14/05/2005
La campagne du Siècle
APRES LE PROJET DE SEPARATION
D’EMILE COMES :
LA CAMPAGNE DU QUOTIDIEN LE SIECLE
Nous avons vu (cf après ce texte, dans la "Catégorie": « Emile Combes »), le projet déposé par Emile Combes, concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
Ce projet déclencha une campagne de presse menée par le quotidien LE SIECLE, qui apparaît à beaucoup de commentateurs (J.-M. Mayeur notamment) comme ayant constitué une étape décisive : « La campagne su Siècle fut pour beaucoup dans l’échec du projet Combes, elle orienta les esprits vers la recherche d’une séparation libérale : les personnalités dirigeantes du protestantisme français jouèrent là un rôle considérable » (La séparation des Eglises et de l’Etat, 3ème édition, 2005, 43).
Je complexifierai un peu tout à l’heure l’expression de « séparation libérale » ; voyons pour le moment pourquoi les protestants jouèrent un rôle décisif dans la campagne du Siècle.
LE RÔLE DES PROTESTANTS DANS LA SEPARATION :
D’abord, comme minorité religieuse, les protestants étaient plus menacés encore que les catholiques par le projet d’Emile Combes.
Ce dernier en empêchant la constitution d’Eglises dépassant les frontières du département rendait extrêmement difficile la survie du protestantisme (et du judaïsme) dans certaines régions. Les autres dispositions qui visaient le catholicisme atteignaient également le protestantisme et les autres religions.
Les protestants avaient donc des raisons de « monter au créneau ».
Mais de plus ils en avaient la possibilité : ils avaient la réputation d’être de « bons » républicains, beaucoup d’entre eux avaient été dreyfusards.
Un certain catholicisme intransigeant stigmatisait « la République livrée aux juifs, aux protestants, aux francs-maçons » (cf. J. Baubérot-V. Zuber, Une haine oubliée, Albin-Michel, 2000).
De fait les protestants, de diverses tendances, se trouvaient très présents dans la République : la Commission parlementaire chargée d’étudier les projets de séparation a travaillé principalement à partir de deux projets :
- celui de Francis de Pressensé (cf sa biographie par Rémi Fabre aux Presses Universitaires de Rennes, parue en 2004), socialiste, libre-penseur fils d’un pasteur protestant évangélique, Edmond de Pressensé, ami de Jules Ferry, qui avait déjà été un chaud partisan de la séparation,
- celui d’Eugène Réveillaud, député radical de la Charente-Inférieure, libre-penseur converti au protestantisme évangélique, ardent évangéliste, et dignitaire de la franc-maçonnerie.
Le président de la Commission était un libre-penseur d’origine protestante : Ferdinand Buisson, et Aristide Briand, le rapporteur de la Commission avait parmi ses proches collaborateurs François Méjan, protestant évangélique et frère d’un pasteur influent dans l’Eglise réformée.
Cela ne signifiait pas une sorte de « complot protestant » : ces gens n’étaient pas forcément d’accord entre eux, loin s’en faut. Ainsi le projet de Pressensé avait été mal vu des Eglises protestantes et le projet Réveillaud était une sorte de contre-projet.
Mais cela signifiait un efficace réseau de relations. Ce réseau comprenait le quotidien républicain et anticlérical Le Siècle, dont le directeur et le rédacteur en chef étaient tous les deux d’origine protestante.
La campagne de ce quotidien fut animé par Raoul Allier, professeur de philosophie à la faculté de théologie protestante de Paris, un protestant évangélique membre d’une Eglise déjà volontairement séparée de l’Etat. Il va être le chef d’orchestre
J’ouvre là une parenthèse : je précise, quand cela est nécessaire, qu’il s’agit de « protestants évangéliques ».
Pourquoi ? Parce que d’excellents auteurs (Maurice Larkin notamment) qualifie tel ou tel de « protestant libéral » et que cette erreur n’a rien anecdotique.
En effet, elle révèle la croyance naïve qu’il faudrait avoir des idées théologiques modernistes pour avoir des convictions républicaines.
Or Ed de Pressensé, Réveillaud, Méjan, Allier étaient politiquement républicains et théologiquement orthodoxes, c'est-à-dire adeptes des « croyances chrétiennes traditionnelles ». Ce n’était pas du tout des « libéraux » ou des « modérés ».
Simplement ils estimaient que le christianisme authentique suppose que « l’acte de foi » soit libre et donc ne reçoive aucune incitation sociale. En protestant contre les limitations faites aux enterrements libres-penseurs, le pasteur-sénateur Edmond de Pressensé affirmait : « l’honneur d’une religion est qu’on puisse ne pas la pratiquer ».
La campagne du Siècle comprend
- 22 articles écrits par Raoul Allier entre le 6 novembre 1904 et le 22 mars 1905 (Combes quitte le pouvoir le 18 janvier 1905 ; elle se poursuit donc après son départ, et ce jusqu’au début du débat à l’Assemblée nationale qui commence le 21 mars)
- une enquête, publiée parallèlement aux articles d’Allier, auprès de 33 personnalités (18 protestants, 1 juif, 1libre-penseur, 13 catholiques).
LE RENVESEMENT DU THEME « LA REPUBLIQUE EN DANGER »
Allier débute très fort en comparant le projet Combes de séparation avec la Révocation de l’Edit de Nantes (où plus exactement en faisant une sorte d’assimilation entre les 1ères mesures prises par Louis XIV contre les protestants et la révocation) : « M. Combes s’est donné l’air de copier Louis XIV ».
