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29/12/2008

LA LAÏCITE N'EST PAS L'INTEGRATION

CE QU’EST, CE QUE N’EST PAS LA LAÏCITÈ. I.

 

Bon, le sous-titre de ce Blog parle de « Notes amusantes et savantes ». Désolé, cette série de Notes sur « Ce qu’est, ce que n’est pas la laïcité » risque de ne pas être vraiment désopilante !

Je vais tâcher de faire qu'elle ne soit pas trop « savante » non plus, même si ces Notes ont derrière elles pas mal d’années de recherches.

Il s’agit de tenter de reprendre les choses de façon basique, et notamment d’explorer les pseudo évidences de termes que l’on relie à la laïcité, sans jamais s’expliquer : l’intégration, le communautarisme, la distinction privé-public, etc.

 Et puis, il y a des thèmes qui reviennent régulièrement: laïcité et Etat-nation, laïcité et Lumières, etc.

 

 

Chaque fois c’est un aspect de la laïcité qui sera ainsi abordé. Avec un double but : faire le point sur ce que peut dire (à mon avis, bien sûr) une démarche historique et sociologique ; à partir de là, ce que j’en conclus et propose au débat.

Les internautes habitués du Blog savent que c’est la décrépitude idéologique actuelle du PS qui a constitué « l’occasion (qui) fait le larron ». A ma manière, comme franc tireur ne roulant pour personne, je voudrais apporter ma (là, il est de très bon ton de mettre : « modeste », alors moi je mettrai : « géniale, forcément géniale [1]» !) contribution à sa nécessaire rénovation intellectuelle.

Mais, naturellement, l’objectif est plus large. Et en ruminant le contenu de ce qui va donner ces quelques Notes, ce sont les questions posées lors de nombreuses conférences qui me reviennent à l’esprit ;

C’est important, parce que je suis comme les autres intellos : j’ai toujours tendance ne pas être assez basique, pas assez à ras de terre. Et, souvent, les questions des participants ramènent, de façon heureuse à ce que, dans mon dernier bouquin, j’appelle : une « sociologie par le bas ».

 

Cependant, la réalité présente possède une épaisseur historique. Donc aujourd’hui, pour commencer, je vais être obligé de me référer à l’histoire des dernières décennies de la laïcité en France. Pour ne pas être trop long, je serai forcément allusif. Quelques notes donneront des précisions.

N’hésitez pas à en réclamer d’autres si besoin, grâce à la possibilité donnée par la rubrique « Commentaires ».

Enfin, si ces Notes s’adressent à tous ceux que la laïcité concerne, quelque soit leur orientation politique, la critique politique n’est pas absente et nous verrons, in fine, ce que pourrait être une véritable « laïcité positive », c'est-à-dire les objectifs positifs que pourrait se donner la laïcité en ce début du XXIe siècle.

Cela à cent mille millions de milliards de lieux de la « laïcité positive » à la Sarkozy !

On y va ?

Allons y.

 

La laïcité, telle qu’elle fonctionne actuellement en France est étroitement reliée à la « question » de « l’intégration » de migrants, d’enfants de migrants, voire de petits enfants de migrants. Ainsi, significativement, c’est le Haut Conseil à l’Intégration qui a proposé, sous Chirac, une « Charte de la laïcité ».

Ce lien privilégié de la laïcité avec l’intégration n’existe pas dans certains autres pays. Nous y reviendrons.

Cela n’a pas été le cas, non plus, de la laïcité française jusqu’à une période récente, disons jusqu’à 1984 (échec du projet d’un service public unifié et laïque de l’éducation nationale ; avec même un rebond en 1994[2]).

Jusqu’aux années 1980, la laïcité apparaissait, globalement, surtout une manière de résoudre ce que les historiens appellent le « conflit des deux France ».

Cependant, avec la première « affaire de foulard » en 1989, émerge une nouvelle laïcité qui, elle, se lie étroitement à la question de l’intégration.

Et c’est cette nouvelle laïcité, confortée par des événements politiques internationaux (la guerre civile en Algérie des années 1990, le 11 septembre 2001,…) que le rapport Baroin[3] déclarera, en 2003, pouvoir et devoir être (aussi) une valeur de la droite.

 

Tant que la laïcité était liée au combat des « deux France », globalement la droite acceptait la laïcité (elle est inscrite dans les Constitutions de 1946 et 1958) mais ne s’en réclamait pas, voire s’en méfiait.

En fait, il existait deux laïcités : la laïcité constitutionnelle, à un niveau général (la république française est « laïque »), qui réglait les rapports entre l’Etat-nation et la religion. Liée à elle, la laïcité juridique  ne donnait guère lieu à un débat social.

A part dans des revues de juristes, et dans tel ou tel colloque, on n’en parlait pas. Laïcité silencieuse donc.

 

 

L’autre laïcité, la laïcité militante, brandie comme un drapeau, un sociologue-juriste italien Alessandro Ferrari la qualifie de « laïcité narrative ». Cette laïcité là se focalisait sur les subventions publiques aux écoles privées (la plupart catholiques) qui existaient depuis 1951 et que la loi Debré de 1959 avait considérablement augmentées[4].

Je ne juge pas là le fond de l’affaire, ce serait une autre Note. Je fais simplement le constat suivant : Dans le discours social, la référence à la laïcité tendait à se réduire au refus de subventions publiques à ces écoles privées, même si le discours militant pouvait accompagner ce refus de diverses utopies quant à l’école publique laïque.

 

Mais depuis l’échec du plan Langevin-Wallon[5], la réforme de l’école publique se trouvait en panne, et les adaptations faites n’empêchèrent pas une profonde crise de l’école. Et, dans les faits, l’action dominante des laïques militants (organisés dans le CNAL ou Comité National d’action Laïque) privilégiait ce combat du non subventionnement.

C’est, en tout cas, ce qui se donnait socialement à voir. Ce que l’opinion pouvait retenir. Même si, en fait, c’était plus compliqué.

Le combat des deux France tel que la laïcité militante l’a mené (de façon réductrice) s’est terminé (pour elle) par un échec cuisant en 1984. Pourtant le ministre Savary faillit réussir une victoire de compromis, substituant au dualisme scolaire, un pluralisme interne à un grand service public laïque.

Un député socialiste, André Laignel, en faisant voter 3 amendements qui, symboliquement, supprimaient le compromis, favorisa grandement la déroute. COMME QUOI LE JUSQUEBOUTISME EST STRATEGIQUEMENT DÈSASTREUX, contreproductif.

C’est pour dissocier la laïcité de cette débâcle, que certains parlèrent alors de « nouvelle laïcité ». Ils signifiaient par là la nécessité de ne plus se focaliser sur le seul non-subventionnement, mais de prendre en charge un ensemble beaucoup plus large de problèmes.

En fait, une nouvelle laïcité allait bien advenir, mais elle se montrera aussi réductrice que l’ancienne : la laïcité deviendra principalement le refus du foulard.

 

En 1989, la dissonance entre les deux laïcités fut manifeste :

En effet, la laïcité juridique continua de fonctionner : ce fut l’avis du Conseil d’Etat : le port de signes religieux à l’école publique laïque est compatible avec la laïcité, à condition qu’il ne soit pas ostentatoire, c'est-à-dire respecte les horaires, l’enseignement, la discipline scolaire et ne soit pas un instrument de prosélytisme à l’intérieur des murs de l’école.

Une bonne partie de la laïcité militante (mais pas toute : ainsi la direction de la Ligue de l’enseignement prit une autre position) déclara tout de suite le port du foulard (c’est de lui dont il était question) incompatible avec la laïcité.

Cette laïcité militante là perdit sur le plan juridique mais gagna sur le plan médiatique. Nonobstant (« comme tu causes bien » me susurre la princesse) l’avis du Conseil d’Etat, les médias dominants ont tout de suite fait comme si foulard et laïcité étaient par essence incompatibles.

L’incompatibilité totale était plus médiatique (simple, carré, facile à mettre en image, etc) que la compatibilité conditionnelle (tout ce qui un tantinet dialectique apparaît trop compliqué, notamment pour la télé).

 

 

Les arguments de l’ancienne laïcité, celle du combat des deux France, (notamment la « défense de l’école publique ») furent recyclés. Pour certains, il y a eu le désir (sans doute inconscient) de ne pas rester sur l’échec de 1984 ; pour d’autres (on y reviendra) le bicentenaire de 1789 mettait en avant le « citoyen abstrait ».

Les expressions de « laïcité républicaine » de « laïcité exception française » firent alors flores. Ces ajouts de termes, d’un côté comme de l’autre, montrent bien que l’on cherchait à verbaliser une mutation profonde de la laïcité.

 

On sait ce qui est arrivé et, notamment, comment, avec la loi de mars 2004, la laïcité juridique s’est alignée sur la laïcité militante dominante, du moins à propos du foulard., élément central où se joue la laïcité dans les représentations collectives.

