06/01/2009
L'INTEGRATION N'EST PAS CE QUE VOUS CROYEZ
J’ai envie de VOUS dire « très bonne année, quand même… »
En effet, entre les nuages de la crise financière devenant une crise socio-économique et, maintenant, les bombardements et l’envahissement de la bande de Gaza[1] (on peut dire, en ce début d'année "Nous sommes tous Palestiniens"), il n’y a malheureusement guère de sujets de réjouissance, sinon la fin prochaine de l’ère Bush aux USA, encore une fois sans attendre de miracle d’Obama.
Dans cet environnement difficile, il faut cependant continuer une réflexion de fond qui puisse contribuer à débloquer certaines situations; cela dans le moyen et long terme. C’est la raison d’être de ce Blog, avec (heureusement), à certains moments, des occasions de sourire, et de rire, parfois.
Nous avons commencé à chercher à définir « Ce qu’est et ce que n’est pas la laïcité ». La première thèse est que la laïcité n’est pas l’intégration. Il s’agit de deux problèmes différents, même s’ils peuvent parfois interférer.
Je prends bonne note des deux questions (celle de Laurent Bloch et celle de Blondeelle). Elles seront traitées en leur temps.
Je voudrais d’abord repartir en parlant un peu de l’intégration. Plein d’ouvrage sont consacrés à ce sujet actuellement. Mais, à ma connaissance, ils partent tous du principe que l’intégration c’est, schématiquement, le fait de « s’intégrer » pour des migrants ou descendants de migrants.
L’intégration est, dans ce sens, d’une part une affaire individuelle : c’est aux individus de s’intégrer à la société ; d’autre part une affaire qui concerne une certaine catégorie d’individus : les « Français de souche » sont intégrés par définition à la société française. Ce sont ceux qui sont en train de devenir français qui doivent s’intégrer.
Et, dans cette perspective, le débat social se focalise souvent sur la question : pendant combien de temps, pendant combien de générations réclame-t-on une telle intégration des migrants ?
La nationalité française étant liée au droit du sol, les descendants de migrants nés en France ne doivent-ils pas être considérés comme des « Français à part entière », n’ayant pas à s’intégrer encore et toujours à une société qui est la leur depuis leur naissance ?
OK, mais on reste dans l’optique générale précitée de l’intégration.
Or les termes même de ce débat, de cette optique manifestent une façon relativement nouvelle de concevoir la notion d’intégration et c’est à tort que nous faisons comme si ce sens nouveau était le seul sens possible de ce terme.
Je l’ai signalé, ce bon vieux Durkheim concevait tout autrement l’intégration. Et peut-être n’est-il pas mauvais de le relire !
L’intégration est d’abord, pour lui, un phénomène social. Il existe des sociétés plus ou moins intégratrices. Des sociétés (et des groupes sociaux) ou les individus (quels qu’ils soient) sont plus ou moins fortement intégrés.
Une société intégratrice, pour Durkheim, c’est « une société cohérente et vivace (où) il y a de tous à chacun et de chacun à tous un continuel échange d’idées et de sentiments et comme une mutuelle assistance morale, qui fait que l’individu, au lieu d’être réduit à ses seules forces, participe à l’énergie collective et vient y réconforter la sienne quand elle est à bout »[2]
Durkheim indique que, par exemple, les « grandes commotions sociales comme les grandes guerres populaires » peuvent « pour un temps » favoriser « une intégration plus forte de la société » en ravivant les « sentiments collectifs » et « concentrant les activités vers un même but ».
Qu’en est-il des religions ?
Selon le sociologue, le catholicisme a généré une forte intégration, socialisant ses membres dans « un corps de doctrines vaste et solidement constitué ». Le protestantisme induit des collectivités moins intégrées car il accorde plus d’importance aux choix religieux individuels.
Le judaïsme se rapprocherait du protestantisme, mais les séculaires manifestations d’antisémitisme ont renforcé l’intégration de ses membres.
D’une manière générale, les religions ont constitué un facteur d’intégration.
Par certains côtés, Durkheim a la nostalgie des sociétés intégrées. Mais, indique-t-il, les croyances religieuses ont perdu de leur crédibilité et elles intègrent beaucoup moins. On n’a pas le choix, conclut-il : désormais, c’est à la science qu’il faut se confier.
J’aime bien l’affirmation de l’historien Eugen Weber concernant ce genre de propos : ils peuvent paraître naïfs, mais avant la guerre de 1914-1918, ils étaient raisonnables, car on pouvait lier en une seule gerbe progrès scientifique et technique et progrès moral et social.
En tout cas, toute la relation ambiguë de Durkheim à la laïcité se retrouve ici. Pour les fanas de la baubérotique vision de la laïcité, j’ai rédigé une savante étude là-dessus.[3]
Peu importe pour le sujet d’aujourd’hui.
L’essentiel est de retenir ceci : l’intégration est un phénomène social. On y pense à propos du secteur socio-économique, mais pas beaucoup pour le reste. C’est seulement dans des travaux sociologiques spécialisés que l’on trouve aujourd’hui encore, les termes de la famille sémantique « intégration » utilisés dans ce sens.
Pourtant, l’usage social du mot dans un sens schématiquement « durkheimien », a duré jusqu’aux années 1970.
