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29/12/2008

LA LAÏCITE N'EST PAS L'INTEGRATION

CE QU’EST, CE QUE N’EST PAS LA LAÏCITÈ. I.

 

Bon, le sous-titre de ce Blog parle de « Notes amusantes et savantes ». Désolé, cette série de Notes sur « Ce qu’est, ce que n’est pas la laïcité » risque de ne pas être vraiment désopilante !

Je vais tâcher de faire qu'elle ne soit pas trop « savante » non plus, même si ces Notes ont derrière elles pas mal d’années de recherches.

Il s’agit de tenter de reprendre les choses de façon basique, et notamment d’explorer les pseudo évidences de termes que l’on relie à la laïcité, sans jamais s’expliquer : l’intégration, le communautarisme, la distinction privé-public, etc.

 Et puis, il y a des thèmes qui reviennent régulièrement: laïcité et Etat-nation, laïcité et Lumières, etc.

 

 

Chaque fois c’est un aspect de la laïcité qui sera ainsi abordé. Avec un double but : faire le point sur ce que peut dire (à mon avis, bien sûr) une démarche historique et sociologique ; à partir de là, ce que j’en conclus et propose au débat.

Les internautes habitués du Blog savent que c’est la décrépitude idéologique actuelle du PS qui a constitué « l’occasion (qui) fait le larron ». A ma manière, comme franc tireur ne roulant pour personne, je voudrais apporter ma (là, il est de très bon ton de mettre : « modeste », alors moi je mettrai : « géniale, forcément géniale [1]» !) contribution à sa nécessaire rénovation intellectuelle.

Mais, naturellement, l’objectif est plus large. Et en ruminant le contenu de ce qui va donner ces quelques Notes, ce sont les questions posées lors de nombreuses conférences qui me reviennent à l’esprit ;

C’est important, parce que je suis comme les autres intellos : j’ai toujours tendance ne pas être assez basique, pas assez à ras de terre. Et, souvent, les questions des participants ramènent, de façon heureuse à ce que, dans mon dernier bouquin, j’appelle : une « sociologie par le bas ».

 

Cependant, la réalité présente possède une épaisseur historique. Donc aujourd’hui, pour commencer, je vais être obligé de me référer à l’histoire des dernières décennies de la laïcité en France. Pour ne pas être trop long, je serai forcément allusif. Quelques notes donneront des précisions.

N’hésitez pas à en réclamer d’autres si besoin, grâce à la possibilité donnée par la rubrique « Commentaires ».

Enfin, si ces Notes s’adressent à tous ceux que la laïcité concerne, quelque soit leur orientation politique, la critique politique n’est pas absente et nous verrons, in fine, ce que pourrait être une véritable « laïcité positive », c'est-à-dire les objectifs positifs que pourrait se donner la laïcité en ce début du XXIe siècle.

Cela à cent mille millions de milliards de lieux de la « laïcité positive » à la Sarkozy !

On y va ?

Allons y.

 

La laïcité, telle qu’elle fonctionne actuellement en France est étroitement reliée à la « question » de « l’intégration » de migrants, d’enfants de migrants, voire de petits enfants de migrants. Ainsi, significativement, c’est le Haut Conseil à l’Intégration qui a proposé, sous Chirac, une « Charte de la laïcité ».

Ce lien privilégié de la laïcité avec l’intégration n’existe pas dans certains autres pays. Nous y reviendrons.

Cela n’a pas été le cas, non plus, de la laïcité française jusqu’à une période récente, disons jusqu’à 1984 (échec du projet d’un service public unifié et laïque de l’éducation nationale ; avec même un rebond en 1994[2]).

Jusqu’aux années 1980, la laïcité apparaissait, globalement, surtout une manière de résoudre ce que les historiens appellent le « conflit des deux France ».

Cependant, avec la première « affaire de foulard » en 1989, émerge une nouvelle laïcité qui, elle, se lie étroitement à la question de l’intégration.

