23/09/2005
La SEPARATION, CRITIQUE DE L'UNIVERSALISME ABSTRAIT
LE TROISIEME IMPENSE DU CENTENAIRE :
Nous avons vu (cf les fiches sur Emile Combes et celle sur le premier impensé du centenaire) que le processus de séparation s’emboîte sur la politique d’anticléricalisme d’Etat mais que la campagne effectuée dans le quotidien républicain Le Siècle comme avec le projet rédigé par la Commission (président : Ferdinand Buisson, rapporteur : Aristide Briand), il s’éloigne de cet anticléricalisme d’Etat.
Reprenons un instant la campagne du Siècle, Raoul Allier, son artisan, propose la formule : « L’Eglise libre dans l’Etat politiquement à l’abri de ses menaces »[1]. Il ne semble donc pas rompre avec la rhétorique de la ‘République en danger’ mais, en fait, il la subvertit. Jusqu’alors cette rhétorique conduisait à demander des mesures de plus en plus dures ; chez Allier la République se met elle-même en danger si elle adopte une loi de séparation non libérale, qui brime l’exercice du culte. En effet seules les associations créées à cette fin pourront être réprimées : personne ne pourra empêcher les catholiques de former des associations lois de 1901 qui pourront être politico-religieuses et hostiles à la République. Implicitement, Allier montre qu’une démocratie donne toujours, dans une certaine mesure, à ses adversaires la liberté de la combattre en restant dans un cadre légal. Rien ne serait donc plus néfaste qu’une loi qui laisserait (en fait) « substituer entièrement un danger » en donnant « l’illusion d’y avoir paré ».
Par ailleurs, si l’Etat, après la séparation, continue à « intervenir sans cesse dans la vie des Eglises par le retrait ou l’octroi de faveurs arbitraires », de telles pratiques peuvent, par contre coup, favoriser un jour, « une réaction politique, un gouvernement clérical », ce pouvoir clérical « aura été armé par la République pour opprimer à son aise les consciences ».
Allier demande donc la liberté pour tous et l’égalité de traitement entre les religions et les « associations antireligieuses » mais n’en reste pas là. Il espère également que la séparation produira des divisions au sein du catholicisme français et défend avec persistance, les droits d’éventuels groupes futurs catholiques dissidents, catholiques républicains. Il revient « sans cesse » sur ce sujet : si la loi est libérale et que le pape la refuse, qui sait si les paysans « ne se grouperaient pas autour d’un prêtre décidé à marcher avec ses fidèles plutôt qu’avec Rome ? ». Il ne faut rien faire, selon lui, qui gène une telle possibilité. Il faut penser non seulement aux « minorités religieuses (…) qui existent aujourd’hui » mais aux « autres » qui peuvent surgir « demain », aux possibles « fractures » et « schismes dans le catholicisme ».
La séparation que prône Allier est libérale[2], sans être pour autant favorable à la prise en considération de l’unité hiérarchique catholique. De même, le projet élaboré par la Commission parlementaire fait indéniablement preuve de libéralisme, tout en rendant possible la création d’associations cultuelles catholiques qui se sépareront de Rome et des évêques. N’est-ce pas d’ailleurs logique : après la séparation, il ne revient plus à la République de garantir l’unité de l’Eglise catholique, comme elle le faisait sous le Concordat.
Les évêques estiment, au contraire, indispensable que la séparation prenne en compte cette organisation « monarchique « (l’abbé Gayraud, au Parlement). Ce problème va donc se trouver au cœur des débats parlementaires. Francis de Pressensé, député socialiste et Président de la Ligue des droits de l’homme, propose alors un ajout à l’article 4, article capital car il fixe l’attribution des biens.
Cet article 4 modifié impose une condition aux associations cultuelles qui se verront attribuer les biens des “ établissements publics du culte ” : elles doivent “ se conformer aux règles générales du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ”. Cela signifie implicitement que les associations catholiques devront respecter l’autorité des évêques sauf à se trouver matériellement et symboliquement pénalisées par la République. Cet ajout est accepté par le rapporteur de la Commission Aristide Briand et par Jean Jaurès ; il est par contre combattu par Ferdinand Buisson (le président de la Commission).On peut trouver heureux que Briand l’ait emporté sans sombrer dans le risque d’écrire l’histoire des vainqueurs. Certains tombent dans ce travers tel Jean-Paul Scot qui traite d’adeptes d’ « un anticléricalisme intolérant » les adversaires de cette adjonction.[3] Cela permet de maintenir dans l’impensé l’enjeu du débat qui n’est rien moins que l’universalisme abstrait républicain.