En même temps, la fin du combat des deux France, et le fait que la victoire globale se soit accompagnée d’une défaite du camp laïque lors de la dernière bataille importante, a engendré une accentuation des mesures (très) conciliatrices à l’égard de l’Eglise catholique.

Et ces mesures n’ont pas attendu l’annonce de l’arrivée d’une « laïcité positive » par Super Zorro Nicolas. Ce furent souvent les socialistes qui en furent les artisans.

Ce qui est contestable dans ces mesures, c'est l'aspect d'officialisation rempante d'une religion. On pourrait même risquer l'expression d'officialisation officieuse.

Alors que l'esprit de la loi de 1905 c'est : le plus de liberté possible (compatible avec l'ordre public démocratique, c'est à dire avec l'articulation aux autre libertés publiques), le moins d'officalité possible.

 

Deux exemples : d’abord, l’accord Lang-Cloupet du 11 janvier 1993 concernant le recrutement et la formation de maîtres de l’enseignement privé sous contrat.

Si les formes ont été respectées, puisque ensuite il y a eu un décret, il n’en reste pas moins que ce décret n’est que le résultat d’un texte contractuel signé par deux ministres socialistes d’un côté, et de l’autre par le secrétaire général de l’enseignement catholique  et des dirigeants de syndicats d’enseignants catholiques.

Cela va beaucoup plus loin que la loi Debré elle-même qui ne reconnaissait nullement l’enseignement catholique en tant que tel, mais des établissements d’enseignement privé (confessionnel ou non) dont chacun passait contrat avec l’Etat.

Là on a un texte analogue aux conventions passées avec des dirigeants de syndicats représentatifs sur tel ou tel problème social.

Donc cela dépasse l’accommodement pour être une sorte de reconnaissance officieuse.

Cela moins de 10 ans après la surenchère de Laignel, suivie par les députés socialistes, cause importante de l’échec de 1984[6]  AINSI LE JUSQUEBOUTISME PREPARE LE RENONCEMENT.

Rappelons, de plus, que c’est le même Jack Lang qui a poussé Fabius a se draper dans le drapeau d’une laïcité dure (envers l’islam) au moment du Congrès PS de Dijon.

 

Second exemple : l’accord du 12 février 2002 issu de la rencontre entre Lionel Jospin et son ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant d’une part, le nonce apostolique Fortunato Baldelli, avec le cardinal Lustiger et J.-P. Ricard, président de la Commission épiscopale de l’autre instituant un « dialogue institutionnel » entre le gouvernement et l’Eglise catholique.

Là aussi, on va plus loin qu’un dialogue normal, des consultations de représentants d’instances de la société civile. La rencontre avait été préparée en concertation avec la Secrétairie d’Etat du Vatican et la délégation catholique était présidée par le nonce apostolique (=ambassadeur d’un Etat étranger) ce dont s’est étonné… qui ? Vous ne devinez pas ?

 

Ce dont s’est étonné un certain …Nicolas Sarkozy quand, ministre de l’Intérieur, il a pris le relais pour ce « dialogue institutionnel ».[7]

Spécialiste de la laïcité, l’historien Emile Poulat a pu écrire : « Lionel Jospin a inauguré une procédure d’entente négociée avec les autorités catholiques » (La Croix, 10 juin 2002). Si le cadre formel de la loi de 1905 a été respecté, l’importance donnée au Vatican dans l’affaire rappelle beaucoup la pratique concordataire et donc tourne le dos à l'esprit de la loi.

Et j’aurais pu donner d’autres exemples, comme un accord pris à la fin de 2001 entre le gouvernement Jospin et le Vatican.

 

Ce qui est frappant dans ces exemples, ce sont les dates : à chaque fois cela se passe quelques mois avant des échéances électorales, l'une difficile (Les législatives de 1993), l'autre décisive (la présidentielle de 2002... que Jospin espérait gagner).

Cela n'a d'aileurs pas empéché, dans les 2 cas, une déroute des socialistes.

Comme quoi l'opportunisme politique n'est pas forcément payant. Les gens ne sont pas idiots: ils vous voient venir avec vos gros sabots!

 

 

Autrement dit : pendant les mêmes années, où on a lié la laïcité à l’intégration ce qui l’a durcie face à l’islam (et aussi face à tout ce qui n’apparaissait pas franco-français : des Eglises évangéliques, de nouveaux mouvements religieux), on l’a adoucie face à l’Eglise catholique.

Or une caractéristique essentielle de la laïcité c’est l’égalité mise entre les religions, comme entre les religions et les convictions non religieuses.

On s’est donc remarquablement planté !

Comment en revenir à une laïcité équitable (ce qui devrait être un pléonasme !) ?

Le bon vieux Durkheim (Emile pour les dames) distinguait deux formes de socialisation : l’intégration sociale et la régulation sociale.

Déjà le sens courant qu’a pris le terme d’intégration est beaucoup moins égalitaire que son emploi par Durkheim (comme nous le verrons), mais de plus nous devrions nous poser la question : et si la laïcité était  un processus de régulation sociale et non d’intégration sociale ?

Vous allez voir, bien des choses s’éclairent alors.

Mais il vous faudra attendre… le début de l’année prochaine pour le savoir.

"Happy New Year" à toutes/tous.

(clin d’œil aux pseudos qui prétendent que ma conception de la la¨cité serait "anglo-saxonne" ! J’vous jure, y’a des baffes qui se perdent).



[1] La princesse, qui lit ce que je tape par-dessus mon épaule, me rentre dans le chou et déclare : « Ouais, je te connais, tu fais semblant de plaisanter, mais le pire, c’est que, quelque part, tu crois que c’est un peu vrai.

[2]  Le 16 janvier 1994 eut lieu une grande manif. laïque un peu paradoxale puisque défendant un article de la loi Falloux de 1850 (classiquement considérée comme très anti-laïque) dont l’abolition (jugée la veille inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel) aurait accentué la possibilité de subvention d’investissement aux écoles privées

[3]  Rapport au 1er ministre J.-P. Raffarin sur la laïcité rédigé par F. Barouin, quelques mois avant la Commission Stasi.

[4] Du moins pour les écoles passant contrat avec l’Etat. De 1959 à 1984, les laïques ont surtout insisté sur le fait que ces écoles pouvaient garder un « caractère propre ». Après 1984, certains laïques ont rappelé qu’elles étaient soumises à des obligations contractuelles, dont certaines les soumettaient à des éléments de laïcité : cf. J. Boussinescq, La laïcité française, Le Seuil, 1994, p. 122-138.

[5]  Sur le projet de réforme Langevin-Wallon de juin 1947, cf. not. le collectif, Histoire de la laïcité, CRDP de Franche-Comté, 1994, p. 292-298.

[6] Le cardinal Lustiger - dit Lulu - ayant parlé de « rupture de la promesse donnée », ce qui a eu un effet désastreux pour les laïques, auprès de l’opinion publique.

 

[7]  Cf. mon livre : La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours, Albin Michel, 2008, p. 187-189.

21/12/2008

La gauche, le croire, la politique, la laïcité.

D’abord quelques indications :

 

Notez dés à présent sur votre Agenda

la rencontre organisée par la Commission islam et Laïcité les 16 (après midi) et 17 janvier à l’Institut du Monde arabe à Paris sur :

QU’EST-CE QU’UNE SOCIETE PLURICULTURELLE ?

Susciter la réflexion et contribuer à l’action.

Le vendredi 16 après midi : transferts et contacts culturels dans l’histoire : enjeux et débats actuels

Le samedi 17 matin : Quels outils et quelles réflexions pour comprendre les sociétés pluriculturelles ?

Et l’après midi : Quelles pratiques pour faire vivre les sociétés pluriculturelles ?

 

Ensuite on me signale une difficulté : mon livre : Une laïcité interculturelle devait d’abord s’intituler : Liberté, laïcité, diversité. Et c’est sous ce titre qu’il est enregistré dans certaines librairies, notamment dans les FNAC.

Donc si vous ne le voyez pas commodément en rayon et que vous souhaitez le demander, sachez que c’est ce titre qui sortira de l’ordinateur.

 

Enfin, un spécial pour radins sympa (et dans le cadre des mesures de maintien du pouvoir d’achat!) : en exclusivité mondiale : le très beau cadeau qui ne coûte RIEN :

Abonnez un(e) ami(e) au Blog, pour un ou dix ans : c’est absolument gratuit. Il suffit de lui donner l’adresse :

http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com

 

Et maintenant deux points :

 

I.Suite et fin sur le symbolique, le croire, le politique, le marketing, (cf la Note du 13 décembre) pour avancer ensuite dans ce que pourrait être une réflexion actuelle sur la laïcité, non seulement pour le PS, la gauche, et finalement l’ensemble des gens attachés à la démocratie.

