15/01/2005
LaÏcité ouverte?
POINT DE VUE
En 2005, le centenaire de la loi de séparation permet d’espérer un large débat sur la laïcité. Ce débat ne s’effectue pas dans un vide social. Deux conception de la laïcité s’affrontent, en schématisant celle de certains philosophes qui s’affirment « républicains », comme s’ils avaient le monopole de la République, celle de certains dirigeants d’Eglises. Je défendrais, dans cette rubrique (et dans la rubrique « Le grand bêtisier de la laïcité ») une CONCEPTION DIALECTIQUE de la laïcité qui évite les écueils de ces deux conceptions qui ne sont pas forcément fausses mais sont souvent unilatérales et …. religieuses. Les deux notes qui suivent (sur la Laïcité dite « ouverte » et sur Laïcité et « liberté de choix ») cherchent à tracer le chemin de cette conception dialectique. D’autres suivront pour donner des instrument de réflexion, de débat, voire aussi de combat, dans les discussions de l’année 2005.
OUVERTE, VOUS AVEZ DIT OUVERTE
LA LAÏCITE DOIT-ELLE ETRE « OUVERTE » ?
Depuis 15 ans, de brillants philosophes et leurs frères et sœurs combattent la « laïcité ouverte » qui ne serait qu’à leurs yeux un cléricalisme (voire, pourquoi pas, un intégrisme) déguisé. L’expression même de « laïcité ouverte » serait blasphématoire : La laïcité EST la laïcité, pure essence dans le pur ciel des idées et toute adjonction d’un adjectif montrerait le mauvais esprit de mécréants de la laïcité, qui ne peuvent être que des traîtres à la cause laïque. Il faut résister à ce petit terrorisme intellectuel, en même temps cela ne signifie pas que l’expression laïcité ouverte soit forcément pertinente.
Il faut résister à ce terrorisme intellectuel. Pourquoi la laïcité serait le seul vocable de la langue française que l’on aurait pas le droit d’accompagner par un adjectif (voire par plusieurs) ? Que sont-ils ces petits maîtres penseurs pour gendarmer l’usage du langage et imposer à toutes et tous leur manière de parler ? Au nom de quoi nous trouverions nous dans le dilemme : soit adopter leur conception de lalaïcité soit être des ennemis de la laïcité ? L’interdiction des adjectifs traduit un mode pensée orthodoxe, dogmatique, une conception religieuse de la laïcité, rejetant dans l’hérésie tous ceux qui n’ont pas l’honneur de penser comme eux. Que mille fleurs s’épanouissent, que mille adjectifs fleurissent : la laïcité n’a rien d’un dogme à avaler tout cru et elle se nourrit du débat, du pluralisme des opinions…garanti par l’article X de la Déclaration des droits.
Pas d’interdit donc. Cela dit à chaque fois on peut discuter de la pertinence d’une expression et l’acceptation de la liberté d’opinion ne signifie pas que l’on pense que toutes les opinions sont équivalentes. L’essentiel est d’argumenter au lieu de se poser en moderne inquisiteur. D’où la question : qu’en est-il de l’expression « laïcité ouverte » ?
Quand je lis la presse, j’apprends parfois que je suis un partisan de la « laïcité ouverte ». Je dois donc d’autant plus m’en expliquer.
D’abord, il faut signaler que l’expression « laïcité ouverte » date de 1985, c’est-à-dire de l’année qui a suivi les grandes manifestations en faveur de l’école libre. A tort ou a raison (de mon point de vue à tort si on considère le projet Savary, à raison si on se rappelle les gesticulation de certains laïques bornés comme André Laignel) la laïcité était apparue… fermée à beaucoup de gens et elle risquait de sombrer dans la défaite du projet de réunification des deux écoles. L’expression de « laïcité ouverte » a donc signifié socialement : la laïcité n’est pas ce que vous croyez, elle est bien autre chose. Dans le même état d’esprit, il a été question de « nouvelle laïcité ». Je pense qu’effectivement j’ai du alors moi même utiliser ces expressions (plutôt « laïcité nouvelle » que « nouvelle laïcité », la différence peut paraître subtile, mais…) pour la raison que je viens d’indiquer.
