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04/05/2006

La DECLARATION DE 1789 est-elle UNIVERSALISTE?

( Rajout du 10 mai: DEMAIN 11 MAI, UNE NOUVELLE NOTE;

A demain donc.)

D’abord, quelques nouvelles : le Blog a, pour la première fois depuis sa création (fin décembre 2004), percé le mur des 8000 visites (8117 au bout du compte très exactement ), sans faire de « données corrigées » dues aux « variations saisonnières » ! On continue ? On continue…

Bon anniversaire à la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité des chances) qui a eu droit à sa première bougie. Espérons que les candidats à l’élection présidentielle auront dans leur programme de multiplier par 10 son budget.

Enfin, je n’oublie pas la suite des événements de l’année 1906 : on me la réclame. La loi de séparation va-t-elle tenir le coup malgré la tourmente des inventaires ? Pour Briand  c’est mission impossible. Donc vous aurez prochainement une Note à très gros budget avec Tom Cruise (naturellement) dans le rôle de Briand…

Mais en attendant, voici la Note de cette semaine :

Le discours dit « républicain » met en avant la défense des droits et de la liberté des femmes Cette défense des droits et de la liberté de la moitié de l’humanité est, bien sûr, une cause essentielle. Cependant, deux pièges fonctionnent, et il ne faut surtout pas y tomber. Le premier piège consisterait de croire qu’il faudrait partager les conviction dites « républicaines », au sens étroit de ce terme, pour  être partisan de l’égalité des genres ; le second serait de prendre ce discours au premier degré et de ne pas en interroger les impensés. En effet, la question du droit et de la liberté des femmes est la première question qui montre qu’on ne peut pas continuer à se réclamer aujourd’hui de l’universalisme républicain abstrait, en prétendant que ses « déficiences » seraient dues à l’écart qui existe toujours entre les principes et la pratique. Non, c’est structurellement que cet universalisme s’est montré antiféministe puisque, entre autres défauts structurels, c’est lui qui explique pourquoi la France est le seul pays démocratique moderne où  les femmes n’ont voté qu’un siècle après l’instauration de ce que l’on a très significativement appelé : « le suffrage universel » car, très longtemps, il a considéré que « la » femme était trop dépendante de ses émotions et trop soumise au pouvoir clérical pour pouvoir constituer un véritable être humain abstrait. Et cet antiféminisme ne s’est pas miraculeusement évanoui ces dernières décennies. On le sait, le thème de la femme soumise continue de faire flores.

Une histoire des femmes en français en 5 volumes,  est parue en 1991 – 1992, pour ce qui concerne l’Occident, dirigée par M Perrot et j’ai eu l’honneur d’y participer. Je voudrais me focaliser, aujourd’hui, sur un point d’histoire, mais qui est fondamental car il s’agit, précisément, des fondements de la démocratie en France : la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Marie Gouze plus connue sous le nom d’Olympe de Gouges (1748-1793) est l’auteure de la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne au début de la Révolution française (son texte a été réédité en 2003 aux éditions Mille et une nuits). C’est un texte admirable en ceci que son auteure avait tout compris : elle avait compris que la Déclaration des droit de Homme et du Citoyen qui se prétendait universelle ne l’était nullement, qu’en fait ce texte jouait un double jeu, qui va être typique de l’universalisme républicain dit « abstrait »[1]. Il prétendait parler de l’Homme au sens d’être humain, de l’essence humaine et, en fait, il s’agit d’un être humain très concret : celui qui a son zizi à l’extérieur (et non à l’intérieur, ce qui est l’apanage, comme le dit  Olympe de Gouges, du «sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles », beau retournement du stigmate). Derrière l’universalisme affiché on trouve la domination masquée d’un particularisme. Nous avons là déjà le fond du problème dont la France n’arrive toujours pas à s’émanciper. Et tant qu’elle n’opérera pas cette libération intellectuelle (déconstruire ce qu’il y a derrière l’universalisme républicain abstrait), elle ira de crise en crise, de révolte en révolte. Ce n’est pas pour rien que j’ai annoncé que la question des femmes est la première question.

Qu’a fait Olympe de Gouges ? Elle a dévoilé le particularisme de la Déclaration de 1789 en l’écrivant au féminin en septembre 1791. Dés le Préambule de cette nouvelle Déclaration, l’imposture cachée de la Déclaration de 1789 éclate : « Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d’être constituées en Assemblée Nationale », rappel que les auteurs de la Déclaration sont tous des mecs et que cela n’a nullement l’air de les gêner. Plus, ils ne s’en rendent même pas compte et confondent leur masculinité avec leur humanité. De là logiquement, l’article premier « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » qui ne ferait qu’expliciter l’article un de la Déclaration de 1789 si cette Déclaration était réellement universaliste, mais, en fait,  en est l’inverse : le passage d’une Déclaration particulariste (sous couvert d’abstraction et, en fait, parce qu’abstraite) à une Déclaration réellement universelle (parce qu’elle prend en charge une discrimination concrète fondamentale) [2].

