L'affaire de l'épicerie de Bordeaux : Laïcité et Loi de 1905

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Aucune envie de participer à cette mascarade. Et surtout pas sur un site dont la modération est dégueulasse !

Écrit par : david weber | 24/06/2015

cher Professeur,

j'aurai quelques observations relatives à cet entretien mais avant je tenais à dire que votre intervention à l'Académie - que j'ai écoutée en ligne - était très réussie notamment du point de vue de la synthèse dont vous avez fait preuve.

vos interventions restent en effet salutaires pour séparer le bon grain de l'ivraie et promouvoir une vision "juste" du principe de laïcité.

* concernant cet entretien, votre intervention sur ce cas précis m'a quelques peu étonné, dans la mesure où je ne voyais pas en quoi cette affaire avait trait à la laïcité.

en effet, je veux bien voir dans la politique d'accueil de la clientèle de l'épicerie en question une atteinte à la mixité, à l'égalité hommes-femmes et donc une discrimination au sens du code pénal,

mais une atteinte à la laïcité? j'ai du mal.. si on reste, pour faire court, dans le "schéma" laïcité = puissance publique,

indirectement on pourrait dire que ce type de comportement est contraire à des composantes du principe de laïcité comme la liberté de conscience et l'égalité de traitement, mais peut-on pour autant parler d'atteinte à la laïcité?

en somme, si le comportement du type (épicier) est avéré, il doit juste être pénalement poursuivi pour mettre fin à la discrimination en question.

* autre petite observation: sur la HALDE, je connais bien vos arguments pour les avoir écoutés lors de différentes interventions (lien HALDE - loi de 2004 - éviter débordement de la loi), mais je pense qu'il faut tout bonnement maintenir un degré d'exigence élevé concernant la mission du Défenseur.

en effet, le Défenseur peut - et doit - aussi remplir cette mission de lutte contre les discriminations, et d'ailleurs - vous le savez - la HALDE n'était pas la seule à être fusionnée ds le Défenseur,

et vous le savez aussi pour l'avoir vous-même dénoncé, que la HALDE n'avait pas été exempte de critiques, notamment lors de son instrumentalisation par J. Bougrab dans le contentieux Baby-Loup.

selim d.

Écrit par : selim | 24/06/2015

Bonjour Selim,

Et là : " Le rectorat de Paris recale des élèves admis en section internationale "

http://www.liberation.fr/societe/2015/06/23/le-rectorat-de-paris-recale-des-eleves-admis-en-section-international-d-un-college_1335516?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook

je classe cela où ? A discrimination ? A laïcité ?

Ps : Qui tient le pari contre moi que cela ne fera pas les gros titres de la presse ?

Écrit par : david weber | 24/06/2015

25/06/15

12H00

@ Jean Baubérot

Cher Jean baubérot,

Nous vs expliquerons nos réactions plus tard. Croyez nous, elles sont motivées et argumentées.

Du reste, j'avais prévenu il y a quelques jours que le traitement médiatique des affaires concernant la laïcité avait atteint des niveaux alarmant et consternant de bêtises et que je préférais utiliser mon temps "libre" à des échanges constructifs avec des personnes à la pointe de la laïcité plutôt que de le perdre à noter, heure par heure, les erreurs, ânerie , mensonges et manipulation des medias.

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Or voici donc, comme promis à certain, le compte rendu de l’exposé de Denis Lacorne (durée 25 minutes)

http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/users/denislacorne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Denis_Lacorne

On retrouvera une grande partie de l’intervention de Denis Lacorne (et avec plus de détails) présentée à cette table dans un de ses articles :

http://osb.revues.org/1451

Pour plus de cohérence, j’ai regroupé les différentes références à la jurisprudence des Etats-Unis présentées par Denis Lacorne en thème.

1. Introduction

Denis Lacorne commence par rappeler qu’on trouve la religion un peu partout dans la vie politique des USA. Parfois, cela apparait tardivement comme dans la devise « In God We Trust » qui date de la guerre froide. Autre exemple : les présidents des USA peuvent (ou non) prêter serment sur la bible. Il n'y a pratiquement pas de président américain qui ne parle de Dieu ou qui ne fasse allusion à la Bible. Cependant, si la vie publique américaine semble très largement imprégnée de religiosité, la Constitution et la Cour suprême défendent une véritable séparation souvent plus exigeante que la nôtre. En fait, il existe bien une véritable laïcité qu'on désigne, puisque ce mot n'existe pas en anglais, par le terme de « secularism ».