J’ai relu, ces jours ci, un article d’un sociologue, Francis Andrieux, publié en 1972[4]. Il indique la difficulté pour le sociologue d’utiliser les vocables d’intégration et de participation de façon neutre :
« L’intégration en vient à désigner d’un des fléaux majeurs de notre temps. La rationalité technologique et bureaucratique est décrite comme un système tendant à mettre au pas et à « intégrer » toutes les dimensions de l’existence privée et publique. »
Et plus loin, il remet cela : « L’intégration apparaît comme un danger et un mal contre lequel il n’y a de lutte possible qu’en mettant en cause le « système » tout entier ; de l’autre, la participation se présente comme le bien auquel il faut tendre, le remède capable de rendre vie et santé à un corps social malade ou anémié. »
Quatre caractéristiques se dégagent de ces 2 citations :
- L’intégration est immédiatement sociale ;
- elle concerne tout un chacun et non une partie seulement de la société ;
- elle est socialement perçue comme un « fléau», un « danger », un « mal », identifiée à une « mise au pas » menaçant l’individu et contre laquelle une lutte globale est légitime ;
- la participation est le remède (ce qui montre qu’Andrieux ne parle pas des seuls gauchistes : en effet la « participation » est alors une réponse réformiste à la contestation gauchisante).
Et l’islam ? Quel islam ? Alors on ne parle de l’islam et des musulmans que par rapport à des pays étrangers, à un au-delà de la Méditerranée. La situation va rapidement changer et peu à peu va se développer, avec le constat de sédentarisation des migrants, une sociologie de l’immigration.
Comme le remarque Marjorie Moya[5], c’est sous cet angle que les musulmans en France, et/ou Français, vont être d’abord étudiés. La sociologie de la religion n’arrivera qu’ensuite. Et je dirai qu’encore aujourd’hui elle a beaucoup moins d’impact médiatique et social que la sociologie (ou plutôt d’ailleurs la science politique) de l’immigration.
La création du Haut Conseil à l’Intégration, fin 1989 (au moment de la 1ère affaire de foulards !) montre le changement dominant de sens qui atteint les 4 caractéristiques susmentionnées, qui focalise l’intégration sur les migrants, et parfois même, dans une optique racialisante, sur les non-blancs !
Ainsi, très curieusement, en avril 2008, le HCI a rendu hommage à Aimé Césaire lors de son décès. Il ne l’avait pas fait pour l’abbé Pierre, non plus que pour des écrivains visages pâles. Curieux, non ?
Moralité :
- L’intégration est un phénomène social (une société, un groupe social, une institution possède une capacité d’intégration plus ou moins grande) ;
- elle concerne le rapport entre la société (le groupe, etc) et tout un chacun ;
- l’intégration est-elle « bonne » ou « mauvaise » ? Les contestations de Mai 68 and after n’ont pas forcément raison. Elles n’ont pas systématiquement tort non plus. Il est paradoxal d’avoir autant célébrer Mai 68 l’an dernier et d’être dans l’amnésie totale de ce dont Mai 68 était porteur. Pour chaque cas précis, se poser le problème du bien fondé de l’intégration, du degré d’intégration souhaitable, etc sont des questions pertinentes
- et la « participation »… à part quelqu’une qui a mis en avant la « démocratie participative », on l’a pas mal oubliée ! Et si la participation était un correctif nécessaire à l’intégration pour qu’on ne vive pas dans une société anthropophage ?
Je suis sûr que le simple fait de rappeler que l’intégration concerne tout un chacun change le regard sur l’intégration.
Il n’en reste pas moins que, la laïcité, ce n’est pas l’intégration sociale mais beaucoup plus la régulation sociale.
La régulation sociale, qu’estzaquo ?
Petits malins, vous voulez tout savoir : attendez la semaine prochaine, que diantre !
RAPPEL IMPORTANT :
RENCONTRE DES 16-17 JANVIER à l’Institut du Monde Arabe
1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris
QU’EST-CE QU’UNE SOCIETE PLURICULTURELLE.
Informations sur : http://www.islamlaicite.org
[1] J’entends déjà certains amis me reprocher de parler de cette agression israélienne, sans mentionner les tirs de roquette qui en ont été la raison ou le prétexte. Mais la rupture de la trêve par le Hamas est due elle-même à la perpétuation d’un blocus insupportable. Etc. On peut remonter de cause en cause. L’essentiel est que, malheureusement, pour les Palestiniens le choix de la négociation et du processus de paix, tel qu’il a été défini à Genève, n’apparaît nullement « payant ».
[2] E. Durkheim, Le suicide, rééd PUF, 2007, 224.
[3] Mais il faut lire l’allemand (ou l’apprendre très vite !) pour pouvoir l’apprécier : la référence est : J. Baubérot, « Durkheim und die Debatte um die Laizität », inM. Koenig – J.-P. Willaime (Hg) Religionskontroversen in Frankreich und Deutschland, Hamburger Editions HIS, 2008, 182-203.
[4] « Intégration et participation urbaines »In RHPR, 1972/3, 323-330
[5] Dans un excellent mémoire de master à ‘l’EPHE dirigé par V. Zuber
17:46 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (1)