27/02/2009
BIENTÔT LE PRINTEMPS
Deux nouvelles: une bonne et une moins bonne!
Commençons par la moins bonne: j'ai déjà fait allusion ici, à des problèmes de santé, concernant mon dos. Ces problèmes m'obligent à limiter actuellement au maximum l'utilisation de l'ordinateur. Je suis donc obligé de suspendre l'activité de ce Blog JUSQU'A LA MI-MARS. Ce sera presque le printemps! En attendant, ne le désertez pas (sinon, je risque de déprimer un petit peu!). Depuis sa création, ce Blog a publié 300 Notes. Il a ya largement de quoi surfer pour (re)découvrir d'anciennes Notes, de tous genres, du plus sérieux à l'humoristique.
La suite du feuilleton: "Ce qu'est - ce que n'est pas la laïcité" sera d'autant plus intéressante que j'aurai cogité plus longtemps! Qu'on se le dise!
La bonne nouvelle (en tout cas pour celles et ceux qui sympatisent avec l'approche de la laïcité défendue ici), je l'ai eue ce matin en recevant un universitaire chinois en visite en France, par le biais du Ministère des Affaires Etrangères. Il avait trouvé mon nom à cause de la Déclaration Universelle sur la laïcité au XXIe siècle et il m'a appris qu'elle circule en Chine grâce à Internet et provoque d'intéressants débats. Comme quoi, cela vaut le coup de lancer des bouteilles à la mer!
Je rappelle que cette Déclaration (dont le texte figure quelque part dans une des 300 Notes) a été signée par 250 universitaires de 30 pays des 5 continents. Ses rédacteurs principaux sont Micheline Milot (Canada), Roberto Blancarte (Mexique) et moi-même, mais, lors de sa rédaction, elle a aussi bénéficié du concours de nombreux autres universitaires de différents pays.
Donc à très très bientôt
(PS: dans le même ordre d'idée, ne m'en veuillez pas si je réponds très sommairement aux mels que je reçois)
12:35 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (5)
20/02/2009
UNE LAÏCITE ARBITRE.
D’abord une annonce :
Entre laïcité, interculturalisme et multiculturalisme
à la recherche d'un "accommodement raisonnable"
entre les approches française et canadienne
L’Ambassade du Canada en France
Vous invite à assister, le jeudi 5 mars prochain de 10h00 à 12 h 30,
au Centre culturel canadien, 5 rue de Constantine, Paris (7e), à un échange croisé Canada-France :
Le regard d’un expert français sur Canada et celui d’un expert québécois sur la France.
L'historien -sociologue Jean Baubérot, membre de la Commission Stasi, auteur d'un récent auteur d’un tout récent ouvrage intitulé « La laïcité interculturelle, le Québec, avenir de la France, France? », publié au aux Editions de l’Aube, nous proposera sa lecture de la réalité québécoise.
Sa collègue, et canadienne, la sociologue québécoise Micheline Milot, membre de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles du Québec, auteure de La laïcité, aux Éditions Novalis- Bayard, nous offrira son point de vue sur la réalité française.
avec
Prière de s’inscrire auprès de Claudette Dion à claudette.dion@international.gc.ca.
Au plaisir de vous accueillir dans nos murs le 5 mars !
N'oubliez pas: c'est gratuit mais il faut s'inscrire
Marc Berthiaume
Chargé des relations politiques et parlementaires
Ambassade du Canada
35 avenue Montaigne, 75008 Paris
Ensuite, la suite du feuilleton/ Ce qu’est –Ce que n’est pas la laïcité.
Les chapitres précédents nous avaient permis de nous rendre compte que la Princesse Laïcité voit sa beauté éclore davantage par la régulation que par l’intégration. L’intégration, elle-même doit être équilibrée : ni trop (car alors, c’est la fée Carabosse) ni pas assez (car alors, c’est l’Ogre du Petit Poucet).
La régulation sociale égalitaire donne de la vitalité à la princesse laïcité tout comme (ou presque !) le Prince charmant réveille la Belle au bois dormant par un baiser. Et puisque nous sommes en pleine histoire de prince et de princesse, tournons nous vers la laïcité monarchique belge, car elle a bien des choses à nous apprendre.
Plus précisément ouvrons l’ouvrage de Philippe Grollet : Laïcité : utopie et nécessité[1] . Il parle avec justesse de ce que j’appelle « une régulation égalitaire laïque », sans utiliser cette expression, mais cela importe peu.
Ph. Grollet est avocat au barreau de Bruxelles. Il a été président du « Cercle du Libre Examen de l’Université de Bruxelles » (1973-1975), président de « Bruxelles Laïque » (1980-1986) et président du « Centre d’Action laïque » belge (1988-2004).
C’est donc un acteur, qui nous livre une réflexion personnelle, inspirée par sa riche expérience et les responsabilités qui ont été les siennes.
Grollet combat le « communautarisme, antithèse de la laïcité politique » qu’il définit comme un « système de démembrement du service public, voire de l’autorité publique en « piliers » communautaires, Etats dans l’Etat, régis par leurs règles propres et soumis à l’autorité de leurs chefs religieux ou communautaires. »
C’est donc une « tribalisation de la société ». J’ajouterai que les politiques publiques, trop souvent, contribuent à cette tribalisation, alors même que des personnalités politiques font des effets de manche dénonciateurs sur un « péril communautariste ».
Grollet ne l’ignore pas puisqu’il écrit que l’Etat doit « assumer ses responsabilités » : « maintenir la mairie au milieu du village » et « éviter toute connivence coupable entre l’autorité publique et une autorité communautaire quelconque ». C’est la séparation des sphères, l’autonomie du processus de décision politique, de la société politique.
Cette séparation n’est pas une fin en soi. Elle est un moyen « de maintenir une stricte égalité de traitement entre toutes les communautés ». Ah, voilà précisément cette laïcité arbitrale, cette laïcité de régulation sociale.
Parler d’arbitrage permet de ne pas tomber dans le piège de ceux qui parlent de « neutralité d’abstention » ou, pire encore, de « neutralité de méfiance ».
