Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/12/2005

COMMENT LES REPUBLICAINS ONT MAINTENU LE PACTE LAÏQUE MALGRE LE REFUS CATHOLIQUE DE LA LOI

QUINZIEME ET AVANT DERNIER IMPENSE:

Briand avait annoncé, le jour du vote de la loi par les députés, que le contenu libéral de la loi de séparation rendait facile l’application de cette loi. En était-il réellement persuadé ou cherchait-il à bien montrer qu’un refus serait la manifestation d’un mauvais vouloir de l’Eglise catholique ? Les deux explications ne sont pas incompatibles. Il est probable que Briand s’attendait à une condamnation de principe de la loi et à son acceptation de fait. Après tout Rome n’avait jamais admis les Articles Organiques et cela ne les avait pas empêché d’avoir force de loi.

Le pari de Briand fut bien prés d’être gagné puisque les évêque entrèrent tout à fait dans le cas de figure prévu : condamnation quasi unanime du principe de la séparation ; large majorité pour des associations « canonico-légales ».

Mais en août 1906, l’Encyclique Vehementer Nos demande aux catholiques de désobéir à la loi en ne formant pas d’associations cultuelles. Le pape fait comme si l’article 4 n’existe pas et comme si la condamnation de principe des évêques avait été un refus de se conformer à la loi.

Si les historiens français du catholicisme se montent souvent gênés pour analyser ce refus du pape, ce n’est pas le cas de l’historien anglais du catholicisme Maurice Larkin qui se montre sévère sur la manière dont Pie X a faussé les votes de l’épiscopat.

Mais nous avons vu tout cela dans le neuvième impensé et je vous y renvoie pour avoir plus de précisions.

A ce moment là, l’attitude des catholiques avait été attentiste ; seules quelques associations avaient été créées qui pouvaient se compter sur les doigts de deux mains. Mais dans les mois suivants, environ 150 associations voient le jour, ce qui est loin d’être une déferlante mais n’est pas absolument négligeable non plus.

Le gouvernement, légitimé par les élections de mai 1906, qui avait largement reconduit une majorité de gauche est au pied du mur. Lors de la « campagne du Siècle », Raoul Allier avait indiqué qu’un des avantages d’une loi libérale était qu’en cas de refus catholique, les paysans ( la France est encore à majorité rurale) pourraient se grouper autour de prêtres décidés à marcher avec leurs fidèles plutôt qu’avec Rome. De fait, l’abbé Frémont indique à son collègue l’abbé Lemire (également député) : « les trois quart des Français sont d’ores et déjà convaincus que le pape a tort et que le gouvernement a raison ». La victoire électorale, l’éloignement des prochaines élections, la crédibilité du gouvernement Clémenceau-Briand, …et le simple souci de montrer que la République ne recule pas quand ses adversaires conteste ses lois, autant d’atouts et de raisons qui poussent à favoriser les associations qui veulent appliquer la loi.

Il faut d’ailleurs se décider car le délai de formation des cultuelles est d’un an à partir de la publication de la loi ; le terme prévu est donc le 11 décembre 1906.

Jean-Pierre Chantin, dans deux études récentes[1], indique que deux tentatives d’organiser des associations cultuelles catholiques se firent jour :

- une Association cultuelle catholique nationale, animée par l’ex prêtre Félix Meillon, devenu protestant et qui s’occupait jusqu’alors de faciliter l’entrée dans le protestantisme des prêtres qui quittaient « l’Eglise » (écrit Chantin, comme s’il n’y en avait qu’une légitime !), le catholicisme. C’est donc une association qui peut être soupçonner de vouloir profiter de la séparation pour entraîner des éléments du catholicisme vers un protestantisme élargi (il y a, au même moment du côté protestant des tentatives de créer une association large de « libres croyants »)

- une Ligue des catholiques de France fondée par le publiciste Henri des Houx qui veut mettre Pie X devant le fait accompli car il estime que le pape est trompé par son entourage (toujours la vieille antienne du prince mal conseillé). L’idée consiste à rester soumis à Rome quant à la doctrine mais à obéir à la loi. Malgré l’article 4, le refus pontifical crée un espace pour ce ‘catholicisme républicain’.