2.Commencer à débroussailler cette réflexion sur la laïcité démocratique du XXIe siècle.

En effet, si normalement la laïcité devrait être étroitement liée à la démocratie, toutes les laïcités ne sont pas démocratiques. Et cela fait partie du problème.

Je vous recommande à ce sujet 2 excellents ouvrages :

Un dirigé par Valentine Zuber et Fabienne Randahxe : Laïcité-démocraties, des relations ambiguës, Turnhout, Brepols, 2003.

Un autre, récent, Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam, Paris, fayard, 2008.

 

Bon,  sur le premier point, je vous avouerai que j’ai un peu perdu mon élan pour continuer (et achever) ma dernière Note. C’est ce qui arrive quand on doit abandonner ce que l’on est en train de faire parce que l’on a du travail en retard sur le feu.

Je me rappelle quand même deux idées sur lesquelles d’ailleurs, je reconnais volontiers que je tâtonne.

Parfois je livre dans le Blog des résultats d’années de recherche, et là je suis assez assuré de ce que j’écris. Parfois aussi, je livre à la réflexion des hypothèses plus hésitantes, pour les clarifier et avoir des remarques. C’est le cas ici.

A bons entendeurs, salut !

La première idée consiste à dire que le politique, comme le religieux ne peut pas être objet de marketing exactement de la même manière qu’un produit matériel.

Je parle là d’un point de vue totalement froid, « scientifique » entre guillemets, qui laisse de côté toute préoccupation (voire indignation) morale. Il s’agit de faire un constat.

A l’égard d’un produit matériel, on peut avoir une attitude purement fonctionnelle et manipuler les choses de l’extérieur : qu’est-ce qui va le mieux marcher pour vendre ce produit?

Quand il s’agit d’un produit immatériel, cela peut être pareil si on marche au « flair » et que l’on surfe sur ce qui va être performant à un moment donné. Mais, souvent, on ne tiendra pas alors une attitude, un discours cohérent dans la longue durée. Et même en ce cas, on le verra, une croyance est indispensable (cf. ce qui sera dit dans le cadre de la seconde idée)

 

L’analyse socio-historique de la religion peut nous aider à percevoir la différence. La religion remplit certes une fonction sociale (qui peut varier suivant les temps, les lieux, les religions elles-mêmes).

Et pourtant, cela ne suffit pas à assurer son succès. Quand on a voulu fabriquer de la religion cela n’a pas été durable. L’exemple des cultes révolutionnaires  (la déesse Raison, la déesse Liberté, etc) le montre.

Les grands fondateurs de religion étaient eux-mêmes, d’une certaine manière, dépendants des croyances qu’ils propageaient.

Cela ne signifie pas, ipso facto, que ces croyances étaient « vraies ». C’est un problème d’un autre ordre. Simplement, ces fondateurs, et les grands propagateurs aussi, étaient à l’intérieur du croire.

Et maintenant, plein de gens déplorent la « perte du sens », etc. Mais ils se montrent incapables de créer du sens, car on ne peut créer durablement du sens sans y adhérer d’une certaine manière.

Et il existe une analogie au niveau de la sphère politique.

Analogie veut dire ressemblance (le politique comme le religieux met en jeu du symbolique, et notamment de « l’espérance ») et différence (le politique doit allier le symbolique et l’empirique, c'est-à-dire avoir une action dont on vérifie les résultats, et donc savoir allier convictions et pragmatisme).

 

D’où, 2 premières propositions de piste de travail pour construire une laïcité du XXIe siècle :

-         Réfléchir à la religion comme concentré de structures symboliques, et donc sortir de l’alternative implicite (que l’on retrouve souvent, alors même que l’on dit officiellement que la religion est un choix personnel) : vérité ou illusion de la religion. Et cela euphémise la frontière religion-non religion, ce qui correspond à la réalité sociale d’aujourd’hui.

-         Réfléchir à la ressemblance et à la différence entre politique et religion. Vouloir la séparation des deux sphères n’interdit nullement de tenter de penser leurs rapports. Au contraire.

 

La seconde idée, c’est qu’il faut bien à un moment réintégrer l’éthique. Justement parce que si on doit être à l’intérieur d’un système de croyances, il serait contradictoire d’en rester à un seul regard froid et extérieur, même si l’on a commencé ainsi.

Mais, il ne s’agit pas, en réintégrant l’éthique d’oublier ce que nous a appris une démarche froide.

D’autant plus que je ne vous ai pas tout dit : dans le marketing politique, partout et encore plus dans la conjoncture française de la Ve République où l’acte politique essentiel est l’élection de président au suffrage universel, il y a bien un « produit » qui est en jeu.

C’est une personne qui doit se « vendre ». Se cacher ce fait que l’on ne saurait voir, car il est extrêmement désagréable du point de vue de la croyance collective militante, de la conviction politique (qui voudrait parler de « programme » dans le pur ciel des idées), est, selon moi, d’une naïveté incommensurable.

Or si un leader religieux peut « légitimement » échouer, au nom de la prééminence de l’éthique de conviction sur l’éthique de responsabilité dans l’ordre du religieux, je pense qu’une des différence entre religion et politique, c’est que, dans ce dernier domaine, l’éthique de responsabilité doit l’emporter sur l’éthique de conviction.

C’est en tout cas au niveau de l’éthique de responsabilité qu’il me semble nécessaire de réintroduire de l’éthique dans le politique, non à celui d’une pure éthique de conviction.

 

Pour moi, le non sens politique, c’est Delors refusant de se présenter à l’élection présidentielle en 1995. « Ca c’est très estimable » m’a dit quelqu’un lors d’un dîner en ville. Non, cela prouve seulement que Delors était fondamentalement un haut fonctionnaire (ce qui n’est, bien sûr, pas déshonorant !) mais pas un politique.

Vous connaissez la phrase de Péguy sur ceux « qui n’ont pas les mains sales parce qu’ils n’ont pas de mains ».

 

Reprenons l’idée de Max Weber : c’est en croyant à « l’impossible » que l’on arrive à réaliser « tout le possible ». Ce que Delors aurait du donc faire s’il avait accepté d’être candidat ( ou ce que d’autres doivent faire ; la référence à Delors est commode pour dépassionner le débat !). C’est :

-         croire (au moins un peu) à « l’impossible » (comme horizon qui met en marche),  en tout cas qu’il est possible de changer les choses.

-         croire que c’est grâce à soi même que cet impossible va peu ou prou se réaliser. La croyance en soi même est un élément clef de l’affaire. Même si on ne croit pas vraiment que l’on va réaliser « l’impossible », il faut quand même croire en sa capacité d’exercer le pouvoir, sans échouer de façon trop retentissante, non ?

-         et aussi se montrer capable de faire croire que c’est effectivement grâce à soi-même, et non grâce à un autre, que l’on peut collectivement se projeter dans cet « impossible », ou (en tout cas) espérer un avenir différent et meilleur..

Cela demande pas mal de zigzags, de sens de la manœuvre, et (surtout dans la société actuelle) d’utilisation du marketing.

Certains cracheront dans cette soupe. D’autant plus qu’ensuite, il faudra se servir des ressources ainsi acquises pour faire face aux multiples contraintes et réaliser…le possible, c'est-à-dire quelque chose de bien en deçà de l’espérance suscitée.

Oui, certains peuvent cracher dans cette soupe assez amère. Je les invite à relire Marivaux.

Dans Marivaux l’établissement d’une relation amoureuse ne s’effectue jamais en ligne droite, c’est comme au billard, il y a pas mal de détours. Il arrive même des coups tortus.

Mais ces moyens plus ou moins tortueux sont nécessaires pour débloquer une situation qui est, elle-même, tordue.

Il faudrait un Marivaux pour parler du juste rapport entre politique et marketing !

 

OK, m’a dit une fois un interlocuteur à qui j’exposais cette belle théorie, mais « il ne faut pas perdre son âme pour autant ». OK, répons-je, mais je trouve significatif qu’arrive alors une expression aussi… religieuse.

Et pour en finir avec cette première partie qui a commencé avec un commentaire de « Ce que siffler Jaurès veut dire » (Note du 6 décembre) , une nouvelle citation de Jaurès (dans un commentaire « Grunchard » m’a demandé s’il est opportun de revenir à Jaurès : « revenir », non, mais écouter ce qu’il a dit, pourquoi pas) :

« Aller à l’idéal et comprendre le réel »

 

Deux risques :

- Ne pas vouloir comprendre le réel, parce qu’il n’est pas tel que nous le voudrions, qu’il est décevant, et même tordu. Donc on flotte dans l’idéal, c’est intellectuellement et moralement plus confortable.

- Perdre complètement de vue l’idéal en cours de route, parce qu’on a du fortement s’enraciner dans le réel et, du coup, s’en accommoder.