Et c’est cette nouvelle laïcité, confortée par des événements politiques internationaux (la guerre civile en Algérie des années 1990, le 11 septembre 2001,…) que le rapport Baroin[3] déclarera, en 2003, pouvoir et devoir être (aussi) une valeur de la droite.

 

Tant que la laïcité était liée au combat des « deux France », globalement la droite acceptait la laïcité (elle est inscrite dans les Constitutions de 1946 et 1958) mais ne s’en réclamait pas, voire s’en méfiait.

En fait, il existait deux laïcités : la laïcité constitutionnelle, à un niveau général (la république française est « laïque »), qui réglait les rapports entre l’Etat-nation et la religion. Liée à elle, la laïcité juridique  ne donnait guère lieu à un débat social.

A part dans des revues de juristes, et dans tel ou tel colloque, on n’en parlait pas. Laïcité silencieuse donc.

 

 

L’autre laïcité, la laïcité militante, brandie comme un drapeau, un sociologue-juriste italien Alessandro Ferrari la qualifie de « laïcité narrative ». Cette laïcité là se focalisait sur les subventions publiques aux écoles privées (la plupart catholiques) qui existaient depuis 1951 et que la loi Debré de 1959 avait considérablement augmentées[4].

Je ne juge pas là le fond de l’affaire, ce serait une autre Note. Je fais simplement le constat suivant : Dans le discours social, la référence à la laïcité tendait à se réduire au refus de subventions publiques à ces écoles privées, même si le discours militant pouvait accompagner ce refus de diverses utopies quant à l’école publique laïque.

 

Mais depuis l’échec du plan Langevin-Wallon[5], la réforme de l’école publique se trouvait en panne, et les adaptations faites n’empêchèrent pas une profonde crise de l’école. Et, dans les faits, l’action dominante des laïques militants (organisés dans le CNAL ou Comité National d’action Laïque) privilégiait ce combat du non subventionnement.

C’est, en tout cas, ce qui se donnait socialement à voir. Ce que l’opinion pouvait retenir. Même si, en fait, c’était plus compliqué.

Le combat des deux France tel que la laïcité militante l’a mené (de façon réductrice) s’est terminé (pour elle) par un échec cuisant en 1984. Pourtant le ministre Savary faillit réussir une victoire de compromis, substituant au dualisme scolaire, un pluralisme interne à un grand service public laïque.

Un député socialiste, André Laignel, en faisant voter 3 amendements qui, symboliquement, supprimaient le compromis, favorisa grandement la déroute. COMME QUOI LE JUSQUEBOUTISME EST STRATEGIQUEMENT DÈSASTREUX, contreproductif.

C’est pour dissocier la laïcité de cette débâcle, que certains parlèrent alors de « nouvelle laïcité ». Ils signifiaient par là la nécessité de ne plus se focaliser sur le seul non-subventionnement, mais de prendre en charge un ensemble beaucoup plus large de problèmes.

En fait, une nouvelle laïcité allait bien advenir, mais elle se montrera aussi réductrice que l’ancienne : la laïcité deviendra principalement le refus du foulard.

 

En 1989, la dissonance entre les deux laïcités fut manifeste :

En effet, la laïcité juridique continua de fonctionner : ce fut l’avis du Conseil d’Etat : le port de signes religieux à l’école publique laïque est compatible avec la laïcité, à condition qu’il ne soit pas ostentatoire, c'est-à-dire respecte les horaires, l’enseignement, la discipline scolaire et ne soit pas un instrument de prosélytisme à l’intérieur des murs de l’école.

Une bonne partie de la laïcité militante (mais pas toute : ainsi la direction de la Ligue de l’enseignement prit une autre position) déclara tout de suite le port du foulard (c’est de lui dont il était question) incompatible avec la laïcité.

Cette laïcité militante là perdit sur le plan juridique mais gagna sur le plan médiatique. Nonobstant (« comme tu causes bien » me susurre la princesse) l’avis du Conseil d’Etat, les médias dominants ont tout de suite fait comme si foulard et laïcité étaient par essence incompatibles.