Clemenceau (qui va devenir président du Conseil en novembre) est favorable à la première association, Briand à la seconde ; pourtant ils vont préférer la recherche d’une solution d’ensemble à un soutien à ces associations. La logique de l’article 4 continue malgré le refus d’obéir à la loi. Dés le 28 octobre Briand fait adopter par le Conseil des ministres l’application de la loi (très libérale) de 1881 sur les réunions publiques qui supprimait la nécessité d’une obligation préalable au profit d’une simple déclaration préalable (l’administration pouvant alors vérifier la salubrité et la sécurité des locaux). Une circulaire indiqua aux préfets que dans le cas de réunions pour l’exercice du culte, une simple déclaration annuelle suffisait.

Seulement quelques jours avant l’échéance du 11 décembre, le pape, jouant la politique du pire, interdit aux prêtres de faire la moindre déclaration. Au terme du délai fixé par la loi, rien n’était en place pour permettre l’exercice légal du culte catholique, sa célébration relevait désormais du « délit de messe ». (Conseil des ministres du 11 décembre). En même temps la saisie des fiches de Mgr Montagnini (l’auditeur de nonciature) prouve (une nouvelle fois) « l’ingérence pontificale dans la politique française »[2].

Le conflit aurait pu s’aggraver et l’interruption du culte catholique, conséquence logique des refus du pape, aurait pu sembler à certains croyants une « persécution ». C’est d’ailleurs ce que le pape espérait provoqué par son attitude intransigeante. Mais Buisson, au Congrès du parti radical avait défini une ligne de conduite qui va être suivi : « ni capitulation, ni persécution ».

Ni capitulation : Les départements et les communes reçoivent la libre disposition des archevêchés, évêchés, presbytères et séminaires qui sont leur propriété et dont la jouissance n’a pas été réclamée par une association cultuelle. Les biens des établissements ecclésiastiques non réclamés par ces associations sont attribués à des établissements communaux d’assistance ou de bienfaisance. Cela n’aurait pas été le cas (dans les 2 cas de figure) si les catholiques avaient formé des associations conformes à la loi, et c’est une simple application de ce qu’avait prévu la loi dans son article 9.

Ni persécution (ou ce qui en aurait l’apparence) : la déclaration préalable est supprimée et l’affectation cultuelle est conservée aux églises en dépit des deux refus opposés et les prêtres vont célébrer les offices dans les églises comme simples occupants sans titre juridique.

Une nouvelle loi est adoptée le 2 janvier 1907 pour avaliser ces mesures. Présentant cette loi à la Chambre des députés, Briand reconnaît que l’Eglise catholique a « violé la loi » et il poursuit : « Aujourd’hui, l’ayant fait constater dans tous le pays, nous vous disons : pas de représailles, ni de violence ni de brutalités inutiles ; nous venons vous demander de faire une législation telle que, quoi que fasse Rome (…) il lui soit impossible de sortir de la légalité ».

Et au Sénat, Briand insiste : « la loi que nous vous demandons de voter aura pour effet de mettre l’Eglise catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité. (…) Quoi que fasse l’Eglise catholique, il lui sera impossible de sortir de la loi ; elle sera dans la légalité malgré elle ».

Le pape répondit le 6 janvier 1907 en prétendant que la République persécutait et spoliait l’Eglise catholique.

J’arrète là l’exposé des faits car, durant l’année 2006, le Blog donnera beaucoup plus en détail ce qui s’est passé de 1906 à 1908, de la crise des inventaires au désaveu par le Conseil d’Etat des associations catholiques qui se sont conformées à la loi et aux incidents qui ont accompagné ce désaveu, provoquant mort d’homme (comme les inventaires, mais on parle toujours de l’homme mort lors les inventaires et jamais du second : significative sélection !).