La victoire des « accommodeurs » contre les « républicains » :
On peut multiplier les citations qui montrent que l’enjeu est bien là : Jean-Marie Mayeur et, Yves Bruley en ont donné d’importantes, facilement consultables[4]. J’en ajouterai deux peu connues et fort intéressantes. D’abord, une citation du député radical du Loiret, Alfred Vazeille . Pour lui, si on s’en tient « sur le terrain des principes laïques », il ne faut pas considérer « l’organisation actuelle » de l’Eglise catholique : « Ce que nous devons considérer, ce sont des citoyens catholiques qui nous réclament et à qui nous devons le reconnaître, le droit de s’associer en vue de l’exercice d’un culte. » Et il insiste : « ce sont les citoyens catholiques, (c’est) la collectivité des individus catholiques groupés en association qui a droit (au) patrimoine (cultuel catholique) ; ce n’est pas tel ou tel évêque envoyé par Rome »[5].
Ensuite, une citation de Ferdinand Buisson lui-même : avec la séparation, « l’Etat ne connaît plus l’Eglise en tant qu’entité ou que hiérarchie officielle, en tant que personne publique. Plus de Concordat, plus de traités entre ces deux pouvoirs. Mais l’Etat connaît des citoyens français catholiques et, ayant (…) le sens des réalités, il envisage uniquement ces bénéficiaires auxquels il attribue la jouissance gratuite et indéfinie de toutes les églises. (…) M. Gayraud craint que ce ne soit un acte incompatible avec l’esprit monarchique de l’Eglise. Je l’ignore, mais je n’ai pas besoin de le savoir : je sais seulement que c’est le régime de la France. Nous nous bornons à appliquer aux catholiques la loi qui règle le contrat des associations pour tous les Français, la loi de 1901. (…) Voila notre crime ! Voila la machination de schisme tant de fois dénoncée. »[6]
Cette perspective possède une grande cohérence interne : avec la séparation, il n’existe plus de « cultes reconnus » (article 2 de la loi) et donc la République « garantit le libre exercice des cultes » (article 1) à ses citoyens, non à des groupements intermédiaires. « Le projet de loi, écrit Lanessan, dans le quotidien Le Siècle, avant la modification de l’article 4, ne détruit pas plus la hiérarchie des Eglises qu’il ne supprime les relations entretenues aujourd’hui par les fidèles de chaque Eglise avec leurs pasteurs. C’est à ces derniers qu’il appartiendra de maintenir l’autorité dont ils jouissent sur les adeptes de leur religion. S’ils sont habiles, ils seront respectés et obéis ; s’ils ne le sont pas, ils seront abandonnés ou négligés. L’Etat n’aura point à s’en occuper. »[7].
Un tel discours est incontestable sur le plan de « l’idée républicaine »[8] : la liberté collective est le prolongement de la liberté individuelle, c’est pourquoi la Constitution de 1791 « garantit (…) la liberté à tout homme d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ».[9] C’est aussi la perspective de la loi sur les associations et à laquelle Waldeck-Rousseau était particulièrement attaché.
Mais ce discours est inacceptable pour la hiérarchie épiscopale, pour Rome qui craint encore plus le « schisme » et le développement d’un catholicisme républicain que la perte du budget des cultes. Aussi Briand ne répond pas aux arguments de ses interlocuteurs, il martèle comme un leitmotiv que la loi doit être « acceptable » par l’Eglise catholique. C’est le but du fameux ajout à cet article 4. Pressensé explique à la Commission : « J’ai pris un article qui figurait dans la législation de certains Etats américain et l’article appliqué récemment par la Chambre des Lords dans une affaire qui a fait grand bruit en Ecosse et dans toute l’Angleterre. »[10] Là, en logique avec la conception anglo-saxonne de la démocratie, le pouvoir politique avait respecté la constitution des Eglises séparées de lui. La représentation de la liberté est, dans cette culture politique, différente : la liberté collective n’est pas un simple prolongement, elle constitue une dimension de la liberté individuelle.Ce mode de raisonnement est étranger à la tradition républicaine française. La loi de séparation comporte, dans son article le plus important (« La séparation est faites s’écria Jaurès quand il fut adopté »), un élément de la culture politique anglo-saxonne transplanté dans la culture politique du républicanisme français.
Pourquoi les historiens français minimisent en général cet aspect alors que, cette dernière décennie, plusieurs historiens ont insisté sur l’importance des « transferts culturels » et la nécessité de ne plus penser dans le seul cadre de l’histoire nationale ?