L’incompatibilité totale était plus médiatique (simple, carré, facile à mettre en image, etc) que la compatibilité conditionnelle (tout ce qui un tantinet dialectique apparaît trop compliqué, notamment pour la télé).

 

 

Les arguments de l’ancienne laïcité, celle du combat des deux France, (notamment la « défense de l’école publique ») furent recyclés. Pour certains, il y a eu le désir (sans doute inconscient) de ne pas rester sur l’échec de 1984 ; pour d’autres (on y reviendra) le bicentenaire de 1789 mettait en avant le « citoyen abstrait ».

Les expressions de « laïcité républicaine » de « laïcité exception française » firent alors flores. Ces ajouts de termes, d’un côté comme de l’autre, montrent bien que l’on cherchait à verbaliser une mutation profonde de la laïcité.

 

On sait ce qui est arrivé et, notamment, comment, avec la loi de mars 2004, la laïcité juridique s’est alignée sur la laïcité militante dominante, du moins à propos du foulard., élément central où se joue la laïcité dans les représentations collectives.

En même temps, la fin du combat des deux France, et le fait que la victoire globale se soit accompagnée d’une défaite du camp laïque lors de la dernière bataille importante, a engendré une accentuation des mesures (très) conciliatrices à l’égard de l’Eglise catholique.

Et ces mesures n’ont pas attendu l’annonce de l’arrivée d’une « laïcité positive » par Super Zorro Nicolas. Ce furent souvent les socialistes qui en furent les artisans.

Ce qui est contestable dans ces mesures, c'est l'aspect d'officialisation rempante d'une religion. On pourrait même risquer l'expression d'officialisation officieuse.

Alors que l'esprit de la loi de 1905 c'est : le plus de liberté possible (compatible avec l'ordre public démocratique, c'est à dire avec l'articulation aux autre libertés publiques), le moins d'officalité possible.

 

Deux exemples : d’abord, l’accord Lang-Cloupet du 11 janvier 1993 concernant le recrutement et la formation de maîtres de l’enseignement privé sous contrat.

Si les formes ont été respectées, puisque ensuite il y a eu un décret, il n’en reste pas moins que ce décret n’est que le résultat d’un texte contractuel signé par deux ministres socialistes d’un côté, et de l’autre par le secrétaire général de l’enseignement catholique  et des dirigeants de syndicats d’enseignants catholiques.

Cela va beaucoup plus loin que la loi Debré elle-même qui ne reconnaissait nullement l’enseignement catholique en tant que tel, mais des établissements d’enseignement privé (confessionnel ou non) dont chacun passait contrat avec l’Etat.

Là on a un texte analogue aux conventions passées avec des dirigeants de syndicats représentatifs sur tel ou tel problème social.

Donc cela dépasse l’accommodement pour être une sorte de reconnaissance officieuse.

Cela moins de 10 ans après la surenchère de Laignel, suivie par les députés socialistes, cause importante de l’échec de 1984[6]  AINSI LE JUSQUEBOUTISME PREPARE LE RENONCEMENT.

Rappelons, de plus, que c’est le même Jack Lang qui a poussé Fabius a se draper dans le drapeau d’une laïcité dure (envers l’islam) au moment du Congrès PS de Dijon.

 

Second exemple : l’accord du 12 février 2002 issu de la rencontre entre Lionel Jospin et son ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant d’une part, le nonce apostolique Fortunato Baldelli, avec le cardinal Lustiger et J.-P. Ricard, président de la Commission épiscopale de l’autre instituant un « dialogue institutionnel » entre le gouvernement et l’Eglise catholique.

Là aussi, on va plus loin qu’un dialogue normal, des consultations de représentants d’instances de la société civile. La rencontre avait été préparée en concertation avec la Secrétairie d’Etat du Vatican et la délégation catholique était présidée par le nonce apostolique (=ambassadeur d’un Etat étranger) ce dont s’est étonné… qui ? Vous ne devinez pas ?