L’arbitre court sur le terrain autant que les joueurs. Il est actif, il se fatigue. Mais il ne marque pas les buts, il n’empêche pas que ceux-ci soient marqués, sauf s’il y a tromperie.
L’arbitre veille à ce que le jeu se déroule loyalement.
Certes, il y a des gens qui couvrent du terme de neutralité une volonté d’abstention complète (sorte de ‘loi de la jungle convictionnelle’), ou même une volonté de méfiance poussant la laïcité vers une anti-religion d’Etat). Mais ce n’est pas du tout l’état d’esprit, par exemple, de la loi française de séparation votée en 1905..
Celle-ci proclame dans son Article I, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre publique ».
A mon sens, dans le genre, on n’a pas trouvé mieux que cette articulation de trois aspects :
- la liberté de conscience = le droit de croire et de ne pas croire mais aussi d’agir selon sa conscience. Il y a des cas où il est raisonnable d’accorder aux individus le droit à une « objection de conscience »
- la liberté des cultes = le droit de se réunir paisiblement pour célébrer son culte et organiser son culte librement (cf. aussi l’Article 4 de la loi de 1905)
- les limitations dans « l’intérêt de l’ordre publique » : l’objection de conscience ne peut aboutir à désorganiser la société, la liberté des cultes n’est pas absolue car elle doit se coordonner avec les autres libertés et droits démocratiques.
L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (1950) développe cela et le rend plus concret, dans un langage plus moderne.
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé,, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui. »
Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg) peut condamner un Etat membre du Conseil de l’Europe dont la juridiction n’aurait pas respecté la Convention.
Au moment même où se produisait l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », la France se trouvait condamnée à deux reprises pour atteinte à la liberté d’expression (Article 10). Le Blog en a parlé, les grands médias français peu ou pas du tout.
Ceci précisé, revenons à l’ouvrage de Grollet. Rappelez-vous, il a été question de « stricte égalité de traitement entre toutes les communautés ». Cela signifie que le refus du communautarisme n’implique en rien le rejet des « communautés ».
Grollet se montre très explicite à ce sujet.
Si le « communautarisme » est le contraire de la « laïcité politique » écrit-il, « l’organisation au sein de la société civile de communautés diverses, qu’elles soient de nature confessionnelle ou non confessionnelle, sociale, politique, culturelle, ethnique ou tout ce que l’on voudra, n’est qu’un mécanisme normal du fonctionnement de la démocratie. »
Et il poursuit : « La démocratie serait totalement impraticable sans un minimum d’organisation des citoyens regroupés selon leurs choix politiques, philosophiques, religieux et leurs intérêts économiques, culturels ou autres. »
Cela est vrai en France comme en Belgique et comme dans les autres pays démocratiques. Et les propos tonitruants contre « les communautarismes » et qui ne définissent jamais ce dont il s’agit.
Le pluriel (à communautarisme) est déjà souvent un indicateur : ce sont certaines communautés, certaines religions qui sont visées et pas pour d’autres.
Et quand il est question de lutte « contre TOUS les communautarismes » c’est pire :
- soit l’auteur de ces propos est antireligieux (ce qui est son droit strict comme option personnelle, mais certes pas comme défense du « principe de laïcité »)
- soit cette personne est aussi franche du collier que les nombreux mels que nous recevons tous : « Vous avez gagné 15000000 de $. Ceci n’est pas un spam » !
Le communautarisme doit être au singulier : c’est un système politique et social. Les communautés doivent être mises au pluriel : il en existe plusieurs.
Les auteurs de propos qui mettent (de fait) une quasi équivalence entre « communautarisme » et expression des communautés feraient bien de changer d’attitude.
La leur est boomerang. On va le voir .
Grollet finit son paragraphe ainsi : « Pour autant que ces communautés ne disposent d’aucun attribut de l’autorité publique, et ne se voient reconnaître aucune compétence relevant de l’autorité publique » : la boucle est ainsi bouclée, puisqu’on en revient à la séparation.
Le propos est clair et cohérent.
La séparation, en France, c’est l’Article 2 de la loi de 1905 : aucune officialité d’aucun culte ; donc pas d’argent public pour « toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes », sauf (est-il dit immédiatement) pour les aumôneries.
Admirable équilibre : de même que l’Article 1 est limité par les nécessité de l’ordre public, l’Article 2 est lui-même limité par l’exigence de « garantir le libre exercice des cultes » : les élèves dans les internats, les malades dans les hôpitaux, les prisonniers ne peuvent se déplacer et donc, avec les aumôneries la puissance publique peut leur apporter, s’ils le souhaitent, tel ou tel culte à domicile.
De même la loi de 1905 met, gratuitement, à la libre disposition des cultes les édifices religieux qui sont propriété publique : cela aide à garantir leur libre exercice. Et, dans les années 1920, des laïques plutôt intransigeants (tel Herriot) se sont engagés pour que de l’argent public aide à la construction de la mosquée de Paris.
Mais participer financièrement aux dépenses normales des cultes aurait un tout autre sens : ce serait une réofficialisation.
Globalement, tout cela a été à peu prés bien appliqué pendant 85-90 ans. Ce n’est que depuis 10 – 15 ans que les méfaits de l’idéologie républicaniste, et sa laïcité à géométrie variable, font qu’il y a de gros problèmes.
La Belgique, me direz vous c’est différent. Oui, et elle est à la fois moins laïque et plus laïque que la France. Nous en reparlerons, car nous continuerons à nous intéresser à l’ouvrage de Grollet
Pour le moment, retenez cette distinction fondamentale communautés-communautarisme. En effet, si vous confondez communautés et « communautarisme », vous êtes alors incapable d’indiquer la frontière entre les deux, et comme ce refus des communautés ce n’est pas tenable dans la réalité concrète…
Que se passera-t-il ? On naviguera entre les deux extrêmes : refus de l’expression communautaire – expression communautaire envahissante. Là est le boomerang.
Grollet indique qu’il faut accorder aux communautés un « espace approprié ».