 

Une piste pour allier les deux aspects (l’idéal et le réel), c’est de tenir compte du réel, y compris dans ses aspects « désagréables » dans son action  mais saisir toutes les occasions qui peuvent (peut-être !) permettre de rendre, à terme, certaines contraintes du réel moins pesantes.

C’est pourquoi, cela me met tellement en rogne de voir que la gauche a réagit par le petit côté de la lorgnette au projet de suppression de la pub sur les chaînes publiques.

Il y avait là une formidable opportunité à saisir. Non pour accepter tout cuit le projet sarkozyste, mais pour s’en servir comme levier pour proposer un véritable projet pour la télévision publique libéré de l’emprise de la pub.

Je persiste et signe : OK bien sûr pour lutter contre la nomination du PDG, mais mettre autant le paquet sur la défense du budget de France Télévision, en prétendant que le problème se situait là, c’est faire comme si la publicité n’informait pas un modèle de société.

Vous savez pourquoi France-télévision prévoit un budget en déficit ? : c’est parce qu’elle veut être la première au niveau des… diffusions sportives. Comme si c’était prioritaire pour des chaînes publiques. Comme si ce n’était pas quelque chose dont le privé pouvait se charger, en le finançant par la pub, justement.

Si la gauche avait investi sur la télévision publique le quart de l’inventivité dont les Républicains avaient fait preuve pour l’école publique, il y a un bon siècle… elle ne serait pas autant dans la mouise.

 

Bon voilà pour les deux idées.

Mais, en supplément gratuit, il faut que je dise deux mots de l’affaire Madoff, vous savez celui qui a détourné 50 milliards de dollars, un  très bel exemple de l’importance du croire en économie.

Le sociologue américain James Coleman analysait, il y a environ 20 ans, les pratiques socio-économiques qui, grâce à un haut degré de confiance, pouvaient se dispenser de gros frais d’assurance, de lourdes dépenses pour avoir une sécurité matérielle.

Appartenance à une communauté religieuse identique entre membres de la transaction, sens de l’honneur, capacité de sanction du groupe,… tout cela formait un capital social immatériel qui permettait de réaliser de bonnes affaires sur le plan financier.

Manifestement, c’est ce qui s’est passé… et a permis un bluff monumental. Notons que si les dites « victimes » de l’affaire Madoff ont beaucoup perdu, elles avaient beaucoup gagné… avant (puisque les taux d’intérêt reversés étaient sans commune mesure avec le marché).

Et s’il n’y avait pas eu la crise, qui a fait découvrir le pot aux roses, tant que cela a marché, nous n’en savions rien.

Autrement dit, il y a des pans entiers de la réalité sociale qui fonctionnent principalement au croire, et dont on ne nous parle pas.

 

Maintenant, après cette longue introduction de trois Notes, nous allons en arriver aux « leçons » proprement dites. Plusieurs internautes m’ont indiqué le besoin de revenir sur les éléments basiques de la laïcité. C’est ce que j’appelle « débroussailler ».

Par ailleurs, les médias (même dites sérieuses) nous présentent des émissions ou des articles sur les « menaces contre la laïcité ». Le thème de la « menace » et celui, corollaire, de la « défense » de la laïcité sont même omniprésents.

Dernièrement, j’avais été contacté par une chaîne de télévision, qui plait aux intellos et à la classe moyenne supérieure, sur ce sujet. Je ne pouvais pas y participer car je donnais des cours à l’université de Tokyo.

Je leur ai quand même téléphoné à mon retour pour leur dire : « quand est-ce que vous allez arrêter un peu de parler des menaces sur la laïcité, pour parler de la laïcité elle-même ? ». Mon interlocuteur s’est montré surpris. J’ai tenté de lui expliquer ce que je voulais dire. Je ne suis pas du tout sûr qu’il ait compris, même s’il m’a assuré qu’il allait transmettre.

 

Donc nous allons partir de l’hypothèse que la PREMIÈRE MENACE qui pèse sur la laïcité, la plus importante, voire tragique, c’est l’ignorance en matière de laïcité, l’obscurantisme à son égard.

Chemin faisant, cela nous fera aussi examiner ce que médiatiquement on appelle les « menaces ». Car le refus de la diabolisation ne conduit pas à l’angélisme, mais à une prise de distance avec stéréotypes et lieux communs.

 

Je vous propose, d’abord d’aborder le sujet : laïcité et « intégration ». Pourquoi il ne s’agit nullement de la même chose et en quoi une laïcité qui se relie étroitement au problème de l’intégration n’est plus vraiment la laïcité. Ce sera la dernière Note de l’année 2008.

Ensuite, quand nous aurons donné (et reçu: je vous en souhaites de nombreuses, bien tendres)  nos bises de nouvel an, cela nous conduira logiquement à l’éternel problème (en France en tout cas) du dit « communautarisme ».

Autre éternel problème à aborder très vite : le public et le privé. et puis, existe-t-il un multiculturalisme à la française?

Etc, etc.

Des Notes à deux niveaux: ce qu'il possible d'en dire à partir d'une démarche et des acquis sociologiques + un point de vue plus personnel.

Si vous avez des questions, posez - les grâce aux commentaires: je ne vous promets rien, je n'ai pas réponse à tout. Mais peut-être...

L’année 2009 va donc commencer par une clarification générale. Mais il y aura aussi pleins de surprises. J’ai des idées dont je vous reparlerai.

Donc, encore une fois : le meilleur cadeau à faire à vos amis : leur donner l’adresse du BLOG.

Pensez y, c’est gratuit !

 

 

 

 

 

 

13/12/2008

PS et SEGOLENE, MARKETING, SYMBOLIQUE et POLITIQUE

Tout d’abord : Bravo les Québécois, vous avez renvoyé Mario Dumont à ses zactivités familiales, qu’il avait un peu négligées tout en défendant la famille.

Pour les autres internautes je précise que Mario Dumont est, au Québec, le leader d’une formation politique l’ADQ, qui prône des valeurs traditionnelles dites « québécoises » et, surtout, avait surfé, aux élections de 2007, sur un climat défavorable aux migrants (pour dire les choses vite et donc de façon trop schématique). Il avait eu 41 députés (sur 125). Il n’en a plus aujourd’hui que 7.

Bravo les Québécois, et pour vous féliciter concrètement, vous allez avoir bientôt, dans les librairies dignes de ce nom, le formidable ouvrage de votre honoré serviteur : Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (éditions de l’Aube). Patience, cela ne saurait tarder…

Comme le Québec est en avance sur la France, l’éditeur, pour équilibrer a publié le livre en France, avant le Québec. Et, ceux qui ont la chance inouïe d’être de beaux Français ou d’habiter dans ce merveilleux pays, vous pouvez déjà, sans bousculer les vieilles dames toutefois, vous précipiter chez les libraires pour l’acheter.

Ne tardez pas : il parait que chez Gibert, au Quartier Latin, le 1er stock commandé est déjà épuisé.

 

Et puis, tant que vous y êtes, achetez d’autres ouvrages publiés par les éditions de l’Aube. Tenez, comme cadeau de Noël, vous pouvez offrir les romans policiers de He Jiahong, qui se passent dans la Chine actuelle, et qui sont passionnants (Le mystérieux Tableau ancien ; Crime de sang ; L’Enigme de la pierre Œil de Dragon ; Crimes et Délits à la Bourse de Pékin).

Je vous recommande aussi deux autres livres : Après la démocratie d’Emmanuel Todd chez Gallimard, dont je vous reparlerai sûrement.

Voilà, en effet, une pensée libre et fondée sur des recherches très sérieuses qui pose la question qui me taraude aussi : Et si la France méritait Sarkozy ? Si elle l’avait élu non pas malgré ce qu’il est mais justement à cause de ce qu’il est ?

Parfois les propos sont un peu à l’emporte pièce, parfois je ne suis pas du tout d’accord, mais cela me semble toujours extrêmement intéressant et fourmille didées incorrectes et passionnantes (un exemple entre mille : les pages dures, courageuses et pertinentes sur Finkielkraut).

Enfin, pour celles et ceux qui veulent se recycler en sociologie, je recommande chaleureusement Les nouvelles sociologies de Philippe Corcuff chez Armand Colin (2ème édit. refondue parue en 2007).

Un livre de poche de 128 pages qui réussit le tour de force d’expliquer clairement les principaux domaines de recherches, tout en mettant en œuvre un esprit critique très pertinent. Là aussi, on perçoit l’ouvrage d’un homme libre, qui a pas mal appris du meilleur de Bourdieu et de ses analyses de la domination sans s’enfermer dans un système bourdieusien car la sociologie a aussi existé à côté de Bourdieu et continue après lui.

Il a écrit aussi La société de verre - Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, collection "Individu et Société", 2002), où il développe la notion intéressante de "Lumières tamisées" contre des « Lumières aveuglantes ».

