a quelques jours sur France Inter (publicité gratuite !) que pas mal de « jospinistes » seraient prêts  à se rallier à Fabius, si le retour de Jospin s’avérait impossible, pour éviter (disent-ils) une « oie blanche » (sic !!),  c'est-à-dire, en fait, une femme. Sous réserve que l’information soit bien exacte, elle est alors plus que significative. Et ce qui me fait penser qu’elle l’est sans doute, c’est qu’effectivement, je sais par ailleurs, que François Hollande est accusé, dans son parti, de ne pas savoir « tenir » sa compagne, ce qui signifie que la présence d’une femme parmi les candidats à la candidature apparaît profondément illégitime. C’est quand même extraordinaire,… et surtout révélateur.

Le sexisme, et notamment le sexisme politique, est une réalité dont les milieux qui se veulent très laïques (rappelez vous : deux des présidentiables du PS au premier plan pour l’interdiction du foulard à l’école publique et qui ont accueilli la candidature de S. Royal, l’un en disant « mais qui va garder les gosses ? », l’autre en déclarant : « l’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté » !) s’avèrent friands. Pourtant la France a voté une loi, la loi du 6 juin 2000, pour obtenir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Et cette loi est la plus exigeante possible en la matière. Pays paradoxal (et pas seulement sur ce sujet !).

Cette loi a suscité, en son temps, un grand débat et l’examen des arguments échangés est très intéressant. Olivia Bui-Xuan les a synthétisés dans un ouvrage sur le droit public français[1]. Rappelons d’ailleurs, ironie de l’histoire, que c’est le gouvernement Jospin qui a fait voté cette loi dont l’état d’esprit devrait faire trouver banal qu’une femme puisse être présidente de la République. Mais passons.

Cette loi impose, selon des modalités différentes,  que pour les élections au scrutin de liste, les listes déposées comportent 50% de candidats de chacun des deux sexes (à une unité près).  Pour les législatives, les partis politiques doivent présenter (à 2% près) un nombre égal d’hommes et de femmes comme candidats, sous peine de sanctions financières : d’ailleurs les « partis de gouvernement » ont préféré payer ces sanctions plutôt que de se conformer à la loi  et le pourcentage de femmes à la Chambre des députés, qui était de 10,9% avant la loi, est glorieusement passé à….12,3%. Bravo Messieurs les députés. Je dirai même que votre progressisme échevelé va trop loin : voyons 11,67352 % aurait suffit, ne croyez-vous pas ?

Comme souvent, la France s’est payé un beau débat de principe, sans que la réalité suive (on peut quand même espérer mieux en 2007 !).

 Les arguments donnés contre la loi nous intéressent au premier chef car nous retrouvons le sujet abordé il y a 3 semaines avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : pour Eleni Varikas reconnaître « le caractère genré de l’individu » porterait atteinte « au substrat de base de la démocratie représentative qui est l’individu abstrait, c'est-à-dire dépourvu de tout attribut particulier ». Dominique Schnapper,  la plus subtile et la plus nuancée des membres de cette mouvance, récite pourtant, à cette occasion, le catéchisme républicain : en France, « tous les membres, quels que soient leurs origines historiques ou religieuse, leur sexe, leurs caractéristiques sociales, quelles que soient leur diversités et les inégalités qui les séparent sont également des citoyens (…) civilement, juridiquement, politiquement libres et égaux. » Belle « abstraction », mais cache sexe de discriminations de fait. Décidément, il semble qu’Olympe ait été guillotinée pour rien. La leçon n’est toujours pas comprise.

      D’autres personnes, comme le doyen Georges Vedel ou Elisabeth Badinter, insistent sur le risque de ‘contagion’. Ainsi cette dernière  fait remarquer que « les femmes ne sont pas les seules victimes de la société, les autres aussi vont demander leur part, au mépris de la cohésion. Laissons entrer le particularisme dans la définition du citoyen et nous vivrons une sinistre cohabitation de ghettos différents. Je ne veux pas du communautarisme. La République repose sur l’abstraction de la règle, la généralité de la loi, pas la spécificité des individus ou des communautés. ».

Bref, la parité était alors de l’horrible communautarisme, elle marquait la fin de l’universalisme abstrait. Donc, belles dames et beaux messieurs, qui vivez dans la douce France, depuis 6 ans maintenant, vous habitez dans l’enfer communautariste. Et dire que vous ne vous en étiez même pas rendu compte. Maintenant que vous le savez, allez-vous pouvoir dormir ce soir ? Qu’attendez-vous pour émigrer dans des lieux plus cléments, plus « républicains » : l’Amérique, par exemple, qui n’a jamais été si loin dans la « discrimination positive » imposée par la loi !