Quel est cet espace ?
Ce n’est pas la sphère publique institutionnelle, politique, nous l’avons déjà vu
Mais, et là je vais en étonner plus d’un, à mon sens, ce n’est pas non plus la sphère privée.
Ce qu’il faut accorder, c’est une part de l’espace public, lieu de dialogue, de confrontation, de débat de la société civile qui est le troisième angle du triangle (même si ce n’est pas tout l’espace public).
« Comment ça, ce n’est pas la sphère privée ? » diront certains. Vous voulez vraiment le savoir ?
Vous voulez aussi savoir comment comparer le système belge, le québécois, le français, etc en matière de laïcité.
Vous voulez savoir si j’ai changé ces dernières années (certains me le disent : ils ne retrouvent pas dans le Baubérot expliquant la laïcité à Nicolas le Bien Aimé le Baubérot de la Commission Stasi : ils ont tort : leur Baubérot favori est toujours le même et je peux tout à fait expliquer la cohérence du schmilblick.)
Cerise sur le gâteau : vous apprendrez aussi pourquoi le rôle principal du sociologue de la laïcité consiste à voir le gorille que personne ne remarque.
Si, si je suis très sérieux, je vous l’assure.
Vous voulez savoir, enfin, si nous allons retrouver le bon papa Durkheim, à la barbe fleurie, très présent dans les premiers épisodes de ce remarquable feuilleton (mieux que ceux de la télé) pour bien cerner les notions d’ « intégration » et de « régulation », et que nous laissons dormir in pace depuis quelques semaines.
Autrement dit vous voulez tout savoir sans rien payer.
Vous ne voulez pas travailler plus… pour payer plus (cher)
Vraiment, « c’est pas sur vous » (comme dirait l’autre) que Super Sarko peut compter pour dénouer la crise, sauver la planète, et … plaire ainsi à Carla.
Vraiment… Mais je m’arrête car, malgré manipulations, médicaments, examens médicaux divers, mon dos fait toujours des siennes et ce n’est pas du tout agréable.
Bof, je ne suis pas un mauvais bougre. Alors, prochainement, je vous dirai tout sur les aventures multiples de la princesse Laïcité explorant les forêts profondes, les espaces rocheux et les sphères écartées.
Mais, un peu de patience, que diable !
09:51 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (0)
14/02/2009
CONROVERSE SUR LA LAÏCITE
Débat avec Mohamed Pascal Hilout
Les internautes ont pu lire ce commentaire, après la Note du 31 janvier (« Une laïcité qui se nourrit d’affaires », sur l’affaire québécoise dite des « vitres givrées »).
« Monsieur Baubérot,
Ce qui est terrible chez-vous, c’est que vous faites semblant de disséquer froidement un cas canadien, loin d’ici, alors que la référence aux « affaires » de France est constamment présente dans vos phrases. Vous usez d’un deuxième vitrage (givrant) : celui de vous référez à un confrère pour qu’on ait l’impression que la dissection se passe à travers son bistouri.
Or, vous êtes un concitoyen, aussi engagé que moi et que les autres dans la pièce de théâtre que nous jouons comme nous pouvons. Ne vous faites-vous pas, à vous-même, le coup de la « neutralité du savant ». Le sociologue, le citoyen, l’expert et l’homme des médias que vous êtes n’en font qu’un !
Et le citoyen Jean ne peut se cacher à lui-même qu’il est un acteur sollicité sur la scène médiatique et conférencière. On dirait un sorcier qui n’ayant pas obtenu les résultats escomptés des forces magiques qu’il a pourtant mobilisées, finit par les diaboliser sans en avoir l'air, puisque les termes sont polis et neutres à souhait.
Et l’acteur que vous êtes sait aussi user des non-dits : YMCA au lieu de Young Men's Christian Association aussi anglophones que leurs voisins hassidim
Très charmant l'acteur qui dit à la fin de la pièce « Chao et bisous aux dames », sans préciser qu’en général il les aime à l’étouffées par des voiles.
A quand allez-vous osez me dire : "Lâcher le cul à votre femme, citoyen Mohamed, lorsqu'elle a rendez-vous chez le gynécologue !". Avez-vous du mal à apprendre cette réplique ?
Avec tous mes respects »
Mohamed Pascal Hilout, Initiateur du nouvel islam en France
Si je republie ce commentaire et si je lui donne une réponse, c’est pour trois raisons
- d’abord, il me semble assez représentatif de l’état d’esprit des partisans d’une certaine laïcité. Les internautes ont pu constater, au fil des Notes, un certain nombre de commentaires disqualificatoires, allusifs et…courageusement anonymes. Celui ci présente l’avantage d’expliciter un point de vue ; d’être signé.
- ensuite, derrière la tentative de disqualification, il comporte des questions qui peuvent (plus ou moins) correspondre à des interrogations partagées par des personnes d’avis différents
- enfin, répondre est une façon d’indiquer les raisons de ce Blog (je rencontre toujours des gens que cela étonne : je cours après le temps, et pourtant j’y passe environ 2, 3 heures par semaine, parfois même un peu plus)
Promis, la semaine prochaine je reprends les Notes sur « Ce qu’est – ce que n’est pas la laïcité ». En effet, plusieurs d’entre vous réclament la suite.
Mais, vous allez le constater, ma réponse est aussi une manière de réfléchir sur « ce qu’est (ou n’est pas) la laïcité ».
Je reprends l’argumentation de M. P. Hilout en commençant par :
« Très charmant l'acteur qui dit à la fin de la pièce « Chao et bisous aux dames », sans préciser qu’en général il les aime à l’étouffées par des voiles. »
Eh oui, il y a souvent une petite pointe d’humour dans le blog : il ne s’agit pas d’un cours en Sorbonne. Pour continuer un court moment, sur ce registre, votre remarque fera sourire tous ceux (et encore plus celles) qui me connaissent et qui savent que, les dames, je les trouve souvent délicieuses… minijupées.