Donc voilà quelques belles zidées de cadeaux, y compris à vous-même puisque, et c’est presque une citation de Ségolène (qui a du le trouver dans un livre ancien), « il faut aimer son prochain comme soi-même », et donc soi-même comme son prochain, non ?

 

Pour le moment, reprenons la suite de la Note du  6 décembre. Nous en étions au PS et au fait qu’au Congrés de Reims, des militants avaient sifflé l’envolée finale de Ségolène. Or, sans le dire, et exprès, la coquine citait Jaurès.

C’est donc Jaurès qui s’est fait copieusement sifflé : son propos s’est trouvé confondu avec un discours de « télé-évangéliste » heurtant la « culture laïque » des dits militants. A partir de là j’avions pontifié pour vous bassiner avec mes dadas sur la nécessité de l’utopie, l’importance du symbolique,etc. Et, n’en doutez pas, je vais continuer.

 Cela vous apprendra à venir surfer sur mon Blog !

Ca y est, vous êtes remis dans la course ? OK. L’erreur commise est de croire que la « culture laïque » doit conduire à avoir un encéphalogramme plat au niveau du symbolique. Double erreur.

-         erreur de confondre une « culture laïque » et une culture athée. C’est une erreur symétrique à celle de Sarko quand il oppose « morale laïque » et morale des catholiques, comme si la morale laïque état réservée à ceux qui sont « sans religion » (comme disent les sondages). Et implicitement, je rencontre tout le temps cette erreur, au PS et ailleurs.

-         erreur de croire que les athées, indifférents en matière religieuse, agnostiques, etc vivraient en dehors du symbolique, de la croyance et même de ce que l’on peut appeler le « spirituel ». Comme le reste du pôvre monde, ils ont leurs croyances, leurs mythes, leurs légendes dorées et noires (tenez publicité gratuite : dans le livre sur Une laïcité interculturelle, je décrypte celles de féministes québécoises), leurs rituels, etc.

 

La culture laïque, c’est d’apprendre à distinguer l’ensemble du symbolique d’une démarche de connaissance, du savoir. En sachant d’ailleurs que les deux ne sont pas séparés à 100% (mais c’est itou pour religion et politique, Eglise et Etat, etc ); ce qui m’empêche pas qu’il peut exister une séparation assez conséquente pour être honnête et qu’une logique de séparation, ce n’est pas la même chose qu’une logique de liens étroits, de confusion.

Et la distinction entre le croire et le savoir est une contidion indispensable (même si elle n'est pas suffisante à elle seule) pour prendre de la distance à l'égard de ses propres croyances et pour savoir toute l'importance sociale (et même intellectuelle) du croire. Sinon on est dans l'illusion d'être soi même hors du champs des croyances, et de croire que les croyances d'autrui ne sont qu'illusions.

E. Todd, dans l'ouvrage cité, va jusqu'à dire que "la conscience de classe relève de la catégorie plus générale des "croyances collectives" dont la matrice est d'ordre religieux". Il fait du contexte actuel "d'isolement métaphysique des individus" (c'est ainsi qu'il le qualifie) un élément clef de la situation (p. 182 s; mais c'est un des thèmes récurrent du livre). 

La culture laïque doit être une culture libre et éclairée, du moins une culture qui tente d’être libre et éclairée : C’est un long chemin et un combat de chaque jour :

-         Libre d’être dans l’utopie, le symbolique, le spirituel. Et de mille manières. Et cela de façon consciente.

-         Eclairée car elle sait que le savoir, cela existe et qu’il faut aussi l’acquérir. Ne pas confondre croire et savoir. Eclairée, car elle pratique assidûment la gymnastique intellectuelle qui articule, sans les confondre, croire et savoir.

Cela n’est ni évident ni facile. Cela exige entraînement, effort, acquisition de matériaux appropriés, souplesse et fermeté, capacité de se critiquer soi-même, capacité aussi d’échapper au relativisme, au cynisme, au premier degrés qu’il soit religieux, moraliste ou scientiste.

Cela nécessite aussi le savoir que la réalité est toujours saisie à travers des représentations : quand vous voyez une chaise, vous ne voyez pas seulement un objet brut, car alors vous ne sauriez ni le nommer ni à quoi il sert. Vous voyez un objet que votre mémoire vous fait, immediatly, qualifier le « chaise » (ou de « fauteuil, ce qui ne connote pas la même chose), classement lié à un ensemble de représentations implicites.

Et c’est là que je répondrai à « Mulot » (5ème commentaire de la Note du 27/11) : si je veux accomplir une démarche de connaissance, acquérir un savoir un tantinet de l’ordre du scientifique, impossible de m’en tenir à la définition du Robert, de n’importe quel dictionnaire. Si, en revanche, je veux travailler sur les représentations sociales ; alors là, le dictionnaire me sera précieux. Eh oui, c’est selon. C’est cela la gym intellectuelle ! Et la solution de l’apparente contradiction que vous pointâtes, cher Monsieur.

 

J’avais annoncé, dans la Note du 6 décembre, que je réagirais à l’ouvrage de François Belley : Ségolène, la femme marque (éditions Peau de Com), que j’ai trouvé à la fois fort intéressant et réducteur. Il serait trop long de résumer l’ouvrage, et l’indication de son plan suffit à donner ses thèses principales :

I Ségolène R, une griffe politique.

II Ségolène R, une marque qui répond aux tendances du marché.

III Ségolène R, du statut de la marque à celui d’icône.

IV Ségolène R, de la phase de croissance à la maturité de la marque.

La faille du livre, c’est que tout au long, il nous explique en quoi Ségolène est géniale en marketing. Alors on se demande, au bout du compte, pourquoi elle n’a pas été élue présidente avec 60% des voix, même s’il indique, en cours de route que, question marketing, Sarko et sa campagne, ça a été pas mal non plus.

Il fait comme si elle dominait tout, était dans la toute puissance.

Le risque du livre, c’est de prétendre que Ségolène ce n’est que du marketing (c’est un peu aussi l’idée d’Emmanuel Todd, mais il le dit tellement allusivement, comme s’il s’agissait d’une évidence, on peut donc difficilement en débattre à partir de son livre).

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C’est là que je voudrais émettre deux constats, faire une hypothèse, apporter un témoignage de quelqu’un qui l’a vue à l’œuvre de prés et qui a tenté d’être à la fois acteur et sociologue (pas facile !).

 

D’abord premier constat, c’est que pendant que les militants sifflent Jaurès et négligent ainsi le symbolique, les experts en marketing, eux, s’y intéressent, et même s’y intéressent drôlement. F. Belley s’appuie beaucoup sur un ouvrage de Georges Lewy, au titre significatif, Les marques mythologies du quotidien (Village mondial, 2004).

Il y a dans ce livre une intelligence certaine de certains aspects du symbolique. Que cela plaise ou non, force est de le constater.

On ne peut pas reprocher aux gens d’être intelligents. Si on veut combattre leur influence, il faut être encore plus intelligents qu’eux (surtout que, bien sûr, on a beaucoup moins de puissance).

Second constat : Le politique, pour être « performatif », ne peut pas ignorer (c’est une litote !) les techniques de marketing (et tous les humains politiques y ont recours). Cela, je le constate, même si je le regrette.

En effet, le marketing n’est certes pas le mal en soi, mais dans sa puissance actuelle, et sans le vouloir (son but est de faire vendre dans un environnement très concurrentiel), il formate la société dans des codes réducteurs. Et les effets sont redoutables : voyez comment des codes vestimentaires s’imposent par pression médiatique, et auprès de celles et ceux dont les parents tentent de résister, par pression sociale des paires, aux élèves, maintenant dés le primaire.

 

J’indiquerai plus tard (il faut bien un peu de suspens !) ce que je pense de cette relation entre politique et marketing. Pourquoi il faut l’assumer, sans honte.

Mais je voudrais tout de suite faire l’hypothèse (et l’appuyer sur un témoignage) que si les techniques de marketing sont nécessaires pour réussir en politique, elles ne me semblent pas suffisantes. Quand on vous met en image une belle jeune femme ou une belle grande cause pour vous vendre un produit, le but n’est ni de rendre hommage à la beauté des femmes, ni de servir une cause humanitaire, mais bien de vous faire acheter le produit, sous couvert de marque.

Il y a une extériorité à peu près complète entre les deux.

Longtemps, j’ai cru qu’il existait la même extériorité en politique. Quand je suis devenu conseiller de Ségolène, et que j’ai approché de plus près le monde politique, je me suis aperçu que, d’une certaine manière, beaucoup de politiques, en tout cas du côté des socialistes, croyaient plus ou moins en ce qu’ils déclaraient publiquement, étaient convaincus de la véracité d’au moins une partie de ce qu’ils affirmaient. Que d’une manière générale, ils étaient moins cyniques que ce que je croyais.