Et selon le même principe toute la Déclaration des droits de 1789 est réécrite. Ainsi, l’article 3 devient : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme : nul corps, nul individu, ne peut nul corps, ni individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »  Le « qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme » a été rajouté à l’article 3 du texte originel. Précision inutile si la Déclaration de 1789 promouvait une mentalité universaliste ; ajout indispensable et perçant à jour à l’hypocrisie de l’universalisme républicain abstrait qui fera de la France un des derniers pays démocratiques (le dernier ?) à « accorder » le droit de vote aux femmes.

L’article 10 de cette Déclaration énonce : « Une femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit également avoir le droit de monter à la tribune. » Là encore, le double jeu fondamental de l’universalisme abstrait est mis en lumière : les minorités[3] n’existent pas prétend cet universalisme, et donc on n’a pas a leur accorder des droits. « Ce serait du communautarisme » ajoute-t-on aujourd’hui. Double jeu, double discours : les minorités n’existant pas (dans l’abstraction), elles sont les mêmes devoirs et les mêmes sanctions : «   une femme a le droit de monter sur l’échafaud ». Mais les minorités existent (dans la réalité concrète : ainsi la Nation est bisexuée) et, dominées, elles ne disposent pas des même droits et doivent les acquérir : une femme « doit avoir également celui de monter à la tribune ». On pourrait écrire aujourd’hui : un juif, un musulman, un orthodoxe a le droit de célébrer ses fêtes religieuses comme un catholique. Or, quand nous avons proposé, à la Commission Stasi d’individualiser  en partie les jours fériés religieux[4], on n’a refusé tout débat public sur ce sujet et on a dit péremptoirement : «c’est du communautarisme ».

Pour en revenir à Olympe de Gouges, les Révolutionnaires firent exactement ce qu’elle avait dénoncé : ils ne lui avaient pas donné le droit de « monter à la tribune » mais ils lui donnèrent celui de « monter à l’échafaud » et la guillotinèrent le 3 novembre 1793. La feuille de Salut public écrivit : « Elle voulut être homme d’Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertu qui conviennent à son sexe » (cité par Emmanuelle Gaulier, qui a écrit la postface de cette déclaration). 

En somme, cette femme représente un premier féminisme laïque qui rencontre un échec complet et n’a aucun écho durable, à part le mouvement féministe lui-même: par exemple, la Grande Encyclopédie de Berthelot en 32 volumes, qui représente la grande œuvre intellectuelle de la laïcité française au moment de son établissement (elle paraît de 1885 à 1901),  n’accorde à Olympe de Gouges qu’une toute petite entrée qui évoque ses oeuvres romanesques et théâtrales mais ne mentionne qu’au détour d’une phrase sa théorie du droit des femmes, sans véritablement parler de sa Déclaration. Michelet avait écrit qu’elle fut « le jouet de sa mobile sensibilité ». Il faudra attendre 1989 pour qu’elle trouve son biographe (Olivier Blanc, Olympe de Gouges, : une femme de libertés, Syros -Alternative ).

J’ai deux propositions à faire. La première consisterait à remplacer, dans la Constitution française, la Déclaration de 1789 par celle d’Olympe de Gouges, puisqu’elle contient tout ce qu’affirme cette Déclaration et y ajoute l’élément fondamental de l’égalité des genres. Ce serait logique avec l’instauration de la parité, non ? Olympe de Gouges pourrait d’ailleurs, bien mieux qu’Evelyne Thomas et tutti quanti[5], être portraitisée et devenir le nouveau buste de Marianne.

La seconde proposition serait que les « Indigènes de la République » ou d’autres écrivent une Déclaration des droits en s’inspirant de celle de Mme de Gouges et en l’appliquant à leur situation. Ce serait du bel ouvrage.

 Revenons au droit des femmes. L’instauration d’un premier seuil de laïcisation en France, c’est à dire la Révolution Française et le recentrage napoléonien, n’apporte rien dans ce domaine, au contraire. La Révolution a accordé aux femmes certains droits civils et aux femmes mariées le droit de divorcer. Mais les « avancées » sont « de l’ordre du privé, dans la sphère familiale mais pas dans la sphère politique, comme le justifie Talleyrand en 1791 : ‘Si nous leur reconnaissons les mêmes droits qu’aux hommes, il faut leur donner les mêmes moyens d’en faire usage. Si nous pensons que leur part doit être uniquement le bonheur domestique et les devoirs de la vie intérieure, il fait les borner de bonne heure à remplir cette destination’ » (E. Gaulier, p ; 53). Au contraire, la Révolution signifie « l’exhérédation de la femme » : « sous l’Ancien Régime, les femmes nobles, à la tête de fiefs, pouvaient rendre la justice et étaient investies des attributs de souvereineté au même titre que les hommes ; les femmes du tiers-état participaient par ailleurs aux assemblées » (O. Bui-Xuan, Le droit public français entre universalisme et différencialisme, Economia, 2004, 42). 