Plus sérieusement, qu’elles soient en minijupes, en jupes longues, avec un foulard ou épaules dénudées : a priori que m’importe. La sagesse populaire affirme, à mon sens, avec justesse : « l’habit ne fait pas le moine ».
Quand je rencontre quelqu’un, je vais avoir une première impression due à son apparence et l’habit en fera partie. Mais ce que je sais, c’est qu’en dépit de ce que je peux en percevoir cette personne m’est fondamentalement inconnue.
Cette personne a toute une histoire, toute une trajectoire, des aspirations, des espoirs, des passions, des tristesses, des inquiétudes, des peurs. Elle a éprouvé des joies, des déceptions, des peines. Elle a des bonheurs secrets mais aussi des blessures tout autant cachées. Elle a fait des expériences, eu des rencontres qui l’ont marquée.
Et cette petite liste n’est vraiment pas exhaustive. On pourrait allonger presque à l’infini ce que j’ignore, même de celles et ceux que je crois connaître.
Et, tout à coup, je peux éprouver une forte surprise, un émerveillement ou, au contraire, une forte déception qui peut me mettre en colère. Ou simplement un étonnement : cette femme, cet homme se révèle autre que ce que je croyais jusqu’alors.
Du coup, si je sais une chose des personnes que je fréquente, c’est qu’elles ont toutes de multiples facettes et, si conviviale et régulière soit notre relation, je ne peux les connaître toutes.
Ce sont des gens que je connais bien et qui gardent pourtant une part d’inconnu. Et en supposant même, que j’arrive à connaître totalement quelqu’un à l’instant X, qui me dit que 3 jours après, quelque chose, quelqu’un ne l’aura pas peu ou prou changé ?
Ce que je trouve particulièrement désolant dans le regard hostile porté sur les femmes qui portent un foulard, c’est l’aspect doublement réducteur.
Réducteur à l’égard de l’autre : on perçoit une individualité inconnue à travers le prisme de son foulard.
Réducteur à l’égard de soi même : on croit pouvoir inclure l’autre dans une catégorie, alors qu’on ne connaît rien de son épaisseur vivante. On veut croire que l’on sait, alors qu’on ne sait rien du tout.
Réduire l’autre à une caractéristique est une tentation d’autant plus forte que nous sommes dans une société où la plupart des gens que nous côtoyons sont des personnes avec lesquelles nous n’entretenons aucune relation régulière. Autre cas de figure : le voisin que l’on croise régulièrement en ignorant tout de lui.
Nous sommes une société d’anonymes. Le contraire de la société villageoise. Cela comporte beaucoup d’avantages : dans cet anonymat la possibilité d’avoir une vie privée, des choix personnels libres s’est considérablement agrandie.
Mais cela comporte aussi des inconvénients : diminution de l’entraide, augmentation de la solitude, des responsabilités à assumer.
Et enfin des risques : celui de privilégier l’apparence, l’immédiatement visible dans le regard porté sur autrui. Celui de se faire une opinion rapide, univoque, terriblement réductrice. C’est très rassurant de croire savoir.
Mais je vous l'assure le doute est bien plus passionnant.
Je veux bien discuter de tous les jugements portés sur le foulard, même les plus dépréciatifs (à la seule condition que l’interlocuteur accepte lui-même de mettre son jugement en débat).
Mais, en laïque invétéré, je refuse
- d’une part la croyance (crédule) que le foulard n’aurait chez la personne qui le porte aucune signification autre que celle que l’on a dogmatiquement décrétée.
- d’autre part, le regard typiquement communautariste où l’on englobe une femme par son foulard.
Je peux d’autant plus écrire cela que j’ai commencé mon ouvrage sur L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube, 2006) par expliquer (p. 23-26) que, pour moi, il s’agissait d’ « un intégrisme sans intégriste ».
« A quand allez-vous osez me dire : "Lâcher le cul à votre femme, citoyen Mohamed, lorsqu'elle a rendez-vous chez le gynécologue !". Avez-vous du mal à apprendre cette réplique ? »
Nouveau sourire : je n’aurais aucun mal à apprendre cette réplique mais je n’ai pas du tout envie de vous parler ainsi et vous n’ignorez sans doute pas, qu’étant en démocratie, vous n’avez aucun droit de m’obliger à le faire. C’est peut-être la 10ème fois que vous me répétez cette phrase. Cela tient presque du harcèlement !
Pour que les internautes puissent comprendre, il faut que je donne une petite précision. La première fois que nous nous sommes rencontrés, vous et moi, c’est à l’occasion d’un colloque où j’avais développé l’idée de « l’islam, comme analyseur de la crise de la laïcité française », en prenant notamment l’exemple de la médecine.
Je ne vais pas refaire le topos[1], d’ailleurs l’internaute intéressé peut cliquer sur la « Catégorie » : « Laïcité, médecine, école » ; il aura plein de Notes sur le sujet. Mais je voudrais brièvement commenter votre injonction très significative
- D’abord en me demandant de vous faire ainsi la leçon, vous supposer que moi (parce que je m’appelle Jean et non Mohamed !) je ne suis pas machiste et dominateur à l’égard de ma femme. Bigre, qu’en savez-vous ? Et au nom de quoi les « Jean » auraient, a priori, à faire une leçon de morale aux « Mohamed » ?
- Ensuite, implicitement là, explicitement dans les conversations que nous avons déjà eues à ce sujet, vous faites comme si le refus d’un gynécologue homme par des femmes ne pouvait être qu’imposé par leurs maris (musulmans, naturellement). Or une femme a parfaitement le droit de préférer recevoir des soins intimes d’une autre femme. Une enquête au Québec a, par ailleurs, montré que les refus de femmes d’être examinées par un médecin homme était le plus souvent le fait de « Québécoises pure laine » (comme on dit).[2]
- Enfin, je ne vous ai pas attendu pour écrire (je m’auto cite) que « le machisme de certains hommes musulmans s’exacerbe » dans une situation où les femmes musulmanes s’autonomisent (avec ou sans foulard) et réfléchir sur les problèmes de relations hommes-femmes dans la laïcité et les religions, islam y compris bien sûr.[3] Vous avez donc quelques métros de retard !