Et mon changement de point de vue, paradoxalement, a été du à ce que mon rapport avec eux n’était plus essentiellement médiatisé par les médias de masse. Je les côtoyais dans la quotidienneté de leur action, dans des réunions en tout petit comité où ils n’avaient pas à donner le change.

Et cela s’applique à des gens dont je ne partage pas forcément les idées. Un Claude Bartolone, par exemple qui était alors ministre de la ville. est un homme de conviction. 

Mais cela s’applique au carré à Ségolène Royal. Au carré, que dis-je au cube car non seulement la manière relativiste dont j’ai parlé des convictions (« d’une certaine manière », etc) ne s’appliquait pas à elle ; d’autre part elle avait (déjà) des convictions plus personnelles que collectives.

Elle avait des convictions fortes, un élan enthousiaste, par exemple la conviction qu’elle allait (avec l’équipe qui l’entourait) réussir à inverser la socialisation à l’incivilité (je veux dire par là tout le contexte qui pousse les gamins  à devenir incivils, ce dont ils sont ensuite, elle le disait, les 1ères victimes) en socialisation en une citoyenneté civile.

(je rappelle à celles et ceux qui l'ignoreraient -quel blasphème!- que j'étais chargé des "Initiatives citoyennes".

Et quand Ségo en parlait avec moi, j’avais tendance à actionner la douche froide : comment parvenir à inverser ainsi le cours des choses avec l’administration qui faisait de la résistance passive mais combien efficace, Allègre qui se mettait allègrement à dos les profs, le maire socialiste X, le député socialiste Y et le sénateur socialiste Z qui se plaignaient auprès de Jospin dés que les changements que nous tentions de faire les dérangeaient quelque peu, et Jospin lui-même qui intériorisait ce que Chirac prétendait être une « rupture de la cohabitation ».

Sans parler de 1000 autres contraintes globales, notamment socio-économiques (le socio-économique n’est pas tout mais ce n’est pas rien) que le gouvernement socialiste, tout faisant ce qu’il pouvait, ne transformait pas beaucoup!

Bref, ce que me disait Ségolène me semblait utopique, impossible à réaliser. Je commençais à le dire à ma ministre. Je la voyais qui me regardait alors l’air un peu malheureux. Et la phrase de Max Weber me revenait en mémoire : il faut croire en l’impossible pour réaliser le possible.

Et je me traitais intérieurement d’intellectuel à la con, qui allait briser son élan vers l’impossible, ne réussir qu’à risquer de la paralyser en la désenchantant. Je me reprochais une (pseudo ?) lucidité exacerbée qui minimisait le pouvoir de l’action.

Je voulais l’aider à réaliser tout ce qui était possible, mais, imprégné de mes analyses, n’arrivais guère, pour cela, à croire à l’impossible. J’ai compris alors que ma cup of tee n’était pas de faire de la politique.

Mais malgré tout, son enthousiasme communicatif m’a aidé à décider que, sur tel ou tel dossier, quelque soient les obstacles (notamment adminstratifs), je ne m’arrêterais pas, je ne cèderais pas.

Donc convictions fortes, capacité à se projeter dans un avenir autre. Et cet avenir autre ne correspondait pas forcément aux idées reçues de l’ensemble du PS. Mais je dois dire que, personnellement, je m’y trouvais assez à l’aise. J’ai d’ailleurs eu des remarques de membres du Cabinet, m’invitant à laisser de côté, à ne pas tenir compte, autant que faire se peut, des « dadas » de la ministre.

 

Et dits « dadas », qui hérissaient, me plaisaient en général, car je trouvais qu’elle avait une vision dialectique des choses. Exemple[1] : question de la ministre : Comment faire pour expliquer à une lycéenne qu’elle a le droit de dire « non » à un garçon qui veut coucher avec elle, si elle n’en a pas vraiment envie ? Qu’elle n’a pas à se plier à une pression sociale diffuse ? A ne pas faire comme tout le monde simplement pour faire comme tout le monde ?

Tu ne vas quand même pas entrer dans cette vision « moraliste » des choses ? me disait-on alors.

Moraliste, vraiment ? Au même moment, Ségolène se battait avec la même conviction, la même ardeur pour que les dites lycéennes puissent disposer de la pilule du lendemain, et ne pas avoir à avorter en cas « d’accident ». Et là, certains craignaient que cela nous fasse mal voir du centre, des ‘vieux’, de ces quelques % qui font basculer les élections dans un sens ou l’autre.

Moi je trouvais dans cette dialectique, une grande cohérence et dans les deux cas un combat pour la liberté des femmes qui ne craignait pas d’être à contre courant, de paraître « moralisateur » dans un cas, « laxiste » dans l’autre. Et j’étais alors heureux d’être dans la team d’une telle ministre.

Autre exemple : le bizutage. Là, on se heurtait également à l’incompréhension de beaucoup de « camarades », et… à de très puissants groupes de pression d’anciens élèves. Mais on connaissait des cas assez dramatiques.

Autre souvenir : je me rappelle une fois elle a passé des heures et des heures avec Elisabeth Guigou (alors ministre de la Justice) à propos d’un prof qui était un pédophile avéré et que, jusqu’à présent, l’Education nationale déplaçait régulièrement de collège en collège, que quand il avait sévi quelque part, et que des parents s’étaient plaints, on le mettait ailleurs, où il sévissait de nouveau.

Vous avez compris : l’idée c’était quand même d’arriver à le vider de son poste d’enseignant, à ce qu’il ne se trouve plus en contact avec des enfants.

Et voyant le temps que cela lui prenait, je lui ai dit : C’est admirable ce que vous faites, mais est-ce vraiment votre rôle de consacrer autant de temps à cette affaire ? Ne pourriez-vous pas déléguer ? Elle m’a répondu en substance : il y a tellement d’obstacles que si je ne m’en occupe pas personnellement, le dossier n’aboutira jamais. Et elle avait raison.

 

Parmi les « dadas » de la ministre, il y avait les contacts directs avec des profs ou des parents d’élèves. Et là aussi certains membres du Cabinet tentaient, parfois avec succès, de faire barrage. Quand des parents d’élèves ou des profs téléphonaient sur tel ou tel sujet, Ségolène voulait que, dans la mesure du possible (elle était souvent en réunion, bien sûr), on lui passe la communication et qu’elle puisse parler directement avec la personne qui appelait.

Des membres du Cabinet pouvaient cela un peu fou. D’abord, déclaraient certains, cela « donne une prime » aux contestataires (eh oui, étrange commentaire mais il a été fait); ensuite si ça commence à se savoir qu’un tel ou un tel arrive à avoir directement la ministre, on n’en aura jamais fini.

Je me souviens d’une fois où la pauvre secrétaire était très hésitante entre l’ordre de la ministre de tenter de la joindre quand X rappellerait et le contre ordre d’un membre du Cabinet lui demandant de surtout ne pas le faire.

Ségolène n’ignorait pas la validité du second argument  (ce sera sans fin); mais elle affirmait qu’elle avait besoin de ces contacts directs pour comprendre ce que ressentait les gens, pour ne pas être une bureaucrate, pour ne pas imposer de haut, etc.

 

Alors, bien sûr, on peut voir de l’habileté politique là dedans (et après tout, pourquoi pas ?) mais aussi ce qui m’a toujours plu quand j’ai été son collaborateur, le fait que j’avais affaire à une femme qui savait fortement qu’elle ne savait pas tout. Et croyez moi, dans la culture énarque, c’est rare ! Une femme qui avait conscience du risque d’être enfermée dans son ministère, dans sa fonction, de se couper du vécu du grand nombre.

Et justement, quelque chose que j’ai apprécié chez Ségolène c’est qu’elle alliait la capacité de synthèse qui provenait de sa formation à l’ENA à la capacité de doute, de se dire : « là, je ne sais pas », qui est typique du chercheur, mais le plus souvent étranger aux autres énarques que j’ai rencontrés. Alors certes, ce n’était pas une théoricienne spécialiste des concepts, elle avait une intelligence émotionnelle et intuitive.

Et l’idée qu’il fallait faire de la politique autrement, apprendre auprès des autres et vérifier la pertinence de son action, la taraudait déjà, en 1997-1998.

Donc quand Belley écrit que Ségolène est une des rares politiques « à s’inscrire dans une logique de marketing total où l’étude de marché constitue l’étape préalable à la prise de parole : celle qui vous permet d’identifier, par une analyse marketing précise, la demande du public et de construire, en conséquence un positionnement malin et une offre sensée. » (p. 42), c’est à la fois exact et pas exact.

 

Il est exact que le marketing fonctionne ainsi, et que c’est grâce à cela qu’il est efficace. On y reviendra. Mais si, justement, peu de politiques le font, c’est que cela demande en amont, quand il ne s’agit pas de vendre un produit matériel, une disposition d’esprit où on pense que l’autre à quelque chose à vous apprendre, la conviction que l’on ne doit pas lui imposer d’en haut un projet complètement ficelé et construit en dehors de lui.