      Les arguments en faveur de la parité sont, comme d’ordinaire, dépendants de l’idéologie dominante. Ils cherchent à démontrer en effet qu’il ne s’agit pas de « communautarisme » ; laborieuse démonstration qui, hors du petit hexagone n’aurait pas lieu d’être (car on n’est pas ainsi obsessionnel) ou, à tout le moins, ne prendrait pas cette importance. André Comte-Sponville affirme doctement : « Donner un statut de droit à une différence biologique ou physiologique alors que le plus souvent nous la mettons et fort heureusement entre parenthèse, ça me paraît prendre en compte ce que la différence sexuelle a de singulier parmi toutes les autres différences biologiques possibles. C’est pourquoi, il ne s’agit pas dans mon esprit de mettre un doigt dans le communautarisme. » Et, comme chacun le sait ou devrait le savoir, le réel est prié de se conformer à ce qu’a « dans l’esprit » le clinquant penseur médiatique.

Je plaisante, mais étant un descendant de paysans, j’ai besoin qu’on m’explique pourquoi on doit tenir compte là d’une différence que l’on met « heureusement entre parenthèse » le reste du temps. Ce serait ce pas pour lutter contre une discrimination ? Mais alors, prendre des mesures analogues pour lutter contre les  autres discriminations n’est peut-être pas de l’horrible « communautarisme » ! Et ne devrait-on pas se libérer une fois pour toute de cette obsession « communautariste » qui empêche de penser sereinement,  rigoureusement.

      Ma question est identique quand je lis que Sylviane Agacinski affirme qu’ « on ne saurait comparer ni les femmes ni les hommes à un groupe ethnique, régional ou social. Ce serait confondre un caractère anthropologique universel, comme le genre sexuel, avec un trait social quel qu’il soit ». Les femmes ne constitueraient pas une minorité puisqu’elles formeraient…la moitié de l’humanité. C’est oublier qu’une minorité, sociologiquement, l’est moins à cause de son nombre que parce qu’elle est victime de minorisation. C’est oublier que le genre est une construction sociale autant qu’un caractère anthropologique universel et que la diversité culturelle et ethnique est, elle aussi, est un caractère anthropologique universel et une construction sociale[2].

      La référence à la « différence biologique ou physiologique », a infériorisé les femmes et les non-blancs d’un même mouvement, pourquoi l’émancipation des unes devrait-elle se trouver complètement dissociée de l’émancipation des autres ? Tout cela sent un peu le féminisme caviar. Un autre féminisme met en question ce féminisme bien propre sur lui de « celles qui ont la chance d’être « normales », c'est-à-dire blanches et middle class », voire classes supérieures, pour prôner une « question féministe (non) dissociée de la question des inégalités sociales et des discriminations racistes » (N. Guénif-Souilamas – E. Macé, Les féministes et le garçon arabe, L’Aube,  2006).

      Bien sûr, la question du genre présente des singularités. C’est pourquoi il y a « parité » d’un côté, « reconnaissance de la diversité » de l’autre. Mais, au niveau de la lutte contre les discriminations, les analogies sont fortes. Les problèmes générés par la parité sont même plus importants que ceux que peuvent poser les autres luttes, dont l’exigence est seulement la diversité. Parlez-en aux hommes de 30-45 ans, militants dans le parti socialiste. Ce parti a décidé, avec quelque retard, d’appliquer la loi en 2007 et, coincée entre les anciens qui veulent conserver leurs postes et les femmes, une génération d’hommes s’estime sacrifiée puisqu’il n’y a plus de place disponible pour eux.

Attention que la prise en compte de la parité sans véritable reconnaissance de la diversité ne se situe pas dans la droite ligne d’une histoire française, familière du dualisme (cf. le conflit des « deux Françe ») mais manquant profondément d’habitus pluraliste.

En effet, qu’a fait alors le gouvernement de l’époque : il a tenu bon face aux accusations de « communautarisme », il a fait modifier la Constitution et voter la loi. Mais, AU MÊME MOMENT, il a refusé de tenir compte du rapport de J.-M. Belorgey (qu’il avait portant commandité) à la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité : Lutter contre les discriminations (La Documentation française, 1999). Ce rapport, en effet, demandait la création d’une Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations analogue à la Commission for Racial Equality britannique. Alors là, vous n’y pensez pas, la France, the pays universel de la planète, suivre l’exemple de la Grande Bretagne, cette pôvre contrée engluée dans un particularisme niais ! Jamais ! Bref, le rapport fut classé sans suite et… ce fut la droite et Jacques Chirac qui ont créé, au printemps 2005, la HALDE :Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité des chances.

      Moralité :…. Je vous laisse la trouver tout/e seul/e



[1] O. Bui-Xuan, Le droit public français entre universalisme et différencialisme, Paris, Economia, 2004, 255ss.