Alors, c’est quoi ce procès d’intention ?
C’est simplement, que vous n’admettez pas que quelqu’un qui, scandale !, ne pense pas la même chose que vous puisse être un historien et un sociologue de la laïcité.
Au-delà de cet aspect perso ; ce qui me paraît intéressant pour les internautes, c’est la manière dont vous êtes parmi ceux qui niez la possibilité même d’une démarche scientifique :
« Ce qui est terrible chez-vous, c’est que vous faites semblant de disséquer froidement un cas canadien, loin d’ici, alors que la référence aux « affaires » de France est constamment présente dans vos phrases. Vous usez d’un deuxième vitrage (givrant) : celui de vous référez à un confrère pour qu’on ait l’impression que la dissection se passe à travers son bistouri.
Or, vous êtes un concitoyen, aussi engagé que moi et que les autres dans la pièce de théâtre que nous jouons comme nous pouvons. Ne vous faites-vous pas, à vous-même, le coup de la « neutralité du savant ». Le sociologue, le citoyen, l’expert et l’homme des médias que vous êtes n’en font qu’un » !
Ah oui, c’est vraiment « terrible » !
Certaines de mes Notes sont des réactions d’humeurs, des opinions ; d’autres, en revanche, constituent des éléments d’une recherche.
Et c’est précisément une Note de ce second type qui vous fait bondir, Note qui était un extrait d’un exposé présenté au séminaire interne du laboratoire auquel j’appartiens, le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS-EPHE).
Le GSRL est composé de chercheurs qui ont des opinions très diverses, et particulièrement sur « la question du voile » où je pense que ma position personnelle est minoritaire.
Les séminaires internes du Labo sont des lieux de discussion d’autant plus sans concession que l’atmosphère est conviviale et que chacun sait que la démarche scientifique implique de s’exposer à la critique même vive, condition indispensable pour progresser dans l’objectivation.
Donc je pourrais vous rassurer en vous indiquant que si mon exposé avait été ce que vous en dites, les critiques auraient fusé de toutes parts. Ce qui n’a pas été le cas.
Mais je doute fort que cela ne vous rassure, puisque vous me dites de ne pas faire « le coup de la neutralité du savant ».
Si vous étiez le seul à penser ainsi, on en parlerait en conversation privée. Mais comme nombreux sont ceux qui pensent de cette façon, et que cela contribue fortement à la crise intellectuelle de la société française, cela vaut la peine de s’arrêter un peu sur cette sommation.
Ne faites pas le coup de la neutralité du savant, disent aux sociologues et aux historiens, les laïques qui se croient purs et durs.
Ne faites pas le coup de la neutralité du savant, disent les créationnistes à Darwin
Ne faites pas le coup de la neutralité du savant, a dit le stalinien Lyssenko à Mendel, d’ailleurs vous êtes moine.
Ne faites pas le coup de la neutralité du savant, disent les négationnistes aux historiens qui ont étudié la Shoah.
Bref, la négation de la possibilité d’une démarche de connaissance, d’une objectivation scientifique (sous prétexte que l’objectivité n’est jamais absolue et qu’aucune théorie scientifique n’est infaillible) est un grand classique de l’« obscurantisme ».
L’alternative : soit la scientificité est absolue - soit elle n’existe pas (parce que c’est un être humain avec sa part de subjectivité qui fait la science) est une fausse alternative.
Elle sert à pouvoir énoncer des condamnations péremptoires sans avoir à se livrer soi-même à tout ce qu’implique une démarche scientifique.
Autrement dit : bien sûr vous pouvez contester mon discours sociologique, mais par une critique elle-même fondée sociologiquement et crédible à ce niveau. C’est ainsi que la science progresse. C’est par le débat au sein d’une communauté de chercheurs.
Si j’insiste sur ce point c’est pour deux raisons.
D’abord parce que la laïcité est directement en jeu dans cette affaire. La vitalité culturelle de la laïcité est liée à un double refus :
- celui du scientisme, qui opposerait la « S »cience (vraie) et les religions (fausses). Scientisme que la sociologie a refusé des ses débuts : cf. Max Weber et Durkheim[4] expliquant que la religion (et on peut l’étendre au symbolique) pousse l’être humain en avant, au-delà du connaissable ;
- celui de l’idéologisme qui nie la possibilité même des démarches scientifiques dont les résultats, les acquis qui lui sont idéologiquement désagréables. Weber a de fort belles pages là-dessus. Je vous invite à les (re)lire[5]. J’y reviendrai peut-être un jour.
Ensuite, parce que depuis 20 ans, la laïcité française a été plus ou moins confisquée par des philosophes, disciples de Jacques Muglioni et liés à des éléments de l’Inspection générale de philosophie qui transforment cette discipline en idéologisme, parce que ce qu’ils disent ne serait pas tenable s’ils ne niaient pas des acquis de la sociologie exactement comme certains nient la théorie de l’évolution.
Cela à donné, entre autre, des discours scientifiquement faux, déjà déconstruits dans ce Blog comme l’introduction au projet de Charte de la laïcité du Haut Conseil à l’Intégration ou le « rapport Obin ».
Cela a induit aussi le retard français dans la prise de conscience des discriminations, car l’invocation incantatoire du « citoyen abstrait » servait de masque.
Je reviens à votre propos. Une disqualification un peu ridicule (excusez-moi mais je ne trouve pas d’autres termes) que le reproche de me fonder (notamment) sur les travaux d’Erving Goffman (votre « vous vous référez à un confrère pour qu’on ait l’impression…») semblerait montrer que vous ne savez guère ce qu’est la pratique de la recherche.
Il n’existe pas de travaux de type scientifique qui ne s’appuient sur des travaux antérieurs (et, à leur tour, souvent, induisent des travaux ultérieurs).
