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20/09/2005

CONTRE LE NATIONAL UNIVERSALISME

POUR UNE LAÏCITE CRITIQUE

En 1886, au moment de la laïcisation de l’école publique, était créée la « section des sciences religieuses de l’Ecole pratique des Hautes Etudes », chargée d’étudier les religions à partir d’une démarche de connaissance, de la démarche critique propre à toute étude universitaire, scientifique. Que de bruits et de fureurs : on ne peut pas étudier les religions ainsi affirmaient beaucoup de catholiques influents : où on vit sa religion et on est pour, où on ne la vit pas et on est contre, pas de neutralité, pas d’objectivité possible (l’historien Emile Poulat raconte ce vif débat dans son livre Liberté, laïcité, La guerre des 2 France et le principe de la modernité, Cujas-Cerf, 1987). En 1986, nous avons fête le centenaire. J’étais alors le président de la section, j’ai invité toutes les familles de pensée… et elles sont venues, y compris des personnalités religieuses. Tout un chacun acceptait le principe d’une démarche critique et objectivante pour l’étude des religions.

Mais il ne semble pas qu’il en soit de même en France pour la laïcité. Quand ma chaire d’ « Histoire et sociologie de la laïcité » a été créée, en 1990, certains intellectuels ont déclaré alors : « la laïcité, cela ne s’étudie pas, cela se vit », adoptant une attitude proche de celle des catholiques de 1886, indice de leur rapport religieux à la laïcité, devenue une « religion civile ». J’ai souvent entendu des phrases analogues, et encore récemment, à propos de l’étude du fait religieux. OK pour une étude du « fait religieux » selon les démarches des sciences humaines, mais pas question que la même approche critique soit faite de la laïcité. J’ai même réentendu, telle quelle, la fameuse phrase : « la laïcité, cela se vit, cela ne s’étudie pas », indice qu’elle doit circuler, telle un stéréotype. Et il en est de même, chez les mêmes, de la « République » Il y a quelques semaines, alors que je participais à une université d’été d’une organisation de gauche, une personne, membre du « Conseil scientifique de cette organisation », faisait, comme si j’étais alors, forcément, un partisan du « modèle anglo-saxon », sous prétexte que j’avais une approche critique du « modèle républicain » (français). J’ai rétorqué que l’on pouvait être critique à l’égard de tous les modèles. Mais j’ai bien senti qu’une telle énonciation comportait un parfum de blasphème…

Pourtant une telle démarche critique est bien nécessaire car dans les propos de mes interlocuteurs, il y avait un formidable vice de forme : un modèle laïco-républicain idéalisé était opposé à un modèle anglo-saxon où la critique était parfois poussée jusqu’à la diabolisation. Et toute réalité ne correspondant pas au modèle idéalisé (et il y en avait pléthore,  dans l’histoire et aujourd’hui), tout ce qui étaient des contre exemples des propos péremptoires énoncés, tout cela ne pouvait être prise en compte car, alors, ce n’était pas la « vraie » laïcité ni la « vraie » République. Ce qui signifiait qu’à la limite, la  laïcité et la République ne correspondaient à aucune réalité empirique, n’existaient que dans le pur ciel des idées… Si on parle de laïcité idéale, République idéale alors il faut comparer avec un modèle anglo-saxon lui-même idéal. Il faut comparer l’idéal avec l’idéal, le réel avec le réel, sinon on truque, on se donne bonne conscience (une bonne conscience française, bien chauvine !) à bon compte.  

Et en fait, le discours ne pouvait pas complètement  rester dans le pur ciel des idées, alors quelques exemples soigneusement choisis étaient donnés comme preuve… alors que pour d’autres, il y avait déni de réalité. Autrement dit on choisissait les « bons » exemples quant il s’agissait de la France et les « mauvais » quant il s’agissait de l’Amérique et de l’Angleterre.

Quelle naïveté : ceux qui Outre-manche et Outre-atlantique font l’inverse aboutissent facilement au résultat inverse. Et chacun peut se conforter dans son chauvinisme, croire que son modèle est universel à lui tout seul. Ne vous laissez pas impressionner par de tels tours de passe-passe, par ce terrorisme intellectuel.

Attention au national universalisme, au national républicanisme où l’exaltation de la République est une manière déguisée d’exalter la France, de mettre entre parenthèse tout esprit critique. Ainsi un de mes interlocuteurs a pesamment expliqué que dans le système anglo-saxon, tous les individus étaient égaux, mais il y avait des gens plus égaux que les autres. Bien sûr, mais quels propos boomerang ! Un baril de lessive en cadeau à celle ou celui qui me démontre qu’il en est autrement en France !