Et je suis un peu étonné qu’Emmanuel Todd n’ai pas saisi cela, lui qui estime que le « découpage du Parti [socialiste] en niveaux culturels superposés l’a conduit à éliminer en son sein la représentation populaire et à se transformer en parti d’élus, largement décroché de la structure sociale globale » (p. 88)

Lui qui affirme que « le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en  réaction à ce mépris. » (p. 84)

Lui qui voit dans le soulèvement des banlieues d’octobre-novembre 2005 l’ « expression maladroite d’une volonté de participation à la vie politique » de la jeunesse défavorisée et non d’une minorité ethnique (page 130) et qui constate qu’au 1er tour de la présidentielle Ségolène Royal « fait remonter les lamentables 12% de vote ouvrier pour Jospin en 2002 à 24% en 2007 » et, chez les 18 – 24 ans, de 12,5% à 34% (p. 137-138).

Eh, camarade Todd, vous qui ne craignez pas d’effectuer des analyses très courageuses, combattant des idées morales reçues, pourquoi vous donnez ces chiffres sans vous en servir pour analyser les choses ? Votre détestation de Ségolène ne vous fait-elle pas prendre « une attitude de distance et de mépris », sous prétexte qu’elle ne présentait pas aux foules ébahies un programme complet et bien léché ?

Le programme complet il existait, et c’était celui du PS, un boulet qu’elle a traîné tout au long de sa campagne car il multipliait les « y’a qu’a »… et c’est justement ce dont les électeurs ne veulent plus, car ils savent bien qu’on les paye en fausse monnaie. Que la conception quantitativiste, style : « je suis plus à gauche que toi parce que je propose un smic à 2000 € et toi tu te contentes de 1800 », c’est complètement pipeau.

Et si c’était justement ça, cette conception QUANTITATIVISTE de la gauche (et de la laïcité quand on fait semblant que plus de répression signifie plus de laïcité : conception assez débile !) qui réduit le politique au marketing ?

Alors qu’être dans l’interaction des convictions (car la démocratie participative comporte deux phrases, celle de l’écoute et celle de la reprise, du trie), et se dépatouiller au milieu de multiples contraintes, c’est déjà beaucoup plus complexe.

 

Je pourrais continuer pendant des heures. Mais chaque journée n’en a que 48 et il y a de multiples choses à faire ! Et beaucoup d’internautes me reprochent d’être trop long. Alors je m’arrête là. Dans la prochaine Note (samedi  prochain) je vous dirai quel est, à mon sens, la relation juste entre politique et marketing et puis j’enchaînerai sur les notions de base que le PS devrait acquérir quant à la laïcité, pour avoir une laïcité juste.

 

Je taquine bien sûr, et Ségolène et celles et ceux que le slogan "l'ordre juste" sort par les trous de nez.

Pour Todd, "l'ordre juste" est un slogan typiquement de droite. Là alors, comme angélisme de l'élite on ne fait pas mieux. Et c'est très contradictoire avec ce qu'écrit Todd par ailleurs qui montre que, subissant des choses étrangères à "l'élite", les gens des couches populaires ont souvent une analyse para-sociologique et para-économie politique plus pertinente que les premiers.

Dites à quelqu'un qui subit l'ordre de plein fouet, et qui sait qu'il le subira toujours, que la recherche d'un ordre juste est de droite!

Attention, Emmanuel, tu as mille idées, toutes plus brillantes les unes que les autres, mais parfois tu te prends pour le Luky Luke des sciences humaines: tu raisonnes plus vite que ton ombre.

Toute société (même révolutionnaire) a un ordre, un ordonnancement. Le very big problème c'est que l'ordre, indispensable, est toujours au profit de dominants, toujours un ordre injuste. Alors, rechercher un ordre plus juste, ce ne serait pas de gôche, ça?

 

Allez, bonne crise et bonnes fêtes !

 

 

 

 

 

 



[1] Je ne mets pas de guillemets à mes citations car, bien sûr, 10 ans après, ce n’est pas du mot à mot. C’est l’idée qu’il faut retenir.

16:38 Publié dans EVENEMENTS | Lien permanent | Commentaires (2)

06/12/2008

PS: CE QUE SIFFLER JAURES VEUT DIRE

Donc voici ma 1ère leçon de laïcité au PS, pour l’aider à se rénover (au passage, je répondrai à la question de Mulot cf. le 5ème commentaire de la Note du 27/11). Oui, je sais que je suis un indécrottable professeur. Mais mon métier est justement d’être prof de laïcité et à mon âge (20 ans + un certain nombre de mois) on ne se refait pas.

Je suis donc un vilain récidiviste et après avoir expliqué la laïcité au Petit Nicolas, V’la que je me mets à vouloir l’expliquer au PS. Indécrottable, vous dis-je ! Oui, mais pour tout savoir sur la laïcité, Sarko, il a du débourser 16 € de son petit Smic (soit 0,0000000001 % de sa montre bling-bling, quand même !). Alors que pour le PS, c’est gratis pro Jaurès.

C’est que je suis de gauche depuis moult générations (mes ancêtres étaient Montagnards, en plus c’est même pas faux) et que le PS, je l’aime bien. Enfin, plutôt j’aimerais bien pouvoir l’aimer bien. Qu’il soit politiquement aimable. Et intellectuellement un peu aussi (j’en ai de ces exigences !). Et c’est pour cela que je me décarcasse, et mets en œuvre le proverbe préféré de ma grand-mère : « Qui aime bien, châtie bien ».

 

Je vais partir d’un incident du Congrès de Reims, que les médias ont rapporté sans l’analyser ni changer d’un iota les stéréotypes dans lesquels ils moulent l’actualité et qui, pourtant, sont très révélateurs de l’absence de réflexion sur la laïcité.

Ségolène Royal a conclu son intervention en déclarant : « Nous sommes le socialisme, levons nous, vertu et courage, car nous rallumerons tous les soleils, toutes les étoiles du ciel. » Sifflets abondants. « Bronca » précise même le Nouvel Obs.

Commentaire de militants (à votre très honoré serviteur) : « Nous ne supportons pas ces envolées de télé-évangélistes qui heurtent notre culture laïque»

J’ai entendu à la radio d’autres commentaires du même style. Un journaliste de France Inter a dit : « C’est du Barbelivien » (pour les analphabêtes de la belle culture Star’Ac, il s’agit de l’immortel chanteur de « Toutes les filles que j’ai aimées avant ». Cela vous dit quelque chose, quand même !).

En fait d’envolée de télé-évangéliste ou d’un chanteur pipole, il s’agissait d’une citation de Jean Jaurès. C’est lui qui a été copieusement sifflé.

Normalement, en l’apprenant, ils auraient du prendre conscience que Ségo leur avait mis le nez in the caca, comme disait Heidegger dans sa célèbre Disputatio avec Thomas d’Aquin. Pensez vous : sitôt appris, sitôt oublié. Cela entre par une oreille et sort par l’autre sans pénétrer en rien dans un hypothétique cerveau.[1] Ils vont continuer à nous bassiner avec leur pseudo « culture laïque », celle qui les conduit à ne pas supporter Jaurès.

5% qu’il fera le candidat PS en 2012, s’ils continuent de la sorte !

 

Donc, Réflexion N°1 de la 1ère leçon : pourquoi cette citation a paru insupportable, a conduit à la réaction primaire de la bronca ? (entre nous Ségo, tu aurais du les laisser siffler tout leur saoul, et reprendre : « Oui, comme l’a si bien dit jean Jaurès, Nous sommes le socialisme, levons nous… ». Là, cela aurait été vraiment drôle !).

Oui, pourquoi Jaurès est pris pour un télé-évangéliste ou un chanteur de variétés de masse ?

Pour le savoir, relisons la phrase : elle a du souffle, la garce : c’est une belle envolée utopique. Et v’la le problème : l’utopie ça eut payé, ma bonne dame, mais ça ne paye plus semble-t-il, auprès des militants classiques du PS. Pourquoi ? Parce que l’utopie nécessite d’être capable d’une projection au delà de la réalité empirique.

 

 

Redis-le me-le, me susurre une princesse internaute. OK. Je vous le redis d’une autre manière : le discours utopique, plus généralement le discours symbolique, dont le discours religieux fait partie mais pas seulement lui, c’est un discours qui a la capacité de permettre à ceux qui y adhèrent de dépasser la vision habituelle des réalités concrètes, matérielles, tangible pour permettre d’apercevoir des réalités d’un autre ordre, des réalités symboliques précisément.

Durkheim en a fort bien parlé par son opposition sociologique entre ce qu’il appellait « profane » et « sacré », « réalité expérimentale » et « réalité supra expérimentale ». Et dans le sacré, il mettait les effervescences révolutionnaires, et pas seulement des phénomènes explicitement religieux.