[2]        S. Agacinski a été mieux inspiré en écrivant : « si l’universalisme consiste à ignorer la différence sexuelle, alors il faut faire la critique philosophique et politique de l’universalisme » (Le Monde, 18 juin 1996) : la critique de l’universalisme abstrait ? Très certainement oui.

Commentaires

Voici un texte de l'association Prochoix www.prochoix.org , qui ne peut aucunement être suspectée de sexisme et dont Jean Baubérot a été membre :

" Jean Baubérot : faux défenseur de la laïcité

Jean Baubérot est le seul homme de la commission Stasi à ne pas approuver la loi contre les signes religieux à l’école publique.

Ce qui est bien logique puisqu’il milite depuis des années — sous couvert d’objectivité scientifique — pour l’assouplissement de la laïcité française vers une laïcité à l’anglo-saxonne, jugée « plus ouverte ». Aux religions.

Ce qui l’amène notamment à réclamer la reconnaissance de certaines sectes évangéliques comme étant de "nouveaux mouvements spirituels". Conformément au souhait du département d'Etat américain faisant la guerre à la législation anti-secte de la France.

A l'occasion du 9 décembre 2005, il a publié dans le journal Le Monde une déclaration signée par 212 universitaires de 29 pays se présentant comme un appel pour un "renouveau laïque" mais qui est en réalité l'occasion d'une très subtile redéfinition du principe de laïcité : Article 4 : "Nous définissons la laïcité comme l'harmonisation, dans diverses conjonctures siciohistoriques et géopolitiques, des trois principes indiqués : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; autonomie du politique et de la société civile à l'égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; non discrimination directe ou indirecte des êtres humains".

Prochoix ... les pros du choix !

Écrit par : Prochoix ... | 25/05/2006

xxx

Écrit par : xxx | 26/05/2006

Plusieurs choses m'agacent dans cette idée de parité :
- au nom de quoi il faudrait 50 % de femmes et 50 % d'hommes et pas 45/55 ou inversement 55/45 ou je ne sais quel pourcentage ? que l'Etat décide du pourcentage m'énerve
- ce premier point est tempéré par l'évidente inefficacité d'une telle mesure, que vous rappelez : magnifique progression, bravo aux partis de gouvernement, quelle ouverture ! passer de 11 à 12 %, génial !
- la combinaison de ces deux points plus les discours tenus sur Segolène Royal (que par ailleurs je n'apprécie pas trop, mais ça, ça n'a aucune importance) montrent bien que nos mentalités sont quand même très arriérées.

Je crois que la France est un pays peuplé de chiens de Pavlov qui multiplient les réactions-réflexes en lieu et place de réactions-réflexions. Et du coup, les décisions autoritaires et étatistes comme la parité sont indispensables si l'on veut faire évoluer les mentalités.

PS : le rapeur Rocé exprime selon moi avec brio ces problèmes de "confrontation entre l'un et le multiple" dans son album Identité en crescendo où il déplore entre autres ce qui est arrivé à Olympe de Gouges justement

Écrit par : Achtungseb | 26/05/2006

au nom du fait que la répartition dans la population est proche de 50% (51 - 49 je crois)...
Ceci dit, l'argument de Françoise Héritier n'était pas de dire que les femmes constituent une moitié de l'humanité, mais qu'elles constituent une minorité qui traverse toutes les autres (il y a des femmes parmi toutes les minorités ethniques, parmi toutes les professions, même si c'est plus discutable...) et à ce titre n'a pas le même statut que les autres minorités. Chez Héritier, cela rejoint l'idée que l'opposition des genres fonde la connaissance (c'est selon elle autour de l'opposition "masculin - féminin" et non autour de celle "sacré - profane" que se construisent les catégories de la pensée. Bref, tout ça justifierait le traitement particulier du genre par rapport aux autres minorités.
Bon, je dis ça parce que ça se défend, mais j'adhère pas, je préfère l'approche de N. Guénif Souilamas qui avait fait un joli texte dans le Monde à l'époque de la triste loi sur le foulard... Au fait, j'ai pas compris pourquoi Touraine s'y est rangé à ce moment là...

Écrit par : clic | 26/05/2006

Z

Écrit par : Moldova | 02/06/2006

pour Prochoix..

et pourquoi les évangéliques n'auraient-ils pas le droit d'exister pleinement en France ?

Il ne s'agit même pas de "nouveaux mouvements", ils sont contemporains de Luther dans certains cas : tu n'as jamais entendu parler des "anabaptistes" ?
et il y a des mennonites ( qui sont eux aussi des évangéliques ) en Alsace depuis 1530....donc pas longtemps après le début des Réformes .. )

dans le reste de la France, il y a des évangéliques ( notamment des "baptistes" ) depuis le début du 19è siècle ( vers 1820 il me semble ) et, en Angleterre, il y en avait déjà vers 1610-1620...
on ne peut pas dire que ce soit vraiment nouveau ...

Écrit par : Moldova | 02/06/2006

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