Au reste, à certains moments, dans cet exposé-Note, je me distancie de la perspective de Goffman, en expliquant pourquoi. Vous savez, j’ai assez d’orgueil pour croire que si je ne faisais que répéter Goffman ou d’autres sociologues, je ne serais pas invité aussi souvent dans des universités du monde entier.
Y compris, ajouterais-je avec une vanité souriante, les plus prestigieuses. Na !
Là, ce n’est pas du tout sur mes prises de position citoyennes que l’on m’attend, c’est sur le sérieux, la rigueur des démonstrations que je peux faire.
Là est le défi toujours recommencé.
Cela ne m’empêche naturellement pas de ne « faire qu’un », comme vous le dites. Mais cet un est multiple et effectue régulièrement des exercices de gymnastique intellectuelle pour prendre de la distance avec lui-même[6].
Cela demande de l’entraînement, de l’effort, de la ténacité, de l’acquisition patiente de savoirs, une certaine ascèse donc, mais c’est ce que je qu’exige de mes doctorants et donc m’impose à moi-même.
(une de mes mauvaises blagues favorites est de dire qu’une thèse demande au moins de travailler à mi temps, c'est-à-dire 12 heures par jour).
Confondre l’unité de quelqu’un avec une uniformité, faire comme si ses convictions l’englobaient, ça c’est vraiment du communautarisme, le regard communautariste dont je parlais au début.
« Et le citoyen Jean ne peut se cacher à lui-même qu’il est un acteur sollicité sur la scène médiatique et conférencière. On dirait un sorcier qui n’ayant pas obtenu les résultats escomptés des forces magiques qu’il a pourtant mobilisées, finit par les diaboliser sans en avoir l'air, puisque les termes sont polis et neutres à souhait. »
Rapidement, pour en finir : les médias, je me demande toujours (et je ne suis pas le seul !) s’y je dois y aller ou pas. Assez souvent je refuse car les dés sont trop pipés ; parfois j’accepte car c’est une voie d’accès obligatoire pour la parole publique.
Mais si je passe du temps (alors que je cours après) à tenir un Blog, c’est précisément pour disposer d’une petite liberté face à la médiation médiatique et à ce qu’elle impose.
Ceci dit, ma critique des médias est plus dialectique que vous ne le croyez.[7].
Voilà. Et puisque vous avez terminé votre commentaire par une injonction, je terminerai la mienne de la même manière :
Arrêtez, vous et tous ceux qui sont dans même perspective, de mépriser, de nier la démarche scientifique. Sinon, les sociologues, modernes Galilée de votre Inquisition, vont devoir vous répondre : « Et pourtant, elle tourne ! »
Réfléchissez à tout cela, Ami, vous verrez que c’est beaucoup plus complexe que vous ne l’avez cru.
Votre Jean Baubérot
PS: brève réponse au commentaire d'Aziz Djaout sur la Note "Interculturalisme et laïcité": effectivement, je suis d'accord qu'il y a DES processus de sécularisation, comme il y a des modernités.
C'est pourquoi d'ailleurs, dans mon texte j'ai indiqué que les membres des sociétés pluriculturelles avaient des "rappports très différents avec la sécularisation" (ce qui est plus complexe que de parler simplement de "degrés différents de sécularisation")
[1] Les actes du colloques sont parus : M. Mestiri – D. Rivet (éds.), Identitaire et Universel dans l’islam contemporain, IIIT France – EHESS, 2007.
[2] Cf. J. Baubérot, Une laïcité interculturelle, L’Aube, 2008, 197, 240-242.
[3] Cf. J. Baubérot, L’intégrisme républicain contre la laïcité, L’Aube, 2006, 47 (pour la citation), 29-54 pour la réflexion d’ensemble (chapitre : « la laïcité est-elle gage d’égalité des sexes ? »)
[4] Cf. E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse , PUF : ouvrage déjà cité dans de précédentes Notes.
[5] Cf. M. Weber, Essais sur la théorie de la science, éd. fçais, Plon, 1965 (tout ce qui est dit notamment sur la « neutralité axiologique » qui sort de l’alternative scientisme – idéologisme.
[6] J’en donne un exemple dans Une laïcité interculturelle, 60-62 (paragraphe : « Face à Hérouxville, le citoyen et le sociologue »)
[7] Cf. Une laïcité interculturelle, 124-157 (chapitre : « Médias manipulateurs … ou manipulés ? »)
10:05 Publié dans Laïcité française | Lien permanent | Commentaires (5)
07/02/2009
INTERCULTURALISME ET LAÏCITE
Chers Internautes,
Vous trouverez ci-joint le texte d’une présentation de mon livre Une laïcité interculturelle, Le Québec avenir de la France (L’Aube), faite au Sénat devant le 3 février dernier, devant les membres des deux groupes du Sénat : France-Canada et France-Québec.
Je vous la livre telle quelle. Il me semble intéressant de vous donner une tentative de résumer en quelques pages les (hypo)thèses de l’ouvrage. Bien sûr cela donne lieu à des raccourcis : c’est la vie !
Ensuite, j’ai toujours très mal au dos (cf. depuis de la Note du 18 janvier) et, du coup, j’économise le plus possible le temps passé à l’ordinateur. Mais ne vous inquiétez pas, je vous reviens en pleine forme, dans une semaine, pour une nouvelle Note !
M. le Président, Mmes MM les sénateurs ? Mesdames, Messieurs
Permettez-moi, tout d’abord, de vous remercier très chaleureusement, Monsieur Cléach, pour votre très aimable présentation. Je remercie également les Groupes France-Canada et France-Québec du Sénat et, avec vous, M. le premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, pour m’avoir fait l’honneur d’organiser ce dîner-débat. Le dialogue entre des représentants du peuple, des responsables politiques et des universitaires, des chercheurs me semble particulièrement important et le Sénat constitue un lieu privilégié pour l’entreprendre.
Je voudrais rappeler d’ailleurs que, le 9 décembre 2005, cent ans jour pour jour après la promulgation de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, était présentée, ici, au Sénat, une Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle, signée par 250 universitaires d’une trentaine de pays.