La séparation ne s’effectua pas sans un conflit interne entre partisans d’une séparation libérale. Ceux qui recherchaient un ‘accommodement raisonnable’[11] avec l’Eglise catholique l’ont emporté sur ceux qui privilégiaient la cohérence avec l’idée républicaine[12]. Pourtant le pape interdit à des évêques, prêts à élaborer des statuts d’associations cultuelles canonico-légales[13], de se conformer à la loi de 1905. Après avoir eu quelques velléités de soutenir les mouvements qui entendaient organiser malgré tout des cultuelles catholiques, le gouvernement y renonça rapidement La plupart du temps, cela découragea en amont les tentatives. Il se produisit cependant quelques cas révélateurs comme celui de Saint-les Fressin et Torcy (Pas-de-Calais) où le Conseil d’Etat donna raison à l’évêque qui avait désavoué le desservant (qui est là depuis 1899) parce qu’il avait créé une cultuelle conforme à la loi et attribua les deux églises à un nouveau desservant qui, lui, ne créa pas d’association cultuelle, par obéissance à sa hiérarchie[14].
L’aspect pacificateur de la loi de 1905 aboutit donc à un paradoxe : au nom de cette loi, la République donne raison aux prêtres qui refusent d’appliquer cette loi contre les prêtre qui voulaient s’y conformer.
Vous voyez que je n’avais pas tort, il y a quelques jours (cf la Note Contre le National universalisme et pour une laïcité critique) de vous dire qu’il ne fallait pas laisser son esprit critique au vestiaire quand on étudie la laïcité. Qu’on en soit content où qu’on le regrette (tous les jugements de valeurs sont possibles et permis sur cette question), il n’empêche : la séparation de 1905 n’a réussit qu’en articulant l’universalisme dit républicain et la conception anglo-saxonne de la liberté[2] Il n’hésite pas à protester contre des mesures qui toucheraient le seul catholicisme (cf. 69-73).
[9] Titre Ier
[12] On peut aussi dire que Briand, Jaurès, Pressensé se rattachant à une culture syndicaliste et socialiste étaient davantage prêts à admettre que la liberté collective est une dimension de la liberté individuelle que Buisson et Clemenceau parties prenantes de la culture radicale. N’oublions pas que la loi Le Chapelier est une loi réprimant les corporations.
[13] Ils avaient approuvé par 59 voix contre 17 le projet de statut présenté par Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon.
19:30 Publié dans LES QUINZE IMPENSES DE 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Bonjour,
La ville d'Athis-Mons, en Essonne, organise une semaine sur la laïcité début décembre et est à la recherche d'intervenants pour un débat organisé le 5 décembre à 20h00. Seriez-vous intéressé ? Ou alors pourriez vous nous indiquer des personnes susceptibles de l'être ?
Merci d'avance,
Le Point Information Jeunesse d'Athis-Mons
pij@mairie-athis-mons.fr
Écrit par : PIJ | 30/09/2005
Bonjour,
La ville d'Athis-Mons, en Essonne, organise une semaine sur la laïcité début décembre et est à la recherche d'intervenants pour un débat organisé le 5 décembre à 20h00. Seriez-vous intéressé ? Ou alors pourriez vous nous indiquer des personnes susceptibles de l'être ?
Merci d'avance,
Le Point Information Jeunesse d'Athis-Mons
pij@mairie-athis-mons.fr
Écrit par : PIJ | 30/09/2005
Monsieur,
La fédération régionale des Maisons des Jeunes et de la Culture d'Ile de France organise, à Meudon, le 10 novembre prochain une journée d'étude à l'attention de ses salariés sur le thème de la laïcité. En Ile de France c'est près de 70 directeurs d'équipements socio - culturels qui travaillent avec les populations pour proposer des activités sociales et culturelles et faire vivre les valeurs de l'éducation populaire. Au delà de la célébration du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat nous souhaitons proposer, au cours de cette journée, un temps de réflexion sur les façons dont la laïcité est au coeur de notre action et nous voulons ouvrir de nouveaux axes de travail.
Dans cette double perspectives nous recherchons des intervenants (historiens, ethnologues, sociologues, ...) susceptibles de faire avancer notre réflexion sur les axes suivants:
- approche comparée de la laïcité en Europe
- la laïcité comme socle d'un travail encourageant le dialogue des cultures
Ce serait avec un grand plaisir que nous vous accueillerons si vous êtes interessé pour apporter votre contribution à nos travaux.
J'espère que vous serez sensible à notre démarche et je serai heureux de pouvoir m'entretenir avec vous à ce propos.
Bien cordialement,
Stéphane Emin
chargé de mission
Les MJC en Ile de France fédération régionale
54 boulevard des batignolles
75017 Paris
tel: 01.43.87.66.83
Écrit par : Stephane Emin | 06/10/2005
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