Vous ne la trouverez plus sous ma plume depuis longtemps. Le contexte a changé et l’expression « laïcité ouverte » a, dans certains cas, servi de porte-drapeau à des personnes qui (de mon point de vue) confondent un peu laïcité et tolérance, qui retiennent de la loi de 1905 essentiellement l’article 1 : liberté de conscience et de culte et oublient un peu l’article 2 : non reconnaissance, non officialité des religions. Je leur reconnais le droit de privilégier l’article 1, je ne vais pas dire qu’ils sont des laïco-traitres, mais leur manière de voir la laïcité n’est pas la mienne et, en faisant un peu d’auto-publicité, je pense que chaque lecteur de mon livre Laïcité 1905-2005 entre passion et raison peut le percevoir. Ma conception de la laïcité est plus une conception critique, au sens de l’esprit critique, de la réflexivité de la raison.
Je pense que la laïcité doit allier ouverture et vigilance, et bien sur on peut débattre, sans sacrilège, sur l’endroit où il faut placer le curseur. L’adjectif qui me semble le plus approprié pour définir en un mot la laïcité (selon moi) « véritable », est l’adjectif « inclusif ». Parler de « laïcité inclusive » est différent de parler de « laïcité ouverte ». Une laïcité ouverte peut se trouver happée par les religions (ou tout autre doctrine) auxquelles elle s’ouvre. Une laïcité inclusive à la prétention de former le lien social et de refuser ce rôle aux religions (qui peuvent être un lien collectif volontaire et libre, mais pas ce qui lie une société qu’elle soit nationale, européenne ou mondiale), mais elle permet à chacun de croire ce qu’il veut et de pratiquer ce qu’il croit. Elle n’impose rien d’autre que le respect des lois démocratiques, que le droit commun. Les religions ne sont pas au-dessus des lois, elles ne sont pas non plus au dessous. C’est la leçon de l’article 4 de la loi de séparation, quand il n’a pas été imposé au catholicisme d’être un « catholicisme républicain », il a pu conserver sa structure (considérée alors comme) « monarchique ». C’est lutter aujourd’hui contre le risque gallican d’imposer de l’extérieur un « islam républicain » qui seul serait au bénéfice de la liberté de conscience et de culte. A partir du moment où il respecte les lois, où il respecte la tolérance civile, un musulman, comme un catholique, a le droit de croire ce qu’il veut. Il n’existe pas de doctrine d’Etat, de philosophie d’Etat dont nos brillants philosophes seraient les grands prêtres. Et toc.
12:15 Publié dans POINT DE VUE | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Je suis ravi d'avoir trouvé votre blog. Je me suis longtemps demandé quelle était cette laïcité si fragile, quelles étaient ces valeurs républicaines si attaquées qu'il faudrait les défendre avec une loi comme celle du voile.
Je partage vos analyses sur cette loi, ainsi que sur le fait que tout ce qui touche aujourd'hui à la "laïcité" traduit en fait une crise de l'identité française. J'ai eu de grandes polémiques sur la loi et le fonctionnement de la commission Stasi avec des proches. Je crois que cette loi quelles que soient ses motivations est malheureusement malvenue : elle cache à mon sens une peur de l'autre et même des arrière pensées racistes ou un héritage colonial mal digéré. Comment ne pas s'étonner d'ailleurs du fait qu'on confond allègrement arabes (ou maghrébins) et musulmans, alors que beaucoup de musulmans français ne sont pas d'origine maghrébine (et vice versa si j'ose dire). Par ailleurs on ne parle plus de loi sur les signes religieux mais l'expression "loi sur le voile" s'est imposée... CQFD. Comment expliquer aux musulmans que ce n'est pas une loi sur mesure contre eux ? Je vous sais gré de ce que vous dites sur la loi, le fonctionnement de la commission et plus généralement sur la laïcité et la supposée exception française. Merci encore et au plaisir de vous lire.
Écrit par : Gaël | 26/01/2005
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