Cette Déclaration définissait la laïcité comme l’harmonisation de trois principes :
Premièrement, le respect de la liberté de conscience, incluant la liberté de religion et de conviction.
Deuxièmement, l’autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières, ce qui induit la séparation des sphères.
Troisièmement l’égalité de tous dans l’exercice de leurs droits, ce qui implique le refus de toute discrimination.
La laïcité, ainsi conçue, affirmait la Déclaration, constitue « un élément clef de la vie démocratique » et elle « peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été traditionnellement utilisé. »
« Elle peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été utilisé » : c’est exactement ce que pensait Aristide Briand, en présentant, en 1905, la loi de séparation devant l’Assemblée Nationale.
S’il considérait la France de son temps, avec son régime de « cultes reconnus » comme un pays de « demi laïcité », il mentionnait, en revanche, le Canada parmi les pays où la laïcité était établie car aucune Eglise n’y possédait de caractère officiel.
L’affirmation, il y a un siècle, d’une laïcité canadienne peut surprendre. Cet étonnement provient, en fait, d’une confusion fréquente entre laïcisation et sécularisation.
Cette dernière notion -la sécularisation- indique l’éloignement de la culture commune d’une société, d’un groupe par rapport à la religion.
Bien sûr, laïcisation et sécularisation ne sont pas sans liens. Il importe cependant de les distinguer : il existe une religion officielle au Danemark, pays pourtant très sécularisé. Inversement la Turquie est constitutionnellement laïque, mais moins sécularisée que le Danemark.
Au Canada, une séparation de fait a existé de façon précoce, dans une société où la culture commune était imprégnée par la religion.
Au Québec, notamment, le catholicisme est resté culturellement hégémonique jusqu’à la Révolution Tranquille ; il constituait un élément essentiel de l’identité canadienne française, un facteur clef de ce qui était appelé « la Survivance ».
D’ailleurs si le droit canadien était, pour l’essentiel, laïque, certaines institutions ne l’étaient pas. Ainsi l’école publique québécoise est restée longtemps confessionnelle.
Dans les années 1960 et 1970, il s’est produit un effondrement très rapide de cette culture catholique et la « survivance » fut remplacée par un projet politique de modernisation de la société québécoise puis par l’espoir d’un établissement d’une souveraineté nationale.
Ce rejet de l’hégémonie catholique s’est effectué avec une virulence comparable à celle de l’anticléricalisme français du XIXe siècle, mais dans des conditions très différentes car, dans le sillage de Vatican II, des élites issues du catholicisme ont participé à cette nouvelle identité québécoise.
Il ne s’est donc pas produit un conflit de deux Québec, analogue au long conflit des deux France. Ainsi le processus de laïcisation de l’école québécoise s’est opéré seulement de 1997 à 2008.
Au Québec, la sécularisation a donc été plus manifeste que la laïcisation et il s’agit déjà d’un aspect très intéressant pour nous Français car, chez nous, les conflits liés à la laïcité cachent les mutations en cours de la sécularisation qui constituent alors un véritable point aveugle.
Si la sécularisation est devenue une réalité massive dans le Québec de ces dernières décennies, elle subit aujourd’hui un triple désenchantement.
Le premier désenchantement est produit par la panne du projet souverainiste après les deux referendums perdus.
Certes, il y a eu des acquis dans la défense du français et la reconnaissance d’une nation québécoise. Mais ces acquis, effectués dans le cadre du Canada, contribuent à rendre la culture politique souverainiste moins attractive.
Désenchantement spécifique au Québec pourrions nous penser. Je n’en suis pas sûr. Une certaine analogie peut être faite avec les déconvenues de la construction de l’Europe, le referendum perdu en 2005, sans que, pourtant, le fameux « plan B » invoqué alors relance cette construction européenne. D’un côté comme de l’autre, le politique se trouve en manque d’utopie dynamique et mobilisatrice.
Les deux autres désenchantements sont communs à nos deux nations, même si le contexte est fort différent.
D’abord la croyance dans la conjonction du progrès technique et du progrès du bien être s’effondre.
Les interrogations sur le réchauffement climatique, la raréfaction de l’énergie fossile, les atteintes à la biodiversité, les maladies nosocomiales, les problèmes de la biotechnologie,… montrent les aspects plurivoques, voire contreproductifs de la puissance technique.
Au même moment, la globalisation des échanges, la montée rapide de pays émergents rendent beaucoup plus difficiles la progression du bien être dans les pays occidentaux.
Or la sécularisation a constitué, en partie, en un transfert de croyances sociales de la possibilité d’un bonheur dans l’au-delà (le paradis) à un bonheur dans l’ici bas : les Lumières, les Révolutions américaine et française se sont fondées sur la légitimité de la poursuite du bonheur.
Ensuite, troisième désenchantement, si la laïcité signifie que la société n’impose plus des croyances aux individus qui la composent, mais remet à la liberté de chacun la responsabilité du choix de ses convictions personnelles, la sécularisation, elle, a propagé, chez les individus eux mêmes, une certaine indifférence en matière de croyances personnelles. Même la plupart des croyants ont intériorisé un certain degré de sécularisation.
Or, l’aspect de plus en plus pluriculturel de nos sociétés, les flux migratoires importants notamment -au Québec plus de 40000 nouveaux venus chaque année sur une population d’environ 7 700000 habitants- produit un mélange entre des personnes ayant des rapports très différents avec la sécularisation.
Cela induit des frottements entre cultures. La crise des accommodements raisonnables que le Québec a vécu de 2006 à 2008 en est un exemple manifeste. Pour le moment constatons que la France n’échappe pas non plus à ces frottements culturels. Comment y faire face ?
Au Québec une Commission présidée par deux intellectuels, l’historien-sociologue Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor, a rédigé un rapport d’une haute tenue. Je voudrais indiquer, en les prolongeant parfois, quelques pistes contenues dans ce document.
La première piste consiste à récuser trois attitudes qui conduiraient à des impasses.
D’abord une attitude moraliste et culpabilisante qui exigerait une sorte de sainteté de la part de la société d’accueil face aux migrants.