 

Ce dont s’est étonné un certain …Nicolas Sarkozy quand, ministre de l’Intérieur, il a pris le relais pour ce « dialogue institutionnel ».[7]

Spécialiste de la laïcité, l’historien Emile Poulat a pu écrire : « Lionel Jospin a inauguré une procédure d’entente négociée avec les autorités catholiques » (La Croix, 10 juin 2002). Si le cadre formel de la loi de 1905 a été respecté, l’importance donnée au Vatican dans l’affaire rappelle beaucoup la pratique concordataire et donc tourne le dos à l'esprit de la loi.

Et j’aurais pu donner d’autres exemples, comme un accord pris à la fin de 2001 entre le gouvernement Jospin et le Vatican.

 

Ce qui est frappant dans ces exemples, ce sont les dates : à chaque fois cela se passe quelques mois avant des échéances électorales, l'une difficile (Les législatives de 1993), l'autre décisive (la présidentielle de 2002... que Jospin espérait gagner).

Cela n'a d'aileurs pas empéché, dans les 2 cas, une déroute des socialistes.

Comme quoi l'opportunisme politique n'est pas forcément payant. Les gens ne sont pas idiots: ils vous voient venir avec vos gros sabots!

 

 

Autrement dit : pendant les mêmes années, où on a lié la laïcité à l’intégration ce qui l’a durcie face à l’islam (et aussi face à tout ce qui n’apparaissait pas franco-français : des Eglises évangéliques, de nouveaux mouvements religieux), on l’a adoucie face à l’Eglise catholique.

Or une caractéristique essentielle de la laïcité c’est l’égalité mise entre les religions, comme entre les religions et les convictions non religieuses.

On s’est donc remarquablement planté !

Comment en revenir à une laïcité équitable (ce qui devrait être un pléonasme !) ?

Le bon vieux Durkheim (Emile pour les dames) distinguait deux formes de socialisation : l’intégration sociale et la régulation sociale.

Déjà le sens courant qu’a pris le terme d’intégration est beaucoup moins égalitaire que son emploi par Durkheim (comme nous le verrons), mais de plus nous devrions nous poser la question : et si la laïcité était  un processus de régulation sociale et non d’intégration sociale ?

Vous allez voir, bien des choses s’éclairent alors.

Mais il vous faudra attendre… le début de l’année prochaine pour le savoir.

"Happy New Year" à toutes/tous.

(clin d’œil aux pseudos qui prétendent que ma conception de la la¨cité serait "anglo-saxonne" ! J’vous jure, y’a des baffes qui se perdent).



[1] La princesse, qui lit ce que je tape par-dessus mon épaule, me rentre dans le chou et déclare : « Ouais, je te connais, tu fais semblant de plaisanter, mais le pire, c’est que, quelque part, tu crois que c’est un peu vrai.

[2]  Le 16 janvier 1994 eut lieu une grande manif. laïque un peu paradoxale puisque défendant un article de la loi Falloux de 1850 (classiquement considérée comme très anti-laïque) dont l’abolition (jugée la veille inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel) aurait accentué la possibilité de subvention d’investissement aux écoles privées

[3]  Rapport au 1er ministre J.-P. Raffarin sur la laïcité rédigé par F. Barouin, quelques mois avant la Commission Stasi.

[4] Du moins pour les écoles passant contrat avec l’Etat. De 1959 à 1984, les laïques ont surtout insisté sur le fait que ces écoles pouvaient garder un « caractère propre ». Après 1984, certains laïques ont rappelé qu’elles étaient soumises à des obligations contractuelles, dont certaines les soumettaient à des éléments de laïcité : cf. J. Boussinescq, La laïcité française, Le Seuil, 1994, p. 122-138.

[5]  Sur le projet de réforme Langevin-Wallon de juin 1947, cf. not. le collectif, Histoire de la laïcité, CRDP de Franche-Comté, 1994, p. 292-298.

[6] Le cardinal Lustiger - dit Lulu - ayant parlé de « rupture de la promesse donnée », ce qui a eu un effet désastreux pour les laïques, auprès de l’opinion publique.

 

[7]  Cf. mon livre : La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours, Albin Michel, 2008, p. 187-189.