Il s’agit, écrit-il, « de se hausser au-dessus du monde de l’expérience » et d’avoir « les moyens d’en concevoir un autre » et il commentait : « la société idéale n’est pas en dehors de la société réelle, elle en fait partie. Bien que nous soyons partagés entre elles comme entre deux pôles qui se repoussent, on ne peut pas tenir à l’une sans tenir à l’autre. »

 Le rapport à ce que pour ma part, je préfère appeler « structures symboliques » est, selon Durkheim, ce qui « pousse la pensée en avant, par delà ce que la science nous permet d’affirmer », ce qui fait qu’un homme « peut davantage. Il sent en lui plus de force soit pour supporter les difficultés de l’existence, soit pour les vaincre » : l’individu est en fait « élevé au dessus de sa condition d’homme. »

(Toutes ces citations sont extraites des Formes élémentaires de la vie religieuse, que vient de republier les PUF avec une préface de J-P. Willaime).

Alors libre à chacun de croire ou non au contenu de ces réalités symboliques. C’est un tout autre débat. Durkheim lui-même n’y croyait nullement et se voulait un « rationaliste », ce qui ne l’empêchait pas d’analyser leur fonctionnement et leur impact.

 

 

Mon propos consiste simplement à montrer qu’en ignorant ce type d’analyse ou d’autres, multiformes, qui approchent et décryptent aussi à leur manière les réalités symboliques (J.-P. Vernant, Lévi-Strauss dont on vient de fêter le 100ème anniversaire et qui, un peu de publicité pour ma maison, déclarait, à propos de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes : « C’est là que mes idées essentielles ont pris forme », Libération, 22 septembre 1986 ; Luc de Heusch, Camille Tarot, etc, etc) on ignore une partie importante de la réalité sociale et on se condamne soi-même quand on veut être un parti de changement social.

 

Ceci indiqué, un des problèmes majeurs des politiques en général et de la gauche en particulier est la difficulté d’avoir un discours utopique qui projette dans un avenir autre un tant soit peu crédible quand on prétend par ailleurs être un parti de gouvernement.  Les lendemains qui chantent, sont devenus des hiers désenchantés (« Comme c’est beau » me susurre ma princesse internaute, « tu causes aussi bien qu’ San Antonio, quand tu t’en donnes la peine »).

Jaurès en parlant de rallumer tous les soleils, toutes les étoiles du ciel, réutilise un matériau symbolique d’origine religieuse au profit d’une espérance socialiste. C’était avant la Première guerre mondiale, l’URSS et son goulag, etc. C’était aussi quand le terme de « réforme » signifiait un mieux-être (cf. les congés pays du Front Populaire).

Maintenant la « réforme », c’est l’adaptation à de nouvelles conditions qui nécessitent de se serrer un peu plus la ceinture (cf. la « réforme des retraites ». Jospin n’a pas osé la faire quand il était 1er ministre, car il savait que cela le desservirait dans sa campagne présidentielle. Il n’y aurait pas échappé s’il avait été élu président).

On comprend très bien que, dans cette conjoncture, les gens se crispent sur leurs (souvent maigres) « avantages acquis », devenant conservateurs et souvent corporatistes.

Et les envolées utopiques, à d’autres…. On pourrait penser que ce réalisme là est un progrès, qu’il désacralise, déreligiosise (laïcise ?) le politique. Oui, mais….

 

 

Oui, mais Weber, lui-même, le grand désenchanteur par sa sociologie pratiquant la « neutralité axiologique » (= au niveau des convictions), a écrit : « il faut croire en l’impossible pour réaliser le possible ». L’utopie est mobilisatrice et sans elle, alors on ne réalise même pas les changements qui auraient pu être possibles.

C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, je trouve lamentable la façon dont la gauche se positionne sur la suppression de la pub sur la télé publique : bien sûr Sarko réalise cette réforme à la manière d’un homme de droite (cela vous étonne ?).

Mais au lieu de se limiter à le dénoncer, de faire de l’obstruction à la tribune parlementaire, en lisant du Montesquieu,[2] c’était le moment de proposer une télé utopique (cad intelligente et ludique à la fois).

Prenez Obama, s’il a (à la surprise générale) battu Hilary Clinton, puis gagné la présidentielle américaine, c’est en bonne part par sa capacité à crédibiliser un discours comportant des aspects utopiques (« yes, we can »).

 

Alors, les ceus qui ont sifflé Jaurès en croyant siffler Ségolène, les socialistes qui sont contre elle (voyez mon abnégation, je leur donne de « bons » conseils !) s’ils veulent ne pas enfoncer encore plus leur parti mais remonter un chouya, feraient bien de dépasser leur énervement primaire, pour

- comprendre se qui se passe

-comprendre pourquoi elle obtient, à chaque fois, des scores plus importants que prévu.

D’abord, elle a annoncé la couleur : « Désirs d’avenir », avec « Touche pas à mon pote » sera parmi les slogans inventifs de ces dernières décennies. Ce titre seul affronte déjà le problème clef : l’impression d’un manque d’avenir, d’un avenir bouché, d’un avenir retour en arrière.

Dans son livre dialogue avec Alain Touraine[3], Ségolène raconte qu’un jeune lui a dit : « Je n’ai pas peur de l’avenir, j’ai peur de ne plus en avoir. »

Mais il ne suffit pas de parler de "désirs d'avenir", encore faut-il apparaître capable d'en tracer le chemin.

Car diront les z’opposants, tout ça, c’est du marketing, indigne de notre beau parti. C’est d’ailleurs (si on enlève l’indignité) la thèse défendue par un ouvrage récent Ségolène la femme marque, par François Belley (Editions Peau de Com).

Cet ouvrage, que m’a offert une charmante journaliste de Canal + (eh oui, la vie présente des côtés agréables parfois) est très intéressant, non seulement sur Ségolène mais plus généralement sur le politique aujourd’hui et sa proximité avec « l’univers des marques ».

Pourtant, je pense que l’ouvrage rate quelque chose : cette proximité ne signifie pas qu’il s’agisse de deux univers identiques, et un leader politique qui se serait qu’une marque ne s’imposerait pas. Et Ségolène, dans sa campagne, s'est montré capable de proposer de l'avenir; même si certains ne veulent pas s'en rendre compte.

Si Ségolène, qu’Alain Duhamel n’avait même pas inclus, dans son ouvrage de 2006 présentant les portraits des candidats possibles à la présidence de la République, a fait le parcours qu’elle a accompli, c’est parce qu’elle ne se réduit nullement à être une femme marque, même si elle a intégré dans sa stratégie cet aspect des choses.

Quel rapport à l'avenir a-t-il été proposé?

 

Je dois retourner à mon travail normal, mais un peu de patience, je vais vous expliquer cela dans quelques jours et aussi  l’intérêt du livre cité, et ses limites. Et je vais vous faire des confidences inédites à partir de mes souvenirs du temps où j'étais dans le Cabinet de la ministre. Car c'est l'avantage que j'ai sur François Belley, je l'ai vue travailler de près, et je connais d'elle la face qui n'est pas médiatique.

Je vous expliquer aussi pourquoi, moi que cela devrait hérisser profondément (la lutte contre la marchandisation sans limite est un de mes dada), j’assume intellectuellement cette démarche et je pense que le PS ferait bien de s’en inspirer, du moins s’il en est capable.

Paradoxal le Baubérot ? Faux cul même? « Je le crois cohérent. » affirme très aimablement la princesse. Vous verrez bien ce que vous en pensez vous-même en lisant la prochaine Note.

(à suivre donc)

 

2 PS (sans jeux de mots !)

 Un PS pour mes amis Bruxellois. Ils sont nombreux et, je le sais, certains surfent sur ce blog. Donc une information : mardi prochain 9 décembre (jour anniversaire de la loi de séparation), à 16H45 à l’Université de Bruxelles (renseignez vous sur le lieu exact), on me remet un doctorat honoris causa. Ce serait vraiment sympa de vous retrouver à cette occasion.

L’autre PS pour Mulot : ben oui, j’avais annoncé une explication. C’était quand je pensais rédiger ma Note en entier. Ce sera donc pour la prochaine Note. En attendant, bravo d’avoir mis à jour une possible contradiction en lisant aussi attentivement le Blog. Le jour où il y aura une interro écrite, sûr que vous aurez la mention « très bien ». Et très cordial salut aux gens d’Evreux.

 

 



[1] A défaut de Barbélivien, cela me rappelle Brassens : « Par bonheur ils n’en avaient pas ». Il s’agissait, là, des « choses » et non de cervelle.

[2]«  C’est vrai, ça, affirme la princesse : ils pourraient au moins lire du Baubérot »

[3] Entre parenthèse, pierre dans le jardin de celles et ceux qui prétendent que son discours manque de contenu, je trouve qu’elle s’en tire très bien face à Touraine, assez souvent même ses propos sont plus intéressants que ceux du sociologue.