. La laïcité implique l’esprit critique. On l’affirmera bien fort et on prétendra lutter, à partir de là, contres les « intégrismes ».  Mais cela signifie la possibilité de critiquer ce qu’est concrètement la laïcité, sinon la laïcité est sacralisée et l’obscurantisme n’est pas loin. Dans mon ouvrage Laïcité 1905-2005 je parle d’ailleurs de cette tension nécessaire et importante entre l’idéal laïque et la laïcité réelle. Quand l’invocation de l’esprit critique ne sert qu’à délégitimer l’adversaire et à se justifier soi-même, on se trouve exactement dans le même schème idéologique que celui que l’on dénonce. Alors, bien au chaud, on se conforte entre gens du même avis, et on voue aux gémonies tous les autres, ces laïco-traitres !

Ce qui est particulièrement significatif, c’est que ce sont celles et ceux qui accusent très facilement des musulmans de « double discours » qui sont, en fait, dans ce double discours total. Comme si, en étant des obsédés du « double discours », ils parlaient d’eux même sans en avoir conscience.

Quand on étudie la laïcité, il faut essayer d’avoir la même rigueur, de faire le même travail d’archive et d’enquête, d’opérer la même objectivation, le même travail de conceptualisation aussi,  que dans n’importe quelle discipline scientifique. Si j’aime beaucoup parler de la laïcité hors de France c’est précisément parce qu’on ne cherche pas là, à idéologiser immédiatement mes propos, à savoir si je défends une « laïcité ouverte » ou une « laïcité républicaine ». Non, on m’attend sur le sérieux de mon argumentation, sur la minière d’administrer la preuve, sur ma capacité à rendre compte de mon objet d’études. Et alors, là, les débats sont passionnants.

Cet esprit critique, cette démarche d’objectivation n’empêchent pas, par ailleurs, l’engagement et le débat d’idées. Il en est au contraire le soubassement. Mes opinions ne se confondent pas avec mon savoir. Elles ont leur part de subjectivité et correspondent en partie à mes expériences personnelles, à mon individualité propre. Mais ces opinions se nourrissent de ce savoir et peuvent évoluer en fonction de lui. La laïcité critique est aussi une tension enrichissante entre le savoir et l’opinion. Les 2 sont légitimes, à condition de ne pas les confondre.

Au bout du compte DEUX  ECUEILS sont à éviter : croire qu’il ne peut pas exister de démarche objectivante, d’objectivité relative (comme la richesse est relative et cependant gagner 8000 € par mois, ce n’est pas pareil qu’en gagner 800 !), croire à une objectivité absolue. L’histoire doit être la plus objective possible, mais elle est toujours une tension entre la science et la fiction. C’est (notamment) pour cela qu’après avoir écrit des livres « savants » je publie maintenant un roman

Dans ce blog, Note après Note, je tente donc de mettre en œuvre cette démarche de laïcité critique. Et manifestement, il y a du répondant puisque un peu moins de 9 mois après sa création, il a reçu plus de 18000 visites. Depuis 10 jours, le nombre de visites varie entre 129 et 162 chaque jour. Merci.

On continue ? OK.  A bientôt alors pour le troisième des quinze impensés du centenaire de la séparation... Comme vous le verrez, il est une illustration parfaite du propos d'aujourd'hui. En effet, il vous montrera que, qu'on le déplore ou que l'on s'en réjouisse peu importe, la loi de séparation ne se situe pas dans la ligne de l'universalisme abstrait dit "républicain" et c'est pour cela qu'elle put pacifier le conflit des "deux France".

A très bientôt 

22:30 Publié dans ACCUEIL | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Vraiment très intéressant, comme les billets précédents. Je serai heureux de vous rencontrer à Tokyo dans quelques semaines !

Écrit par : Berlol | 23/09/2005

NATIONAL PROTESTANTISME ? Quid de tout cela : la Loi du 9 décembre 1905 publiée au Journal Officiel de République Française le 11 décembre 1905 comporte précisément 43 articles, et surement pas que les 4 premiers. Elle a été votée par la Chambre qui comptait alors 314 Députés, et pas seulement Aristide BRIAND, ainsi que par le Sénat. La Loi du 9 décembre 1905 est signée Par Emile LOUBET, Docteur en Droit, alors Président de la République; par Maurice ROUVIER, Avocat, président du conseil, ministre des affaires étrangères; par Jean Baptiste bienvenu MARTIN, Docteur en Droit, minsitre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes; par Fernand DUBIEF, Docteur en médecine, ministre d el'intérieur; par Pierre MERLOU, ministre des finances; et par Etienne CLEMENTEL, ministre des colonies.

Écrit par : le fantôme d'Emile COMBES | 24/09/2005

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