Il est normal que des frottements culturels se produisent, il est normal que la recherche de solutions donne lieu à des tâtonnements, qu’il ne faut pas confondre avec les inacceptables manifestations racistes ou discriminatoires. Il est normal aussi que le court terme ne puisse pas tout résoudre.
Il faut du temps pour arriver à une acclimatation réciproque. Face à l’instantanéité médiatique, il faut donc réhabiliter une temporalité politique et sociale.
La seconde attitude contreproductive consisterait en une politique essentiellement fondée sur la peur, l’idée d’une menace voire d’un complot contre nos sociétés. Une sorte de court-circuit se produirait entre les craintes que nous pouvons avoir quant à la situation internationale et notre regard sur les nouveaux membres de nos sociétés.
Sur 21 « affaires » qui avaient souvent fait la « Une » des médias, les enquêtes diligentées par Bouchard et Taylor ont montré que 15 avaient été gravement déformées.
Les Commissaires ont également conclu que la situation était maîtrisée.
J’ajouterai, concernant le contexte international, que, pour ma part, j’accorde un certain crédit aux analyses d’Emmanuel Todd et Youssef Courbage montrant qu’un processus de sécularisation est en cours dans les sociétés musulmanes et que l’extrémisme islamiste est une réaction d’arrière garde face à ce processus.
Enfin Bouchard et Taylor, en proposant l’appellation « Québécois d’origine canadienne française », insistent sur le fait que ceux qui forment un ensemble, certes majoritaire, ne peuvent plus faire comme s’ils constituaient la totalité de la société.
Ils doivent veiller à distinguer leurs propres attaches culturelles des principes communs de la société politique, cela pour ne pas imposer une sorte de communautarisme majoritaire.
C’est pourquoi, autre piste, Bouchard et Taylor proposent de développer deux perspectives où le Québec se trouve déjà engagé : l’interculturalisme et la laïcité. Il me semble possible de lier étroitement ces deux voies en parlant d’une « laïcité interculturelle ».
Il existe déjà, au Québec, une nombreuse littérature sur l’approche interculturelle, littérature méconnue en France et qui aurait beaucoup à nous apprendre.
Dans le court temps qui me reste je retiendrais seulement quelques aspects.
D’abord le terme d’interculturalisme même met en garde contre une absorption du culturel dans le religieux.
La façon de considérer les rapports entre êtres humains, la conception de la vie et du bonheur, le rapport au temps et à l’espace peuvent diverger sans forcément être toujours liés à des références religieuses. En France, on a tendance aujourd’hui à l’oublier.
Ensuite, sans récuser l’identité spécifique des cultures, l’interculturalisme insiste sur leur interpénétration, sur l’interaction dynamique entre les cultures minoritaires, qui ne sont pas seulement les cultures des migrants, et la culture majoritaire.
Cela s’effectue grâce à des formations appropriées, par un ensemble de pratique de médiation mises en œuvre pour répondre à des problèmes de terrain, par une vision de la différence non comme une donnée naturelle de caractère statique, mais comme un rapport dynamique entre des entités qui se donnent mutuellement un sens et participent ainsi à un projet collectif commun.
L’interculturalisme, indiquent enfin les Commissaires, se construit sur « une tension entre le souci de respecter la diversité et la nécessité de perpétuer le lien social et les références symboliques qui le soutiennent ». C’est dans cette tension que prend sens l’accommodement raisonnable qui permet de dépasser l’alternative ruineuse du « tout ou rien » dans l’accueil des revendications de minorités.
La perspective de l’accommodement raisonnable provient de la prise de conscience que, dans une société pluriculturelle, une loi, un règlement, en étant les mêmes pour tous peuvent, de fait, créer des discriminations indirectes.
Les mesures raisonnables d’accommodement pour corriger ces effets discriminatoires ne doivent pas créer une contrainte excessive pour l’institution, l’entreprise ou l’Etat qui accommode, ou nuire au maintien de l’ordre public et à la protection des droits d’autrui.
Elles sont toujours accordées à un individu, sans jamais devenir un droit collectif.
La laïcité prônée par les Commissaires est définie comme « la combinaison d’une stricte neutralité des institutions et de la plus grande liberté possible des individus ». Elle ne doit pas être « rigide » précisent-ils et c’est pour cette raison que l’interculturalisme apparaît un garde fou contre ses dérives possibles, notamment la dérive d’une sécularisation obligatoire, indûment imposée au nom de la laïcité.
Intégrant l’interculturalisme, la laïcité québécoise a fait preuve d’inventivité en mettant en place, depuis septembre 2008, un enseignement de culture religieuse dont la France parle depuis plus de 20 ans sans jamais vraiment parvenir à le réaliser.
Mais si l’interculturalisme enrichit la laïcité, celle-ci s’avère également nécessaire à l’interculturalisme et elle constitue un grade fou face à une possible instrumentalisation communautariste ou intégriste de l’ouverture interculturelle.
La nécessité de clarifier les « balises » existantes a été un des enseignements de la crise de 2006 62008.
Un individu ne se réduit pas à une identité unique, il est porteur d’un ensemble pluriel d’identités en mouvement, riches d’une multitude de variables liées à sa trajectoire personnelle.
La laïcité doit veiller à ce qu’aucune identité ne puisse prétendre englober l’individu et l’empêcher de se construire une individualité, c'est-à-dire une résultante personnelle de ses diverses identités.
L’individualité peut se trouver étouffée de deux manières : soit par une uniformisation massifiée, soit par une emprise cléricale d’un groupe.
C’est pourquoi la construction de balises, valables d’ailleurs pour toutes les composantes de la société, loin de nuire à la pratique d’accommodement contribue à ce qu’elle atteigne son objectif. Les Québécois ne sont pas les seuls concernés !
Voie difficile, la laïcité interculturelle peut assumer le frottement des cultures en évitant le choc des civilisations. Laïcité roseau, laïcité passerelle, elle est, comme la démocratie, la plus mauvaise solution, exceptée toutes les autres.
13:09 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (2)