Je voudrais cependant faire un commentaire sur la façon dont des historiens traitent la crise de la fin de 1906 ; c’est très intéressant car c’est à front renversé :

J.-M. Mayeur, historien du catholicisme fait un exposé des faits, signale sobrement la divergence qu’il y a eu entre Buisson (qui a poussé à l’application de la loi de 1905 en ce qui concerne les bien non affectés à l’exercice du culte) et Briand qui « eût préféré rester dans le provisoire » (ouvrage cité). Il cite longuement les propos de Briand présentant la loi du 2 janvier 1907.

Au contraire, l’historien dit « républicain », Jean-Paul Scot, co-auteur d’un ouvrage avec H. Pena-Ruiz et qui a été choisi par Y.-C. Zarka (qui représente une ligne dite « républicaine » assez hostile à l’islam) pour faire l’historique de la loi dans l’ouvrage Faut-il réviser la loi de 1905 (PUF), tient des propos assez ahurissants : il parle de « sanctions » à propos de l’application de l’article 9, comme si on n’aurait pas du appliquer la loi, il voit une « contradiction » dans cette application et l’abolition du « délit de messe » malgré le refus et des associations cultuelles et de la simple déclaration, il prétend que cette abolition est « la seule ouverture » de la loi, comme si la laïcité qui fait une loi spéciale pour maintenir dans la légalité le catholicisme qui s’en est doublement écarté, n’était pas assez « ouverte » à ses yeux. Il donne un très très bref extrait des propos de Briand en les   euphémisant le plus possible (« Briand a réaffirmé sa confiance en une issue légale »). Un peu plus loin, il parle des « anticléricaux intolérants qui ont imposé l’article 8 et la loi contradictoire du é janvier 1907 », des « antireligieux impénitents »[3].

Bref, J.-P. Scot revient aux pire affirmations d’une historiographie confessionnelle catholique pour qui il n’y a jamais assez de concessions faites à l’Eglise catholique et pour qui l’Etat républicain est forcément dans son tort.

Extraordinaire, si on comprend bien, si la République faisait une loi pour que l’islam « quoi qu’(il) fasse » soit « dans la légalité malgré (lui) », cela n’en serait pas assez  aux yeux de J.-P. Scot !!!

Extraordinaire vraiment car on voit bien là que les tenants de l’universalisme abstrait républicain, malgré leurs beaux discours sur l’égalité, ont deux poids deux mesures et n’envisagent pas du tout de la même manière ce qui concerne la majorité catholique et ce qui concerne les minorités religieuses.
Pour ma part, je m’en doutais déjà un peu, mais je ne pensais pas que cela irait jusque là et j’ai du lire à deux fois ces propos pour me convaincre que je ne rêvais pas.

En tout cas, quel FORMIDABLE IMPENSE !!!

(mercredi 28, 16eme et dernier Impensé, en attendant les nouvelles rubriques de 2006 et notamment la nouvelle série d'Impensés: La france laïque de 2006 vue par une historienne écrivant en 2106, à la fin du bicentenaire de la loi de séparation)



[1] J-P. Chantin, « Les cultuelles : des catholiques contre Rome ? »,  in La Séparation de 1905, les hommes et les lieux,  Paris, Les éditions de l’Atelier, 2005, 109-123 et « Les groupes dissidents et la Séparation », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, tome 151, oct-décembre 2005, 633-648.
[2] J.-M. Mayeur, La séparation des Eglises et de l’Etat, 3ème édition, Paris, 2005 (l’ouvrage date de 1965, mais il est toujours très intéressant à lire),185.
[3] J.-P. Scot, L’Etat chez lui et l’Eglise chez elle, Comprendre la loi de 1905, Le seuil, 2005, 294s., 300.

Les commentaires sont fermés.