2. Statistiques

Si les statistiques ethniques sont autorisées aux USA, il n’en est pas de même en ce qui concerne les religions. Cependant, grâce à certains biais, on sait :
- qu’il y a 70 p cent de chrétiens aux USA,
- 9 p cent de juifs et d’autres confessions
- et que 23 p cent de personnes n’ont pas de religion. Ce pourcentage augmente chez les jeunes américains pour atteindre 34 p cent.

39 p cent des américains assurent aller à des offices religieux. En fait, ce pourcentage semble être proche de celui de l’Europe qui est de 24 p cent. (Note du rédacteur : dans ce cas, j’avais 19 p cent en tête …)

On note une certaine superficialité chez les croyants : ainsi, par exemple, 53 p cent des protestants américains ignorent que Luther est à la base du protestantisme. Denis Lacorne citera d’autres exemples de ce type.

3. Séparation

3.1 La séparation s'est imposée avec la guerre
d'Indépendance de 1776-1783.

Les pères fondateurs de la République américaine George Washing¬ton, Benjamin Franklin, James Madison, John Adams, Thomas Jefferson sont tous favorables à la séparation de l'Église et de l'État. Dans sa « Lettre aux baptistes de Danbury » rédigée en 1802, Thomas Jefferson invente la métaphore du « mur de séparation » pour définir les relations de l'Église et de l'État dans la jeune Amérique. Cependant, cette séparation n'est pas, en soi, antireligieuse : elle est a-religieuse ; l'État est neutre, il ne saurait privilégier ou aider une religion particulière.

Jefferson et Madison, en Virginie, s'opposent, dès 1777, à l'existence d'une Église officielle, l'Église d'Angleterre, qui reçoit, seule, le montant de la dîme et l'aide à l'enseignement. Ils obtiendront gain de cause en 1786 : une loi, reprenant le texte de Jefferson, abolit tout financement public du clergé anglican et assure pour la Virginie une véritable liberté religieuse.

3.2 On ne trouve aucune référence à Dieu ou à un Être suprême dans la Constitution fédérale de 1787
C'est une « Constitution sans Dieu ».

3.3 Quant à la religion, la Constitution américaine n'y fait référence que deux fois, et de façon négative :

- Première référence : l'article 6 précise qu'on ne peut exiger aucune profession de foi religieuse pour les postes importants du Congrès les élus et des gouvernements des États fédéral et fédérés. Il s'agit de rompre avec le Test Act qui, à la fin du XVIIIe siècle, en Angleterre, obligeait à reconnaître la Trinité, la vérité de l'Église anglicane pour accéder à tous les postes importants de la fonction publique, des carrières militaires et judiciaires. Aux États-Unis, le seul serment exigé du président, des plus hauts fonctionnaires et des élus est laïque : ils doivent s'engager à défendre la Constitution, un point c'est tout.

- Seconde référence : le premier amendement de la Constitution stipule : « Le Congrès ne votera aucune loi concernant l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice » Il s'agit donc bien à la fois d'empêcher l'existence d'une religion officielle, en maintenant la neutralité de l'État, et de garantir la liberté de conscience.

- Cet article cependant ne s'applique qu'au niveau fédéral. Il ne dit rien des droits et devoirs des États de l'Union. C'est pourquoi subsistèrent longtemps après la rédaction de cet amendement des religions officielles, financées par des États fédérés : au Massachusetts, par exemple, l'Église officielle perdure jusqu'en 1833.

4. Accommodements entre politiques et religieux

D'un côté, une tradition que Denis Lacorne appelle « séparatiste », prônant une étanchéité complète entre l'Église et l'État, et, de l'autre côté, une tradition « accommodatrice » n'excluant pas des aides de l'État aux Églises, sans pour autant privilégier l'une d'entre elles. L'histoire des relations entre religion et politique n'a cessé d'osciller entre ces deux pôles.

4.1 Les monuments et les symboles religieux

Aux USA, ce sont les monuments qui sont plus ciblés alors qu’en France ce sont les vêtements. Les aumôneries sont interdites dans les écoles publiques.

Il est interdit d’installer des crèches dans les espaces publics. Cependant elles ne sont pas bannies complètement de l’espace publiques. Il faut, pour qu’elles soient légales, qu’elles donnent l’impression de ne pas être seulement chrétiennes.