Certes, il affirme que l’Etat républicain doit se prémunir contre les « empiétements de la société religieuse », mais cela ne doit pas se faire au détriment de la liberté. Il lance la formule : « l’Eglise libre dans l’Etat politiquement à l’abri de ses menaces ».
Les accusations contre le projet Combes sont accompagnées de menaces à peine voilées : les protestants se soumettront à la loi, mais si elle est injuste, mauvaise, ils « élèveront une protestation en toute circonstance ».
Et Allier ajoute, suavement, « On ne saisit pas l’intérêt politique qu’il peut y avoir à ce que une question aussi délicate se présente à chaque élection ».
Cet argument peut impressionner des députés républicains : certes les protestants ne sont pas très nombreux, mais ils représentent assez bien la sensibilité de catholiques qui votent républicains. Ces catholiques étaient habitués aux jérémiades des évêques mais si les protestants, considérés comme anticléricaux, se mettent à dire qu’on en veut « non pas au cléricalisme, mais à la religion », alors ils tendront l’oreille. Ces catholiques peuvent donc changer de camp, sous l’influence des protestants. Ce qui est intéressant dans l’argumentation, c’est qu’elle RENVERSE l’argumentation des gouvernements de Waldeck-Rousseau et de Combes sur le thème : « LA REPUBLIQUE EN DANGER ».
Depuis 1899, on affirmait que la république étant en danger devait prendre des mesures pour se défendre et vaincre ses adversaires. Les mesures anticongréganistes avaient été justifiées ainsi. Mais, en induisant un ENGRENAGE DU CONFLIT, il s’avère, en 1903-1904, que PLUS LA REPUBLIQUE PREND DES MESURES REPRESSIVES, PLUS ELLE PROVOQUE DE RESISTANCE, ET PLUS EST DONC EN DANGER.
On aboutit à ce que Clemenceau lui-même qualifie d’ « Etat-congrégation », pour éviter la « congrégation », a (dit-il) « un Etat laïque omnipotent ».
Chez Allier, au contraire, C’EST LA REPUBLIQUE QUI SE MET ELLE-MÊME EN DANGER, si elle adopte une loi de séparation dure.
LA DEMOCRATIE NE SE DIVISE PAS :
L’argument d’Allier est que la démocratie ne se divise pas.
Une loi de séparation de combat, dure, qui brime « l’exercice du culte » (= les services religieux et autres manifestations collectives de la religion) sera contreproductive. Pourquoi ?
Parce que seule ces associations seront discriminées : personne ne pourra empêcher des catholiques de former des associations politico-religieuses, hostiles à la République, dans le cadre de la loi de 1901 sur les associations.
Il vaut donc mieux, à ses yeux, se montrer libéral pour les associations qui assureront l’exercice du culte en étant strict dans l’interdiction d’activité politique dans le cadre de ces associations.
Le raisonnement est toujours celui-ci : un démocratie donne à ses adversaires, dans une certaine mesure, la liberté de la combattre. Attention donc à une loi qui laissera (en fait) « substituer entièrement un danger » en donnant « l’illusion d’y avoir paré ».
D’autre part, si après la séparation, l’Etat continue à « intervenir sans cesse dans la vie des Eglises par le retrait ou l’octroi de faveurs arbitraires », de telles pratiques peuvent, par contre coup, favoriser un jour, « une réaction politique, un gouvernement clérical », ce pouvoir clérical « aura été armé par la République pour opprimer à son aise les consciences ».
L’ESPOIR D’UN CATHOLICISME REPUBLICAIN :
On voit comment se noue, pour Allier, la défense d’une république, non seulement laïque mais anticléricale. Et Allier combat, dans ce sens, des mesures qui défavorisent (selon lui) la création de dissidences internes au sein du catholicisme. Il émet l’espoir que si Pie X refuse une séparation libérale, les paysans français se grouperaient « autour d’un prêtre décidé à marcher avec ses fidèles plutôt qu’avec Rome ».
C’est l’espoir, partagé par maints protestants et libres-penseurs de l’époque, de l’émergence d’un « CATHOLICISME REPUBLICAIN ».
On le voit, si Raoul Allier demande, à plusieurs reprises :
- la liberté pour tous
- l’égalité de traitement entre les religions et les « associations anti-religieuses »
Et donc, incontestablement une séparation libérale, il espère quand même que la séparation produira une fracture au sein du catholicisme français et défend avec persistance non seulement les droit des groupements existants, mais ceux des futurs groupes catholiques dissidents et républicains.
Ce problème va être AU CŒUR DE LA PREPARATION DE LA LOI DE SEPARATION. Maintenant, on a tendance
- soit à le rejeter dans l’impensé
- soit à faire comme si tous les partisans d’une séparation libérale avaient défendu l’unité de l’Eglise catholique
OR LE PROBLEME DE L’EVENTUEL CATHOLICISME SCHISMATIQUE ET REPUBLICAIN VA DIVISER LES PARTISANTS D’UNE SEPARATION LIBERALE, une fois le modèle régalien de séparation combiste rejeté.
Rendez-vous le 28 mai pour la fin du Ministère Combes et la suite du processus de séparation des Eglises et de l’Etat.
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