Le Code civil de 1804 (qui opère durablement une laïcisation juridique en rompant avec l’importance de la religion dans le droit personnel d’Ancien Régime) attache une importance extrême à l’héritage et à la filiation et peut être considéré comme un recul. Il annule les dispositions révolutionnaires en matière de droits civils pour les femmes mariées. L’inégalité de traitement qui leur est réservée est flagrante en cas d’adultère. Elles ont le même statut de totale incapacité civile que les mineurs, les délinquants et les aliénés. Les célibataires ou veuves ont quelques maigres droits mais pas celui d’être témoins d’actes civils et notariés ni celui d’être tutrices. L’accès à la plupart des activités professionnelles est rendu difficile.

Et cela a perduré longtemps : l’établissement de la laïcité n’a pas été accompagné de progrès décisifs pour les femmes. Leur accés, plus tardif que dans la plupart des pays démocratiques, au droit de vote n’a pas permis leur véritable entrée dans la sphère politique.

A la fin du XXe siècle, la parité a été instaurée (sans être pour autant vraiment respectée). Lors d’une prochaine note, nous examinerons les arguments échangés lors des débats concernant la parité, car ils sont extrêmement intéressants.



[1] Il faut d’ailleurs rappeler qu’en 1789, nous n’étions pas encore en République et qu’il s’agissait d’instaurer une monarchie constitutionnelle. Il serait empiriquement plus juste de parler de l’universalisme français abstrait, même si cela écorcherait les oreilles des pieux républicains.

[2] L’article 1er de la Déclaration de 1789 est ainsi conçu : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »

[3] La notion de minorité est loin d’être seulement quantitative : tant qu’elles sont opprimées, dominées, les femmes constituent une minorité.

[4] Je rappelle la proposition : « dans le monde de l’entreprise, le Kippour, l’Aïd-El-kébir, le Noël orthodoxe ou des chrétiens orientaux seraient reconnus comme jours fériés. Ils seraient substituables à un autre jour férié à la discrétion du salarié. Cette proposition serait définie après concertation avec les partenaires sociaux, et en tenant compte des spécificités des petites et des moyennes entreprises. Cette pratique du crédit du jour férié est déjà courante dans certains pays ou organisations internationale comme l’Organisation des Nations unies. » Et c’est cette instauration d’un crédit individuel d’un jour férié, simple atténuation d’une discrimination indirecte qui a été considéré comme de l’affreux communautarisme. Un indice parmi d’autre de la mentalité intégriste républicaine. Comment voulez-vous que les banlieues ne se révoltent face à des personnes qui ont de telles œillères !

[5] Cf. ce que j’en écris dans Laïcité 1905-2005 entre passion et raison, Le Seuil, p. 240.

Commentaires

Eh oui... c'est (très) triste de constater de telles oeillères...

Une question cependant : Condorcet ne s'est-il pas singularisé justement par ses propositions en faveur des femmes (enfin, disons, propositions qui ne sont pas en défaveur, car il n'y a aucune "faveur" là-dedans, juste une notion d'égalité) ?

Il me semblait avoir lu qu'il avait fait exception.

Écrit par : Achtungseb | 05/05/2006

Merci à Bob Héros pour son expiation, très Sacré Coeur de Montmartre, des crimes de la Commune en passant sous un silence de plomb dans l'aile historienne que durant la IIIème République, la Séparation des Eglises et de l'Etat est avant tout une loi de la Commune de Paris, qui avait institué aussi le droit de vote des femmes, révisionnisme agréablement et freudiennement agrémenté d'une théorie sexuelle laïque infantile du zizi intérieur, splendide métaphore du complexe de castration où le négationnisme devient invagination de l'histoire. La dure vérité du refoulé assène cependant que la révolutionnaire Commune de Paris est l'évident butoir, canon historique pointé pour tous les acteurs de la loi accomodante de 1905, celui là même qui fit dire à Jean Jaurès "la France n'est pas schismatique, elle est révolutionnaire", propos hélas scientifiquement exact contre tous les Tartuffes pour qui la liberté en prison se vérifie d'autant plus que "l'enfermé" lui même passe aux oubliettes, le même carbonaro Auguste Blanqui fleurant heureusement toujours bon la poudre.
Votre bien dévoué Père Duchêne.

Écrit par : NEGATIONNISTE | 08/05/2006

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