Denis lacorne cite la décision récente de la Cour fédérale d’appel du 9e circuit, Trunk v. Jewish War Veterans of the USA (2011) qui confirme la décision d’un tribunal inférieur interdisant le maintien d’une grande croix latine située au sommet du mont Soledad à La Jolla, au Nord de San Diego en Californie.

L’affichage des 10 commandements dans des lieux ou bâtiments publics a été sanctionné par de nombreux tribunaux

4.2 Les Vêtements :

- Il n'existe aucune législation sur le voile. En matière de signes religieux, le gouvernement a clairement exprimé son vœu dans le contexte du réseau d’écoles publiques : les articles vestimentaires qui s’inscrivent dans la pratique religieuse des étudiants, y compris le kirpan et le foulard, ne peuvent pas être interdits.

- Cette politique a été intégrée à diverses directives gouvernementales et présidentielles, et elle a été soulignée dans le cadre d’interventions du département de la Justice des États-Unis dans une poursuite judiciaire concernant une jeune musulmane qui avait été renvoyée d’une école publique de l’Oklahoma pour avoir porté le foulard alors que le code vestimentaire de ce lycée prévoyait l’interdiction de tout couvre chef en raison du fait que c’était le signe d’appartenance à des gangs.

- On dispose d'une autre décision de la Cour suprême :
Elle concerne le port de la kippa dans l'armée de l'air. Selon l'arrêt Goldman v. Weinberger de 1986, son port est illégal, car il est contraire au code vestimentaire et à l'esprit même de la « mission » de l'armée de l'air. Mais le Congrès a, depuis, voté une loi autorisant les militaires à porter la kippa, ainsi que tout élément vestimentaire religieux « simple, discret, et non susceptible de porter atteinte à l'exercice des obligations militaires ».

4.3 L’école

- La Cour suprême n'a pas hésité à rappeler l'importance du principe de séparation, en particulier dans l'arrêt Everson de 1947. La question posée aux juges était la suivante : a-t-on le droit de donner de l'argent public pour financer le transport scolaire des élèves des écoles privées ? La réponse est positive car cette aide s'applique à tous les élèves, qu'ils relèvent ou non du secteur privé.

-En 2002, la Cour suprême, dans l'arrêt Zelman v. Simmons-Harris

https://en.wikipedia.org/wiki/Zelman_v._Simmons-Harris

a autorisé l'État de l'Ohio à apporter une aide financière, sous la forme de bons scolaires, à des élèves de Cleveland qui abandonnent l'école publique, en crise dans cette ville, pour s'inscrire dans des établissements privés. La Cour a estimé que la neutralité de l'État était respectée puisque l'aide était destinée à toutes les écoles privées, religieuses ou non. Elle ne concernait, par ailleurs, que certains districts scolaires et certaines catégories d'élèves en difficulté.

En général, mis à part ce type d'exceptions, rares aux États-Unis, 35 États interdisent les bons scolaires, les écoles confessionnelles ne reçoivent pas un sou de l'État : aux parents de payer des inscriptions coûteuses (environ 6 000 € par an et par enfant). Sur ce point particulier, on pourrait aller jusqu'à dire que la séparation est plus forte aux États-Unis qu'en France.

Denis lacorne a rappelé que Ferdinand buisson avait conduit une mission pédagogique aux USA en 1876.

Note du rédacteur : http://histoire-education.revues.org/2131

A cette évocation, les historiens présents à la table ronde se sont interrogés sur les autres influences qu’avaient pu avoir les USA sur la laïcité française ?

Note du rédacteur : à ce dernier sujet voir mails envoyés à Jean-Claude Caron (Université Blaise-Pascal – Clermont 2, président de l’AHCESR)

4.4 Dans le privé

Il a été question de l’affaire opposant une musulmane à la marque de vétements Abercrombie :

http://www.france24.com/fr/20150601-etats-unis-cour-supreme-washington-femme-voilee-emploi-abercrombie-fitch

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/06/01/la-cour-supreme-des-etats-unis-donne-tort-a-abercrombie-pour-avoir-refuse-d-embaucher-une-musulmane-portant-le-voile_4645210_3222.html

L’affaire Hobby Lobby, elle, fait partie des décisions récentes aberrantes selon Denis Lacorne.

http://www.o-re-la.org/index.php?option=com_k2&view=item&id=993:la-cour-supr%C3%AAme-et-la-d%C3%A9cision-hobby-lobby&Itemid=85&lang=fr

http://www.courrierinternational.com/article/2014/06/30/la-religion-avant-le-droit-a-la-contraception

En effet, Une décision de justice a permis à des patrons évangéliques d’une chaine de magasin de refuser de souscrire à une assurance obligatoire pour leurs employés permettant de rembourser certaines formes de contraception. Denis Lacorne se pose la question de savoir si, dans l’avenir, la justice permettra de refuser, au nom de considérations religieuses, les vaccinations.

Note du rédacteur : Il y a des suites récentes à cette affaire :

http://www.slate.com/blogs/the_slatest/2015/06/22/hobby_lobby_sequel_fifth_circuit_rejects_obamacare_contraceptive_mandate.html

5. Tour d'horizon de ce qui est autorisé et de ce qui ne l'est pas aux USA

Il n'y a aucune référence à Dieu dans les serments de naturalisation. La prière est interdite à l'école, de même qu'un moment de silence qui permettrait de prier. La prière est interdite dans un stade lors d'un match de football, car c'est un lieu public. Elle l'est également lors d'une cérémonie de remise des prix, etc. En revanche, il existe toujours un chapelain au Congrès, au nom de la tradition.

Fin de l’exposé

Lors de la partie de la table ronde réservée aux questions, les participants se poseront la question de savoir s’il y a des seuils de laïcisation aux USA comme Jean Baubérot en décrit en ce qui concerne la France ? Jacqueline Lalouette se déclarera peu convaincue par ces seuils. Valentine Zuber pense, quant à elle, que ces seuils servent surtout à « illustrer que les processus de séparation peuvent revenir en arrière ». Cette discussion a été le thème majeur abordé lors de la partie de la table ronde réservée aux questions.

On demandera à Denis Lacorne quel ont été le rapport à la religion des pères fondateurs des USA ?

La plupart d'entre eux sont déistes ou agnostiques. Tous sont issus de la tradition des Lumières ; ils lisent Voltaire et les encyclopédistes. Ils sont également nourris de la tradition du républicanisme anglais, représentée par Priestley, James Burgh ou Tom Paine, très favorables à la tolérance religieuse et critiques à l'égard de toute religion d'État. Le Dieu des fondateurs est un Dieu voltairien, un grand architecte de l'univers, qui se garde bien d'intervenir dans les affaires des hommes. Denis lacorne cite l’exemple du président Jefferson, en poste de 1801 à 1809, qu'on a accusé, pas complètement à tort, d'athéisme. Jefferson a toujours refusé d'imposer au pays des jours de jeûne ou d'action de grâces ; il a considère que ce n'est pas le rôle du président (une conception également soutenue par Andrew Jackson 1829-1837). Jefferson ne croit pas à la divinité de Jésus ; la Bible était pour lui un livre d'histoire comme un autre, et pas le meilleur. Il en a d’ailleurs écrit une qui lui convenait en supprimant tout ce qui lui paraissait surnaturel :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bible_de_Jefferson

Cette bible sera distribuée gratuitement à tout les membres du Congrès des années 1910 au années 1930. Aujourd’hui, il serait impossible de faire de même à cause de l’influence des évangélistes

Les USA ont, eux aussi, connu « une guerre de religion ». Il s’agit de la « Bible War »

http://philadelphiaencyclopedia.org/archive/nativist-riots-of-1844/

Il a été question aussi de Robert Bellah qui a fait un grand travail en ce qui concerne la religion civile :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_N._Bellah

Denis Lacorne précise que nos limites à la liberté d’expression sont différentes de celles des USA. Aux USA, sont illégales les discours qui peuvent entrainer une mise en danger des personnes. On pourra donc avoir un discours raciste légal mais, par contre, crier « aux feu ! »,, dans un cinéma, alors que ce n’est pas le cas, et déclencher par la même une panique entrainant des blessures est considéré comme passible de poursuites judiciaires.

Fin de la table ronde

Ps : Dénis Lacorne précise que son nouveau livre ne sortira pas en 2015 mais l’année prochaine.

Prochaine publication : échange de mails avec Jean-Claude Caron (Université Blaise-Pascal – Clermont 2, président de l’AHCESR) au sujet de la table ronde